© ψ [Psi] LE
TEMPS DU NON
1988
Saïd
Bellakhdar
Des Arabes chez les
Nazis
La
colonisation des pays du Tiers-Monde par les différents impérialismes européens
a fait connaître le meilleur et le pire à ces pays.
Ils
ont ainsi eu connaissance des revendications concernant les Droits de l’Homme,
du progrès scientifique... Mais ils ont rencontré aussi avec l’Occident une autre forme de “modernité” : le
nazisme, le franquisme (au Maroc), le pétainisme. Les travailleurs immigrés,
appelés autrefois “travailleurs
coloniaux” avaient eu à faire à
la fois au nazisme et au pétainisme durant l’Occupation. Ils ont été tantôt
spectateurs, tantôt acteurs à leurs corps défendant, des affrontements des pays
occidentaux, et il serait intéressant de connaître les sentiments des Algériens
musulmans qui ont vécu de telles périodes. Que pouvaient-ils en effet penser en
voyant par exemple que l’Alger Pied-Noir, terre d’élection du vichysme (et pour longtemps) avait accueilli de façon très
chaleureuse l’amiral Darlan, puis de
façon tout aussi chaleureuse les troupes alliées, à quelques jours d’intervalle
?
Certains
nationalistes arabes, qui recherchaient l’indépendance de leur pays, tentèrent
de profiter des difficultés des puissances alliées contre les forces de l’Axe
pour accentuer leurs efforts et radicaliser leurs revendications afin d’obtenir
satisfaction. Cette stratégie avait été utilisée à l’autre bout de la planète
par Nehru en Inde, par d’autres en Birmanie et ailleurs. L’attitude de ces nationalistes
pouvait se résumer à l’adage bien connu selon lequel “Les ennemis de mes ennemis sont mes amis"“ Je ne parlerai
donc pas ici de ceux qui comme Messali Hadj, leader
du PPA emprisonné, refusa constamment toute forme de collaboration,
contrairement à certains de ses compagnons. Je ne parlerai pas d’Ali Boukort l’un des dirigeants du Parti Communiste Algérien
qui refusa toute compromission avec les nazis, dénonça le Pacte
Germano-Soviétique et fut exclu de son parti. Un certain nombre de dirigeants
nationalistes refusèrent de se compromettre aussi bien avec les nazis qu’avec
Vichy, et les troupes de la France Libre n’eurent pas de grandes difficultés
pour enrôler avec elles 233.000 soldats “Nord-Africains” pour la Campagne d’Italie.
Les
Arabes : Aujourd’hui, nous appelons “pays arabes”, l’ensemble géographique
composé du Maghreb et des pays arabes du Proche-Orient. Ceux-ci avaient été
administrés par la France ou par les Britanniques après la chute de l’Empire
Ottoman à la fin de la 2ème guerre mondiale. Il s’agit donc d’un ensemble géographique
où vivent des peuples très divers (et dont la diversité a été utilisée selon le
principe “diviser pour mieux régner”). En effet, vivent là des berbères, des
druzes, des sahariens nomades, ou citadins, des chiites, des juifs, des
chrétiens et des adeptes d’autres religions et de nombreuses sectes. Afin de
rechercher l’unité de cet ensemble les nationalistes ont mis successivement en
avant l’Islam, religion majoritaire (ce que l’on a appelé le Panislamisme) et
parfois c’est le caractère arabe de cet ensemble qui a été mis en avant (le
Panarabisme de Nasser ou des Baassistes). Cet
ensemble qu’est le monde arabe n’a en fait jamais réussi à trouver l’unité
politique.
Cette
recherche d’unité politique est la recherche d’une unité mythique : celle de l’âge
d’or de la civilisation islamique. Ce monde-là et cette époque-là ne sont plus,
et ne reviendront jamais plus. Ce qui existe bel et bien, par contre, c’est le
totalitarisme dans chacun des Etats arabes.
