Lettre volumineuse à Jean-Jacques
Moscovitz
En réponse à ta préoccupation devant la sortie
du livre de celui qui, prenant la balle au bond,
n'allait pas “laisser passer l'aubaine”,
offerte par une Encyclopédie, de rédiger
un article sur la Shoah.
Paris,
17-22 février 2012
En s'en prenant à la personnalité de Freud, c'est en fait
son œuvre que [les adversaires de la psychanalyse]
visent, ainsi que le cœur même de la
psychanalyse. [...] De par l'essence même
de ses découvertes, Freud est indissociable
de son œuvre, avec laquelle on pourrait presque
dire qu'il se confond.
[...]
Ceux des psychiatres qui tentaient d'analyser [le psychotique] le voyaient
soit disparaître, soit aggravaient son état
en transformant une psychose latente en psychose
déclarée.
In Ernst Federn, témoin
de la psychanalyse De Vienne à Vienne
via Buchenwald et les Etats-Unis [Plus de 40 années d'articles], PUF, sept. 1994.
La singularité de la personne et de l'œuvre de Freud témoignait
d'un rapport intime entre son travail scientifique
et sa vie, au passé comme au présent,
similitude que l'on rencontre seulement chez le
poète.
In
Siegfried Bernfeld, postface à De
la formation analytique, ψ
[Psi] •
LE TEMPS
DU NON, Paris, avril 2000.
ø
Cher
Jean-Jacques
Le
29 janvier 2012, je t'ai écrit, interloquée,
un petit billet / mail, après avoir entendu,
ce dimanche matin-même sur France-Culture, de 9 h à 9 h 40, l'entretien entre
Victor Malka et Gérard Haddad, son invité
à l'émission « Maison d'Études
» , à propos du dernier livre de
celui-ci, paru chez Grasset.
S'ensuivit un échange
de courrier, dont voici l'essentiel compilé
de ma part.
« Dimanche dernier,
j'ai suivi l'émission matinale Maison
d'études de Victor Malka, au cours de
laquelle j'ai entendu son invité, Gérard
Haddad.
Presque 15 ans ont passé depuis
que j'ai quelquefois croisé, dans le milieu,
l'“Adopté de Lacan”. J'avais
par ailleurs attentivement écouté
ses déclarations incarnées lors
d'un déjeuner avec et autour de Lanzmann.
À l'antenne, en 2012, Haddad n'a
manifestement aucune conscience de s'exhiber en
parodie d'une caricature de dandy germanopratin,
haranguant avec vulgarité le travail des
“psy” qu'il efface, à 72 ans,
sur le ton et dans le style d'un jeune homme de
30 ans, mais un jeune homme qui serait particulièrement
vulgaire, avec des “trucs” et des
“machins” plein la bouche, un mépris
des noms propres que, naturellement il a oubliés
ou qu'il écorche... et je passe tout le
reste.
J'étais écœurée.
Ex. d'ignorance
crasse, attrapée parmi le ton général
: quand Malka demande à Haddad, “que
voulez-vous dire par le réel c'est l'impossible,
qu'est-ce que le réel pour vous ?”
Réponse d'Haddad, “parce que c'est
l'impossible... ” Nous voilà bien
enseignés !
Autre ex. sur lequel il appuie sa clinique
: l'enfant, petit-fils d'une famille de déportés,
qui crie “au feu !” Ces observations,
avec le même type d'exemples, ont été
faites par des professionnels sérieux,
français et non-français, il y a
déjà près de 60 ans ! »
Après que tu m'as adressé ton
texte à ce sujet, me proposant d'en faire
écho, je t'ai donné le motif exact
pour lequel je refuserais toute publicité,
même négative, à ce personnage.
Par contre, si tu avais écrit une
lettre ouverte, comme l'intention t'a un moment
effleurée, et selon son contenu, je l'aurais
peut-être signée.
