Psychanalyse et idéologie

De la pédocriminalité

*** • Point de vue d’un ami prêtre

Saïd Bellakhdar • Le pervers et son image

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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1993 - 2016 • De la pédocriminalité

 

2016

 

*** • Point de vue d’un ami prêtre

 

Extraits

 

*** • Cette homélie n’a pas été publiée en avril en raison de la tempête médiatique qui s’acharnait sur le cardinal Barbarin.

 

 

Dimanche 10 avril 2016

 

3e  dim. de Pâques

 

Chers frères et sœurs,

 

Je reviens de Rome, nous étions place Saint Pierre dimanche dernier, dimanche de la miséricorde, avec le Pape François pour la Messe. Il vient de sortir son exhortation sur la famille, marquée non par un changement de doctrine, évidemment impossible, mais par son souci que l’Évangile se fraye un chemin dans tous les cœurs. Il y avait bien peu de monde, étonnant pour cette année sainte. La crainte des attentats, sans doute, le Vatican étant une cible privilégiée pour les fanatiques. Le saint Père a fait plusieurs fois le tour de la place, souriant, rassurant, la main tendue vers les enfants amassés aux barrières.

[...]

Nous avons trop tué le père, nous avons mis en accusation la paternité, la transmission du savoir, l’honneur dû au maître. Un professeur me racontait que lors de sa dernière inspection, l’envoyé du ministère, un de ces pusillanimes qui n’ont qu’un pouvoir très limité mais qui l’exercent avec un despotisme digne de Robespierre - que d’ailleurs ils admirent beaucoup - écrasé par les poncifs postrousseauistes de l’éducation nationale, lui avait dit ces paroles stupéfiantes remarquablement dénoncées par François-Xavier Bellamy : « Vous n’êtes pas là pour transmettre aux enfants ».

Mais les hommes restent toujours des enfants, ils ont soif d’apprendre, ils ont soif d’une paternité qui les rassure, sinon ils errent comme des brebis sans pasteur, « troupeau parqué pour les enfers » (Ps 48), esclaves médiatiques,  abrutis de fausses évidences mondaines, affamés d’une vérité qui leur restitue enfin leur liberté de penser. Nul ne peut devenir un maître s’il ne reste un disciple, nul ne peut devenir un homme s’il ne demeure un enfant. « Sois le berger des mes brebis » dit le Seigneur à Pierre.

J’aime aller prier en terre sainte dans la toute petite église au bord du lac, sur le rocher.

[...]

La barque pleine de poissons, le rocher près du lac, le feu de bois, le pain partagé, voilà la première Église, une page d’évangile remplie de lumière, de simplicité et de tendresse.

[...]

« Quand tu seras vieux un autre te mettra ta ceinture et te mènera là où tu ne voudrais pas aller ».

Plus on aime, moins on s’appartient. On apprend à mourir, à renoncer à la toute puissance de sa volonté pour la vie de ceux qu’on aime.

[...]

Ainsi, le Pape Jean-Paul II : « Je rencontre quotidiennement dans mon entourage des personnes âgées que tu éprouves fortement : elles sont paralysées, handicapées, impotentes, d’autres ont perdu l’usage de leurs facultés mentales. Je vois agir ces gens et je me dis : “Si c’était moi ?”. Alors, Seigneur, aujourd’hui même, tandis que je jouis de la possession de toutes mes facultés motrices et mentales, je t’offre à l’avance mon acceptation à ta sainte volonté, et dès maintenant je veux que si l’une ou l’autre de ces épreuves m’arrivait, elle puisse servir à ta gloire et au salut des âmes. Et si, un jour, la maladie devait envahir mon cerveau et anéantir ma lucidité, déjà, Seigneur, ma soumission est devant toi et se poursuivra en une silencieuse adoration ».

Ce sont les paroles d’un saint qui accepte par amour d’aller là où il n’aurait jamais voulu aller.

« Quand tu seras vieux, un autre te mettra ta ceinture… »

Je pense avec horreur au scandale des prêtres pédophiles et à la honte qui rejaillit sur tout le corps sacerdotal pour le péché mortel de quelques-uns. Je prie pour les enfants traumatisés par ceux qui ont abusé de la confiance que l’on met dans les prêtres.

[...]

Je pense à l’énigme de Judas, l’un des douze, capable de trahir, comme chacun de nous. Je pense aux larmes de Pierre. Nous portons la sainteté dans des vases si fragiles… Gospodi pomiloi, comme le chantent sans cesse les consacrés d’Orient dont la voix sombre jaillit des abîmes : « Seigneur prends pitié » et les vieux moines en soutane noire et barbes blanches, les yeux tout remplis de sagesse et d’amour murmurent la philocalie, la prière du cœur : « Jésus Christ, Fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur ». « Le visage si sale de ton Église nous effraie » disait le futur pape Benoît XVI lors du chemin de Croix au Colisée, et cette parole, une fois élu : « Priez pour que je ne me dérobe pas devant les loups ». L’Église marche entre ombres et lumière, elle chante à genoux le « Kyrie des gueux » et mendie avec Péguy « la  dernière place en votre purgatoire ».