La
quête d’identité, la recherche d’une désignation satisfaisante par les habitants
des pays arabes ne doit pas nous faire oublier qu’il est des moments où en fait
c’est le groupe dominant qui décide. Un Kabyle vivant en France sera considéré
comme un Arabe s’il plaît au groupe dominant de le désigner ainsi. C’est le
groupe dominant, également en Occident et en France, qui décide qui est
musulman ou qui ne l’est pas ; qui est français et qui ne l’est pas et ce, en
modifiant si besoin est, le code de la nationalité. Le mode de désignation d’un
groupe par un autre n’a rien d’un exercice innocent. Et sous le gouvernement de
Vichy et le nazisme, les juifs furent voués à la mort simplement parce qu’ils
étaient juifs et non pas selon leur propre définition de judéité ou parce qu’ils
affirmaient leur spécificité, mais en vertu d’une définition inventée par leurs
bourreaux.
Selon
B. Lewis “Pour les nazis la judéïté n’était pas une dimension religieuse ou culturelle,
c’était un caractère racial héréditaire immuable et si pénétrant qu’il
suffisait d’avoir un seul Juif parmi ses grands-parents pour être marqué d’une
tache indélébile et mis au ban de l’humanité.” Si l’exemple du nazisme est un exemple extrême, il n’empêche pas que le
classement, le recensement de gens et de groupes de gens se fait le plus
souvent selon “la vision du vainqueur”, autrement dit, du groupe social
dominant, quel que soit le mode de domination : par la force, l’argent, la
connaissance etc. Dans le cadre des rapports Nord-Sud, les grandes puissances s’arrogent
le droit de désigner qui sont les bons musulmans. Les chiites d’Iran en sont
une illustration exemplaire : à l’époque du Shah, ceux-ci étaient considérés
comme des gens honorables ; aujourd’hui, à l’heure où l’Iran n’est plus un pays
allié aux grandes puissances occidentales, ils sont présentés comme les pires
des fanatiques. Les Wahabites qui dirigent aujourd’hui
l’Arabie Saoudite, musulmans en réalité rigoristes et intégristes sont par
contre désignés comme étant des gens “très modérés”, étant alliés aux USA.
Au
Proche-Orient
Avant la dernière Guerre
Mondiale, les mouvements nationalistes ont cherché à obtenir la fin du mandat
français et du mandat britannique ainsi que la proclamation des indépendances.
Et le début des hostilités a amené certains nationalistes à jouer la carte
allemande pensant qu’en affaiblissant les Alliés, en s’alliant avec les troupes
de l’Axe, ils pouvaient permettre l’accession plus rapide à l’indépendance de
leur pays. C’était oublier - ou méconnaître - que les Allemands et les Italiens
n’ont jamais souhaité favoriser les indépendances des autres pays. Ces deux
puissances étaient elles-mêmes des puissances expansionnistes.
Comment,
par ailleurs, les nationalistes arabes n’ont-ils pas imaginé et compris que s’allier
avec Hitler était s’allier avec le Diable ? En effet, ces nationalistes ne
pouvaient pas ne pas connaître les théories raciales d’Hitler. Mein Kampf était traduit en français dès
1934. Des traductions expurgées étaient mises à la disposition de lecteurs
arabes par les services de propagande du parti national-socialiste allemand et
par le Service Oriental dirigé par le Dr Rudiger du Ministère de la Propagande.
Dans
de tels ouvrages, avaient disparu les formules telles que “les bâtards prétentieux mais
sans aucun fond” que sont les Orientaux pour Hitler. Les Egyptiens sont “ces orientaux soufflés (...) ces gens qui n’avaient
rien derrière eux”. La guerre sainte “cette
coalition d’invalides qu’il est impossible de lancer à la tête d’un puissant État,
qui trouverait une fin infernale sous le tir fauchant des compagnies de
mitrailleurs anglais...” Cette
liste des souhaits formulés à l’encontre des Orientaux n’est pas exhaustive.
