Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Freud

Résistances à la psychanalyse

privées, publiques, didactiques…

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein / 20 octobre 2014

 

 

Résistances à la psychanalyse

privées, publiques, didactiques…

ou

De la dénégation, une autre « théologie de la substitution »

 

[Les lectrices et lecteurs intéressés pourront, s’ils le souhaitent, trouver ici l’entame de la première ébauche d’extraits de ma lecture - à distinguer de traduction - des Résistances à la psychanalyse, à partir de trois écrits de Freud en allemand [1].

Déconcertée par le sort dévolu à la théorie freudienne et à son auteur, lequel continue de faire l’objet d’un violent et vulgaire ostracisme débridé en France. De mon côté je l’apparente à un négationnisme, en ce qu’il a réussi à annuler la discipline en tant que science, fut-elle humaine - si l’on excepte de nos jours auprès de la SPP [2]. Il m’est en effet apparu qu’après un siècle écoulé, ces résistances étaient restées fixées au stade infantile propre au « Complexe d’Œdipe » du monde d’avant-hier.

Les réflexions, commentaires, notes, arguments plus étoffés… figureront dans la version relue et achevée de cette triple lecture].

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Petite annonce

 

Attentifs à préserver leur liberté de penser, de parler, d’écrire, d’agir à leur modeste mesure, ou simplement d’exister, et pour cela non affiliés à ce que l’on désignait chez les éditeurs par « Écuries », pas plus qu’aux groupes d’influence de tous horizons lesquels, semblerait-il, sont davantage occupés par le contenant que par le contenu, le paraître que l’être, les apparences que le substrat…, les héritières et héritiers directs de la déportation des Juifs de toutes extraces, témoins de leur temps, et principalement les femmes, ont le plaisir de vous annoncer que,

pour celles et ceux qui demeurent encore dans ce monde, elles et ils sont vivants, pensant, parlant…

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Freud

 

Les résistances à la psychanalyse • 1925 [3]

 

Aujourd’hui pas plus qu’hier, je n’ai l’intention de donner en exemple la préséance à ma personne, surtout pas comme modèle, encore moins comme Vénérable.

Freud

 

[Extrait de sa lettre du 10 mai 1909 à Oskar Pfister, en exergue de l’introduction de Ilse Grubrich-Simitis à Selbstdarstellung, Sigmund Freud Lebensgeschichte und die Anfänge der Psychoanalyse]

 

Quand le nourrisson dans les bras de sa nurse se détourne en hurlant à la vue d’un visage étranger, quand le pratiquant célèbre chaque laps de temps par une prière et salue d’une bénédiction les prémices de l’année, de même, quand le paysan refuse d’acheter une faux sous prétexte qu’elle ne porte pas la marque de fabrique habituelle de ses parents, il semble alors logique, devant ces situations d’une diversité au premier coup d’œil évidente, d’attribuer à chacune d’entre elles des causes distinctes.

C’est ainsi que nous avons tort de ne pas prendre en compte ce qu’elles ont de commun. Dans chaque cas, se manifeste un déplaisir (une aversion ? [4]) de même nature : chez l’enfant, il se formule de façon rudimentaire ; chez le pratiquant, il se manifeste par un apaisement factice ; pour le paysan, il sert de prétexte à sa décision. Or, la source de cette aversion témoigne de la dépense d’énergie psychique qu’exige ce qui est nouveau pour la vie de l’esprit, à laquelle s’associe une intranquillité intellectuelle qui développe une attente chargée d’angoisse. La réaction psychique devant ce qui est nouveau en tant que tel devrait nous inciter à faire l’analyse de la chose, car dans certains contextes moins sommaires, l’on peut observer un mode d’être opposé, c’est-à-dire le désir de se jeter sur tout ce qui est inédit, tout simplement parce que c’est nouveau.

Dans le domaine des sciences, il ne devrait y avoir aucune place pour la peur de l’inédit.

