Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

Un palimpseste

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon de l’authenticité » par T. W. Adorno • 196

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âgeni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Bertha Pappenheim

Micheline Weinstein • 2 décembre 2007

Un palimpseste

 

À propos du livre de Simone Veil, « Une Vie », Stock, Paris, 2007 

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.*

Bertha Pappenheim

* N. B. de M. W. : ni le recours à la déportation.

 Qu’est-ce qu’un palimpseste ? C’est, selon le Grand Larousse Universel, un parchemin dont la première écriture [celle qui apparaît], grattée ou lavée, a fait place à un nouveau texte, caché, plus ancien, jusque là recouvert.

 Jetons un premier regard sur la couverture de ce livre. Une très jolie photo non datée de l’auteur, jeune, mais non retouchée, où l’œil gauche, resté blanc comme il se produit parfois avec l’éclat d’un flash, donne une impression assez étrange.

En quatrième de couverture, quelques lignes où il est dit, “Elle s’y montre telle qu’elle est... ”, donnent le ton.

Curieusement, l’annonce de la sortie de cet ouvrage a fait l’objet d’une énorme campagne médiatique et, sitôt paru, de “raouts” considérables et sans doute fort coûteux, alors qu’il semblerait que personne ne l’ait encore lu, pas même l’éditeur, excepté... Jean-Marie Le Pen.

Le Pen n’a pas manqué de s’y référer lors du « Ripostes » à la télévision, dimanche dernier. Soumis à la question de la torture en Algérie, il évoque l’ouvrage de Simone Veil, page 229, je cite,

“Je me souviens de ma réaction, au moment du procès de Klaus Barbie, en 1983, kidnappé avant d’être extradé. J’ai alors déclaré : « Comment réagirait la France si on enlevait sur son sol d’anciens criminels de guerre ? S’il s’agissait par exemple de personnes ayant commis des tortures en Algérie, quelle serait notre attitude ? » Barbie étant ramené en France, il fallait bien le juger, mais je conserve un doute sur l’opportunité de la démarche suivie pour le récupérer. Dans le cas d’Eichmann, peut-être peut-on passer l’éponge sur l’enlèvement au nom de la contribution essentielle à l’histoire qu’a permis son procès.

Dans le même état d’esprit, j’ai toujours éprouvé une gêne face à l’absence de prescription des crimes contre l’humanité. Instruire des procès plusieurs décennies après les événements qu’ils concernent et dans un contexte historique qui n’est plus le même ne peut être que difficile, sinon impossible. Je sais que je suis isolée dans ce point de vue sur une question qui est un véritable tabou. Aujourd’hui, l’opinion sacralise la législation internationale.” ...

Là-dessus, Klarsfeld reçoit un bon un coup de patte, mais ni plus ni moins que, dans cet ouvrage, à peu près tout le monde... personnalités de la Société civile, Église, Armée, littéraires, scientifiques, médias... Quant aux sans grade, des femmes essentiellement, des “amies” de longue date selon elle, Simone Veil ne les nomme pas.

Suivent Touvier et Papon, à l’égard duquel Simone Veil émet un “jugement plus nuancé” puisque, “Ce haut fonctionnaire pouvait s’être trompé... ”, suivi d’un bémol après point-virgule, “ ...la moindre des choses eût été de le reconnaître.. ” Mais pas trace de Bousquet à ce stade, parmi l’aréopage, lequel ne lui était pourtant pas inconnu.