Sur ce, après avoir placé ton
texte sur le site de « Psychanalyse Actuelle
», tu m'invites, tout en ajoutant avec élégance
“selon ton gré”, à lancer
un lien entre les deux sites, le vôtre et
le nôtre.
Et à te communiquer une part ciblée
de notre carnet d'adresses ! Alors là,
Jean-Jacques, tu ne manques ni d'air ni d'aplomb
! À moins que, possédé par
l'esprit de Lacan, et en toute innocence, tu ne
considères tes égaux comme des larbins.
Jean-Jacques, je t'avais pourtant précisé,
et cela ne date pas d'hier, que je ne ferai, pas
plus que pour Haddad, aucune publicité
pour Anne-Lise Stern.
Tu sais pourquoi.
Les analystes de ton sillage, du sien et
de quelques autres, d'anciens déportés,
et de l'entourage, savent pourquoi.
L'un, parmi les arguments importants de ton
texte et des auteurs qui s'adjoignent à
la tribune que tu as ouverte, m'a surprise.
Tu te plains de l'ingratitude d'Haddad, ancien
passant de « Psychanalyse Actuelle »,
lequel s'instaure dépositaire exclusif
d'une écoute lacanienne de la déportation
des Juifs d'Europe, et vous raye d'un coup de
péroraison, c'est-à-dire omet délibérément
de citer les psychanalystes lacaniens et leurs
contributions avec lesquels il est censé,
sur ce sujet, avoir travaillé.
Mais Jean-Jacques, vous vous conduisez, toi
et les tiens, de la même façon, envers
qui n'appartient pas à votre fratrie -
avec tout ce que ce substantif implique et que
je ne développerai pas ici !
En
1986, alors que tu créais « Psychanalyse
Actuelle », de mon côté, je créais
ψ [Psi] LE TEMPS DU NON, cf. Page d'Accueil de notre site.
Compte-tenu de ma position depuis 1967, envers
Lacan - qui persiste en 2012 -, il n'était
pas possible, malgré ma sympathie, que
je songe à m'intégrer à ton
association.
Pour
résumer en 2 mots cette position : je n'ai
jamais compris, bien que j'aie scrupuleusement
essayé par toutes les entrées à
ma disposition, pourquoi Lacan s'autoproclamait
: Freudien. Nombre de mes travaux, assez documentés
dès 1967, la plupart placés sur
notre site depuis près de 15 ans, témoignent
de ce qui demeure pour moi une énigme.
Pour
moi, Lacan, sera toujours celui qui, pour asseoir
son empire, a effectué une prise de contrôle,
qui a parfaitement réussi, sur l'œuvre
de Freud, décrivant ainsi, sur la même
lancée, l'homme Freud et son itinéraire,
«
Le sublime hasard du génie n’explique
peut-être pas seul que ce soit à
Vienne - alors centre d’un État qui
était le melting-pot des formes familiales
les plus diverses, des plus archaïques aux
plus évoluées, des derniers groupements
agnatiques des paysans slaves aux formes les plus
réduites du foyer petit-bourgeois et aux
formes les plus décadentes du ménage
instable, en passant par les paternalismes féodaux
et mercantiles - qu’un fils du patriarcat
juif ait imaginé -
[sic !] - le complexe d’Œdipe. »
In, mon «
Commentaire »
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/commentaire.html
Et ce, alors qu'il démolissait systématiquement,
consciencieusement, depuis 1938, à la fois
la théorie et la personne même de
Freud, de sorte d'édifier et de privilégier
les siennes.
De plus, et ces qualités ne sont pas
accessoires, Lacan était d'une avarice
structurelle - l'avarice est pour moi une pathologie,
dont pas grand monde ne souhaite s'occuper -,
qui conditionnait l'ensemble de son économie
libidinale. Elle régissait à la
fois l'élaboration de sa théorie
et son manque d'intérêt caractéristique
pour la pratique psychanalytique, d'où
le protocole clinique qu'il avait institué
et qui rapportait gros en un rien de temps. L'autre,
petit ou grand, le sujet vivant, parlant, n'existait
qu'en tant qu'il servait son renom d'intellectuel
mondain et ses conquêtes, et réalisait
ses plus-values matérielles.