La science, dans son insuffisance et sa perpétuelle incomplétude, exige d’espérer son salut dans de nouvelles découvertes et une nouvelle herméneutique [5]. Afin de n’être pas stupidement déçue, elle a avantage à s’armer de scepticisme et à n’entériner ce qui se présente comme nouveau qu’après l’avoir d’abord sérieusement mis à l’épreuve. Il arrive incidemment que ce scepticisme mette en évidence deux caractéristiques inattendues. Il se dresse violemment contre ce qui est nouveau, tout en ménageant avec grand respect ce qui est déjà reconnu et tenu pour vrai, et ainsi se contente, sans la moindre investigation préalable, de le récuser [6]. C’est alors que, ce faisant, ce scepticisme se révèle comme n’étant qu’un prolongement de cette réaction obscurantiste, primitive, de défense contre ce qui est nouveau, afin de la maintenir. C’est bien connu : combien de fois, dans l’histoire de la recherche scientifique, est-il arrivé que la nouveauté se heurte à une résistance opiniâtre et intense, dont le cours des choses a montré par la suite que la résistance était sans aucun fondement, alors que cette nouveauté recelait une valeur de première importance. Ce qui provoquait la résistance était, dans l’ensemble, dû à certains facteurs propres à la nouveauté en soi, alors que, par ailleurs, des facteurs latéraux essayaient d’agir de concert pour rendre possible l’ouverture d’une brèche dans la réaction primitive.

La psychanalyse, que l’auteur avait entrepris de développer presque 30 ans auparavant à Vienne, à partir des découvertes de Joseph Breuer, sur l’origine des symptômes névrotiques, se heurta à un accueil particulièrement désagréable. On ne peut contester son caractère de nouveauté, bien qu’elle ait exploité quantité de matériaux déjà largement connus se référant à l’enseignement du grand neuropathologiste Charcot, ainsi que des indices propres au champ des phénomènes hypnotiques. Visant à créer une méthode nouvelle et efficace de traitement des affections névrotiques, la portée de la psychanalyse fut, à l’origine, exclusivement thérapeutique. Mais des interactions que l’on n’avait tout d’abord pas décelées lui permirent de dépasser de loin son objectif initial. Elle put enfin faire valoir qu’elle avait procuré une base nouvelle à notre conception de la vie psychique et prendre ainsi une place éminente dans tous les domaines d’un savoir fondé sur la psychologie. Après avoir été complètement dédaignée toute une décade, elle devint subitement l’objet d’un intérêt général des mieux partagés - et déchaîna une tempête de récusations horrifiées.

[…]

Dans l’immédiat, nous laisserons de côté les formes sous lesquelles la résistance à la psychanalyse trouva à se manifester.

[…]

Ici, notre intérêt sera axé uniquement sur ce qui motive la résistance à la psychanalyse, en tenant particulièrement compte de sa nature composite et des liaisons possibles entre ses éléments disparates.

[…]

Que quelqu’un réussisse à isoler et à mettre en évidence la ou les substances éventuelles relatives aux névroses, serait alors une découverte qui n’aurait pas à craindre l’opposition de la part des médecins. Jusqu’à présent toutefois, la voie n’est pas encore ouverte. Pour l’instant, seule la formation des symptômes est appréhendée qui, par exemple dans le cas de l’hystérie, se présente comme un combiné de désordres somatiques et psychiques. Or, les expériences de Charcot de même que les observations cliniques de Breuer, nous ont appris que les symptômes somatiques sont psychogènes, c’est-à-dire qu’ils sont un précipité de processus psychiques parvenus à échéance.

[…]

Les médecins avaient été formés à ne privilégier exclusivement que les facteurs anatomiques, somatiques et chimiques. Ils n’étaient pas préparés à prendre en considération ce qui relève du psychisme, si bien qu’ils ne manifestèrent à la psychanalyse qu’indifférence et aversion.

[…]

Les psychiatres eux-mêmes, pourtant assujettis en permanence à l’examen des phénomènes psychiques les plus insolites et les plus étranges, ne montrèrent aucune appétence pour l’analyse des éléments qui les composaient, pas plus qu’à chercher à déceler leur cohérence.

[…]

Au cours de cette époque de matérialisme ou mieux, de mécanisme [7], la médecine réalisa des progrès remarquables, mais témoigna par ailleurs de son étroitesse de vues devant ce qu’il y a de fondamental et de plus grave dans les problèmes de la vie.

