1993 - 2016
• De la pédocriminalité
2016
*** • Point de vue d’un ami
prêtre
Extraits
*** • Cette homélie n’a pas été publiée en
avril en raison de la tempête médiatique qui s’acharnait sur le cardinal Barbarin.
Dimanche 10
avril 2016
3e dim. de Pâques
Chers frères et sœurs,
Je reviens de Rome, nous étions place Saint Pierre dimanche dernier,
dimanche de la miséricorde, avec le Pape François pour la Messe. Il vient de
sortir son exhortation sur la famille, marquée non par un changement de
doctrine, évidemment impossible, mais par son souci que l’Évangile se fraye un
chemin dans tous les cœurs. Il y avait bien peu de monde, étonnant pour cette
année sainte. La crainte des attentats, sans doute, le Vatican étant une cible
privilégiée pour les fanatiques. Le saint Père a fait plusieurs fois le tour de
la place, souriant, rassurant, la main tendue vers les enfants amassés aux
barrières.
[...]
Nous avons trop tué le père, nous avons mis en accusation la
paternité, la transmission du savoir, l’honneur dû au maître. Un professeur me
racontait que lors de sa dernière inspection, l’envoyé du ministère, un de ces
pusillanimes qui n’ont qu’un pouvoir très limité mais qui l’exercent avec un despotisme
digne de Robespierre - que d’ailleurs ils admirent beaucoup - écrasé par les
poncifs postrousseauistes de l’éducation nationale,
lui avait dit ces paroles stupéfiantes remarquablement dénoncées par
François-Xavier Bellamy : « Vous n’êtes
pas là pour transmettre aux enfants ».
Mais les hommes restent toujours des enfants, ils ont soif d’apprendre,
ils ont soif d’une paternité qui les rassure, sinon ils errent comme des brebis
sans pasteur, « troupeau parqué pour les enfers » (Ps 48), esclaves médiatiques, abrutis de fausses évidences mondaines,
affamés d’une vérité qui leur restitue enfin leur liberté de penser. Nul ne
peut devenir un maître s’il ne reste un disciple, nul ne peut devenir un homme
s’il ne demeure un enfant. « Sois le berger des mes brebis » dit le Seigneur à
Pierre.
J’aime aller prier en terre sainte dans la toute petite église au bord
du lac, sur le rocher.
[...]
La barque pleine de poissons, le rocher près du lac, le feu de bois,
le pain partagé, voilà la première Église, une page d’évangile remplie de
lumière, de simplicité et de tendresse.
[...]
« Quand tu seras vieux un autre te mettra ta ceinture et te mènera là
où tu ne voudrais pas aller ».
Plus on aime, moins on s’appartient. On apprend à mourir, à renoncer à
la toute puissance de sa volonté pour la vie de ceux qu’on aime.
[...]
Ainsi, le Pape Jean-Paul II : « Je rencontre quotidiennement dans mon entourage des personnes âgées
que tu éprouves fortement : elles sont paralysées, handicapées, impotentes, d’autres
ont perdu l’usage de leurs facultés mentales. Je vois agir ces gens et je me
dis : “Si c’était moi ?”. Alors, Seigneur, aujourd’hui même, tandis que je
jouis de la possession de toutes mes facultés motrices et mentales, je t’offre
à l’avance mon acceptation à ta sainte volonté, et dès maintenant je veux que
si l’une ou l’autre de ces épreuves m’arrivait, elle puisse servir à ta gloire
et au salut des âmes. Et si, un jour, la maladie devait envahir mon cerveau et
anéantir ma lucidité, déjà, Seigneur, ma soumission est devant toi et se poursuivra
en une silencieuse adoration ».
Ce sont les paroles d’un saint qui accepte par amour d’aller là où il
n’aurait jamais voulu aller.
« Quand tu seras vieux, un autre te mettra ta ceinture… »
Je pense avec horreur au scandale des prêtres pédophiles et à la honte
qui rejaillit sur tout le corps sacerdotal pour le péché mortel de
quelques-uns. Je prie pour les enfants traumatisés par ceux qui ont abusé de la
confiance que l’on met dans les prêtres.
[...]
Je pense à l’énigme de Judas, l’un des douze, capable de trahir, comme
chacun de nous. Je pense aux larmes de Pierre. Nous portons la sainteté dans
des vases si fragiles… Gospodi pomiloi, comme le chantent sans cesse les consacrés
d’Orient dont la voix sombre jaillit des abîmes : « Seigneur prends pitié » et
les vieux moines en soutane noire et barbes blanches, les yeux tout remplis de
sagesse et d’amour murmurent la philocalie, la prière du cœur : « Jésus Christ,
Fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur ». « Le visage si sale de ton
Église nous effraie » disait le futur pape Benoît XVI lors du chemin de Croix
au Colisée, et cette parole, une fois élu : « Priez pour que je ne me dérobe
pas devant les loups ». L’Église marche entre ombres et lumière, elle chante à
genoux le « Kyrie des gueux » et mendie avec Péguy « la dernière place en votre purgatoire ».
Et pourtant, malgré tout, malgré les scandales, les pasteurs qui ont
perdu la foi, les « princes de l’Église » qui font refaire leur palais en
détournant l’argent des pauvres, malgré mes péchés et mes contradictions, [...]
je veux redire au monde, qui ne me fait pas tellement peur car j’ai une
conscience extrêmement vive que notre vie ici-bas n’est qu’un souffle et que
seul compte le jugement de Dieu, de cesser de cacher sa corruption dans un
facile bouc émissaire qui - même si la justice fait son travail avec son
entière collaboration - paye manifestement cher sa défense courageuse de la
famille l’année passée. Oui, je veux redire au monde : « Retire d’abord la
poutre qui est dans ton œil et tu verras clair » (Mt 7, 3).
Concernant le scandale de la pédophilie, il y aurait beaucoup de
choses à dire, mais la prudence m’interdit d’être trop précis et ce sont des
réalités si épouvantables d’abjection qu’elles pourraient nous faire désespérer
de l’homme... Ceci dit, seule la vérité nous réhabilite : « Si vous, vous demeurez dans ma parole à moi, vous êtes
vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous
libérera » [Jn 8, 32]. Combien d’affaires
sordides, y compris récentes, étouffées ou classées sans suite, combien de
personnes lourdement suspectes ont-elles échappé à toute accusation ?
Nous avons la mémoire bien courte. Dans les années 70-80 des journaux
réputés relayaient volontiers des appels contre la majorité sexuelle ou des
pétitions appelant à la défense de pédophiles notoires comme dans l’affaire de
Versailles du 27 janvier 1977, signée par ces « humanistes éclairés » que sont
Sartre, Simone de Beauvoir et bien d’autres qui n’ont jamais été inquiétés. Il
est bien trop facile de projeter exclusivement sur l’Église ce que le monde ne
supporte pas d’affronter en lui-même. N’est ce pas vraiment le bal des
hypocrites ?
Beaucoup – et sans doute même dans l’Église - ont échappé au
jugement des hommes à force d’agiter leurs réseaux et d’acheter le silence par
le pouvoir de l’argent roi, mais ils n’échapperont jamais au jugement suprême.
[...]
Bientôt sonne le glas ! Seule la vie éternelle étanchera enfin notre
soif de la justice. « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice » (Mt 5,
6).
