Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

Le terrorisme du temps perdu

Ø

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down the worshipped object

Samuel Beckett • « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the Authenticity » by T. W. Adorno • 1964

Ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain silent if he knows that something evil is being made somewhere. Neither sex or age, nor religion or political party is an excuse.

Bertha Pappenheim

point
ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

ø

© Micheline Weinstein   / 09 février 2011

Le terrorisme du temps perdu

« La singularité de Freud, aussi bien de sa personne que de son œuvre témoignait d’un rapport intime entre son travail scientifique et sa vie, au passé comme au présent, similitude que l’on rencontre seulement chez le poète. »

 

Siegfried Bernfeld in « De la formation analytique • 1952 »

Introduction de Rudolf Ekstein, PH. D.

© Traduction et postface de Micheline Weinstein, Paris, Avril 2000

ø

À quoi reconnaît-on une andouille ?

À ce qu’elle n’a point d’oreilles.

 

Rabelais

ø

 « ...le pouvoir et le vouloir réunis. Là sont vos idées sociales, vos désirs excessifs, vos intempérances, vos joies qui tuent, vos douleurs qui font trop vivre ; car le mal n’est peut-être qu’un violent plaisir. Qui pourrait déterminer le point où la volupté devient un mal et celui où le mal est encore la volupté ? Les plus vives lumières du monde idéal ne caressent-elles pas la vue, tandis que les plus douces ténèbres du monde physique la blessent toujours. Le mot de Sagesse ne vient-il pas de savoir ? Et qu’est-ce que la folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir ? »

Balzac in La Peau de chagrin

ø

Dans un billet qui date de plusieurs mois, j’avais déjà évoqué, l’émission assez tardive, diffusée le soir sur la 5, intitulée « Déshabillons-les », où la “psychanalyste” de service s’écrivait alors “psichanaliste”- ce fut corrigé depuis - et les raisons pour lesquelles il ne me semblait pas très indispensable de s’y intéresser.

C’est par hasard que le 02 février 2011, j’ai suivi, dans cette même émission, l’entretien entre Dame Risser et son invité, Jean-Luc Mélanchon. Mon impression première fut confirmée qu’il est inutile, dans ce genre d’émission, d’être franc, sincère, honnête, pédagogue, soi-même, quelles que soient sa provenance et sa “sensibilité” politique, s’il y a.

Après 3 ans d’errances et de divertissements “peoplesques” assourdissants dans tous les domaines, où  l’on nous mît la tête en morceaux, où le temps de vivre et de penser s’étiolait, où nous fûmes nuit et jour incités à laver notre cerveau sur Internet et autres IPod / Pad, où tout le monde parle pareil et où il est impossible de s’y retrouver, il semblerait que les politiques aient repris en main leur métier de politiques et s’attachent aujourd’hui à resserrer leurs réflexions autour de ce pourquoi ils furent élus : l’art et le savoir gouverner.

Laissons-les donc pratiquer leur métier, dont le spectacle ne nous engage pas à interférer dans un domaine professionnel qui ne ressortit pas à nos compétences. Nous nous contenterons donc de ne nous intéresser qu’à notre propre terrain d’exploration - et d’exploitation - et, quand le temps sera venu, de voter, chacun, chacune, selon sa conscience.

C’est ainsi que, pour en revenir à France5, il semblerait que l’une des spécialités des échanges entre les animateurs, hommes ou femmes, consiste à éveiller la suspicion selon laquelle si les invités ne souhaitent pas répondre à une question indiscrète ou qu’ils estiment prématurée, alors ils parlent en “langue de bois”. Autre étrangeté : quand il s’agit d’invités dits “de droite”, les journalistes ou animateurs censés se ranger plutôt “à gauche” font montre d’une obséquiosité inattendue ; à l’inverse, quand l’invité est “de gauche”, les mêmes le soumettent alors sans vergogne à un interrogatoire inquisitorial au cours duquel, comme l’a finement démonté Mélanchon, il est grossièrement accusé de fourberie, autrement dit de ne livrer en clair que des miroirs aux alouettes destinés à endormir le peuple, histoire de ne pas révéler ce qu’il pense vraiment, non plus que ses projets réels. L’invité de gauche serait donc mû par des intentions perfides, et pratiquerait un langage codé ou encore un double langage.

