Un palimpsesteIl est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culteSamuel Beckett • « L'Innommable » Cité en exergue au « Jargon de l'authenticité » par T. W. Adorno • 196ØPersonne
n’a le droit de rester silencieux s’il sait
que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le
sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti
politique ne peuvent être une excuse. Bertha
Pappenheim |
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M. W. / ψ •
Le temps du non
2
décembre 2007
Un
palimpseste
À
propos du livre de Simone Veil, « Une Vie », Stock, Paris, 2007
Personne
n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait
quelque part. ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique
ne peuvent être une excuse.* Bertha Pappenheim *
N. B. de M. W. : ni le recours à la déportation.
Qu'est-ce
qu'un palimpseste ? C'est, selon le Grand Larousse Universel, un parchemin
dont la première écriture [celle qui apparaît], grattée ou lavée, a fait
place à un nouveau texte,
caché, plus ancien, jusque là recouvert. Jetons un premier regard sur la couverture
de ce livre. Une très jolie photo non datée de l'auteur, jeune,
mais non retouchée, où l'œil gauche, resté blanc comme
il se produit parfois avec l'éclat d'un flash, donne une impression assez
étrange. En
quatrième de couverture, quelques lignes où il est dit, “Elle
s'y montre telle qu'elle est... ”, donnent le ton. Curieusement,
l'annonce de la sortie de cet ouvrage a fait l'objet d'une énorme campagne
médiatique et, sitôt paru, de “raouts” considérables
et sans doute fort coûteux, alors qu'il semblerait que personne ne l'ait
encore lu, pas même l'éditeur, excepté... Jean-Marie Le
Pen. Le Pen n'a pas manqué de s'y référer lors du «
Ripostes » à la télévision, dimanche dernier. Soumis
à la question de la torture en Algérie, il évoque l'ouvrage
de Simone Veil, page 229, je cite, “Je me souviens de ma réaction, au
moment du procès de Klaus Barbie, en 1983, kidnappé avant d'être
extradé. J'ai alors déclaré : « Comment réagirait
la France si on enlevait sur son sol d'anciens criminels de guerre ? S'il s'agissait
par exemple de personnes ayant commis des tortures en Algérie, quelle
serait notre attitude ? » Barbie étant ramené en France,
il fallait bien le juger, mais je conserve un doute sur l'opportunité
de la démarche suivie pour le récupérer. Dans le cas d'Eichmann,
peut-être peut-on passer l'éponge sur l'enlèvement au nom
de la contribution essentielle à l'histoire qu'a permis son procès. Dans le même état d'esprit, j'ai
toujours éprouvé une gêne face à l'absence de prescription
des crimes contre l'humanité. Instruire des procès plusieurs décennies
après les événements qu'ils concernent et dans un contexte
historique qui n'est plus le même ne peut être que difficile, sinon
impossible. Je sais que je suis isolée dans ce point de vue sur une question
qui est un véritable tabou. Aujourd'hui, l'opinion sacralise la législation
internationale.” ... Là-dessus, Klarsfeld reçoit un bon un coup de patte, mais ni plus ni moins que, dans
cet ouvrage, à peu près tout le monde... personnalités
de la Société civile, Église, Armée, littéraires,
scientifiques, médias... Quant aux sans grade, des femmes essentiellement,
des “amies” de longue date selon elle, Simone Veil ne les nomme
pas. Suivent
Touvier et Papon, à l'égard duquel Simone Veil émet un
“jugement plus nuancé” puisque, “Ce haut fonctionnaire
pouvait s'être trompé... ”, suivi d'un bémol après
point-virgule, “ ...la moindre des choses eût été
de le reconnaître.. ” Mais pas trace de Bousquet à ce stade,
parmi l'aréopage, lequel ne lui était pourtant pas inconnu. Revenons
à Le Pen qui a ceci en commun avec, à deux reprises, Raymond Barre,
et très récemment, le Ministre Algérien, lesquels dénoncent
publiquement le “Lobby juif”. Simone Veil s'en offusque, sans dire
un mot à ce propos de l'Amérique qu'elle apprécie, laquelle
s'est toujours montrée très fière de ses “Lobbies”
argentés, de toute “extrace”. Or, la France ne peut nier, à moins d'être malhonnête,
qu'elle pratique un “Lobbying” manifeste, lequel d'ailleurs nourrit
un antisémitisme de “classe”, une forme de l'antisémitisme
parmi les autres et, partant, favorise le négationnisme. Cette formule
de toujours depuis son adoption par la langue française, de “Lobby
juif”, sous-tendu par la puissance de l'argent, a refleuri de toutes parts,
ouvertement, dès les débuts de la campagne présidentielle
de 2007, toutes sensibilités non-juives confondues, de gauche ou de
droite et intermédiaires, dans la rue, les immeubles, les commerces,
les villes et les campagnes... et pas seulement dans la plèbe ni la roture.