[...]
« Malheur à celui qui scandalise un seul de ces petits qui sont les
miens, dit le Seigneur, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mette au cou une
de ces meules que portent les ânes et qu’on le jette à la mer » (Mt 18, 6). «
Ce que tu as fait au plus petit, c’est à moi que tu l’as fait » (Mt 25). Que
chacun balaye devant sa propre porte et prenne ses responsabilités. Ce que l’Église
a fait courageusement et dans la douleur après bien des lâchetés et des
compromissions, principalement grâce au courage du grand pape Benoît XVI, ce
que font les évêques de France dans leurs récentes dispositions, on ne peut que
souhaiter vivement que d’autres institutions le fassent à leur tour avec le
même zèle.
Non pas que je veuille défendre l’Église, je ne m’inquiète pas tant
pour elle.
[...]
Je sais que les forces du Mal ne prévaudront pas contre elle, même si
elles l’attaquent sans relâche, mais par amour de l’Église, je veux rappeler
aussi, avant tout, son immense tendresse pour tous les hommes, je veux redire
que le bien ne fait jamais de bruit, que le sacrifice de tant de chrétiens, de
prêtres, de consacrés restera caché du bouillonnement médiatique. L’honneur de
l’Église palpite dans le cœur des saints. Je veux redire le sang des martyrs,
les petites sœurs de Mère Teresa qui se penchent sur les lépreux, les moines
tout remplis de prière, la fidélité des vieux couples reclus d’épreuves, les
prêtres qui meurent oubliés après avoir tant servi, les affamés nourris, les
pauvres consolés, les prisonniers visités. Redire l’incomparable intelligence
chrétienne de l’homme, la formation de tant d’enfants, l’éducation, le beau
service de la vérité, la puissance des prophètes…
[...]
Il y avait 153 poissons dans le filet. C’était l’ensemble des pays
connus au temps du Christ.
[...]
ø
1993
Saïd Bellakhdar
Le pervers et son image
[In publication papier du numéro 17 -18 de ψ [Psi] • Le temps du non, janvier -juin 1993]
L’idée d’écrire
le présent texte m’est venue après avoir lu le livre de Patrick Meney : Les voleurs d’innocence. C’est actuellement,
à mes yeux, l’un des meilleurs ouvrages traitant la question de la violence
exercée sur des enfants (meurtres, viols, incestes etc.). Il s’agit là de
crimes encore trop fréquemment tus et pour lesquels l’opinion publique et les
médias ne s’émeuvent momentanément que lorsqu’il y a assassinat. Or, souvent,
les faits qui auraient dû donner l’alerte sont connus depuis longtemps. Ainsi
ce “fait divers” qui a suscité la stupeur à l’arrestation d’un “instituteur modèle”
abuseur de petits enfants dans le cadre même de l’école. Huit élèves ont ainsi
été violés. Avant même que l’affaire n’éclate au grand jour, cet instituteur
avait déjà été muté huit fois pour les mêmes raisons sans autre sanction. En
général, c’est l’enfant qui doit changer d’école sans que l’adulte soit, lui,
inquiété. P. Meney rapporte les propos d’un pervers :
“Quand tu es professeur, éducateur ou curé, tu es dans une position de force.”
À ces professions on pourrait aussi bien ajouter puisque cela arrive parfois,
médecins, psychothérapeutes, magistrats etc. En fait l’impunité ne vient pas
seulement de la situation sociale du pervers. Elle est due aussi au fait que
les institutions religieuses, scolaires, d’assistance, de soins, les
pensionnats, les maisons pour handicapés, les orphelinats, les colonies de
vacances attirent les pervers ; aussi bien ceux qui passent à l’acte que ceux
qui ne s’y risquent pas, mais se trouvent en position de voyeur, voire de
complice et qui, peut-être, devraient tout autant faire l’objet de poursuites
et de condamnations judiciaires. Comment expliquer autrement que des
travailleurs sociaux puissent insister auprès des autorités compétentes pour qu’un
enfant reparte chez lui le week-end alors qu’il est déjà accueilli en institution
après qu’un diagnostic pudiquement dénommé “Syndrome de Silverman”
eût été posé à l’âge de neuf mois et qui plus tard, à l’âge de quatre ans,
vient se plaindre d’être abusé par son père ? Comment expliquer encore qu’après
avoir signalé des faits analogues aux mêmes autorités, une institution renvoie
l’enfant qui lui est confié chez ses parents pour les congés hebdomadaires ?
L’idée
qu’un enfant ne rentre pas chez lui en fin de semaine semble inacceptable pour
beaucoup d’adultes. Que ce même enfant supporte l’absence de ses parents et
puisse grandir et se développer sans eux l’est apparemment encore plus. C’est
ici le principe de la famille traditionnelle avec mère idéale, protectrice
assumant parfaitement sa maternité et sa progéniture, qui est en jeu.
Le fait
que des hommes et des femmes soient dans l’impossibilité,
pendant de nombreuses années, de s’occuper et d’élever leurs enfants sans les
maltraiter et les mettre en danger de façon à hypothéquer gravement leur avenir
est encore difficilement audible. Qu’il faille mettre un terme à ce que peuvent
endurer dans de telles conditions des enfants grands ou petits, y compris,
lorsqu’il le faut, en faisant appel à une mesure de protection judiciaire, ne
constitue pas encore une évidence. Les adultes se comportent parfois dans ces
cas comme des enfants qui, dans une situation traumatique, sont en état de
sidération et ne peuvent s’opposer à des parents qui en seraient les auteurs.
Les abus commis dans les institutions par certains membres du personnel ne
dépassent qu’assez exceptionnellement les murs de celles-ci. Il arrive assez
souvent que des personnes ayant révélé de tels agissements dans les
institutions où elles travaillent se soient trouvées, par la suite, en
délicatesse et qu’elles aient fait l’objet d’une mesure de licenciement, à
moins qu’elles n’aient été contraintes de partir d’elles-mêmes. Ce phénomène
est pourtant loin d’être marginal et méconnu. Un fonctionnaire du Ministère des
Affaires Sociales cité par P. Meney affirme en effet :
“Nous savons parfaitement qu’un certain nombre de directeurs d’institutions ont
eu de sérieux problèmes avec des enfants. L’un d’eux en particulier a été mêlé
à des faits extrêmement graves. C’est un pédophile récidiviste invétéré. Mais
il est toujours en place. Il dirige un établissement important dans la région
de P...”. À cela s’ajoutent les divers réseaux, parfois très bien protégés par
des notables, des intellectuels, voire des personnalités importantes du monde
politique. Ces réseaux disposent d’officines, de revues, d’associations ayant
pignon sur rue et se permettent même d’adresser au Président de la République
des pétitions demandant la légalisation de la pédophilie comme mode de
prophylaxie des crimes sexuels contre les enfants !
Selon l’Observatoire
National de l’Action Sociale, en 1991, il y a eu 30 000 signalements
judiciaires d’enfants en danger, dont 22 000 enfants victimes de carences
diverses et 8 500 victimes d’abus sexuels ; 300 meurent des violences subies -
les associations pensent que ce chiffre sous-estime largement la réalité. Mais
tout cela ne concerne cependant que ce qui est signalé aux autorités
judiciaires. Selon l’hebdomadaire TÉmoignage ChrÉtien du
19 Septembre 1992, une femme sur dix et un homme sur huit auraient subi un abus
sexuel ; dans 40% des cas l’agresseur est le père et dans 3% la mère.
