© Micheline Weinstein /
20 octobre 2014
Résistances
à la psychanalyse
privées, publiques,
didactiques…
ou
De
la dénégation, une autre « théologie de la substitution »
[Les lectrices et lecteurs intéressés pourront, s’ils le
souhaitent, trouver ici l’entame de la première ébauche d’extraits de ma lecture - à distinguer de traduction - des Résistances à la psychanalyse, à partir de trois écrits de Freud en
allemand.
Déconcertée par le sort dévolu à la théorie freudienne et à
son auteur, lequel continue de faire l’objet d’un violent et vulgaire
ostracisme débridé en France. De mon côté je l’apparente à un négationnisme, en
ce qu’il a réussi à annuler la discipline en tant que science, fut-elle humaine
- si l’on excepte de nos jours auprès de la SPP . Il m’est en effet apparu qu’après un siècle écoulé, ces résistances étaient
restées fixées au stade infantile propre au « Complexe d’Œdipe » du monde
d’avant-hier.
Les réflexions, commentaires, notes, arguments plus étoffés…
figureront dans la version relue et achevée de cette triple lecture].
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Petite annonce
Attentifs
à préserver leur liberté de penser, de parler, d’écrire, d’agir à leur
modeste mesure, ou simplement d’exister, et pour cela non affiliés à ce que
l’on désignait chez les éditeurs par « Écuries », pas plus qu’aux
groupes d’influence de tous horizons lesquels, semblerait-il, sont davantage
occupés par le contenant que par le contenu, le paraître que l’être, les
apparences que le substrat…, les héritières et héritiers directs de la déportation des Juifs de toutes extraces, témoins
de leur temps, et principalement les femmes, ont le plaisir de vous annoncer
que,
pour celles
et ceux qui demeurent encore dans ce monde, elles et ils sont vivants,
pensant, parlant…
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ø
Freud
Les résistances à la psychanalyse • 1925
Aujourd’hui
pas plus qu’hier, je n’ai l’intention de donner en exemple la préséance à ma
personne, surtout pas comme modèle, encore moins comme Vénérable.
Freud
[Extrait de sa lettre du 10 mai 1909 à
Oskar Pfister, en exergue de l’introduction de Ilse Grubrich-Simitis à Selbstdarstellung, Sigmund Freud Lebensgeschichte und die
Anfänge der Psychoanalyse]
Quand le nourrisson dans les bras de sa nurse se
détourne en hurlant à la vue d’un visage étranger, quand le pratiquant célèbre
chaque laps de temps par une prière et salue d’une bénédiction les prémices de
l’année, de même, quand le paysan refuse d’acheter une faux sous prétexte
qu’elle ne porte pas la marque de fabrique habituelle de ses parents, il semble
alors logique, devant ces situations d’une diversité au premier coup d’œil
évidente, d’attribuer à chacune d’entre elles des causes distinctes.
C’est ainsi que nous avons tort de ne pas prendre en
compte ce qu’elles ont de commun. Dans chaque cas, se manifeste un déplaisir
(une aversion ?) de même nature : chez l’enfant, il se formule de façon rudimentaire ;
chez le pratiquant, il se manifeste par un apaisement factice ; pour le paysan,
il sert de prétexte à sa décision. Or, la source de cette aversion témoigne de
la dépense d’énergie psychique qu’exige ce qui est nouveau pour la vie de l’esprit, à laquelle s’associe une
intranquillité intellectuelle qui développe une attente chargée d’angoisse. La
réaction psychique devant ce qui est nouveau en tant que tel devrait nous
inciter à faire l’analyse de la chose, car dans certains contextes moins
sommaires, l’on peut observer un mode d’être opposé, c’est-à-dire le désir de
se jeter sur tout ce qui est inédit, tout simplement parce que c’est nouveau.
Dans le domaine des sciences, il ne devrait y avoir
aucune place pour la peur de l’inédit.
La science, dans son insuffisance et sa perpétuelle
incomplétude, exige d’espérer son salut dans de nouvelles découvertes et une
nouvelle herméneutique.
Afin de n’être pas stupidement déçue, elle a avantage à s’armer de scepticisme
et à n’entériner ce qui se présente comme nouveau qu’après l’avoir d’abord sérieusement
mis à l’épreuve. Il arrive incidemment que ce scepticisme mette en évidence
deux caractéristiques inattendues. Il se dresse violemment contre ce qui est
nouveau, tout en ménageant avec grand respect ce qui est déjà reconnu et tenu
pour vrai, et ainsi se contente, sans la moindre investigation préalable, de le
récuser.