Il
n’empêche que d’après B. Lewis, Michel Aflak et S. El Djoundi, les fondateurs et dirigeants du parti BAAS étaient de grands admirateurs d’Hitler . Le leader arabe le plus connu ayant été du côté des nazis est sans conteste le
Grand Mufti de Jérusalem: Hadj-Amine El Husseini. C’est un homme dont l’itinéraire
ressemble en certains points à celui d’Hitler. Il a tout échoué et en premier
lieu ses études de théologie à El Azhar, la plus grande université du Caire, qu’il
quitta avant la fin de sa première année d’études. Il obtint malgré tout la charge de Grand Mufti de Jérusalem à la suite de son
demi-frère et de son grand-père. Il est probable qu’il ait été désigné pour
cette charge par les Britanniques en raison de la puissance et de l’influence
de sa famille (le clan des Husseini). Selon Hopwood il apparaissait
plutôt comme un élément modérateur. Il s’avéra être, très rapidement, un
farouche opposant à l’immigration juive en Palestine. Il dut quitter son pays
en 1937 pour ne pas être arrêté. Il alla au Liban puis en Irak. En 1941, il y
soutint le coup d’État de Rachid Ali El Galyani (ou
El Kilani), également soutenu par les Allemands. Le
coup d’État échoua. Le Mufti et Rachid Ali se réfugièrent en Allemagne via l’Iran,
de 1941 à 1945. Ceux-ci ne peuvent donc pas dire qu’ils ignoraient le sort fait
aux juifs et plus généralement le sort fait à tout citoyen ne partageant pas l’idéal
nazi.
Depuis
Berlin, le Mufti aida à mettre en place des réseaux d’information, de
propagande et d’espionnage. Il participa à l’organisation des étudiants arabes
de Berlin et de Vienne. Il enregistra des appels radiodiffusés en direction des
pays arabo-musulmans, y compris pour les radios japonaises, les appelant à se
révolter contre les Britanniques.
Il
se fit photographier avec Hitler : cette
photographie illustra de nombreuses brochures de propagande nazie.
Il
alla bénir les Waffen SS musulmans de Yougoslavie (ils portaient un fez rouge et un insigne de la
Wehrmacht).
Il
aida à recruter des agents arabes qui furent parachutés en pays arabes.
Il
aida à constituer la légion arabe : la Deutsch Arabish Lehrabteilung. Celle-ci était composée de 580 combattants
arabes recrutés parmi des prisonniers de guerre (au deux-tiers des Marocains).
Ils arboraient des écussons sur lesquels était écrit Freies Arabian (l’armée jordanienne s’est aussi appelée
Légion Arabe, bien que n’ayant rien à voir avec Hitler).
Le
Mufti de Jérusalem n’obtint pas que cette légion soit placée sous commandement
arabe. Elle fut incorporée à Cap Sounion en Grèce à la Division Brandenburg (ils furent 580 Arabes parmi 5200 allemands).
Cette légion arabe aurait aussi abouti à un échec,
mais les échecs du Mufti ne s’arrêtèrent pas là.
Il
n’obtint jamais de déclaration d’indépendance pour un pays arabe de la part d’Hitler
et ce, même en proposant la mise à disposition de bases militaires en Tunisie
en faveur des forces de l’Axe (il offrait en fait ce qu’il ne pouvait donner,
car la Tunisie ne lui appartenait en rien !).
Le
Mufti fut constamment en contact avec de “hauts dignitaires” nazis dont les
idées et les pratiques en matière de racisme et de fascisme ne constituent un
secret pour personne. Cela n’empêcha pas le Mufti d’affirmer qu’il ne savait
pas ce qui se passait pour les juifs en Allemagne et dans les pays assujettis
par les nazis. Plus tard, à Bandoung, devant les
leaders des pays du tiers-monde, il réitéra ses diatribes habituelles contre “Les juifs”, alors même que le
contexte géopolitique s’était totalement modifié.