Des intellectuels, des professions libérales, des scientifiques, des
médias... ne s'en sont pas privés. Ici par exemple, dans le XVe
Arrdt, la reviviscence de l'expression est exemplairement quotidienne. Madame
Veil le sait parfaitement, du haut de son dédain pour qui ne la met pas
personnellement en valeur et envers qui elle émet des propos frôlant
la diffamation. Je suis allée jusqu'à écrire même,
dans une correspondance semi-publique - elle ne figure pas sur notre site -,
auprès de quelques personnalités “choisies” : “pour
qui ne se met pas au service de sa mégalomanie”. Madame
Veil ne s'intéresse pas à la psychanalyse, c'est dommage. Un texte
de Freud, un seul, lui eut peut-être été d'un enseignement
profitable, celui de : « Pour introduire au [concept de] narcissisme
». Madame Veil, qui semblerait, à la lecture de sa «
Vie », se placer comme l'éminence grise de tous les personnages
successifs de l'État, efface avec une étrange désinvolture,
supprime, tout ce qui n'est pas elle, les gens, les événements,
les personnes et personnalités... Car
le ton, le style de cet ouvrage - qui au plan littéraire, de l'écriture,
serait plutôt un non-livre - sont assez déconcertants. Le ton est
péremptoire, affirmatif, les opinions, parfois des banalités,
souvent méchantes, déclinées et enchaînées
les unes à la suite des autres sur tout et sur tout le monde ne sont
étayées d'aucune réflexion, d'aucun document concret, vivace
ou d'archives, sur la véracité des dires de l'auteur. “Credo
quia absurdum : je crois [ce qu'écrit Madame Veil] parce que c'est
absurde, saugrenu”, comme on dit d'une idéologie. Le style
quant à lui, est plat, sec, de simple surface, dépourvu de sensibilité,
comme s'il suffisait d'écrire “c'est émouvant” pour
traduire une émotion. Bref,
ce qui est capital, dans cet ouvrage, c'est ce qui n'est pas dit. Par
exemple, l'oubli par Simone Veil, de reconnaître, ou pour le moins, avec
son auteur, de les citer, l'œuvre monumentale de Claude Lanzmann, Shoah. Une
autre bizarrerie : son acharnement contre la Hollande, qu'elle a sérieusement
fustigée à deux reprises lors de son discours d'ouverture à
la “Cérémonie des Justes” au Panthéon, mais
qui n'apparaît pas dans l'annexe le reproduisant, il est intégré,
édulcoré, dans le corps du texte. Quel
bel hommage trop tardif aux Justes, dont elle disait, lors d'une commémoration
dans le cadre restreint de l'Amicale d'Auschwitz en l'an 2000, retranscrite
dans l'un des « Mensuel de l'Amicale » : Extraits du texte encadré ci-dessus en clair Après Auschwitz • Mars 2000 Mensuel de l'Amicale
Simone Veil - [...] Et d'autre part, je trouve que c'est de la démagogie [sic !], ces médailles distribuées en France pour des Justes si âgés, sans témoins, ou morts, que nous n'avons plus que des souvenirs de souvenirs [...] Je trouve qu'il n'y a pas d'intérêt à faire autre chose que ce que fait, très bien Yad Vashem. [...] Quand on est mort, on n'a pas à peser. Mais les enfants n'ont pas à se substituer à nous, à porter notre message, ils ne sont pas comme nous. Et d'autre part ce n'est pas quand on y est allé 3 jours qu'on peut porter un message, avoir cette vocation particulière. Moi, je fais confiance aux professeurs d'Histoire.[...]