Et aussi, mais ce n'est assurément
qu'une appréciation personnelle, Lacan,
qui par ailleurs fut captivé tout au long
de son exercice par la psychose, ne m'a jamais
paru particulièrement s'illustrer par le
courage.
Autrement dit, Lacan incarnait le contraire
même de Freud.
Je n'ai cependant jamais sous-estimé
son intelligence, sa finesse clinique de psychiatre,
son talent de théoricien de la philosophie.
La clinique, la théorie, la pratique,
psychanalytiques, l'édifice freudien, en
un rien de temps furent, dès 1938, évacués.
Par contre, plus le temps passait, plus le
public, aussi bien les psychanalystes eux-mêmes
manifestaient une appétence sans cesse
attisée pour les contes et légendes,
autrement dit les ragots, exclusivement sexuels,
de ce qui serait une histoire de la psychanalyse,
sans se soucier d'avoir pris la peine de consulter
le trésor que constitue la volumineuse
correspondance de Freud, avec les siens, avec
ses pairs, avec ses élèves, ainsi
que de leurs témoignages, pendant plus
d'un demi-siècle.
Comme si une théorie scabreuse de
la gravelure et de son exhibition sur l'étal
public avait intégralement recouvert le
socle de la théorie freudienne et son double
pivot, celui de la sexualité infantile,
laquelle détermine la vie amoureuse ultérieure
de chacun/e, et celui de l'analyse des rêves,
qui rend lumineuses les formations de l'inconscient.
Résultats récents de l'opération
: le film de David Cronenberg, lequel se vante
de n'avoir pas eu besoin d'effectuer une analyse
personnelle, le cinéma faisant office de
; plus ancien, celui, toutefois moins inculte
mais assez révisionniste, de Benoît
Jacquot sur Marie Bonaparte... pour ne citer que
ces deux-là parmi le terril.
Autre
résultat : la charge contre Freud d'un
Onfray inculte qui affirme, entre autres stupidités,
que Freud ne connaissait pas Nietzsche, alors
que Nietzsche est évoqué par Freud
dans pratiquement toute la longue correspondance
qu'il entretînt entre 1906 et 1938 et dont
il a isolé, via
Groddeck, le concept de “ça”,
la géhenne des pulsions...
Pour l'anecdote, une parenthèse sur
la clinique psychanalytique lacanienne.
N'a
pas quitté ma mémoire ma première
prise de rendez-vous chez l'analyste que m'avait
indiquée, sur ma demande, Françoise
Dolto. Je me présente, l'analyste me répond
: “Qui êtes-vous ?”. N'ayant pas compris,
dans ma très jeune émotion, qu'il
s'agissait d'une interrogation codée, d'un
mot de passe se résumant à, schématiquement,
“Dans quel Who's Who du “Must”
vous trouve-t-on ?”, je répliquai
: “Si je le savais, je ne vous téléphonerais
pas”.
Première séance, je balbutie
comme je peux d'où je viens, d'où
j'essaie de parler, c'est-à-dire de la
déportation des Juifs à partir de
la France où, par les hasards d'exils successifs,
de pogroms en Shoah, à Paris je suis née.
Itinérances forcées dont je n'ai
hérité d'aucun ascendant, aucune
filiation, pas plus que de patrimoine, rien. Legs
supplémentaires : 1. j'étais née
fille ; 2. adulte, je n'ai pas pensé à
changer de patronyme.
Cet état des lieux présenta
tout de même un avantage par la suite :
dans mon analyse, il n'y eut aucune possibilité
de s'inventer comme le font les enfants, ce que
l'on désigne par un “roman familial”,
à savoir un conte de fées d'origine
princière.
Il fallut partir de rien, sinon de la disparition
des Juifs d'Europe.