En fait, quel que soit le contexte, ses discours donnent l’impression d’être à
chaque fois le même discours constamment répété.
Avec
tous ces échecs, la faveur que lui
ont accordée les Allemands ne peut que nous étonner. Peut-être faut-il
admettre, à la suite d’Hirszowicz, que le Mufti,
ayant des cheveux blonds et des yeux bleus, avait pour cette raison leur
préférence.
Le Pr. Schrumpf,
un médecin alsacien au service des Allemands, le considérait comme un “Circassien” et non comme un “Arabe” Le titre de grand Mufti de Jérusalem a peut-être fait
croire qu’il détenait une haute autorité sur le monde musulman. Il put tirer
son épingle du jeu et se réfugier dans divers pays arabes après la chute de
Berlin.
En
fait, de nombreuses personnalités du monde arabe ont collaboré et ont été en
relation avec les forces de l’Axe, certaines, ensuite, ont occupé des postes de
chefs d’État comme Nasser ou Sadate. D’autres avaient, dans la période nazie,
une place prépondérante dans les mouvements nationalistes. Rachid Ali, par exemple,
auteur d’un coup d’état en Irak, a été durant son exil à Berlin, en situation
de rivalité avec le Mufti de Jérusalem.
Un
autre personnage d’importance mérite d’être signalé ; il s’agit de Chakib Arslan, un prince druze du Liban, réfugié à Genève dès les
années 1930. C’est un féodal qui met l’Islam en avant comme élément fédérateur.
Il contribua également à organiser les étudiants arabes en Allemagne, à Vienne
et dans toute l’Europe. Depuis Genève et Berlin, il constituait un trait d’union
entre les forces de l’Axe et les leaders nationalistes du Proche-Orient et du
Maghreb. Il hébergea même Messali Hadj, réfugié
lui-même en 1935 à Genève. Il fut nommé Conseiller Technique de la Propagande
du Reich en Pays Arabes, et sur proposition de Goebbels, il est fait Citoyen d’Honneur
du Gouvernement Nazi.
La
collaboration des Maghrébins.
Les
collaborateurs nord-africains sont très divers. Parmi eux, il y avait de
pauvres diables incultes et vivant dans la misère et le dénuement, et qui
croyaient que la fin des vaches maigres allait bientôt arriver. Il s’agissait
parfois de gens d’un autre âge croyant qu’Hitler était le continuateur de
Guillaume II (que certains allaient même jusqu’à appeler Hadj Guillaume !). Ce
dernier s’était opposé aux impérialismes français et britannique au sujet du
Maroc et d’autres colonies. Certains ont peut-être cru naïvement qu’il s’agissait
d’une attitude désintéressée. Il y avait cependant parmi les collaborateurs des
gens instruits par le système scolaire et universitaire ou par le militantisme,
ou par l’action syndicale.
En
France, “Les travailleurs coloniaux
nord-africains”, c’est-à-dire les travailleurs d’origine maghrébine,
constituaient une petite communauté d’environ 100.000 personnes. En son sein,
quelques nationalistes s’étaient révélés d’odieux militants pronazis. Le plus
connu était El Maadi, un ancien cagoulard recruté par
les Allemands.
Il
édita un journal imprimé avec l’aide des Échos de la Presse, Les Temps Nouveaux
et Paris-Soir grâce aussi au soutien des services de propagande allemands (la Propaganda Abteilung).
Ce
journal que l’on peut lire dans les bibliothèques spécialisées, s’appelle El
Rachid, c’est-à-dire Le Führer. Il contenait des textes de
propagande pro-allemande, des discours et des caricatures antisémites. Il
critiquait parfois Vichy qui n’était pas suffisamment pro-allemand à ses yeux.