Les dégâts
causés par les maltraitances diverses et les abus sexuels sont pourtant connus
depuis fort longtemps. Benoîte Groult écrivait il y a une dizaine d’années dans
sa préface au roman autobiographique de Jeanne Cordelier que trois prostituées sur quatre avaient été abusées dans leur enfance dans ou
hors de leur famille d’origine. Jeanne Cordelier y parle aussi du cas, assez
fréquent somme toute, d’une personne ayant subi de tels actes dans les familles
d’accueil de la DASS où elle avait été placée pour
être “protégée” selon l’expression courante. Le résultat fut qu’on en fit une
prostituée !
La
prostitution ne concerne pas uniquement les femmes. L’enfant abusé reçoit de
telles pressions de son abuseur qu’il a bien du mal à se défaire de ces liens.
Le chef de famille, pater familias souvent alcoolique, exerce parfois une
véritable dictature par la violence et la menace aussi bien contre l’enfant que
contre la mère de celui-ci. Mais beaucoup utilisent tout simplement la
séduction : quelques piécettes de monnaie et très généralement les éternelles
gâteries (ce qui confère à cette pratique le caractère d’une école de
prostitution) ; mais dans l’une et l’autre situations, qui peuvent par ailleurs
alterner, les effets en sont toujours destructeurs.
En 1932, Sandòr Ferenczi, à la suite d’Anna
Freud, insistait sur l’importance du mécanisme d’identification à l’agresseur.
“Si l’enfant se remet d’une telle agression, il en ressent une énorme confusion
: à vrai dire, il est déjà clivé, à la fois innocent et coupable, et sa
confiance dans le témoignage de ses propres sens est brisée (...). La
personnalité encore faiblement développée réagit au brusque déplaisir non par
la défense, mais par l’identification anxieuse et l’introjection de celui qui
la menace ou l’agresse”. Sandòr Ferenczi précise
également dans son Journal Clinique : “Pas de fixation par le
plaisir, mais fixation par la peur. Hommes et femmes vont me tuer si je ne l’aime
pas (si je ne m’identifie pas à ses désirs)”. Plus loin, il ajoute : “Il faut
connaître exactement l’adversaire dangereux, suivre chacun de ses mouvements
pour pouvoir s’en protéger”.
De nos
jours, le mécanisme de l’identification à l’agresseur est repris dans le
domaine de la psychiatrie sous le nom de “Syndrome de Stokholm”
pour désigner les relations très particulières que peuvent entretenir avec
leurs geôliers des prisonniers arbitrairement détenus ou des otages avec leurs
ravisseurs. Sandòr Ferenczi s’est beaucoup intéressé
aux problèmes que j’évoque ici. Il décrit dans son Journal Clinique les
symptômes dont souffrent les filles abusées par leur père - “Caractère entêté,
incapacité à mener à terme des études quelles qu’elles soient”. L’intimidation
qu’elles subissent de la part du père pour garder un silence garant de la
cohésion familiale, l’attitude ambiguë de certaines mères qui parfois désavouent
leurs filles lorsque celles-ci viennent se plaindre à elles. Qu’en est-il donc
de ces mères qui ne “protègent” pas leurs propres enfants et qui, vivant dans
de petits studios, disent n’avoir rien vu et rien entendu ? Ferenczi ne se
prononce pas. Sans doute ces femmes préfèrent-elles que l’homme reste à la
maison plutôt qu’aller courir
dehors. Elles-mêmes sont souvent immatures avec une enfance désastreuse. Dans l’impossibilité
de réagir, elles apparaissent comme si elles aussi étaient dans un état de
sidération et de peur.
Les
situations d’enfants abusés sexuellement dont j’ai eu à m’occuper dans le cadre
de mon travail m’ont enseigné que la plupart du temps la mère savait ce qui se
passait entre son conjoint et sa fille, mais se trouvait elle-même vis à vis de
son compagnon comme une petite fille exclue de la chambre à coucher. Dans ces
cas là elles agissent presque toutes de la même manière : elles vont faire la
vaisselle ou s’activent pour ne plus penser à rien. Celles qui en viennent
enfin à dénoncer les agissements du père, c’est le plus souvent que celui-ci
est allé beaucoup trop loin et que sa responsabilité pourrait être en cause
(grossesse de l’enfant par exemple). Dans La confusion des langues
entre les adultes et les enfants, Ferenczi précise les conséquences de tels actes sur les enfants : angoisse de
mort, effets de fixation, régression “vers une béatitude prétraumatique qui cherche à le rendre [le trauma] non advenu”. C’est dans ce texte qu’il
développe son apport le plus original sur la question, le concept de
fragmentation.
Les
conséquences sont encore plus graves dans les cas où la séduction est très
précoce et commence dès la petite enfance, contrairement à ce qui a pu se
passer pour Violette Nozière qui, comme nous le
verrons plus loin, a pu vivre normalement après s’être débarrassée de son
“père” et après avoir purgé sa peine de prison. Il arrive en effet que ces
petites filles restent handicapées à vie par des problèmes de troubles du
comportement et d’adaptation, sans aucun apprentissage à l’école, parfois
boulimiques et manquant d’autonomie, présentées souvent comme “débiles”, ces
enfants sont aussi incapables de tenir un raisonnement cohérent. Ce qui, par
ailleurs, facilite la possibilité pour l’abuseur de réfuter les accusations que
l’enfant pourrait porter contre lui.
Au delà
de l’exposé d’une situation dramatique et de la dénonciation de l’ampleur des
problèmes de maltraitance, c’est la complicité voire la duplicité avec les
abuseurs qui pose problème. Pourtant, à ce jour, personne n’a découvert de
remèdes miracles contre ce genre de perversion. Pour H. Giraud : “Le pervers sexuel est incurable,
il récidive toujours. Pour lui, il n’y a pas de réinsertion, ni remède, ni
miracle”. Ou encore comme le dit un patient rencontré au Canada par P. Meney : “La pédophilie ne se guérit pas, mais elle se
soigne. C’est un peu comme l’alcoolisme, on finit par la contrôler”.
En
France l’illusion thérapeutique est encore tenace. En témoigne l’histoire de
Christian V. G. Il s’agit d’un multirécidiviste qui avait, comme beaucoup de
pervers sexuels, organisé sa vie autour de la possibilité de mettre en acte ses
obsessions : enlèvements et viols de fillettes. “Un homme, apparemment bien
adapté, intelligent”, selon la presse. Un jour, il fut arrêté. À Orléans où il
a été “soigné”, il s’était montré courtois et coopératif. On avait pensé qu’il
pouvait être débarrassé de sa “maladie”. Il est jugé et condamné à quatre ans d’emprisonnement
dont trente mois avec sursis. La peine est assortie de cinq mois de mise à l’épreuve
avec obligation de se soigner. Il est libéré en décembre 1984 après avoir passé
quatorze mois en prison et continue d’être suivi pendant la période probatoire.