Cette manière brutale de faire, peu civilisée - rappelons que pour Freud, le principe même de civilisation est avant tout le renoncement à toute manifestation pulsionnelle, d’où est issu le concept de “sublimation” qui est une désexualisation de la pulsion, dérivée de sa satisfaction immédiate vers un but plus élevé  -, très en vogue sur France5, notamment le dimanche après-midi, par un journaliste récemment promu aux plus hautes fonctions de Directeur d’un quotidien, qui n’écoute rien mais se décrit comme une sorte d’“accoucheur” d’intentions - béotien, dont personne de surcroît n’a sollicité ses services psychologiques -, est rehaussée, dans l’émission « Déshabillons-les », par les doctes péroraisons de dénommés “psychanalystes”, manifestement amis de la présentatrice, pansus, ventrus, parfois débraillés, godiches ou potiches, dont Mélanchon eut la gentillesse de qualifier leurs commentaires, pauvres mais néanmoins d’une singulière sauvagerie, comme émanant d’“hurluberlus”. Commentaires d’autant plus pédants que leurs auteurs ignorent tout de la personne qu’ils “déshabillent”  et du sujet parlant en général, dont la parole ne les intéresse pas, sans quoi, depuis le temps, ça se saurait.

Qu’est-ce qu’un psychanalyste ?

Du temps des freudiens disparus, un psychanalyste est celui, habilité,  qui pratique la psychanalyse, c’est tout simple.

Il est alors permis de se demander ce que ces “psychanalystes”, conviés à donner leur avis sur tout et n’importe quoi dans la sphère publique, font de leur pratique quotidienne, surtout,

• quand ils déclarent, comme l’autre soir, au cours de « Déshabillons-les » : “l’argent et le sexe mènent le monde”. Bravo ! Quelle profonde réflexion de “psychanalyste” ! Nous aurions souhaité, serait-ce que par respect pour Freud et son œuvre, que le chemin difficile qu’emprunte la psychanalyse soit celui de l’intelligence... Mais bon.

• Quand leurs supposés analysants, les femmes surtout, du monde de l’édition, des médias, bref, des “people”, sortent des livres qui ont beaucoup de succès grâce aux intercongratulations que s’entredistillent les réseaux précités, décrivant la plupart du temps leur misère sexuelle personnelle, réelle, avec une profusion d’obscénités proportionnelle à leur indigence littéraire.

Faut-il sans cesse rappeler que pour la psychanalyse, les dysfonctionnements de la sexualité, émanant du passé, où la topographie œdipienne s’est mal construite, ce qui a entraîné une mauvaise assimilation, ou pas d’assimilation du tout, de l’interdit structurant de l’inceste, relèvent exclusivement de la vie privée de l’individu ? Pour la psychanalyse, les étaler équivaut tout simplement à un grossier “acting-out”, autrement dit à une résistance à la psychanalyse non prise en compte par le supposé analyste censé aider à les résoudre... lequel s’auto-transforme de ce fait en  animateur de “reality-show”.

Quelle que soit la forme, dans tous les sens du terme, morale aussi bien que physique, sous laquelle se présente et se présentera l’invité pris à parti, ici ce fut Jean-Luc Mélanchon, quels que soient ses réponses, ses arguments, ses questions, son style, il est, dans l’ordinateur médiatique, préalablement formaté (“populiste” blabla... ), condamné, aussi pédagogue soit-il. Rien ne servira à rien, le mot d’ordre implicite en usage des temps modernes, qui commencent pourtant à dater, étant ne rien vouloir savoir.

Or nous savons que  ne rien vouloir savoir est une définition essentielle de la perversion.

D’où un détournement permanent du sens des mots. Par exemple, je l’ai écrit des dizaines de fois, l’emploi de celui de “schizophrène”, qui semblerait être considéré comme noble, à la place du terme adéquat qui est celui de “pervers”.