Et pourtant, malgré tout, malgré les scandales, les pasteurs qui ont perdu la foi, les « princes de l’Église » qui font refaire leur palais en détournant l’argent des pauvres, malgré mes péchés et mes contradictions, [...] je veux redire au monde, qui ne me fait pas tellement peur car j’ai une conscience extrêmement vive que notre vie ici-bas n’est qu’un souffle et que seul compte le jugement de Dieu, de cesser de cacher sa corruption dans un facile bouc émissaire qui - même si la justice fait son travail avec son entière collaboration - paye manifestement cher sa défense courageuse de la famille l’année passée. Oui, je veux redire au monde : « Retire d’abord la poutre qui est dans ton œil et tu verras clair » (Mt 7, 3).

Concernant le scandale de la pédophilie, il y aurait beaucoup de choses à dire, mais la prudence m’interdit d’être trop précis et ce sont des réalités si épouvantables d’abjection qu’elles pourraient nous faire désespérer de l’homme... Ceci dit, seule la vérité nous réhabilite : « Si vous, vous demeurez dans ma parole à moi, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera » [Jn 8, 32]. Combien d’affaires sordides, y compris récentes, étouffées ou classées sans suite, combien de personnes lourdement suspectes ont-elles échappé à toute accusation ?

Nous avons la mémoire bien courte. Dans les années 70-80 des journaux réputés relayaient volontiers des appels contre la majorité sexuelle ou des pétitions appelant à la défense de pédophiles notoires comme dans l’affaire de Versailles du 27 janvier 1977, signée par ces « humanistes éclairés » que sont Sartre, Simone de Beauvoir et bien d’autres qui n’ont jamais été inquiétés. Il est bien trop facile de projeter exclusivement sur l’Église ce que le monde ne supporte pas d’affronter en lui-même. N’est ce pas vraiment le bal des hypocrites ?

Beaucoup – et sans doute même dans l’Église - ont échappé au jugement des hommes à force d’agiter leurs réseaux et d’acheter le silence par le pouvoir de l’argent roi, mais ils n’échapperont jamais au jugement suprême. [...]

Bientôt sonne le glas ! Seule la vie éternelle étanchera enfin notre soif de la justice. « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice » (Mt 5, 6).

[...]

« Malheur à celui qui scandalise un seul de ces petits qui sont les miens, dit le Seigneur, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mette au cou une de ces meules que portent les ânes et qu’on le jette à la mer » (Mt 18, 6). « Ce que tu as fait au plus petit, c’est à moi que tu l’as fait » (Mt 25). Que chacun balaye devant sa propre porte et prenne ses responsabilités. Ce que l’Église a fait courageusement et dans la douleur après bien des lâchetés et des compromissions, principalement grâce au courage du grand pape Benoît XVI, ce que font les évêques de France dans leurs récentes dispositions, on ne peut que souhaiter vivement que d’autres institutions le fassent à leur tour avec le même zèle.

Non pas que je veuille défendre l’Église, je ne m’inquiète pas tant pour elle.

[...]

Je sais que les forces du Mal ne prévaudront pas contre elle, même si elles l’attaquent sans relâche, mais par amour de l’Église, je veux rappeler aussi, avant tout, son immense tendresse pour tous les hommes, je veux redire que le bien ne fait jamais de bruit, que le sacrifice de tant de chrétiens, de prêtres, de consacrés restera caché du bouillonnement médiatique. L’honneur de l’Église palpite dans le cœur des saints. Je veux redire le sang des martyrs, les petites sœurs de Mère Teresa qui se penchent sur les lépreux, les moines tout remplis de prière, la fidélité des vieux couples reclus d’épreuves, les prêtres qui meurent oubliés après avoir tant servi, les affamés nourris, les pauvres consolés, les prisonniers visités. Redire l’incomparable intelligence chrétienne de l’homme, la formation de tant d’enfants, l’éducation, le beau service de la vérité, la puissance des prophètes…

[...]

Il y avait 153 poissons dans le filet. C’était l’ensemble des pays connus au temps du Christ.

[...]

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1993

 

Saïd Bellakhdar

 

Le pervers et son image

 

[In publication papier du numéro 17 -18 de ψ  [Psi] Le temps du non, janvier -juin 1993]

 