D’après
Agathe Logeart, journaliste au journal Le
Monde, on citera encore
quelques années durant “l’exemple de ce cadre exemplaire qui a su se guérir de
sa pédophilie sans rechuter”. Cela durera jusqu’au jour où, en 1990, le
personnage est à nouveau arrêté et condamné à deux mois de prison avec sursis
pour exhibitionnisme. Puis, en octobre 1991, c’est l’assassinat de deux
fillettes.
Le
pervers fascine. Il fascine d’autant plus qu’il appartient ou donne l’impression
d’appartenir à un milieu honorable. Pour lui plus qu’un autre “l’habit fait le
moine”. Il accomplira d’autant mieux son acte si dans l’environnement
institutionnel de l’enfant des gens sont prêts à se laisser mystifier, à ne
rien voir et à laisser faire. C’est avec l’habit de l’honorabilité qu’il attire
ses victimes. Certains policiers, comme ceux qui ont arrêté Christian V. G. le
savent puisque l’un d’eux disait avoir mené l’interrogatoire après l’arrestation
en s’efforçant de ne jamais regarder le prévenu dans les yeux afin justement de
n’être pas saisi par le doute et de ne pas risquer de tomber sous le coup de la
fascination. Le pervers est tout à fait capable de se marier - avec une femme
dont il n’a que faire - d’avoir des enfants, de paraître être un bon père de
famille, d’occuper un emploi tout à fait respectable
et qui lui confère un statut social enviable. Mais ses pensées sont en fait
constamment occupées par les mêmes choses : comment mettre en acte ce qui l’obsède
et ce qui le tourmente - ce que le névrosé ne fait
pas, il en parle.
Les
psychiatres et les psychologues canadiens par contre sont beaucoup plus
méfiants quant à la “guérison” des abuseurs. La prise en charge thérapeutique
de ces derniers commence avant même le procès et se poursuit au sein de la
prison-hôpital si le “malade” est jugé suffisamment capable d’admettre ses
problèmes. Il est ensuite suivi “à vie” après sa sortie de prison pour prévenir
la récidive. “Chez vous”, constate le Dr Aubut au sujet d’un pervers qui ne
fait pas mystère de ses compulsions meurtrières envers des enfants, “ce type-là
serait complètement livré à lui-même. Sa peine purgée, il ruminerait toujours
dans sa tête ses projets de viols et de meurtres. Et il finirait par récidiver.
Mais la société aurait bonne conscience, car il aurait payé sa dette”. Je ne
dirai que quelques mots sur ces thérapeutiques au Canada. Elles agissent sur le
comportement : apprentissage de la vie sociale, relaxation, recherches visant à
la compréhension de la crainte des femmes et des difficultés rencontrées avec
les adultes, thérapies aversives etc., l’ensemble ne visant qu’à empêcher tout
nouveau passage à l’acte. La recherche d’éviter la récidive est constante,
tournée d’abord vers la prévention des risques encourus par les enfants.
Il a
fallu en France toute la détermination et l’obstination de militantes pour
faire reconnaître la gravité du viol contre une femme aux yeux de la justice et
de la police et que les ricanements baissent d’un ton
dans ces institutions quand elles reçoivent des plaignantes. Il en faudra
encore beaucoup pour que la législation applique la prescription en faveur de
la majorité des victimes de viols incestueux (Loi du 10 Juillet 1989). Car
aujourd’hui encore, et malgré la législation, les personnels médico-socio hésitent à signaler aux autorités
“administratives et judiciaires” des cas de maltraitance sur des enfants
mineurs et ce faisant avalisent ces pratiques. Les causes de cette inertie sont
multiples. La plus communément entendue et reprise est que les enfants
fabulent, argument des plus anciens que le très médiéval Marquis de Sade
utilisait déjà contre l’un de ses accusateurs : “(...) mais cet enfant était
domestique : ainsi à titre d’enfant et de domestique, il ne peut être cru”. L’argument avait aussi été utilisé à l’encontre
de Violette Nozière par les magistrats qui avaient eu
à la juger pour parricide. Son biographe, qui fait dans l’antienne
: « Violette Nozière, ses amours, ses crimes, son
expiation, son rachat » nous apprend que celle-ci à douze ans avait été malade,
“des maux de ventre”, une appendicite, des problèmes de santé qui l’ont amenée
à souvent redoubler la classe et à aller se reposer à la campagne chez sa
grand-mère. Violette, auparavant très bonne élève, faisait des “fugues”,
séchait la classe, “mentait”, avait eu des relations sexuelles trop précoces.
Autant de faits qui ressemblent fort à certaines descriptions de cas relevées
dans le Journal clinique de Ferenczi. Parlant de son père, Violette avait confié à des amis, “il oublie
parfois que je suis sa fille”. Alors un jour d’août 1933 comme l’a écrit Paul
Eluard,
Violette
a rêvé de défaire
A
défait
L’affreux
nœud de serpents des liens du sang.
Malgré
ses déclarations lors de l’instruction à la justice, elle fut condamnée à mort,
puis grâciée car les femmes n’étaient plus exécutées
en 1934. Pourtant le commissaire de police qui l’avait arrêtée avait noté les
choses ainsi : “Elle me raconta comment un jour son père avait odieusement
abusé d’elle, pendant un voyage de sa mère. Quand celle-ci fut de retour, elle
n’avait rien osé lui avouer, par peur. Et, docilement pendant des années, elle
s’était prêtée à l’odieux caprice de l’homme pour qui elle n’éprouvait plus que
de la haine et du mépris. Mais un jour elle avait fait la connaissance de
quelqu’un qu’elle avait tout de suite aimé avec passion. Bien sûr elle menait
une vie qui n’était pas exemplaire mais c’était son rachat, cet amour
merveilleux. Alors, elle avait essayé de se refuser à son père. Hélas... Seule sa mort pouvait me délivrer de lui,
conclut-elle d’une voix lasse, et c’est
ainsi qu’est née, peu à peu, l’idée de me débarrasser de lui à jamais, de l’empoisonner”.
Le “psychiatre-expert” chargé d’“examiner” Violette était le Dr Truelle,
celui-là même qui avait été commis pour les sœurs Papin et d’autres “cas” célébrissimes.
Une
fillette de quatre ans exprimait ainsi ce sentiment de violence et de souhait
de mort contre son père en demandant : “Quand je serais grande est-ce que mon
père mourra ?”. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce qu’une fillette déclare
plutôt que quand sa mère mourra,
elle épousera son père. Éva Thomas confirme dans son livre Le sang des mots la
très grande fréquence de ces souhaits de mort chez des femmes ayant eu a subir de semblables choses.
Aujourd’hui,
l’argumentaire pour refuser d’entendre les enfants s’est modernisé et utilise
un vocabulaire pseudo-freudien qui prétend faire valoir la suprématie du
fantasme dans de telles affaires, puisque Freud lui-même aurait abandonné l’idée
que les traumatismes précoces, relatés par ses patientes hystériques et subis
dans leur enfance, aient eu une quelconque réalité. On s’est jeté - pour quel
bénéfice ? - sur ces seuls propos
que Freud adressa à Fliess le 21 septembre 1897 : “Le grand secret qui au cours
de ces derniers mois s’est lentement imposé à moi : je ne crois plus à ma
neurotica” ! Peut-on tirer de cela et de la théorisation par Freud de la
sexualité infantile organisée à l’image du mythe d’Œdipe, qu’il ignorerait
désormais qu’il existât des criminels de par le monde ? Certes, il estimait que
la théorie de la séduction ne suffisait pas à elle seule à expliquer l’étiologie
des névroses. Mais constamment il réaffirmera l’existence de la séduction précoce
(Cf. les notes de la réédition de 1924 des Études sur l’hystérie).