Il suffit de se renseigner sur la différence entre le clivage du schizophrène et celui du pervers, lesquels n’ont pas vraiment grand-chose en commun, pour restituer son sens au vocabulaire.

Pour les autres emprunts au vocabulaire “psy” - paranoïa, fantasme, empathie, etc. -, sans en connaître le sens, cf. mes billets précédents à ce sujet sur notre site.

Toute une palette de termes “psys”, absolument inadéquats, sont également appelés à la rescousse quand il s’agit, sous une forme publique à peine plus policée mais non moins assassine, de descendre à toutes fins une personnalité politique ou autre, et même son prochain.

Dans un registre plus courant, nous sommes actuellement bombardés, quand ce n’est pas par des slogans - qui, selon Freud, épargnent la peine de penser -, et des sigles, d’“envies”...  Pourtant l’envie aurait plutôt tendance à manifester un besoin naturel pressant, ou alors, plus rude, un besoin de prédation et de vengeance émanant de la jalousie et de la rivalité ; un peu plus mou, erratique, au contraire, sans aller jusqu’à convoquer avec emphase le “désir”, il se différencierait de celui d’“intention”, qui implique une réflexion et un objectif.

La vulgarité s’en mêle. Être en désaccord n’oblige pas nécessairement à l’incivilité verbale... ça braille partout “dégage !”, “voyou”, “vieux” et sans doute pis encore, mais je refuse de me laisser mener par le terrorisme du temps perdu et ne consulte ni les blogs ni autres moyens de communication de la sorte... Notons aussi l’usage des “ingrédients” de cuisine qui remplacent les “éléments” de discours... Côté plus snob, “pas de souci !”, “À très vite !”...

Plus nous avançons vers la sortie, plus le temps de lire, de réfléchir, d’écouter, d’observer, de vivre, n’est plus seulement d’argent, il est d’or.

Et parce que j’ai l’impression d’avoir vécu dans un monde tout à fait différent, ce que j’aimerais entendre de la part de tous ces “psychanalystes” auto-déclarés, ce sont, dans un premier temps, leurs définitions de quelques termes et expressions suivants :

• psychanalyse ;

• résistances à la psychanalyse ;

• transfert ;

• rêve ;

• symptômes ;

• formations de l’inconscient.

• ... ... ... ... ...

Comment font ces “psychanalystes” pour utiliser ces clefs conceptuelles, sans être à l’écoute, sans être attentifs au temps réel de chaque analysant, à son rythme, à ses symptômes, au temps de la séance, à son rythme, au temps de l’analyse, à son rythme, au temps de la psyché, à son rythme, à ses étapes, à son évolution, à ses écueils...

Il serait peut-être intéressant d’approcher la question de l’accès à la fonction de psychanalyste selon cette proposition : à l’expérience de votre analyse personnelle, qui est la part primordiale de l’apprentissage  psychanalytique, et de votre formation toujours en cours à l’analyse, comment développeriez-vous ce principe freudien selon lequel le rêve, le symptôme hystérique, le mot d’esprit, sont de même structure qui est la structure même de la psychanalyse ?

Pourquoi a-t-on voulu, avec acharnement, déconsidérer la psychanalyse, donc son fondateur - qui estimait la compétence d’un psychanalyste au sérieux avec lequel il analysait un rêve - en tant que science ? Qu’est-ce qu’une science, sinon, selon la définition la plus claire du Grand Usuel Larousse un “ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d’objets et de phénomènes obéissant à des lois et/ou vérités par les méthodes expérimentales” ?

Sterba rappelle que Freud, lors des réunions scientifiques, prenait soin de préciser ceci : “lorsque l’on essaie de formuler des concepts scientifiques, dans une discipline aussi jeune, il faut éviter de se montrer trop définitif, dans la mesure où l’on ne peut pas tomber juste du premier coup”.