Revenons à Le Pen qui a ceci en commun avec, à deux reprises, Raymond Barre, et très récemment, le Ministre Algérien, lesquels dénoncent publiquement le “Lobby juif”. Simone Veil s’en offusque, sans dire un mot à ce propos de l’Amérique qu’elle apprécie, laquelle s’est toujours montrée très fière de ses “Lobbies” argentés, de toute “extrace”. Or, la France ne peut nier, à moins d’être malhonnête, qu’elle pratique un “Lobbying” manifeste, lequel d’ailleurs nourrit un antisémitisme de “classe”, une forme de l’antisémitisme parmi les autres et, partant, favorise le négationnisme. Cette formule de toujours depuis son adoption par la langue française, de “Lobby juif”, sous-tendu par la puissance de l’argent, a refleuri de toutes parts, ouvertement, dès les débuts de la campagne présidentielle de 2007, toutes sensibilités non-juives confondues, de gauche ou de droite et intermédiaires, dans la rue, les immeubles, les commerces, les villes et les campagnes... et pas seulement dans la plèbe ni la roture. Des intellectuels, des professions libérales, des scientifiques, des médias... ne s’en sont pas privés. Ici par exemple, dans le XVe Arrdt, la reviviscence de l’expression est exemplairement quotidienne.

Madame Veil le sait parfaitement, du haut de son dédain pour qui ne la met pas personnellement en valeur et envers qui elle émet des propos frôlant la diffamation. Je suis allée jusqu’à écrire même, dans une correspondance semi-publique - elle ne figure pas sur notre site -, auprès de quelques personnalités “choisies” : “pour qui ne se met pas au service de sa mégalomanie”.

Madame Veil ne s’intéresse pas à la psychanalyse, c’est dommage. Un texte de Freud, un seul, lui eut peut-être été d’un enseignement profitable, celui de : « Pour introduire au [concept de] narcissisme ». Madame Veil, qui semblerait, à la lecture de sa « Vie », se placer comme l’éminence grise de tous les personnages successifs de l’État, efface avec une étrange désinvolture, supprime, tout ce qui n’est pas elle, les gens, les événements, les personnes et personnalités...

Car le ton, le style de cet ouvrage - qui au plan littéraire, de l’écriture, serait plutôt un non-livre - sont assez déconcertants. Le ton est péremptoire, affirmatif, les opinions, parfois des banalités, souvent méchantes, déclinées et enchaînées les unes à la suite des autres sur tout et sur tout le monde ne sont étayées d’aucune réflexion, d’aucun document concret, vivace ou d’archives, sur la véracité des dires de l’auteur. “Credo quia absurdum : je crois [ce qu’écrit Madame Veil] parce que c’est absurde, saugrenu”, comme on dit d’une idéologie. Le style quant à lui, est plat, sec, de simple surface, dépourvu de sensibilité, comme s’il suffisait d’écrire “c’est émouvant” pour traduire une émotion.

Bref, ce qui est capital, dans cet ouvrage, c’est ce qui n’est pas dit.

Par exemple, l’oubli par Simone Veil, de reconnaître, ou pour le moins, avec son auteur, de les citer, l’œuvre monumentale de Claude Lanzmann, Shoah.

Une autre bizarrerie : son acharnement contre la Hollande, qu’elle a sérieusement fustigée à deux reprises lors de son discours d’ouverture à la “Cérémonie des Justes” au Panthéon, mais qui n’apparaît pas dans l’annexe le reproduisant, il est intégré, édulcoré, dans le corps du texte.

Quel bel hommage trop tardif aux Justes, dont elle disait, lors d’une commémoration dans le cadre restreint de l’Amicale d’Auschwitz en l’an 2000, retranscrite dans l’un des « Mensuel de l’Amicale » :

 

 

Extraits du texte encadré ci-dessus en clair

Après Auschwitz • Mars 2000
Mensuel de l’Amicale

Simone Veil - [...] Et d’autre part, je trouve que c’est de la démagogie [sic !], ces médailles distribuées en France pour des Justes si âgés, sans témoins, ou morts, que nous n’avons plus que des souvenirs de souvenirs [...] Je trouve qu’il n’y a pas d’intérêt à faire autre chose que ce que fait, très bien Yad Vashem.
[...]
Quand on est mort, on n’a pas à peser. Mais les enfants n’ont pas à se substituer à nous, à porter notre message, ils ne sont pas comme nous. Et d’autre part ce n’est pas quand on y est allé 3 jours qu’on peut porter un message, avoir cette vocation particulière. Moi, je fais confiance aux professeurs d’Histoire.[...]