C’est alors que, ce faisant, ce scepticisme se révèle comme n’étant qu’un
prolongement de cette réaction obscurantiste, primitive, de défense contre ce
qui est nouveau, afin de la maintenir. C’est bien connu : combien de fois,
dans l’histoire de la recherche scientifique, est-il arrivé que la nouveauté se
heurte à une résistance opiniâtre et intense, dont le cours des choses a montré
par la suite que la résistance était sans aucun fondement, alors que cette
nouveauté recelait une valeur de première importance. Ce qui provoquait la
résistance était, dans l’ensemble, dû à certains facteurs propres à la
nouveauté en soi, alors que, par ailleurs, des facteurs latéraux essayaient d’agir
de concert pour rendre possible l’ouverture d’une brèche dans la réaction
primitive.
La psychanalyse, que l’auteur
avait entrepris de développer presque 30 ans auparavant à Vienne, à partir des
découvertes de Joseph Breuer, sur l’origine des symptômes névrotiques, se
heurta à un accueil particulièrement désagréable. On ne peut contester son
caractère de nouveauté, bien qu’elle ait exploité quantité de matériaux déjà
largement connus se référant à l’enseignement du grand neuropathologiste
Charcot, ainsi que des indices propres au champ des phénomènes hypnotiques.
Visant à créer une méthode nouvelle et efficace de traitement des affections
névrotiques, la portée de la psychanalyse fut, à l’origine, exclusivement
thérapeutique. Mais des interactions que l’on n’avait tout d’abord pas décelées
lui permirent de dépasser de loin son objectif initial. Elle put enfin faire
valoir qu’elle avait procuré une base nouvelle à notre conception de la vie
psychique et prendre ainsi une place éminente dans tous les domaines d’un
savoir fondé sur la psychologie. Après avoir été complètement dédaignée toute
une décade, elle devint subitement l’objet d’un intérêt général des mieux
partagés - et déchaîna une tempête de récusations horrifiées.
[…]
Dans l’immédiat, nous laisserons de côté les formes
sous lesquelles la résistance à la psychanalyse trouva à se manifester.
[…]
Ici, notre intérêt sera axé uniquement sur ce qui
motive la résistance à la psychanalyse, en tenant particulièrement compte de sa
nature composite et des liaisons possibles entre ses éléments disparates.
[…]
Que quelqu’un réussisse à isoler et à mettre en
évidence la ou les substances éventuelles relatives aux névroses, serait alors
une découverte qui n’aurait pas à craindre l’opposition de la part des
médecins. Jusqu’à présent toutefois, la voie n’est pas encore ouverte. Pour
l’instant, seule la formation des symptômes est appréhendée qui, par exemple
dans le cas de l’hystérie, se présente comme un combiné de désordres somatiques
et psychiques. Or, les expériences de Charcot de même que les observations
cliniques de Breuer, nous ont appris que les symptômes somatiques sont psychogènes, c’est-à-dire qu’ils sont un
précipité de processus psychiques parvenus à échéance.
[…]
Les médecins avaient été formés à ne privilégier
exclusivement que les facteurs anatomiques, somatiques et chimiques. Ils
n’étaient pas préparés à prendre en considération ce qui relève du psychisme,
si bien qu’ils ne manifestèrent à la psychanalyse qu’indifférence et aversion.
[…]
Les
psychiatres eux-mêmes, pourtant assujettis en permanence à l’examen des
phénomènes psychiques les plus insolites et les plus étranges, ne montrèrent
aucune appétence pour l’analyse des éléments qui les composaient, pas plus qu’à
chercher à déceler leur cohérence.
[…]
Au cours de cette époque de matérialisme ou mieux, de
mécanisme,
la médecine réalisa des progrès remarquables, mais témoigna par ailleurs de son
étroitesse de vues devant ce qu’il y a de fondamental et de plus grave dans les
problèmes de la vie.