Ma réponse
Paris, le 12 avril 2000
Madame, de quels enfants parlez-vous ? Nous n'ignorions pas que certaines, parmi les anciennes déportées, avaient développé une forme de haine envers les enfants de déportés. Je connais notamment l'une de vos “camarades” qui ne supporte pas l'idée que, plus jeunes, nous lui survivrons... ce qui n'est pas toujours le cas. Cela l'a rendue méchante, moche, mesquine. Loin de nous de prétendre et, d'abord, de désirer nous substituer à vous. Merci pour l'héritage ! Et nous avons déjà eu trop de mal à nous constituer, à tenir à peu près debout, sans, il faut bien le reconnaître, être beaucoup aidés - nous, la piétaille d'Europe de l'Est et d'Allemagne - pour nous identifier à votre état d'esprit complètement étranger à notre histoire. Encore merci,
N.B. Dans ma stupéfaction d'alors - je n'étais pas encore vraiment “revenue” de Birkenau arpentée de la neige jusqu'aux genoux le 25 janvier -, j'ai omis de préciser, ce je fais toujours auprès des mères en souffrance, que la désignation “enfant” n'est pas ici un âge mais un signifiant.
ø J'ai
laissé à l'attention du lecteur la seconde partie de son allocution
lors de cette même réunion, avec ma réponse d'alors, au nom des enfants que nous fûmes et ne sommes plus depuis plus d'un grand demi-siècle, de déportés assassinés à Birkenau.
Pour
en revenir à la Hollande, en 1992, j'ai publié un récit
que je venais de traduire sans avoir pu bénéficier d'une quelconque
subvention de qui que ce soit, et dont voici l'introduction :
À
la bonne adresse
retrace l'histoire, dans Amsterdam occupée par les nazis, d'un groupe
d'hommes et de femmes jeunes non-Juifs, aujourd'hui
Justes parmi les Nations, qui,
sous le nom de SOCIÉTÉ ANONYME, s'est spontanément formé
pour sauver 250 enfants de l'extermination. Seule
une fillette mourut de maladie. Tous les enfants échappèrent à
la déportation. Bert
Kok est né en 1949. Auteur
de plusieurs livres pour enfants et adolescents ainsi que de pièces de
théâtre, il publie également des contes dans des périodiques
et écrit la page hebdomadaire destinée aux jeunes lecteurs du
journal Het Parool. Max
Arian, qui m'a passé ce récit, auteur de la postface, journaliste
et écrivain, était l'un de ces 250 enfants. M. W.
Présentés
par Laure Trainini, des extraits
audio/vidéo de ce récit pour petits et grands enfants, du sauvetage
de mômes juifs en Hollande entre 1942 et 1944, exemple de courage et de
solidarité humaine qui vaut pour tous, figurent sur le site depuis 2003. Ce
petit livre n'a intéressé personne.
Des
années auparavant, en 1979, Madame Veil était encore Ministre
de la Santé, chargée également des handicapés et
des personnes âgées, Le Seuil avait publié « Histoire de Louise
», magnifiquement préfacé par
Françoise Dolto. Ignorant la nature de la relation
qu'entretenait Simone Veil avec Françoise Dolto - je savais simplement
que son Ministère de la Santé n'aidait pas F. D. à commencer
de mettre en place financièrement la « Maison Verte » - j'avais
demandé à la Ministre de bien vouloir ajouter un petit mot à
cette superbe préface. L'invitation fut déclinée, au prétexte
que Madame Veil était sur le point de quitter le gouvernement [cf. sa
lettre dans mes archives]. Pour
la réédition de « Histoire de Louise » en 1987 que, dès
publiée, j'ai adressée à Madame Veil, le procès
Barbie passant par là, j'avais ajouté la page de garde que voici
:
Simone
Veil était alors venue à la “Maison de Cure Médicale”
[sic !] de la Salpêtrière, énoncer l'allocution funèbre
de Louise Alcan, sans que personne ne paraisse incommodé/e, ni par la
vision du crématorium de l'hôpital, ni par celle de la voie ferrée
de la Gare d'Austerlitz en contrebas et celle du métro aérien
au surplomb, pas plus que par l'assourdissant ferraillement des trains. Le
Seuil, pour une raison qui demeure encore inexplicable aujourd'hui, s'est
vu interdire de distribuer cette deuxième édition de «
Histoire de Louise », livre qui, aussitôt retiré de la vente, n'est jamais paru en livre de poche.
