Psychanalyse et idéologie

Père Luc de Bellescize • Pour la mort d’un ami

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L'innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Père Luc de Bellescize

[Aux croyants, incroyants, agnostiques, indécis, cet hommage du Père Luc de Bellescize à Thibault Gautier qui nous a quittés à la veille de ses 30 ans et que, selon les générations, nous aimions comme un fils, un frère, un ami. (À paraître également dans « Familles Chrétiennes » le 10 juin 2017)]

 

 

Père Luc de Bellescize+

 

Hommage à Thibault Gautier • 28 mai 1987-10 mai 2017

 

Pour la mort d’un ami

 

 

Je voudrais dire un mot pour la mort d’un ami. Un mot capable d’habiter le silence sans le briser, d’entrer dans le mystère sans épuiser sa source vive. Un mot qui indique et qui se laisse dépasser. Un mot secret comme un balbutiement, comme le premier Alleluia surgit des profondeurs de la nuit et retient encore l’éclatement de sa joie, comme le « oui » des amoureux se prononce en un souffle, aux confins du mystère, entre le rire et les larmes, la terre et le ciel, le temps et l’éternité.

Un mot chaste comme le murmure de l’eau qui serpente dans la clairière où nous faisions nos jeux d’enfants, nos feux de camp, insouciants des grands drames qui tissent la vie des hommes. Au matin tu es né des entrailles de ta mère. A midi tu t’es dressé pour cultiver ta terre.  Au soir la mort s’est levée et t’a couché comme on s’endort, comme meurt le grain de blé. La vie est ainsi faite. Les enfants ne le savent pas encore, ils ne se rendent pas compte qu’un jour est le dernier, que vient le temps du deuil et des pleurs et des jours mauvais. L’innocence du monde se réfugie dans le jeu des enfants quand il y a trop de larmes au cœur brisé des hommes.

Ce mot est celui de l’ « Adieu ». Il n’y en a pas d’autre à dire. Il est infiniment douloureux et infiniment consolant. Les autres mots sont creux. Ils forment ce bruit vain et bruyant que fait le monde pour tuer le silence parce qu’il ne supporte pas l’envergure de l’âme et la grandeur de l’homme. Le monde a oublié que l’homme est né de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu. Les plus grands amours, les plus grands sacrifices ne peuvent que se draper du manteau du silence, comme un voile, comme un linceul, comme les langes d’un enfant nouveau né.

Adieu mon ami. Au soir de tes jours tout se faisait plus simple. Quand on accompagne un homme qui meurt, la vie se réjouit de l’essentiel. On bouge un oreiller, on s’émerveille d’une petite chose, on serre une main devenue si fragile. On lui demande s’il n’a pas mal, s’il n’a pas froid, s’il a bien dormi… L’amour s’incarne aux gestes les plus humbles. Et puis nous arrivons à la frontière, on doit le laisser seul au porche du mystère, lâcher cette main que l’on voulait garder, le laisser s’en aller. Car on meurt toujours seul, même si l’on est très entouré.

Nous t’avons porté jusqu’au grand passage. Et nous sommes restés là, avec nos questions, nos silences. Ou vas tu ? « Comment pourrions nous savoir le chemin ? Nous ne savons même pas où tu vas » (Jn 14, 5). « Je vais vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17). Notre Père… Celui que nous avons tant prié près de ton lit comme un enfant balbutie à la porte d’un trop grand mystère. Cet enfant qui dormait au profond de notre âme, que l’on ne retrouve que par la sainteté et qui entrera le premier dans la maison du Père.  

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2017