© Père Luc de Bellescize
[Aux croyants,
incroyants, agnostiques, indécis, cet hommage du Père Luc de Bellescize à
Thibault Gautier qui nous a quittés à la veille de ses 30 ans et que, selon les
générations, nous aimions comme un fils, un frère, un ami. (À paraître également dans « Familles Chrétiennes » le 10
juin 2017)]
Père Luc de Bellescize+
Hommage
à Thibault Gautier • 28 mai 1987-10 mai 2017
Pour la mort d’un ami
Je voudrais dire un mot pour la mort d’un
ami. Un mot capable d’habiter le silence sans le briser, d’entrer dans le
mystère sans épuiser sa source vive. Un mot qui indique et qui se laisse
dépasser. Un mot secret comme un balbutiement, comme le premier Alleluia surgit
des profondeurs de la nuit et retient encore l’éclatement de sa joie, comme le
« oui » des amoureux se prononce en un souffle, aux confins du mystère,
entre le rire et les larmes, la terre et le ciel, le temps et l’éternité.
Un mot chaste comme le murmure de l’eau
qui serpente dans la clairière où nous faisions nos jeux d’enfants, nos feux de
camp, insouciants des grands drames qui tissent la vie des hommes. Au matin tu
es né des entrailles de ta mère. A midi tu t’es dressé pour cultiver ta terre. Au soir la mort s’est levée et t’a
couché comme on s’endort, comme meurt le grain de blé. La vie est ainsi faite. Les
enfants ne le savent pas encore, ils ne se rendent pas compte qu’un jour est le
dernier, que vient le temps du deuil et des pleurs et des jours mauvais.
L’innocence du monde se réfugie dans le jeu des enfants quand il y a trop de
larmes au cœur brisé des hommes.
Ce mot est celui de l’ « Adieu ».
Il n’y en a pas d’autre à dire. Il est infiniment douloureux et infiniment consolant.
Les autres mots sont creux. Ils forment ce bruit vain et bruyant que fait le
monde pour tuer le silence parce qu’il ne supporte pas l’envergure de l’âme et
la grandeur de l’homme. Le monde a oublié que l’homme est né de Dieu et qu’il
s’en va vers Dieu. Les plus grands amours, les plus grands sacrifices ne
peuvent que se draper du manteau du silence, comme un voile, comme un linceul,
comme les langes d’un enfant nouveau né.
Adieu mon ami. Au soir de tes jours tout se
faisait plus simple. Quand on accompagne un homme qui meurt, la vie se réjouit
de l’essentiel. On bouge un oreiller, on s’émerveille d’une petite chose, on
serre une main devenue si fragile. On lui demande s’il n’a pas mal, s’il n’a
pas froid, s’il a bien dormi… L’amour s’incarne aux gestes les plus humbles. Et
puis nous arrivons à la frontière, on doit le laisser seul au porche du mystère,
lâcher cette main que l’on voulait garder, le laisser s’en aller. Car on meurt
toujours seul, même si l’on est très entouré.
Nous t’avons porté jusqu’au grand passage.
Et nous sommes restés là, avec nos questions, nos silences. Ou vas tu ?
« Comment pourrions nous savoir le chemin ? Nous ne savons même pas
où tu vas » (Jn 14, 5). « Je vais vers mon Père
et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17). Notre Père… Celui que nous avons tant prié près de ton lit comme un enfant
balbutie à la porte d’un trop grand mystère. Cet enfant qui dormait au profond
de notre âme, que l’on ne retrouve que par la sainteté et qui entrera le
premier dans la maison du Père.