[…] Par contre, on aurait pu s’attendre à ce que la
nouvelle théorie ait une chance de rencontrer l’approbation des philosophes,
eux qui étaient rompus à établir des concepts abstraits - les mauvaises langues
diraient : des mots nébuleux - au faîte de leur explication du
monde ; il ne s’avérait donc guère possible pour eux d’être choqués par la
psychanalyse, laquelle frayait une voie à l’extension du champ de la
psychologie. Or là, on se heurta à un obstacle supplémentaire. Le psychique des
philosophes n’était pas celui de la psychanalyse. Dans leur écrasante majorité,
les philosophes désignent le psychique par ce qui ressort exclusivement d’un
phénomène conscient. Pour eux, le périmètre de la sphère du conscient est en
adéquation avec celui du psychique. Par ailleurs, d’autres données relevant de
l’“esprit” [« Seele »], si difficiles à déceler, sont ravalées par
eux au rang de théories organiques ou de processus parallèles au psychisme. Ou,
strictement parlant, pour eux, l’esprit n’a d’autre substance que le phénomène
du conscient, la science de l’esprit, la psychologie, n’ayant donc pas d’autre
objet. Sur ce point, le non instruit [Laie] ne pense pas autrement.
Que dira alors le philosophe devant une théorie pour
laquelle, comme l’affirme au contraire la psychanalyse, le psychique en soi est inconscient, tandis que la cognition -
le conscient - est une simple qualité qui peut ou ne peut pas compléter un acte
psychique isolé, et qui, si elle fait défaut, ne l’altérera en rien. Cela va de
soi, le philosophe dira que juxtaposer les deux termes, psychique et
inconscient, est un non-sens, une contradictio in adjecto,
et négligera de reconnaître que, par ce jugement, il ne fait que répéter sa propre
définition - peut-être limitée - de ce qui relève du psychique. Cette
conviction est rendue facile aux philosophes, en tant qu’elle est étrangère au
matériel dont l’investigation astreignit les analystes à tenir pour vrai les
actes psychiques inconscients.
[…]
Si, encore une fois, nous jetons un œil sur les
résistances à la psychanalyse décrites ici, nous pouvons dire que seule une
minorité d’entre elles s’apparente à celles qui s’élèvent de coutume contre la
plupart des innovations scientifiques de la plus haute importance. La majorité
d’entre elles sont dues à ceci, que le contenu de leur théorie choque des
sentiments humains puissants.
[…]
Des difficultés exclusivement extérieures ont
également contribué à renforcer les résistances à la psychanalyse. Il n’est pas
facile d’accéder à un jugement autonome quant à l’analyse, si l’on ne l’a pas
expérimentée sur soi-même ou encore pratiquée auprès de quelqu’un d’autre, ce
qui ne peut se faire sans avoir acquis au préalable une technique bien définie
et très délicate, alors que, jusqu’à présent, la conjoncture ne favorisait pas
l’accès à l’apprentissage de la psychanalyse et de sa technique.
[…]
Pour conclure, l’auteur peut, sous toutes réserves, se
demander si sa singularité de Juif, qui n’a jamais songé à dissimuler sa
judéité, n’a pas contribué à l’antipathie de l’environnement envers la
psychanalyse. Un tel argument ne s’est énoncé que rarement de vive voix. Nous
sommes hélas devenus si défiants que nous ne pouvons éviter d’envisager que ce
facteur soit totalement resté sans effet. Ce ne fut peut-être pas tout à fait
un hasard si le premier porte parole de la psychanalyse fut un Juif. Faire
reconnaître la psychanalyse exigeait d’être assurément prêt à accepter la
solitude dans l’adversité, destin qui, plus que tout autre, est familier à un
Juif.
Die Widerstände gegen die Psychoanalyse, Selbsdarstellung, Zur
Geschichte der psychoanalischen Bewegung.
De telle
sorte que de nos jours, la SPP et ses antennes, reconnues d’utilité publique, assurant
une formation théorique, technique et clinique, autrement dit thérapeutique, serait seule habilitée à
authentifier l’intitulé et la fonction du Psychanalyste,
ce qui mettrait fin aux “autorisations de soi-même” prônées par Lacan,
lesquelles permettent à tout un chacun, non professionnel, de s’auto-nommer
“psychanalyste”, en même temps que d’utiliser le nom propre de
« Psychanalyse », créé par Freud, sans aucune gêne ni considération
pour son auteur.
N. B. Demeure aléatoire le fait d’insérer la théorie psychanalytique, la
biographie de Freud, la pratique analytique, le cursus de formation des
analystes, qui nécessitent une psychanalyse personnelle préalable, dans les
programmes scolaires, universitaires généraux et médias, où l’inconscient est
évacué. Cf. à ce sujet et à titre d’exemple, Freud, Ferenczi, Bernfeld…
à suivre…