Le journal proposait aussi des chroniques littéraires, théâtrales et
artistiques. On peut se demander si des immigrés (les “travailleurs coloniaux” !), analphabètes le plus souvent à cette époque, pouvaient se procurer et lire
un tel journal. Mais l’approche et la circulation des idées nazies se faisaient
en réalité le plus souvent par la discussion et les ordres transmis directement
et oralement par les collaborateurs les plus divers et dont l’idéologie ne
contredisait en rien le racisme nazi.
El Maadi mit en place un Comité Musulman d’Afrique du
Nord avec des personnalités telles
que Si Adjou Saïd, Foudil Si Arabi Lahmek, Amar Naroun, auquel adhéraient 980 personnes. Des cantines ont été
ouvertes en faveur d’immigrés chômeurs par ce comité.
À
l’actif d’El Maadi, il faut ajouter le recrutement
pour la Bande de Bonny et Lafont (la Gestapo de la
rue Lauriston) de 300 personnes qui composèrent la Brigade Nord-Africaine.
Celle-ci fut ensuite incorporée dans la Franc-Garde de la Milice de Darnand. Il s’agissait de délinquants, de proxénètes etc., qui
se sont avérés être de piètres combattants mais de redoutables tortionnaires
dans le Sud-Ouest de la France, notamment dans la région de Tulle, Limoges et Brive.
Mis
à part le cas caricatural d’El Maadi et de ses
compagnons, le gros des troupes de collaborateurs a été constitué par les
nationalistes du PPA en France. Avec des gens comme Radjef Belkacem qui sera plus
tard un dirigeant très important de ce parti après la guerre, Omar Khider, ils créèrent l’UNTA,
proche du F.S.T de Marcel Déat. Cette appellation
paraissait (ou, peut-être, voulait paraître) faire croire qu’il ne s’agissait-là
que de l’ancienne Union Nationale des Travailleurs Nord-Africains sous
laquelle se cachait de 1935 à 1936 l’ancienne Etoile Nord-Africaine de Messali Hadj qui avait été dissoute.
La
collaboration avec les nazis de dirigeants de haut rang comme Si Djilani, l’un des fondateurs de
l’Étoile Nord-Africaine et du PPA (dont certains militants créeront le FLN), d’Omar Khider et de Radjef,
d’Abderhamane Yassine,
qui affichaient ouvertement des idées pronazies, n’étaient pas sans importance
auprès de travailleurs issus du monde rural et dont la culture politique est
médiocre. Ces militants nationalistes ont prétendu qu’en agissant ainsi ils
pouvaient aider leurs compatriotes au sein d’une organisation dont le but était
l’indépendance. De tels arguments montrent bien le vide politique de ces responsables
et dirigeants. Aussi fallacieux soient-ils, il n’ont cependant pas empêché des collaborateurs comme Hadj Cherchalli, Igherbouchen, Sahli, Radjef et bien d’autres à occuper des postes de dirigeants
du FLN en Afrique du Nord ou dans la
Fédération de France. De toute manière, la lutte pour l’indépendance a souvent
tenu lieu de justification et a permis d’éviter toute discussion sur le fond,
sur les droits de l’homme, sur le racisme, le totalitarisme et le nazisme. Nous
sommes en droit de nous interroger sur la société qu’allaient bâtir des gens
prêts à s’allier avec des nazis pour parvenir à leurs fins.
J’ai
porté une attention toute particulière au nationalisme algérien, mais les
Tunisiens et les Marocains ne sont pas en reste.
Le
9 novembre 1942, les troupes de l’Axe débarquent en Tunisie et occupent le pays
jusqu’en mai 1943. Bourguiba en profite pour demander l’indépendance qui lui
est aussitôt refusée.
Celui-ci
se retire, mais le Dr. Hadj Thammeur et des
personnalités telles que Mohammed El Medi Bou Alleg,
Mohammed Turki et un ex-speaker de Radio-Berlin,
Murad, offrent leurs services. Les suivent aussi le Pr. Mohammed Senoussi, de
la Zitouna et plusieurs dirigeants néo-destouriens : Triki, Rachid Driss, Taïeb Slim, Habib Bougatfa, Medi Saïdi.
