© Philippe Bilger
[Puisque, dans mon dernier courrier, j’évoque la liberté d’expression - dans les limites du respect envers l’humain -, c’est-à-dire la liberté de dire ce qui fut au préalable objet de réflexion, ci-dessous, avec l’autorisation de l’auteur, un autre point de vue. W.]
Philippe Bilger
27 septembre 2015
Blog
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Les polémistes, les hommes politiques... et moi !
Qu’on se rassure : je n’ai pas la grosse tête et je ne l’ai pas prise.
Mais j’avoue qu’un thème beaucoup traité ces derniers jours m’intéresse au plus haut point et m’autorise, je l’espère, à y introduire modestement mon esprit, ma patte.
Il s’agit du rapport entre les polémistes et les hommes politiques, entre ceux-ci et les intellectuels. Le Monde se demande si les premiers ne vont pas prendre la place des seconds et Jacques Julliard, questionné par Le Figaro, déclare que les intellectuels, plus brillants que les politiques, leur dament en effet déjà le pion. Enfin, Valeurs actuelles qui a l’imagination provocatrice rend compte du livre de son rédacteur en chef sur “Zemmour président”.
Je vois bien qui sont les polémistes, qualifiés aussi souvent de réactionnaires. Eric Zemmour bien sûr, Alain Finkielkraut, Robert Ménard, Denis Tillinac, Ivan Rioufol, Eric Brunet, Gilles-William Goldnadel et, sur un autre registre, Michel Onfray. Entre autres.
Quand je lis les noms de ceux-ci dans des articles consacrés à la pensée “réactionnaire” qui ne doit surtout plus se plaindre parce qu’elle a le vent politique et médiatique en poupe, j’ai un léger pincement très médiocre, je le concède. Pourquoi n’y suis-je pas ? Dans les combats que je mène ai-je démérité, suis-je trop doux, trop critique ici, trop admiratif là ? Par quelle disgrâce, alors que je les connais tous et qu’une forte complicité m’unit à la plupart, suis-je relégué ?
Je n’exclus absolument pas deux causes dont l’une n’est guère agréable pour moi. Ancien magistrat, je suis, évidemment, structurellement étranger à ce monde qui en définitive est petit et n’apprécie pas les intrus. Surtout, peut-être suis-je clairement très inférieur à ces intelligences, à ces audaces et à ces personnalités ?
La réflexion ne me conduit pas forcément à récuser cette amère interrogation mais elle m’entraîne aussi sur trois chemins plus plausibles.
Le premier est qu’en réalité je m’affirme beaucoup moins que je ne défends et si j’attaque, c’est pour soutenir. Combien de fois, par un mouvement spontané dont je déplore qu’il ne soit pas un réflexe chez d’autres, mon premier souci est de me porter au secours, de réclamer justice, de dénoncer les faux procès. Sans doute suis-je plus à l’aise dans une attitude qui me met moins en avant qu’elle ne me place en sauveur intermittent, épisodique et toujours convaincu ?
Ce comportement crée peut-être l’impression que celui qui monte au front pour les autres n’appartient pas au même camp qu’eux et que l’altruisme est une marque de faiblesse par rapport à l’affirmation spontanée de soi. Pourtant, comme j’ai goûté moralement et intellectuellement d’accourir, en certaines circonstances, pour Finkielkraut, Ménard, Zemmour, Tillinac ou Onfray ! Un honneur plus qu’un crève-cœur !
Le deuxième me semble relever d’une approche plus fine. Je me suis rendu compte en effet que ma préoccupation fondamentale, dans l’espace intellectuel et médiatique, quel que soit le support qui m’invite ou m’inspire, est obsessionnellement de célébrer la liberté d’expression, de consacrer mon énergie, d’abord, à ce qui permet le pluralisme des idées, des propos et des écrits, à ce qui est consubstantiel à la démocratie et suscite une effervescence où la contradiction et le débat stimulent au lieu d’être étouffés par la chape de plomb de ce qui revient, somme toute, à s’accorder avec qui vous approuve. Cette volonté qui ne m’a jamais quitté de m’attacher sans cesse au pilier, au socle a pu laisser croire que j’étais indifférent à ce qu’ils allaient supporter et permettre d’édifier.
Dans la liberté d’expression, avec l’urgence des polémiques et des controverses, quand une caste médiatico-éthique nous fait payer une dîme au péage des autoroutes de la pensée, je me suis plus focalisé sur la liberté que sur la substance de l’expression. Plus sur le moyen que sur la fin.
Enfin, cet enthousiasme si naturellement accordé à mon tempérament que ce serait une mutilation que de me priver de cette liberté, comme d’en priver mes contradicteurs, a eu pour résultat de susciter une curiosité infinie pour les convictions des autres, les propos soudain projetés dans mon propre univers, de sorte qu’une affirmation figée, définitive, totalitaire m’est quasiment devenue impossible. Comme si j’étais tellement fasciné par le modus operandi, l’élaboration, les apports différents et complexes venant se mêler et s’entrechoquer que prendre le risque d’un décret sommaire ou d’une pétition péremptoire me paraîtraient le comble de l’imprudence ou de la témérité.
D’où ma détestation de la grossièreté de la forme venant apposer sa sale marque, comme une souillure indélébile, sur une expression dégradée par elle.
La globalité facile, les généralités choquantes, les règles sans leurs exceptions, les raccourcis et les conforts de l’expression paresseuse me rendent malade. J’ai beaucoup admiré le Suicide français mais ce qui m’a manqué est seulement la nuance et les précautions qui auraient apporté à ce remarquable bloc la délicatesse de fissures nécessaires.
Les polémistes, les hommes politiques... et moi ?
Ils se ressemblent en effet. Ils ne doutent pas. Ils pensent. Ils s’affirment et s’affichent.
Malgré les apparences, si je parle pour être, j’aime le doute dont autrui me fait don.
Pas grave si je ne suis pas sur la liste !