En 1916, il précise : “Ne croyez d’ailleurs pas que l’abus sexuel commis sur
des enfants par des parents masculins les plus proches soit un fait appartenant
entièrement au domaine de la fantaisie. La plupart des analystes auront eu à
traiter des cas où cet abus a réellement existé et a pu être établi d’une
manière indiscutable, seulement cet abus avait eu lieu à une époque beaucoup
plus tardive que celle à laquelle l’enfant le situe”. En 1937 dans Constructions
en analyse il distingue de façon tout à fait claire ce qui peut
ressortir au fantasme ou à la “vérité historique”. Ferenczi dans La
confusion des langues entre les adultes et les enfants rappelle dans un
ultime texte : “On ne pourra jamais assez insister sur l’importance du
traumatisme et en particulier du traumatisme sexuel comme facteur pathogène.
Même des enfants appartenant à des familles honorables et de tradition
puritaine sont, plus souvent qu’on n’osait le penser, les victimes de violences
et de viols. Ce sont, soit les parents eux-mêmes qui cherchent un substitut à
leurs insatisfactions de cette façon pathologique, soit des personnes de
confiance, membre de la même famille (oncles, tantes, grand-parents),
les précepteurs ou le personnel domestique qui abusent de l’ignorance et de l’innocence
des enfants”. Peut-être faut-il préciser ici que ces familles “honorables” se
débrouillent beaucoup mieux que les autres pour garder leurs secrets. Freud
confiait dans Ma vie et
la psychanalyse qu’après la guerre de 14-18 la psychanalyse avait connu une période de reconnaissance justement en raison de
ce que celle-ci pouvait apporter pour les victimes de névroses traumatiques.
Mais il est vrai qu’il s’agissait dans ce cas de traumas liés à la guerre et à
l’angoisse de mort qui pouvait en résulter chez des soldats. Les traumas liés à
“l’éducation” des enfants par des pervers n’avaient visiblement pas encore
droit de cité !
Il
arrive, malgré la connaissance que nous avons aujourd’hui des conséquences de
la maltraitance, que l’on affiche, au contraire, l’idée selon laquelle cela n’est
fait que pour le bien et l’intérêt de l’enfant et qu’il n’y a rien de
particulièrement répréhensible derrière certaines invitations. Mais c’est aussi
l’un des traits du pervers que de dire, à bout d’autres arguments, que c’est l’enfant
qui l’a provoqué. Un homme d’une quarantaine d’années déclarait, parlant d’un
enfant dont il avait abusé, avoir été entraîné de force “par ce jeune homme de
quatre ans”. Une certaine presse reprend aussi ce genre d’âneries à son compte. Libération du 7 mai 1978 publie en
gros titre : “Et si les enfants désiraient être volés ?”. De tels propos
pouvaient s’écrire alors qu’un assassin d’enfant allait être jugé à Troyes. Je
cite ce texte en tant qu’il est un condensé d’inepties tenues sur les enfants
présentés là successivement comme objet de jouissance ou comme objet de
répulsion par un certains adultes. Un intellectuel y écrit : “Le rapt pour
nous, ce n’est pas la fugue. Ce n’est pas simplement la fuite, hors des
emprisonnements, c’est beaucoup plus : c’est la valeur positive du rapt en tant
que correspondance de désir entre le rapteur et le rapté, et vers quelque chose de très précis.” Il ajoute
plus loin : “L’enfant est un parasite, quelque chose qui se pose là, qui se
rapproche plus de la mandragore”. Et encore : “Un bébé est un parasite beaucoup
plus compliqué que les autres” ; enfin pour l’un de ces penseurs convoqués à
débattre, c’est la faute à la publicité si les enfants sont raptés et, pontifiant, il écrit : “Nous on dit : voilà la manière de les avoir les
enfants. Enlevez-les. Faites l’amour avec”. Un autre reste “nostalgique d’une
forme de possibilité historique réelle de vagabondage rapteuse qui s’est bloquée à un moment donné”. Laissons-là ces puissants raisonnements
pour rappeler que dans des temps, somme toute assez proches, de “vagabondage”
et peut-être même d’errance, la responsabilité des enlèvements et des meurtres
d’enfants n’était pas mise sur le dos de n’importe qui et que cela servait
aussi de prétextes à de sinistres pogroms. L’un des fondateurs de la
schizo-analyse prétend que l’abandon “c’est peut-être un véritable amour”. Il
avait déjà affirmé quelque mois plus tôt dans le même journal au sujet de la
même affaire que l’assassinat commis par un homme normal (sic) sur l’enfant “ne menace pas l’ordre public mais l’ordre
mental des gens”. Aucune place ici à la compassion pour la victime ou pour ses
parents. Alors qu’il s’agit bien d’un acte irréparable. Jamais à travers cet
article de presse, comme d’ailleurs à travers les déclarations de pervers en
général, nous ne trouvons la moindre trace d’un réel intérêt pour l’enfant et
pour ce qu’il a dû subir. “L’amour” n’est ici qu’une argutie de plus pour
légitimer leurs actes et dès lors que ceux-ci ne peuvent être assouvis l’enfant
devient ce “monstre” gênant, cette “mandragore”.
La
fascination pour l’œuvre de Sade se nourrit aussi des retournements de
situations qu’opère le pervers et du peu d’intérêt pour ce qu’ont pu subir ceux
ou celles qui tombèrent entre ses mains. Son œuvre, comme celle de Céline, est
publiée et abondamment commentée depuis la dernière guerre mondiale comme si
depuis lors notre humanité en avait vu bien d’autres. Avec Lacan, le Marquis
“pour quelques badinages, a encouru en connaissance de cause (voir ce qu’il
fait de ses « sorties », licites ou non) d’être embastillé durant le tiers de
sa vie, badinages un peu appliqués sans doute, (...) - Treize ans de Charenton
pour Sade, sont en effet de ce pas - Mais ce n’était pas sa place - Tout est
là. C’est ce même pas qui l’y mène. Car pour sa place, tout ce qui pense est d’accord
là-dessus, elle est ailleurs. Mais voilà : ceux qui pensent bien, pensent qu’elle
était dehors, et les bien-pensants depuis Royer-Collard qui le réclama à l’époque,
la voyait au bagne, voire sur l’échafaud. C’est justement ce en quoi Pinel est
un moment de la pensée. Bon gré mal
gré, il cautionne l’abattement qu’à droite et à gauche, la pensée fait subir
aux libertés que la Révolution vient de promulguer, de ce que ce soit nom de
liberté.”. Mais en vérité, a-t-on incarcéré Sade en raison seulement de
“quelques badinages”, comme l’écrit Lacan ? Termes que les dictionnaires
définissent ainsi : “enjouement dans le style”. Ou était-ce en raison de l’usage
qu’il pouvait faire d’une badine que les mêmes dictionnaires définissent de la
sorte : “baguette ou canne en bois flexible” ? En fait, à y regarder de plus
près, Sade n’a pas attendu la Révolution pour “badiner” d’une manière que les
autorités de son temps n’appréciaient guère. Il a été mis en prison car accusé par des enfants
et par des domestiques d’avoir commis à leur endroit d’innommables violences.