Ma réponse
Paris, le 12 avril 2000
Madame,
de quels enfants parlez-vous ?
Nous n’ignorions pas que certaines, parmi les anciennes déportées, avaient développé une forme de haine envers les enfants de déportés. Je connais notamment l’une de vos “camarades” qui ne supporte pas l’idée que, plus jeunes, nous lui survivrons... ce qui n’est pas toujours le cas. Cela l’a rendue méchante, moche, mesquine.
Loin de nous de prétendre et, d’abord, de désirer nous substituer à vous. Merci pour l’héritage ! Et nous avons déjà eu trop de mal à nous constituer, à tenir à peu près debout, sans, il faut bien le reconnaître, être beaucoup aidés - nous, la piétaille d’Europe de l’Est et d’Allemagne - pour nous identifier à votre état d’esprit complètement étranger à notre histoire. Encore merci,
Micheline Weinstein

N.B. Dans ma stupéfaction d’alors - je n’étais pas encore vraiment “revenue” de Birkenau arpentée de la neige jusqu’aux genoux le 25 janvier -, j’ai omis de préciser, ce je fais toujours auprès des mères en souffrance, que la désignation “enfant” n’est pas ici un âge mais un signifiant.

J’ai laissé à l’attention du lecteur la seconde partie de son allocution lors de cette même réunion, avec ma réponse d’alors, au nom des enfants que nous fûmes et ne sommes plus depuis plus d’un grand demi-siècle, de déportés assassinés à Birkenau.

Pour en revenir à la Hollande, en 1992, j’ai publié un récit que je venais de traduire sans avoir pu bénéficier d’une quelconque subvention de qui que ce soit, et dont voici l’introduction :

« À la bonne adresse » retrace l’histoire, dans Amsterdam occupée par les nazis, d’un groupe d’hommes et de femmes jeunes non-Juifs, aujourd’hui Justes parmi les Nations, qui, sous le nom de SOCIÉTÉ ANONYME, s’est spontanément formé pour sauver 250 enfants de l’extermination.

Seule une fillette mourut de maladie. Tous les enfants échappèrent à la déportation.

Bert Kok est né en 1949.

Auteur de plusieurs livres pour enfants et adolescents ainsi que de pièces de théâtre, il publie également des contes dans des périodiques et écrit la page hebdomadaire destinée aux jeunes lecteurs du journal Het Parool.

Max Arian, qui m’a passé ce récit, auteur de la postface, journaliste et écrivain, était l’un de ces 250 enfants.

M. W.

Présentés par Laure Trainini, des extraits audio/vidéo de ce récit pour petits et grands enfants, du sauvetage de mômes juifs en Hollande entre 1942 et 1944, exemple de courage et de solidarité humaine qui vaut pour tous, figurent sur le site depuis 2003.

Ce petit livre n’a intéressé personne.

Des années auparavant, en 1979, Madame Veil était encore Ministre de la Santé, chargée également des handicapés et des personnes âgées, Le Seuil avait publié « Histoire de Louise », magnifiquement préfacé par Françoise Dolto. Ignorant la nature de la relation qu’entretenait Simone Veil avec Françoise Dolto - je savais simplement que son Ministère de la Santé n’aidait pas F. D. à commencer de mettre en place financièrement la « Maison Verte » - j’avais demandé à la Ministre de bien vouloir ajouter un petit mot à cette superbe préface. L’invitation fut déclinée, au prétexte que Madame Veil était sur le point de quitter le gouvernement [cf. sa lettre dans mes archives].

Pour la  réédition de « Histoire de Louise » en 1987 que, dès publiée, j’ai adressée à Madame Veil, le procès Barbie passant par là, j’avais ajouté la page de garde que voici :  


Simone Veil était alors venue à la “Maison de Cure Médicale” [sic !] de la Salpêtrière, énoncer l’allocution funèbre de Louise Alcan, sans que personne ne paraisse incommodé/e, ni par la vision du crématorium de l’hôpital, ni par celle de la voie ferrée de la Gare d’Austerlitz en contrebas et celle du métro aérien au surplomb, pas plus que par l’assourdissant ferraillement des trains.