[…] Par contre, on aurait pu s’attendre à ce que la nouvelle théorie ait une chance de rencontrer l’approbation des philosophes, eux qui étaient rompus à établir des concepts abstraits - les mauvaises langues diraient : des mots nébuleux - au faîte de leur explication du monde ; il ne s’avérait donc guère possible pour eux d’être choqués par la psychanalyse, laquelle frayait une voie à l’extension du champ de la psychologie. Or là, on se heurta à un obstacle supplémentaire. Le psychique des philosophes n’était pas celui de la psychanalyse. Dans leur écrasante majorité, les philosophes désignent le psychique par ce qui ressort exclusivement d’un phénomène conscient. Pour eux, le périmètre de la sphère du conscient est en adéquation avec celui du psychique. Par ailleurs, d’autres données relevant de l’“esprit” [« Seele »], si difficiles à déceler, sont ravalées par eux au rang de théories organiques ou de processus parallèles au psychisme. Ou, strictement parlant, pour eux, l’esprit n’a d’autre substance que le phénomène du conscient, la science de l’esprit, la psychologie, n’ayant donc pas d’autre objet. Sur ce point, le non instruit [Laie] ne pense pas autrement.

Que dira alors le philosophe devant une théorie pour laquelle, comme l’affirme au contraire la psychanalyse, le psychique en soi est inconscient, tandis que la cognition - le conscient - est une simple qualité qui peut ou ne peut pas compléter un acte psychique isolé, et qui, si elle fait défaut, ne l’altérera en rien. Cela va de soi, le philosophe dira que juxtaposer les deux termes, psychique et inconscient, est un non-sens, une contradictio in adjecto [8], et négligera de reconnaître que, par ce jugement, il ne fait que répéter sa propre définition - peut-être limitée - de ce qui relève du psychique. Cette conviction est rendue facile aux philosophes, en tant qu’elle est étrangère au matériel dont l’investigation astreignit les analystes à tenir pour vrai les actes psychiques inconscients.

[…]

Si, encore une fois, nous jetons un œil sur les résistances à la psychanalyse décrites ici, nous pouvons dire que seule une minorité d’entre elles s’apparente à celles qui s’élèvent de coutume contre la plupart des innovations scientifiques de la plus haute importance. La majorité d’entre elles sont dues à ceci, que le contenu de leur théorie choque des sentiments humains puissants.

[…]

Des difficultés exclusivement extérieures ont également contribué à renforcer les résistances à la psychanalyse. Il n’est pas facile d’accéder à un jugement autonome quant à l’analyse, si l’on ne l’a pas expérimentée sur soi-même ou encore pratiquée auprès de quelqu’un d’autre, ce qui ne peut se faire sans avoir acquis au préalable une technique bien définie et très délicate, alors que, jusqu’à présent, la conjoncture ne favorisait pas l’accès à l’apprentissage de la psychanalyse et de sa technique.

[…]

Pour conclure, l’auteur peut, sous toutes réserves, se demander si sa singularité de Juif, qui n’a jamais songé à dissimuler sa judéité, n’a pas contribué à l’antipathie de l’environnement envers la psychanalyse. Un tel argument ne s’est énoncé que rarement de vive voix. Nous sommes hélas devenus si défiants que nous ne pouvons éviter d’envisager que ce facteur soit totalement resté sans effet. Ce ne fut peut-être pas tout à fait un hasard si le premier porte parole de la psychanalyse fut un Juif. Faire reconnaître la psychanalyse exigeait d’être assurément prêt à accepter la solitude dans l’adversité, destin qui, plus que tout autre, est familier à un Juif.

 

1 Die Widerstände gegen die Psychoanalyse, Selbsdarstellung, Zur Geschichte der psychoanalischen Bewegung.

2 De telle sorte que de nos jours, la SPP et ses antennes, reconnues d’utilité publique, assurant une formation théorique, technique et clinique, autrement dit thérapeutique, serait seule habilitée à authentifier l’intitulé et la fonction du Psychanalyste, ce qui mettrait fin aux “autorisations de soi-même” prônées par Lacan, lesquelles permettent à tout un chacun, non professionnel, de s’auto-nommer “psychanalyste”, en même temps que d’utiliser le nom propre de « Psychanalyse », créé par Freud, sans aucune gêne ni considération pour son auteur.

 

3 N. B. Demeure aléatoire le fait d’insérer la théorie psychanalytique, la biographie de Freud, la pratique analytique, le cursus de formation des analystes, qui nécessitent une psychanalyse personnelle préalable, dans les programmes scolaires, universitaires généraux et médias, où l’inconscient est évacué. Cf. à ce sujet et à titre d’exemple, Freud, Ferenczi, Bernfeld…

 

4 Voire, apparition d’une phobie...

 

5 Herméneutique = Art d’interpréter.

6 Ce qui entraînerait le déni.

 

7 Matérialisme, mécanisme, se reporter à « Théorie du… ».

 

8 Incohérence logique entre un nom [substantif] et son adjectif modificatif.

 

à suivre…

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2015