Ce n'est qu'ultérieurement, grâce
aux remarquables personnes qui m'ont sauvé
la vie, relayées par celles de l'OSE et
des institutions qui lui étaient associées,
qu'enfin, après de pénibles démarches
et de longues années, je fus adoptée
par la Nation française, bénéficiant
ainsi d'une carte d'identité, je n'avais
pas loin de 15 ans.
Mais ce récit biographique, inséparable
de mes réflexions théoriques et
pratiques d'analyste sur les conséquences
de la Shoah pour le devenir adulte des enfants
- dont l'essentiel est déjà placé
sur notre site depuis longtemps - est en cours
de rédaction, destiné, en français
à l'OSE, en anglais, au Museum de l'Holocauste
à Washington.
Revenons à la première séance.
L'analyste me répond, “Je sais,
je suis au courant”, dans un bureau où
est affichée, sur le mur au pied du divan,
bien en face, comme ornement, une gravure ancienne
des colonies françaises. Interdite, mais
néanmoins douée d'insolence juvénile,
je bafouille : 1. “Est-il recommandé
pour un psychanalyste, pour l'exercice de la psychanalyse,
de savoir tout d'emblée ?” ; 2. “Si
cette carte reste sur ce mur, je ne m'allongerai
pas sur ce divan”. La carte disparut.
Un peu plus tard, je l'informe que j'ai choisi
d'entreprendre mon contrôle avec François
Perrier. J'entends alors le verdict : “C'est
de la caricature et de la dérision”.
Je sors de la séance, ahurie, chute à
la renverse sur le trottoir, me casse le coccyx.
Et... prends rendez-vous avec François
Perrier.
Ces extravagances d'analyste, parmi lesquelles
le montant de la séance, ne justifient
cependant pas la gifle, l'humiliation, que Lacan,
peut-être déjà bien affaibli,
lui a assenée devant un immense aréopage
d'analystes et d'intellectuels associés,
lors de Journées sur ses “mathèmes”,
faisant sauvagement intrusion dans le transfert
des analysants de l'analyste, individuels ou/et
en contrôle, présents ou non, puisque
la totalité des interventions fut consignée
par écrit et mise à la disposition
de tous à la bibliothèque de l'institution.
Je passe ici sur mes 3 entretiens avec Lacan
soi-même, que j'ai décrits ailleurs.
Ce que m'a transmis la psychanalyse, Jean-Jacques,
et les psychanalystes qui ont assuré ma
formation, c'est à ne pas toucher, d'aucune
manière, au transfert d'autrui, en analyse
personnelle ou/et de contrôle chez les collègues,
de quelque mouvance émanent-ils, transfert
qu'il soit d'amour, de haine, d'ambivalence, de
travail... et encore moins, si cela peut se concevoir,
en public.
Ainsi, je n'ai jamais tu mon estime pour
l'œuvre, vivace, toujours en devenir, et
la personne d'Élisabeth Roudinesco, avec
laquelle nous n'avons en commun que, biographiquement,
la Roumanie, Élisabeth par son père,
moi par ma mère, ainsi que, professionnellement,
la psychanalyse, toutes deux étant quasiment
nées en son sein, chacune l'ayant abordée
selon un environnement infantile particulier pris
dans les rets de l'Histoire de France.
Las ! Jean-Jacques, cette lettre n'est qu'une
volumineuse compilation, tout cela je le dis et
l'écris comme je le pense depuis plusieurs
décades, mais sans doute mon esprit est-il
demeuré complètement à côté
de la plaque au chapitre de l'évolution
de la psychanalyse en France, quelque part dans
la MittelEuropa de Freud, du temps de la fin de
l'Empire Austro-Hongrois...
Les commentaires, les séminaires,
sur la psychose, ont recouvert l'étude
de la névrose, alors que, d'expérience,
Freud et ses élèves n'ont cessé
de témoigner, jusqu'en 1990 par Ernst Federn,
que la thérapeutique de la psychose n'était
pas compatible avec une psychanalyse - tout comme
la perversion, qui est l'inverse de la névrose,
mais c'est un autre sujet.