Il a aussi eu des ennuis avec la justice quand des prostituées se sont trouvées
très gravement malades après qu’il les eut invitées à manger certaines
“dragées”. De surcroît, il eut à faire avec la justice pour séquestration, viol
et menaces de mort contre une mendiante en 1768. En fait, cette vie tumultueuse
avait valu à son auteur dès l’âge de vingt trois ans, en 1763, de très sérieux
problèmes avec cette même justice, tout du moins pour ce que nous en savons d’après
les archives qui ont pu être conservées et non soustraites à la curiosité de
ses contemporains par la noble famille de Sade et ses alliés. Il sera arrêté à
nouveau et pour longtemps cette fois-ci en 1777, à trente-sept ans. Il allait
bientôt commencer la carrière littéraire que nous lui connaissons. La
Révolution allait démarrer douze ans plus tard. Sade avait souvent pu échapper
à la justice commune en tant que noble (sa mère était la cousine du Grand
Condé) et les écarts d’un personnage de ce rang relevaient des décisions du
Roi, de son ministre, et du responsable de la police des mœurs de l’époque qui,
lui, et il n’était pas le seul, admettait que Sade puisse même être capable de
meurtres. Peut-être faut-il
reconnaître que les hommes de ce temps, qu’ils fussent monarchistes ou
républicains, savaient ce qu’était un pervers. Aujourd’hui, et pour notre
temps, seul un artiste comme Pasolini a su nous révéler, dans Salô ou les 120 journées de
Sodome, la vérité de l’œuvre de Sade.
Alors qu’est-ce
qu’un pervers ou plus précisément qu’est-ce qu’une perversion chez des gens qui
passent à l’acte de la manière dont il a été jusqu’ici question ? Pour Freud
dès 1905, in Les Trois Essais..., la sexualité perverse
serait une sexualité de caractère infantile qui se maintiendrait à l’âge
adulte. Elle résulterait d’une fixation à un stade particulier du développement
émotionnel. Les concepts de fixation et de régression jouent ici un rôle
essentiel et l’enfant n’a pas subi de castration symboligène de ses pulsions. Dans les cas d’inceste ou de pédophilie, on découvre très
souvent que les problèmes se répètent d’une génération à l’autre. Dans l’exemple
de Violette Nozière, le grand-père paternel de la
jeune femme avait, selon son biographe déjà cité, une liaison très suivie, au
su et au vu de tous, avec une de ses belles-filles. Dans les cas de pédophilie,
très souvent, l’auteur est fils de pédophile et a été lui-même initié très
jeune. Sade fait une allusion à ce genre d’initiation alors qu’il était
scolarisé chez les jésuites et son père semble avoir été un “libertin”,
cautionnant une sentence populaire : “L’exemple vient de loin”. Peut-être
a-t-il fallu, dans le cas de Violette Nozière, le
meurtre réel du père pour arrêter cette répétition intergénérationnelle de l’agir
incestueux. Lorsque Violette dit à ses juges qu’elle voulait tuer son père mais
qu’elle n’a pas voulu tuer sa mère, il est vraisemblable qu’elle aurait voulu
punir celle-ci également, mais d’une moindre façon, pour n’avoir pas su ou pas
pu la défendre et la protéger. S’il n’est pas toujours possible d’établir que l’inceste
ou la pédophilie ont été initiés par une personne de la génération qui précède,
celle-ci, par contre, ne cache pas toujours son admiration devant l’acte
commis. Un homme dont le fils est actuellement emprisonné pour une longue
peine, répondait à une journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait de ce qu’avait
fait son fils : “Au moins, lui, il a osé aller jusqu’au bout !”. Dans ces cas,
comme dans le cas de certains crimes xénophobes commis par de jeunes gens, l’acte
délictueux est réalisé pour l’autre génération.
L’amour
de soi que Sadger qualifiait de narcissisme est une
étape que Ferenczi situe “après le stade de l’autoérotisme pervers polymorphe et avant le choix proprement dit d’un objet d’amour
dans le monde extérieur”. Parcours bien compliqué pour un “petit d’homme” à
moins qu’il ne soit aidé dans cette épreuve par des adultes qui n’ont pas été
eux-mêmes en grande difficulté à ce moment-là de leur propre enfance. Pour
illustrer mon propos j’évoquerai simplement l’exemple de ce personnage d’un
roman de Giono qui, compatissant à la vue d’un homme très petit et bossu, lui demanda
si son enfance n’avait pas été trop dure, se vit répondre que chez lui ce n’était
pas comme dans les riches demeures où il y a de grands miroirs et des armoires
à glace, chez lui on ne s’y voyait que dans les yeux de sa mère.
Freud
qui sur ces questions avait de l’avance écrit qu’un jour, dans son wagon-lit
“un monsieur d’un certain âge en robe de chambre, le bonnet de voyage sur la
tête entra chez moi. Je supposai qu’il s’était trompé de direction en quittant
le cabinet qui se trouvait entre deux compartiments et qu’il était entré dans
le mien par erreur ; je me levai précipitamment pour le détromper, mais m’aperçus
bientôt abasourdi, que l’intrus était ma propre image renvoyée par le miroir de
la porte intermédiaire. Je sais encore que cette apparition m’avait
foncièrement déplu. Au lieu donc de nous effrayer de notre double, nous ne l’avions tout simplement, Mach et moi, pas reconnu. Mais le
déplaisir que nous y trouvions n’était-il pas tout de même un reste de cette réaction
archaïque qui ressent le double comme figure étrangement inquiétante ?”. Cette
citation un peu longue, si elle vaut beaucoup pour les notations
“ethnographiques” comme le “bonnet de voyage” ou sur l’idée qu’un homme qui se
trompe de porte dans un train sort nécessairement des cabinets, vaut surtout, à
mes yeux, pour la question du miroir, du double et de l’image de soi.
Sur ce plan de l’image de soi Clérambault
alla, tout attifé d’étoffes et pistolet en main, dans les derniers instants de
sa vie, jusqu’au miroir devant lequel il mit fin à ses jours. Nous ne saurons
jamais si pour lui l’image de soi était tant insupportable, s’il tira comme par
défi pensant survivre à son geste, “pour de rire” comme disent les enfants, à
moins que ce ne soit pour se voir mourir. Cet exemple montre l’ineffable et
complexe rapport à soi du pervers.
Dans la
France rurale d’avant-guerre, H. Wallon, lui, a vu dans le miroir un très jeune
enfant jubilant et entouré de quelques animaux de ferme. J. Lacan, regardant
par dessus son épaule, n’y a vu que le très jeune enfant, les animaux avaient
disparu.