Hans Sachs, lui, fait part des inquiétudes de Freud, à la suite des premières dissidences, relatives à “l’intérêt pour la technique de l’analyse des rêves [qui], au lieu d’être au premier plan de la recherche où se trouvait sa place, était souvent évité par ceux qui préféraient une psychanalyse facile et superficielle.”

Depuis combien de décades les analystes n’observent plus, n’étudient plus, n’écoutent plus et, à part les rabâchages lacaniens, ne lisent et n’écrivent plus ? Et enfin, ces dix dernières années, ne font que grappiller, sans vérifier les sources, sur leurs ordinateurs ?

Qui a lu un petit usuel très complet de Freud, que j’ai retraduit, intitulé « Petit abrégé de psychanalyse », et que l’on trouve depuis des années sur notre site à cette adresse,

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/petitabreg.html

ainsi que, les « Principes de Psychanalyse » de Herman Nünberg, autre usuel préfacé par Freud et complété au fur à mesure par l’auteur jusqu’à sa mort en 1970 ? C’est en outre un ouvrage d’actualité en ces jours où l’on ne cesse de questionner la récidive, notamment chez les criminels sexuels, qui interroge, justement à la lisière de la schizophrénie, “la perte de la réalité”  chez les détenus de plus ou moins longue durée et ses conséquences...

Au début d’un long travail en cours et de plus occupée à rassembler mes archives et à les numériser avant de confier les originaux au Musée de l’Holocauste à Washington, ce qui est très long, je ne me suis guère manifestée ces derniers temps.

On a pris l’habitude vulgaire de parler de Freud en l’appelant “Papa Freud” comme on a qualifié Françoise Dolto de “Mamie Nova”. Par contre, de Lacan, on dit “ Le Maître”.

Je ne répéterai pas, une nième fois, ce que le lecteur intéressé pourra trouver sur notre site au sujet du mépris dont Freud fait l’objet en France, ainsi que les analyses, traductions, écrits cliniques, documents sonores...

Cependant par souci pédagogique, je voudrais provisoirement terminer ce petit billet en soumettant à la lecture quelques aperçus de l’enseignement, volontairement obscurantiste et intentionnellement antifreudien, comme on dit antisémite, imposé par l’OPA réussie de Lacan sur la psychanalyse en France, qui éclairera sur l’absence totale d’analyse personnelle et de formation à la psychanalyse chez ceux, issus de cette école de pensée, comme on le constatera ci-dessous, parfois sub-délirante, qui s’intitulent “psychanalystes”, les derniers freudiens authentiques, courageux et qui ne craignaient pas de travailler sans attendre d’être grassement payés de retour - narcissique et financier - étant presque tous morts ces 35 dernières années.

Extraits de

« Impostures intellectuelles »

par

Alan Sokal et Jean Bricmont

Éditions Odile Jacob, Paris, septembre 1997

Lacan et la logique mathématique

 Après quinze ans j’ai appris à mes élèves à compter au plus jusqu’à cinq, ce qui est difficile (quatre est plus facile) et ils ont compris au moins cela. Mais ce soir permettez-moi de rester à deux. Évidemment, ce dont nous nous occupons ici est la question de l’entier, et la question des entiers n’est pas simple, comme, je pense, beaucoup de personnes ici le savent. Il est seulement nécessaire d’avoir, par exemple, un certain nombre d’ensembles et une correspondance un-à-un. Il est vrai par exemple qu’il y a exactement autant de gens assis dans cette salle qu’il y a de chaises. Mais il est nécessaire d’avoir une collection composée d’entiers pour constituer un entier, ou ce qui est appelé un nombre naturel. Il est, bien sûr, en partie naturel mais seulement dans le sens que nous ne comprenons pas pourquoi il existe. Compter n’est pas un fait empirique et il est impossible de déduire l’acte de compter à partir de données empiriques seulement. Hume a essayé mais Frege a démontré parfaitement l’ineptitude de la tentative. La vraie difficulté vient de ce que chaque entier est lui-même une unité. Si je prends deux comme unité, les choses sont très agréables, homme et femme par exemple — l’amour plus l’unité ! Mais après un certain temps, c’est fini, après ces deux il n’y a personne, peut-être un enfant, mais c’est un autre niveau et engendrer trois c’est une autre affaire. Quand vous essayez de lire les théories des mathématiciens concernant les nombres vous trouvez la formule « n plus 1 » (n + 1) comme base de toutes les théories. (Lacan 1970, p. 190-191)