Que
Madame Veil, selon la rumeur largement médiatisée, soit reçue
par “acclamation” au sein de l'Académie Française,
laissons à l'esprit de sa première Immortelle, Marguerite Yourcenar,
d'insuffler sa qualité d'écriture à l'Immortel ou l'Immortelle
qui serait chargé/e de prononcer le discours traditionnel à l'adresse
de la récipiendaire.
Micheline Weinstein Paris •
2 décembre 2007 ø Shoah, chef-d'œuvre d'un éternel aujourd'huiTraduit et publié par y [Psi]
LE TEMPS DU NON / 1993
Extraits du discours d’Etty Mulder à Amsterdam, le 4 mai 1993, lors de la remise du Prix de « Résistance en Art » à Claude Lanzmann pour première fois depuis 1942 attribué à un non-hollandais C’est une qualité propre aux grandes créations de l’esprit, auxquelles appartient le film Shoah de Claude Lanzmann, que d’être enracinées dans un exceptionnel équilibre et de s’élever au-dessus des valeurs éthiques et esthétiques courantes. Ces témoignages monumentaux, d’où notre histoire prend forme, garantissent de l’oubli qui nous guette de notre passé. Ce sont eux, comme tout ce qui compte parmi les chefs-d’œuvre authentiques, qui ont combattu cet oubli. Ils se sont placés comme autant de symboles, marquant les étapes de l’évolution de notre conscience. Ainsi le film Shoah est-il un témoignage monumental de présence humaine et d’absence de l’humain. Un symbole qui se greffe dans la mémoire. Qui, plus qu’un simple souvenir, est d’abord forme concrète de la conscience, ici et maintenant. Comme paradoxe de douceur et d’horreur. [...] Ainsi douceur et beauté nous conduisent jusque dans l’horreur, comme seules voies d’accès obligées. [...] Le film Shoah est en premier lieu d’une grande douceur. Il y règne une grande retenue, un profond respect devant ce à quoi il ne faut pas toucher, le “noli me tangere”. Là, ce monde, ne connaît pas d’espace/temps linéaire. Dans l’expérience subjective le désespoir absolu est éternel. Là règne un présent éternel. Le présent de Shoah requiert la notion d’un temps intérieur, d’un temps circulaire, une infinitude. Il est pourtant nécessaire de ménager, par-delà le vide entre ce monde et nous, avec nos mots d’aujourd’hui, 4 mai 1993, malgré tout, un avenir et un sens. [...] Le film Shoah est l’accomplissement d’une union entre art et non humanité que, dans la tradition de notre culture et même dans nos pires cauchemars, nous n’aurions pu imaginer. [...] L’art est le dernier messager de la vérité. Sa passation ultime. La seule. [...] L’impulsion créatrice de Claude Lanzmann tient à son refus de déclarer la shoah “comme le passé”, sa résistance à l’historiciser, résistance face au processus d’usage en histoire. Existe-t-il en-core une histoire pour l’Europe depuis cette fin de la civilisation de l’Europe, fin qui ne cesse de perdurer jusqu’aujourd’hui ? L’impulsion centrale tient au refus, au mot essentiel de l’artiste - non ! C’est le mot sur laquelle notre Fondation, qui porte le nom de « Résistance en Art », s’est instaurée. Le “non” de Claude Lanzmann fait corps avec Shoah, il donne une voix à l’impuissance de l’humain dans l’Europe du vingtième siècle. Seul mot de la dignité pour l’homme. Mot par où commence l’être libre.
© ψ [Psi]
LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire ©
1989 / 2007
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