Je ne
reprendrai pas ici tout ce qui a été écrit sur la question du miroir, je dirai
simplement que c’est le moment - sans être pour autant à proprement parler un
stade - d’une voie d’accès du sujet à son narcissisme et qui permet et recouvre
le champ de la castration anale et de la castration primaire donc de la
reconnaissance de la différence des sexes, qui vient après l’intégration par l’enfant
de la loi de l’interdit de l’inceste et des lois éthiques et humaines sur
lesquelles il fonde et appuie sa sociabilisation comme l’interdiction du vandalisme, du meurtre, du viol, etc. Si le respect du
sujet et sa valorisation dans son appartenance sexuelle ne sont pas assurés et
si, comme l’écrit Phyllis Grenacre,
l’image de son sexe et celle de son visage aperçues dans le miroir ne lui sont
pas verbalisées comme faisant partie de son propre corps, l’enfant ne peut s’engager
vraiment dans la voie de l’Œdipe, ni le résoudre de façon satisfaisante. C’est
lors du remaniement de l’organisation psychique à la puberté que se réveille à
nouveau l’angoisse liée au complexe de castration. C’est aussi souvent à cette
période-là que commencent, chez les pervers, les premières difficultés et les premiers
passages à l’acte, communément appelés séduction, habituellement sur de jeunes
enfants. Peut-être faut-il rappeler ici que le Carnaval, dans les pays où il en
existe vraiment, permet, par ses déguisements, ses masques et ses parures à des
adultes et à des jeunes de rejouer et mettre en scène par le simulacre ou la
mascarade certaines de leurs tendances et pulsions mal castrées ; mais c’est
toujours La Mort qui y mène le bal.
Les bons
auteurs, depuis Freud, ont confirmé que la question de la différence des sexes
est une problématique primordiale chez le pervers. Tirésias avait essayé de la
résoudre à sa façon. Selon la légende il aurait vu Athéna dans le plus simple
appareil. Celle-ci l’aurait frappé de cécité, mais sa mère intervint en sa
faveur et, tout en demeurant aveugle, il fut doté du pouvoir de double vue.
Selon l’autre tradition, c’est en s’interposant alors qu’il voyait s’accoupler
deux serpents qu’il avait été changé en femme ; sept ans plus tard, il avait
assisté à une scène identique et s’étant manifesté de la même manière, il fut
cette fois transformé en homme. Quelques temps après, il fut appelé par Zeus et
Héra qui se disputaient sur le degré de plaisir qu’un homme et une femme
peuvent atteindre respectivement en faisant l’amour. Tirésias, ayant connu les
deux formes de jouissance, était censé savoir la réponse. Tirésias qui à
certaines occasions était surnommé “l’homme aux mamelles”, aurait pu tout aussi
bien être surnommé “la femme au pénis”.
Le déni
de l’absence de pénis chez la mère est lié à l’angoisse de castration chez le
jeune garçon qui alors met tout en œuvre pour le faire exister : par un geste
chez l’exhibitionniste ou par un objet fétiche servant en quelque sorte de
trait d’union entre l’acceptation et le déni. Là, dans le déni, contrairement à
la psychose, une reconnaissance antérieure de l’objet a été possible. Le déni
porte sur un manque, il ne procède pas d’un refoulement comme chez le névrosé.
Le déni permet en fait de maîtriser l’angoisse suscitée par le pénis manquant et
renvoyant à l’idée d’une castration réelle. Chez le psychotique Freud écrit, au
sujet du président Schreiber : “Il n’était pas exact de dire que la perception
qui était supprimée à l’intérieur était projetée au dehors ; la vérité est
plutôt que ce qui a été aboli à l’intérieur revient du dehors”. Il s’agit d’autre
chose chez le pervers pour lequel l’épreuve de réalité, processus par lequel le
sujet distingue les stimuli internes et externes, peut avoir été entravée
différemment par un trauma - abusé sexuellement lui-même, par exemple. L’essai
de maîtriser l’objet est de le maintenir à l’extérieur dans une construction
scénique où il est le principal acteur et metteur en scène et dans laquelle il
risque quelque chose de son corps et de sa vie.
Le déni
coexiste avec son contraire de par le clivage du Moi, ce qui se traduit parfois
par un véritable dédoublement de la personnalité : le sadique peut être un bon
citoyen, un exhibitionniste, un pédophile “excellent époux” dit-on, à moins qu’il
ne soit un bon “père” mariste. Le clivage lui permet ainsi de maintenir le
manque, de s’en rendre maître ainsi que de la réalité déniée. Contrairement à
Tirésias qui successivement est homme puis devient femme et possède puis ne
possède pas de pénis, le pervers veut et ne veut pas le voir dans le même
temps.
Le
pervers cherche toujours des moyens de séduction lui garantissant l’illusion qu’il
a obtenu le consentement de sa victime afin de s’en tirer à bon compte avec sa
culpabilité. Il cherche aussi d’une façon ou d’une autre à obtenir l’accord des
responsables légaux de l’enfant pour les mêmes raisons. Ainsi, dans une
institution d’enfants dont les parents se trouvent en grandes difficultés
sociales, un psychologue qui se livrait à d’étranges pratiques avec les
enfants, réussit à acquérir le soutien du responsable de l’institution et d’une
grande partie du personnel en déclarant “qu’il travaillait l’image”. Pour cela
il emmenait au cinéma des fillettes de huit à neuf ans, - de préférence aux
cheveux courts “à la garçonne”, ou bien les invitait à faire les magasins avec
lui. En fait de magasins, lui qui “travaillait l’image” leur donnait
rendez-vous en un lieu connu pour être fréquenté par des travestis et des
prostituées. De là ils partaient ensemble se promener le long des boutiques qui
dans ce quartier étaient occupées par des cabarets de spectacles
pornographiques, des sex-shops et peep-show. C’est devant ces magasins que cet
homme “travaillait l’image” avec la permission des responsables et le silence
des enfants qu’il achetait en leur offrant des cadeaux, hypothéquant leur
malaise inconscient. Il était même intervenu pour que l’une de ces enfants soit
différemment vêtue selon ses goûts à lui. Soupçonné malgré tout de pédophilie
par quelques personnes, ce qui lui fut signifié, alors pris de panique, il fit
un accident de voiture puis à plusieurs reprises des chutes dans les escaliers
de l’institution. Il ne fut pourtant jamais vraiment inquiété par la Direction
malgré l’insistance des parents. Cependant, la mère de l’une de ces fillettes rapta tout simplement sa fille. Cet acte provoqua chez cet
homme un court accès de dépression suivi par un violent accès de rage avec vœux
de mort publiquement exprimés contre cette mère qui, tout compte fait, avait eu
la seule attitude sensée dans ce genre d’affaire, en fonction des moyens dont
elle disposait. Cet exemple montre à quel point le symptôme était utile à cet
homme et combien il lui permettait de se “tenir”.
En ce
qui concerne Sade, la prison l’a obligé à contenir ses impulsions et après une
réaction de caractère paranoïaque au début de son incarcération, lui a permis
de “sublimer” ses tendances par l’écriture de romans dits “libertins”.
Un autre
qui raptait des petites filles, les ligotait, les
violait puis les tuait, déclarait après son arrestation que tout cela était de
la faute de sa mère car lorsqu’il était petit, il lui disait : “Oh ! La belle
petite fille !”. Et sa mère ne réagissait pas. Il est fort probable qu’il
verbalisait ainsi une image-écran où la petite fille, c’était lui-même. Dans ce
cas comme dans la plupart, la fillette prend la place de l’enfant-pénis. L’auteur
de ces crimes disait pour les justifier : “Que voulez-vous que j’en fasse,
après cela ?”. Cette pratique, peut-être plus que d’autres pratiques perverses,
cristallise et condense un ensemble de tendances et de complexes inconscients.