Le
général Bridoux, ministre de Laval, appuie la
création d’une Phalange Nord-Africaine, composée d’environ 200 Français et 200 Nords-Africains, recrutés par la suite et à leur tour par l’armée
allemande sous le nom de Compagnie Frankonia.
En
Tunisie, la collaboration prenait une autre signification, en raison de la
guerre des sables que menaient les Alliés contre Rommel.
Au
Maroc, les personnalités les plus en vue ayant collaboré étaient Abd El Khelek Turris et El Ouazani, qui demandèrent une déclaration d’indépendance.
Elle fut rejetée par les Allemands qui ne souhaitaient ni gêner, ni s’opposer
aux visées colonialistes de l’Italie et de l’Espagne.
L’attitude
du Sultan Mohammed V, par contre, paraît de loin très courageuse, si l’on prend
en compte le fait que son pays était occupé par les troupes franquistes et
françaises, et administré par des vichystes. Il reçu des délégations juives en
mai 1942 et déclara aux notables qu’“il
les considérait comme des Marocains au même titre que les musulmans, égaux aux
autres Marocains, et qu’il ne serait touché ni à leurs biens ni à leurs
personnes”.
Une telle déclaration, bien que n’ayant eu que peu de publicité, et venant d’un
homme dont l’autorité morale sur ses “sujets” et dont le “charisme” personnel
étaient tels, ne pouvait pas ne pas avoir un minimum d’effet sur les Marocains.
Après la 2e Guerre Mondiale.
Le cas algérien :
L’enseignement
des nazis tel qu’il a été prodigué par les cadres de l’Abwher,
la SS, la LVF, s’est transmis à leurs élèves par la
parole, par des exercices pratiques et par l’exemple.
Parmi
les collaborateurs qui ont reçu un tel enseignement, il faut citer une figure
bien connue en Algérie : Mohammedi Saïd, parachuté en
Tunisie comme agent de l’Abwher en 1943, après avoir fait partie de la LVF. Il a été capturé et condamné à une peine de prison et
est libéré en 1952. Il s’engage dans le FLN,
dont il devient rapidement un responsable militaire important. Il portait
constamment un casque allemand au maquis durant la guerre d’Algérie, comme en
témoignent les photos parues dans la revue Historia. C’est un ancien maître d’école
coranique présenté par À. Horn comme un personnage dévot et obtus.
D’autres
nationalistes formés par les tortionnaires SS à leurs méthodes se sont engagés
par la suite dans le FLN. L’historien
anglais À. Horn et Y. Courrière signalent Mezioud Hacène,
surnommé Capitaine Latorture par ses compagnons, car
il dirigeait lui-même la torture et les interrogatoires de militants (accusés
de trahison, selon les pires méthodes). C’est son patron Mohammedi Saïd,
qui ordonna l’expédition punitive contre le village de Mélouza,
où furent égorgés tous les habitants de plus de 15 ans, car ce village était
accusé d’être plutôt pro-français.
De
fait, lorsque nous recherchons l’origine d’exactions commises durant cette
guerre d’Algérie, nous retrouvons à la base, le plus souvent, plusieurs causes
entremêlées et plusieurs sortes d’assassins : des SS, des tueurs formés et
entraînés pour cela, ainsi que des délinquants comme ceux qui ont été recrutés
parmi les truands d’Alger ou d’ailleurs qui ont contribué à donner un caractère
des plus sanglants aux attentats lors de la bataille d’Alger (comme le
Milk-Bar) et faisant de très nombreuses victimes parmi les populations civiles
(Ali la Pointe et d’autres personnes avaient appartenu au “Milieu” que le FLN avait mis sous sa coupe à Alger).