 

Jusqu’ici, rien de grave : ceux qui connaissent déjà le sujet peuvent reconnaître les vagues allusions aux débats classiques (Hume/Frege, induction mathématique) et les séparer des affirmations plutôt discutables (par exemple, que veut dire « la vraie difficulté vient de ce que chaque entier est lui-même une unité » ?). Mais à partir d’ici, le raisonnement est de plus en plus obscur :

C’est cette question du « un de plus » qui est la clé de la genèse des nombres et au lieu de cette unité unificatrice qui constitue deux dans le premier cas, je propose que vous considériez deux dans la véritable genèse numérique de deux.

II est nécessaire que ce deux constitue le premier entier qui n’est pas encore né comme nombre avant que le deux n’apparaisse. Vous avez rendu cela possible car le deux est là pour donner existence au premier un : mettez deux à la place de un et par conséquent à la place de deux vous voyez trois apparaître. Ce que nous avons ici est quelque chose que je peux appeler la marque. Vous avez déjà quelque chose qui est marqué ou quelque chose qui n’est pas marqué. C’est avec la première marque que nous avons le statut de la chose. C’est exactement de cette façon que Frege explique la genèse du nombre ; la classe qui est caractérisée par aucun élément est la première classe ; vous avez un à la place de zéro et ensuite il est facile de comprendre comment la place du un devient la deuxième place qui fait place pour deux, trois et ainsi de suite 25. (Lacan 1970, p. 191, italiques dans l’original)

Et c’est à ce moment d’obscurité que Lacan introduit, sans explication, le prétendu lien avec la psychanalyse :

La question du deux est pour nous la question du sujet, et ici nous atteignons un fait de l’expérience psychanalytique, étant donné que le deux ne complète pas le un pour faire deux, mais doit répéter le un pour permettre au un d’exister. Cette première répétition est la seule nécessaire pour expliquer la genèse du nombre et une seule répétition est nécessaire pour constituer le statut du sujet. Le sujet inconscient est quelque chose qui tend à se répéter, mais une seule répétition est nécessaire pour le constituer. Cependant, regardons plus précisément ce qui est nécessaire pour que le second répète le premier afin que nous puissions avoir une répétition. On ne peut répondre à cette question trop vite. Si vous répondez trop vite, vous répondrez qu’il est nécessaire qu’ils soient les mêmes. Dans ce cas, le principe du deux serait celui de jumeaux — et pourquoi pas de triplés ou de quintuplés ? De mon temps, on apprenait aux enfants qu’ils ne devaient pas additionner, par exemple, des microphones et des dictionnaires ; mais c’est absolument absurde, car nous n’aurions pas d’addition si nous n’étions pas capables d’additionner des microphones et des dictionnaires ou, comme le dit Lewis Carroll, des choux et des rois. L’identité [sameness] n’est pas dans les choses mais dans la marque qui rend possible l’addition de choses sans considération pour leurs différences. La marque a pour effet d’effacer la différence, et c’est la clé de ce qui arrive au sujet, le sujet inconscient dans la répétition ; parce que vous savez que ce sujet répète quelque chose de particulièrement significatif, le sujet est ici, par exemple, dans cette chose obscure que nous appelons dans certains cas trauma ou plaisir exquis. (Lacan 1970, p. 191-192, italiques dans l’original)

Ensuite, Lacan tente de relier la logique mathématique à la linguistique :