Mais rarement comme dans ce dernier exemple, l’équation pénis = enfant = fèces, n’est à ce point
prise au mot.
Cet
exemple dramatique condense aussi toute la difficulté que rencontrent dans leur
enfance ces personnes pour obtenir des réponses satisfaisantes à leurs
questions concernant la sexualité : absence de réponses par-ci, violente
répression concernant la masturbation par-là. Leurs propos sont d’une extrême
pauvreté, leur incapacité d’associer et d’innover est tout à fait remarquable
et ce, y compris dans leur métier où ils se rangent toujours derrière l’avis
général. Il ne s’agit pas pour eux, dans ces situations là, de conformisme ou
de “masque” pour éviter de se trahir ou de se démarquer de la grisaille
environnante, mais d’une impossibilité de se poser en tant qu’adulte dans un
groupe et d’y assumer le moindre début de responsabilité : ils sont bien plus à
l’aise avec des enfants qui, eux, les considèrent comme des adultes. Là, c’est
leur statut social qui fait illusion - cf. le psychologue cité plus haut qui
avait nécessairement raison dans l’institution, de par son titre. L’un des
autres moyens pour trouver des aménagements avec sa culpabilité est pour le
pervers de se persuader du plaisir de sa victime et de son consentement.
Ces
pervers dont l’agir est tout à fait stéréotypé ont horreur du sexe des femmes
et dès lors qu’une fille commence à devenir pubère et que son corps se
transforme, elle ne l’intéresse plus. Il semble en effet que ce soit davantage
un anus qui est recherché, ce qui épargne d’avoir à se représenter la féminité
et de pouvoir surmonter, en la niant, l’absence de pénis tout en annulant la
différence des sexes. Nous trouvons chez Sade, qui est un pratiquant si je puis
dire, cette répulsion pour “cette maudite fente” à laquelle il préfère l’anus :
“En général, offrez vous toujours très peu par devant, souvenez-vous que cette
partie infecte que la nature ne forma qu’en déraisonnant est toujours celle qui
nous répugne le plus” (in Les Cent Vingt JournÉes...)
et il ajoute : “Le Président enfilait indistinctement tous les trous quoique
celui du derrière d’un jeune garçon lui fut infiniment plus précieux”.
Le
passage à l’acte du pervers n’a rien de commun avec l’acting-out au cours d’une
analyse dans un moment où l’impossibilité d’élaborer un conflit, un affect ou
des émois transférentiels se traduit par un agir à l’extérieur. Dans les exemples
dont il a été ici question, l’agir au contraire a été longuement préparé et
mûri, la plupart du temps, dans ses moindres détails, du début à la fin. C’est
dans des phases de dépression, que l’idée se fait jour et que le projet “d’aller
draguer” prend consistance. La “normalité” qui étonne tant les journalistes
suivant ce genre d’affaires ne concerne en fait que l’apparence de la personne.
En effet sous son “masque” le pédophile cache une dépression intense et un
manque impressionnant de confiance en soi devant les adultes de son âge, dont
témoignent d’ailleurs les notes et carnets intimes souvent retrouvés à son
domicile. Le moindre conflit, la moindre difficulté avec un adulte, peuvent
entraîner la recherche d’un partenaire à la fois par envie de retrouver quelque
chose de l’univers du jardin d’enfants et de s’adonner à une activité
masturbatoire. Pour cela, il connait tout le répertoire du cinéma et des
programmes télévisés destinés aux enfants. C’est par ailleurs un grand amateur
de dessins animés à partir desquels il peut fantasmer les enfants et grâce
auxquels il engagera la conversation lorsqu’il sera “en recherche”. L’agir
devient le point ultime de la maîtrise de l’angoisse de castration, avec l’illusion
ou le fantasme d’atteindre le stade de la sexualité génitale. C’est, par
exemple, à l’acmé de la violence contre ses partenaires que Sade pouvait
éjaculer. C’est-à-dire après qu’il ait pu manifester et exprimer sa domination
totale.
Dans son
agir, le pédophile condense des strates différentes de sa problématique. Il se
répare lui-même avec un pénis enfant dont, tour à tour, il s’affuble ou prend
la place et, selon le cas, il agit avec l’enfant à l’image de son fantasme d’être
enfant agit par les adultes tutélaires : d’où les jeux avec les vêtements, avec
les jouets etc. qui précèdent l’agir sexuel sur l’enfant et qui font tout
autant partie de la “technique” de séduction que Ferenczi appelle “la confusion
des langues”. On pourrait dire qu’il joue à la poupée - enfant fétiche
phallique anal - mais il le fait avec une poupée vivante, se donnant ainsi l’illusion
d’avoir accès à une sexualité adulte. Sa hantise, aux dires de plusieurs d’entre
eux : le “cassage de gueule” s’il était surpris.
À quoi,
à qui les pervers, dans leur scénario, s’adressent-ils ? Il est rare que dans
leur entourage il n’y ait pas quelqu’un qui ne se doute de ses déviations ne
serait-ce que par quelques allusions, attitudes, provocations. Peut-être
cherchent-t-ils à défier les imago parentales comme le ferait un enfant et à se
libérer de leurs entraves. Mais il est vraisemblable que le pervers recherche,
en même temps qu’il lance son défi, à se confronter à une véritable castration symboligène lui permettant de sortir de la contrainte de
répétition d’actes dans laquelle il se trouve. Cela échoue le plus souvent car
ce même défi peut en fait occuper la même place que la séduction et n’a pas d’autre
résultat que de mettre la personne en position de voyeur ou de complice.
Comme
Lewis Carrol aimait à photographier les petites
filles qu’il attirait chez lui, les pédophiles utilisent tout un magasin d’appareils
photo et vidéo pour se filmer et filmer leurs ébats. Les films qui en sont
tirés servent d’ailleurs souvent de preuves à la police judiciaire face à leur
déni. Cependant, contrairement à Lewis Carrol qui n’osait
pas passer à l’acte, mais tentait malgré tout de faire des photos dites
“esthétiques”, ils ne regardent pour ainsi dire jamais les photos et films qu’ils
ont pris. Bien au contraire, selon les policiers chargés des enquêtes sur ce
genre d’affaire, la vue de ces photos suscite horreur et répulsion. Ces photos
les montrent davantage comme ils sont dans leur sexualité, plutôt que comme ils
voudraient être. Tout se passe en fait comme si dans leur agir ils
recherchaient plus particulièrement qu’ailleurs et comme en toute chose à se
construire une image d’eux acceptable, ayant des capacités sexuelles
satisfaisantes. Mais ils ont besoin pour cela d’un regard extérieur, même si ce
n’est que celui d’un Œil-machine, comme s’ils devaient se positionner à la fois
dedans et dehors.
Être en
même temps Le Christ, Ponce Pilate, La Vierge Marie et l’Enfant Jésus et être
de surcroît celui qui prend la photo de l’ensemble du tableau.
[1] P. Meney, Les voleurs d’innocence, Olivier Orban, Paris, 1992.
[3] S. Ferenczi, JOURNAL CLINIQUE, Payot, Paris, 1985.
[5] J. J. Pauvert, SADE VIVANT, Robert Laffont, Paris, 1986, tome 1.
[7] J. Lacan, Kant avec Sade in ÉCRITS, Le Seuil, Paris, 1966.