Parmi
les dirigeants du FLN, il y avait
aussi des gens d’une rare violence, comme le colonel Amrouche,
qui supportait très mal la marque la plus infime d’insubordination, ou l’expression
de toute contradiction. Ce qui unissait ces hommes, c’est la lutte pour l’indépendance,
et celle-ci ne souffrait ni discussion, ni réflexion, il fallait obéir aux
ordres venus d’en haut et rien de plus. Ainsi l’exemple des pays totalitaires
avait fait des émules, mais il semble que l’explosion brusque d’exactions, d’assassinats
et de tortures commis contre ses propres compagnons avait peut-être quelque
chose de compulsif, dont l’analyse n’a jamais été faite à ce jour à ma
connaissance, et que des conditions sociales et historiques avaient favorisés.
Il
n’est pas possible de parler de la guerre d’Algérie sans évoquer également la
torture du côté français. En effet, celle-ci avait été oubliée depuis fort
longtemps, depuis le temps où, en France, elle avait pour nom “La Question” sous l’Ancien Régime. Elle
avait été communément condamnée et abolie depuis la Révolution de 1789 et fort
critiquée par les philosophes du Siècle des Lumières qui, s’ils s’indignaient
que l’on soumette leurs compatriotes à La
Question, ne s’offusquaient en rien de la promulgation du Code Noir qui instaura et légiféra l’achat et la vente des esclaves noirs.
Les
nazis et leurs hommes de main ne firent que renouer avec une ancienne pratique
qu’ils développèrent et perfectionnèrent en utilisant au besoin des médecins.
Les victimes n’étaient plus les sorcières et les sorciers, mais les résistants
et opposants de toutes sortes ; et survivre à La Question n’amène plus la réhabilitation ou la proclamation d’innocence
de la victime. Une exception pour les juifs d’Europe qui subirent un sort
particulier : destruction pure et simple.
Si
le despotisme et ses moyens de coercition avaient régressé en Europe depuis la
Révolution française de 1789, nous nous devons de pointer le fait que cela n’a
pas été le cas partout sur la surface du globe. Aujourd’hui même, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme n’énonce pas des droits universellement reconnus, respectés et protégés. L’idée,
selon laquelle dans une démocratie “le
peuple” fait la Loi par l’intermédiaire de représentants élus au
suffrage universel occulte le fait que “le
peuple” attend souvent beaucoup du détenteur du pouvoir et de la légitimité
de celui-ci. Le débat sur la peine de mort nous enseigne que beaucoup de
citoyens admettent encore que la justice et la police puissent d’une certaine
façon avoir droit de vie et de mort sur la personne humaine, et qu’il soit
possible d’utiliser des méthodes violentes en politique et la torture dans
certains cas. Celle-ci fut pratiquée pendant la guerre d’Algérie, parfois de
façon systématique par les forces de l’ordre. Il semble que les Unités du
Général Buis soient les rares à ne pas l’avoir utilisée. Devant le refus de
certains soldats du contingent à la pratiquer, des Unités spécialisées ont été
constituées à cet effet. La métropole n’a pas été en reste. L’apogée des
exactions a été la répression des manifestations d’octobre 1961 à Paris. Des
corps de Maghrébins jetés dans la Seine y furent repêchés par dizaines. Les
méthodes “d’interrogatoire poussé” se sont considérablement améliorées depuis
les nazis. À. Horn en cite quelques exemples comme le
supplice de l’hélicoptère. Cet auteur a rapporté également le témoignage d’un
correspondant de guerre, John Gale, qui
fit une dépression nerveuse en Algérie, et avait entendu proférer une menace
adressée à “un suspect” du FLN par un jeune parachutiste en ces termes : “Je tuerai toute ta
famille, comme la mienne a été fusillée par les Allemands”. Un autre para a
dit, mais avec une nuance de respect : “Les Allemands faisaient les choses,
froidement, systématiquement...” De tels propos témoignent du fait que quelque
chose d’important et de grave s’est bien transmis d’une génération à l’autre et
ce, indépendamment du camp choisi par les personnes concernées. Les nazis qui
ont réussi à fuir la justice ont parfois continué leurs méfaits avec d’autres
moyens comme par exemple la formation de tortionnaires dans la police de pays
vivant sous des régimes de dictature, la vente et le trafic d’armes, etc.