Le Seuil, pour une raison qui demeure encore inexplicable, s’est alors vu interdire de distribuer cette deuxième édition de « Histoire de Louise », livre qui, aussitôt retiré de la vente, n’est jamais paru en livre de poche. Il fut néanmoins réédité à deux reprises par la suite.

Que Madame Veil, selon la rumeur largement médiatisée, soit reçue par “acclamation” au sein de l’Académie Française, laissons à l’esprit de sa première Immortelle, Marguerite Yourcenar, d’insuffler sa qualité d’écriture à l’Immortel ou l’Immortelle qui serait chargé/e de prononcer le discours traditionnel à l’adresse de la récipiendaire.

M. W. 02 décembre 2000

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Shoah, film de Claude Lanzmann, chef-d’œuvre d’un éternel aujourd’hui

Traduit et publié par Micheline Weinstein en 1993

Extraits du discours d’Etty Mulder à Amsterdam, le 4 mai 1993, lors de la remise du

Prix de « Résistance en Art » à Claude Lanzmann, pour première fois depuis 1942 attribué à un non-hollandais


C’est une qualité propre aux grandes créations de l’esprit, auxquelles appartient le film Shoah de Claude Lanzmann, que d’être enracinées dans un exceptionnel équilibre et de s’élever au-dessus des valeurs éthiques et esthétiques courantes. Ces témoignages monumentaux, d’où notre histoire prend forme, garantissent de l’oubli qui nous guette de notre passé. Ce sont eux, comme tout ce qui compte parmi les chefs-d’œuvre authentiques, qui ont combattu cet oubli. Ils se sont placés comme autant de symboles, marquant les étapes de l’évolution de notre conscience.

Ainsi le film Shoah est-il un témoignage monumental de présence humaine et d’absence de l’humain. Un symbole qui se greffe dans la mémoire. Qui, plus qu’un simple souvenir, est d’abord forme concrète de la conscience, ici et maintenant. Comme paradoxe de douceur et d’horreur.
[...]
Ainsi
douceur et beauté nous conduisent jusque dans l’horreur, comme seules voies d’accès obligées.
[...]
Le film Shoah est en premier lieu d’une grande douceur. Il y règne une grande retenue, un profond respect devant ce à quoi il ne faut pas toucher, le “noli me tangere”. Là, ce monde, ne connaît pas d’espace/temps linéaire. Dans l’expérience subjective le désespoir absolu est éternel. Là règne un présent éternel. Le présent de Shoah
requiert la notion d’un temps intérieur, d’un temps circulaire, une infinitude.
Il est pourtant nécessaire de ménager, par-delà le vide entre ce monde et nous, avec nos mots d’aujourd’hui, 4 mai 1993, malgré tout, un avenir et un sens.
[...]
Le film Shoah est l’accomplissement d’une union entre art et non humanité que, dans la tradition de notre culture et même dans nos pires cauchemars, nous n’aurions pu imaginer.
[...]
L’art est le dernier messager de la vérité. Sa passation ultime. La seule.
[...]
L’impulsion créatrice de Claude Lanzmann tient à son refus de déclarer la shoah “comme le passé”, sa résistance à l’historiciser, résistance face au processus d’usage en histoire. Existe-t-il en-core une histoire pour l’Europe depuis cette fin de la civilisation de l’Europe, fin qui ne cesse de perdurer jusqu’aujourd’hui ?
L’impulsion centrale tient au refus, au mot essentiel de l’artiste - non ! C’est le mot sur laquelle notre Fondation, qui porte le nom de
« Résistance en Art », s’est instaurée.
Le “non” de Claude Lanzmann fait corps avec Shoah, il donne une voix à l’impuissance de l’humain dans l’Europe du vingtième siècle. Seul mot de la dignité pour l’homme. Mot par où commence l’être libre.

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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