Tout de même un mot sur la perversion
dont atteste aujourd'hui le langage. Par l'emprunt
de vocables prélevés dans la nosographie
des affections pathologiques, on s'emploie au
discrédit du discours d'un locuteur : “paranoïaque”
pour “grandiloquent, roitelet, hâbleur,
voire graine de dictateur... ”
Or
quel est le signe qui caractérise, dans
les mots fléchés de bon niveau,
la paranoïa en 5 lettres ? Réponse
: tréma, mot qui vient du grec, à l'origine :
trou, orifice ?
C'est sans doute la raison pour laquelle,
à l'adresse d'une femme, l'étiquetage
“paranoïaque” équivaut
à “folle, fabulatrice, indigne de
foi en ses paroles... ”
Le second vocable, celui de “schizophrène”,
généralement auto-appliqué
au masculin, insinue avec beaucoup plus d'aisance
celui qui se met en valeur, qui susurre l'air
de rien qu'il sait se cliver, qu'il sait par exemple
faire la distinction entre ce qui ressortit au
domaine public et ce qui appartient à la
sphère privée...
“Schizophrène” donc, au
lieu de “pervers”, lequel pourtant
se résume en deux formules : “pas
vu pas pris”, “la main droite ignore
ce que fait la main gauche”.
Enfin,
il est devenu de mode de s'inquiéter de
l'“envie” de quelqu'un : “avez-vous
envie d'être Président de la République
?” C'est-à-dire d'interroger l'autre
sur ce qui relèverait plutôt d'une
motion pulsionnelle, voire, dans certaines circonstances,
compulsionnelle. Mais alors, avec un peu de chance,
une fois la chose accomplie, qu'advient-il au
cas où l'envie, assouvie, vous aurait quitté
? Autre chose, me semble-t-il, plus réfléchie,
serait de traduire un projet, une perspective,
par une intention, un désir préalablement pensé,
analysé, de servir l'État...
Tout cela n'empêche qu'une psychanalyse
individuelle est vivement conseillée aux
professionnels de la psychose, psychiatres ou
non-psychiatres, à chaque échelon
des personnels concernés, en ce qu'elle
transforme et affine l'écoute, affûte
l'attention à la parole de l'autre, afin
de permettre ainsi un soutien non négligeable,
parallèle aux prescriptions psychiatriques
médicamenteuses.
Je reviens à « Psychanalyse
Actuelle ».
Préoccupés que nous étions,
psychanalystes d'horizons divers, personnellement
et professionnellement, par les conséquences
de la Shoah dans l'esprit humain, de même
que dans les pratiques humaines, je n'ai tenu
aucun compte de nos divergences au sujet de Lacan
et ai largement contribué, par solidarité,
à publier les colloques et nombreux travaux
organisés par ton association, dont je
pourrais aisément me qualifier de co-auteur,
dans la mesure où j'ai réécrit,
parfois entièrement, les textes pesants,
voire illisibles, de la plupart de ses auteurs
/ psychanalystes. J'ai également publié
l'un de tes petits recueils de travaux, que tu
as intitulé joliment « Rêver
de réparer l'histoire ».
Mes travaux, ceux des auteurs de notre site,
n'ont jamais été cités et
sans doute jamais lus - sauf pour y faire systématiquement
des “emprunts” sauvages, ce pourquoi
ils sont signés, datés, déclarés
-, ni par toi ni par grand monde, si l'on excepte
ton entretien avec Françoise Dolto qui,
pour être diffusé par Arte, nécessitait
de m'en demander les droits.
Si j'ai créé l'association
et son site, qui sont indépendants, souvent
subversifs, c'est exclusivement pour laisser parler
celles et ceux auxquels, résumons familièrement,
on la ferme avant même que les premiers
mots n'aient pu passer la bouche, qui est le “siège
du goût”, de celles et ceux qui n'appartiennent
à aucun parti pris, aucune caste, ou qui,
implicitement ou explicitement, en sont exclus.