J’ai seulement considéré le début de la série des entiers, parce que c’est un point intermédiaire entre le langage et la réalité. Le langage est constitué par le même genre de traits unitaires que j’ai utilisé pour expliquer le un et le un de plus. Mais ce trait dans le langage n’est pas identique au trait unitaire, puisque dans le langage nous avons une collection de traits différentiels. En d’autres termes, nous pouvons dire que le langage est constitué par un ensemble de signifiants — par exemple ba, ta, pa, etc., etc. — un ensemble qui est fini. Chaque signifiant est capable de soutenir le même processus par rapport au sujet, et il est très probable que le processus des entiers est seulement un cas particulier de cette relation entre signifiants. La définition de cette collection de signifiants est qu’ils constituent ce que j’appelle l’Autre.* La différence offerte par l’existence du langage est que chaque signifiant (contrairement au trait unitaire du nombre entier) est, dans la plupart des cas, non identique à lui-même — précisément parce que nous avons une collection de signifiants, et dans cette collection un signifiant peut ou peut ne pas se désigner lui-même. Ceci est bien connu et est le principe du paradoxe de Russell. Si vous prenez l’ensemble de tous les éléments qui ne sont pas membres d’eux-mêmes,

x Ï x

l’ensemble que vous constituez avec de tels éléments conduit à un paradoxe qui, comme vous le savez, mène à une contradiction 26. En termes simples, cela signifie seulement que dans un univers de discours rien ne contient tout 27, et ici vous trouvez de nouveau la béance qui constitue le sujet. Le sujet est l’introduction d’une perte dans la réalité, mais rien ne peut introduire cela, car, par statut, la réalité est aussi pleine que possible. La notion d’une perte est l’effet produit par l’exemple du trait qui est ce que, avec l’intervention de la lettre que vous déterminez, place — disons a1 a2 a3 — et les places sont des espaces, pour un manque. [The notion of a loss is the effect afforded by the instance of the trait which is what, with the intervention of the letter you determine, places — say a1 a2 a3 — and the places are spaces, for a lack.] (Lacan 1970, p. 193)

 

* M. W. [Sic] je souligne.

Notons, d’abord, qu’à partir du moment où Lacan prétend s’exprimer « en termes simples », tout devient obscur. Mais le plus [...]

Notes

25 Cette dernière phrase est peut-être une allusion, plutôt confuse, à un procédé technique utilisé en logique mathématique pour définir en termes d’ensembles les nombres naturels (1, 2, 3...) : on identifie 1 avec l’ensemble vide ø (c’est-à-dire l’ensemble n’ayant aucun élément) ; puis on identifie 2 avec l’ensemble (ø) (c’est-à-dire l’ensemble ayant ø comme unique élément) ; puis on identifie 3 avec l’ensemble [ø,[ø1] (c’est-à-dire l’ensemble ayant les deux éléments ø et [ø]) ; et ainsi de suite.

26 Le paradoxe auquel Lacan fait allusion est dû à Bertrand Russell (1872-1970). Notons d’abord que la plupart des ensembles ne se contiennent pas eux-mêmes comme élément. Par exemple, l’ensemble de toutes les chaises n’est pas une chaise, l’ensemble de tous les nombres naturels n’est pas un nombre naturel, etc. Par contre, l’ensemble de toutes les idées abstraites est une idée abstraite, etc. Considérons maintenant l’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes comme élément. Se contient-il lui-même ? Si la réponse est oui, alors il ne peut pas appartenir à l’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes, et par conséquent la réponse doit être non. Mais si elle est non, alors il doit appartenir à l’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes, et donc la réponse devrait être oui. Pour sortir de ce paradoxe, les logiciens ont remplacé la conception naïve des ensembles par différentes théories axiomatiques.

27 C’est peut-être une allusion au paradoxe différent, dû à Georg Cantor (1845-1918), sur la non-existence de « l’ensemble de tous les ensembles ».

[...]

Dernières lignes de l’épilogue du livre de Sokal et Bricmont

« Finalement, souvenons-nous qu’il y a bien longtemps, il était un pays où des penseurs et des philosophes étaient inspirés par les sciences, pensaient et écrivaient clairement, cherchaient à comprendre le monde naturel et social, s’efforçaient de répandre ces connaissances parmi leurs concitoyens et mettaient en question les iniquités de l’ordre social. Cette époque était celle des Lumières et ce pays était la France. »

ø
ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2015