Pour
terminer sur ce chapitre, il faut rappeler que les Arabes ont été plutôt
utilisés par les nazis qu’ils n’ont eux-mêmes utilisé ces derniers. Ils ont en
réalité fait l’objet d’un marché de dupes. Cependant, étant eux-mêmes l’objet d’une
colonisation impitoyable qui refusait même l’allègement du statut colonial (cf.
les déclarations de R. Pleven autour de la Conférence de Brazzaville), certains
nationalistes voyaient peu de différence entre le nazisme et les démocraties occidentales
(c’est dire leur niveau de conscience politique !). Les massacres qui ont eu
lieu le 8 mai 1945 dans la région de Sétif et de Guelma contre la population
musulmane, et qui auraient fait 45000 morts selon le chargé d’affaires américain,
n’ont pas contribué à faire regretter à quelques-uns d’entre eux leur
collaboration avec les forces de l’Axe.
La
rencontre entre nazis et nationalistes a eu des effets et des conséquences que
subissent encore les habitants des pays arabes. En effet, des nazis se sont
réfugiés dans certains d’entre eux et ont joué des rôles dans des institutions
comme l’armée (Aloïs Brunner par exemple est réfugié en Syrie). Dans les pays
arabes, le parti unique est le plus souvent la règle et la torture est un
système d’interrogatoire des plus communément admis dans les commissariats et
les établissements abritant les Services Spéciaux. Les évènements d’octobre et
novembre 1988, qui ont eu lieu en Algérie, ont révélé ce phénomène au grand
jour. L’armée n’a pas hésité à tirer sur de jeunes manifestants avec des tanks.
Des milliers d’enfants et d’adolescents ont été arrêtés par les forces de l’ordre
et torturés avec, parfois, l’aide de médecins. De tels faits n’ont en rien
étonné les gens qui n’ignoraient pas que le fondateur des Services Spéciaux
algérien, le Colonel Youssouf, dont le Président Boumediene a été très
longtemps un subordonné, admirait Hitler, Staline et Franco.
En effet, dans les pays arabes, la rencontre entre nazis et nationalistes est
un sujet tabou, voire refoulé, ce
qui ne peut manquer de nous faire craindre les processus de projection décrits
par Freud où “ce qui est neutralisé au-dedans fait retour (boomerang) par le dehors”, et les
réactions d’un certain nombre de personnes devant l’évocation de tels faits
relèvent plutôt de ce qu’en reprend Lacan sous le terme de forclusion : “ce qui n’est pas venu au jour du symbolique apparaît dans le réel.” Ce qui
s’est passé récemment en Algérie, mais aussi dans d’autres pays arabes du
Proche et Moyen-Orient, et le peu de réaction de militants et intellectuels
arabes en sont de bonnes illustrations. L’irruption sur la scène politique des
évènements d’octobre et de novembre 1988 en Algérie et la violence avec
laquelle ont été réprimés les jeunes, non concernés par la légitimité des
discours nationalistes, traduisent la dimension de ce qui a été refoulé de cette
rencontre du nationalisme avec le nazisme.
Dans
ce texte, j’ai essayé de montrer à travers des documents dont l’accès est des
plus faciles pour un très large public, la façon dont s’était transmis le
savoir-faire des nazis en matière de racisme, de terreur et de violence. Il va
de soi que cela ne constitue pas une recherche exhaustive de tout ce qui s’est
passé ni de tout ce qui s’est transmis. En effet, le savoir-faire sur la
torture et la répression n’est qu’un élément des méthodes d’oppression nazies.
D’autres champs du savoir et d’autres pratiques ont été légués, qu’il convient
maintenant de repérer et d’analyser.
Paris,
automne 1988