Cette
initiative n'avait rien d'extraordinaire ni d'idéologique,
elle était simplement biographique. Lorsque
j'étais une fillette de 7 ans, on ne savait
quoi faire de moi. Jacqueline Lévy-Geneste,
psychanalyste en formation à l'Institut
et qui supervisait le personnel éducatif
de l'OSE, était alors en contrôle,
dont j'étais le sujet, avec Françoise
Dolto. C'est Françoise Dolto qui a indiqué
à Jacqueline que j'étais une enfant
dite “surdouée”, et qu'en prime
j'aurais donc une vie difficile. Ultérieurement,
lorsque je fus en âge d'y répondre,
les tests en cours à l'époque laissèrent
apparaître un Q. I. très élevé,
bien au-dessus de la normale.
Seulement personne n'a pensé à
m'en faire part, ce qui m'aurait aidée
à me confronter aux difficultés
de la vie. Je ne l'ai découvert que 50
ans plus tard lorsque j'ai demandé à
l'OSE de me communiquer une copie de mon dossier.
En effet, sans m'attarder sur d'autres symptômes,
je ne parvenais à m'intégrer dans
aucune forme de collectivité.
Je n'y suis jamais parvenue.
Françoise Dolto me dit un jour, j'étais
déjà plus qu'adulte : “toi,
tu es un modèle d'éthique parce
que tu n'es pas devenue délinquante”.
D'où une solidarité naturelle
avec mes analogues de tous âges.
Notre site est énorme, peuplé
de documents directs et indirects, y compris à
la rubrique « Audio / Vidéo »,
sur la déportation et l'assassinat des
Juifs, de témoignages de déportés
et d'héritiers de la déportation,
indissociables de l'histoire de la psychanalyse,
de l'évolution de sa théorie, de
sa pratique et de ses concepts fondamentaux, d'observations
cliniques, de traductions, notamment de Freud,
de récits et spectacles pour enfants, petits
et grands...
Pour toi, tes collègues et bien d'autres,
depuis 1986, nous n'existons pas.
Tandis que paraît le livre d'Haddad,
une polémique médiatique assassine
est engagée, visant à exclure les
psychanalystes de leur participation à
l'étude et à l'observation de l'autisme,
c'est-à-dire, à l'apport de la psychanalyse
dans ce champ de souffrances.
Mais de quels psychanalystes parle-t-on ?
Des professionnels de la psychanalyse, praticiens,
cliniciens, théoriciens, médecins
ou non-médecins, cléricaux ou pas
?
De ceux et celles qui font fonction de ?
Ou
alors, plus sagement, des foules de “...et
psychanalystes” au bout de n'importe quel
titre, préférentiellement universitaire,
dotées, en sus de la validation de leur
diplôme, d'une attestation individuelle
de “psychanalyste”, aboutissement
d'un cursus scolaire dispensé par un authentique
professeur de psychanalyse, laquelle n'est pas
reconnue par l'État, pas plus, qu'heureusement
pour la singularité de la psychanalyse,
elle n'autorise à son exercice.
Par
ailleurs, je n'ai pas encore compris non plus
que l'on puisse s'intituler “psychanalyste”,
non seulement sans avoir consenti à une
analyse personnelle, ni, pour les praticiens de
la psychanalyse, sans en avoir commencé
l'exercice par la mise en application, la mise
à l'éprevuve, des hypothèses,
des observations et principes freudiens de base.
Et ce, pour ensuite déclarer et faire avaliser,
en toute ignorance délibérée, que la psychanalyse n'est pas une science, détruisant
ainsi d'un méchant coup de griffe, la reconnaissance
de l'édifice freudien.
Une remarque de Freud, lors d'une réunion
de travail un peu plus de 8 ans avant sa mort,
évoquant en termes assez crus l'itinéraire
emprunté par Rank, résume sa conception
de la psychanalyse comme science, opposant le
cheminement rationnel de la pensée à
l'irrationnel, ou mieux, l'illogique. Je cite
Richard F. Sterba,