     L’idée d’écrire le présent texte m’est venue après avoir lu le livre de Patrick Meney : Les voleurs d’innocence [1] . C’est actuellement, à mes yeux, l’un des meilleurs ouvrages traitant la question de la violence exercée sur des enfants (meurtres, viols, incestes etc.). Il s’agit là de crimes encore trop fréquemment tus et pour lesquels l’opinion publique et les médias ne s’émeuvent momentanément que lorsqu’il y a assassinat. Or, souvent, les faits qui auraient dû donner l’alerte sont connus depuis longtemps. Ainsi ce “fait divers” qui a suscité la stupeur à l’arrestation d’un “instituteur modèle” abuseur de petits enfants dans le cadre même de l’école. Huit élèves ont ainsi été violés. Avant même que l’affaire n’éclate au grand jour, cet instituteur avait déjà été muté huit fois pour les mêmes raisons sans autre sanction. En général, c’est l’enfant qui doit changer d’école sans que l’adulte soit, lui, inquiété. P. Meney rapporte les propos d’un pervers : “Quand tu es professeur, éducateur ou curé, tu es dans une position de force.” À ces professions on pourrait aussi bien ajouter puisque cela arrive parfois, médecins, psychothérapeutes, magistrats etc. En fait l’impunité ne vient pas seulement de la situation sociale du pervers. Elle est due aussi au fait que les institutions religieuses, scolaires, d’assistance, de soins, les pensionnats, les maisons pour handicapés, les orphelinats, les colonies de vacances attirent les pervers ; aussi bien ceux qui passent à l’acte que ceux qui ne s’y risquent pas, mais se trouvent en position de voyeur, voire de complice et qui, peut-être, devraient tout autant faire l’objet de poursuites et de condamnations judiciaires. Comment expliquer autrement que des travailleurs sociaux puissent insister auprès des autorités compétentes pour qu’un enfant reparte chez lui le week-end alors qu’il est déjà accueilli en institution après qu’un diagnostic pudiquement dénommé “Syndrome de Silverman” eût été posé à l’âge de neuf mois et qui plus tard, à l’âge de quatre ans, vient se plaindre d’être abusé par son père ? Comment expliquer encore qu’après avoir signalé des faits analogues aux mêmes autorités, une institution renvoie l’enfant qui lui est confié chez ses parents pour les congés hebdomadaires ?

     L’idée qu’un enfant ne rentre pas chez lui en fin de semaine semble inacceptable pour beaucoup d’adultes. Que ce même enfant supporte l’absence de ses parents et puisse grandir et se développer sans eux l’est apparemment encore plus. C’est ici le principe de la famille traditionnelle avec mère idéale, protectrice assumant parfaitement sa maternité et sa progéniture, qui est en jeu.

     Le fait que des hommes et des femmes soient dans l’impossibilité, pendant de nombreuses années, de s’occuper et d’élever leurs enfants sans les maltraiter et les mettre en danger de façon à hypothéquer gravement leur avenir est encore difficilement audible. Qu’il faille mettre un terme à ce que peuvent endurer dans de telles conditions des enfants grands ou petits, y compris, lorsqu’il le faut, en faisant appel à une mesure de protection judiciaire, ne constitue pas encore une évidence. Les adultes se comportent parfois dans ces cas comme des enfants qui, dans une situation traumatique, sont en état de sidération et ne peuvent s’opposer à des parents qui en seraient les auteurs. Les abus commis dans les institutions par certains membres du personnel ne dépassent qu’assez exceptionnellement les murs de celles-ci. Il arrive assez souvent que des personnes ayant révélé de tels agissements dans les institutions où elles travaillent se soient trouvées, par la suite, en délicatesse et qu’elles aient fait l’objet d’une mesure de licenciement, à moins qu’elles n’aient été contraintes de partir d’elles-mêmes. Ce phénomène est pourtant loin d’être marginal et méconnu. Un fonctionnaire du Ministère des Affaires Sociales cité par P. Meney affirme en effet : “Nous savons parfaitement qu’un certain nombre de directeurs d’institutions ont eu de sérieux problèmes avec des enfants. L’un d’eux en particulier a été mêlé à des faits extrêmement graves. C’est un pédophile récidiviste invétéré. Mais il est toujours en place. Il dirige un établissement important dans la région de P...”. À cela s’ajoutent les divers réseaux, parfois très bien protégés par des notables, des intellectuels, voire des personnalités importantes du monde politique. Ces réseaux disposent d’officines, de revues, d’associations ayant pignon sur rue et se permettent même d’adresser au Président de la République des pétitions demandant la légalisation de la pédophilie comme mode de prophylaxie des crimes sexuels contre les enfants !

     Selon l’Observatoire National de l’Action Sociale, en 1991, il y a eu 30 000 signalements judiciaires d’enfants en danger, dont 22 000 enfants victimes de carences diverses et 8 500 victimes d’abus sexuels ; 300 meurent des violences subies - les associations pensent que ce chiffre sous-estime largement la réalité. Mais tout cela ne concerne cependant que ce qui est signalé aux autorités judiciaires. Selon l’hebdomadaire TÉmoignage ChrÉtien du 19 Septembre 1992, une femme sur dix et un homme sur huit auraient subi un abus sexuel ; dans 40% des cas l’agresseur est le père et dans 3% la mère.

     Les dégâts causés par les maltraitances diverses et les abus sexuels sont pourtant connus depuis fort longtemps. Benoîte Groult écrivait il y a une dizaine d’années dans sa préface au roman autobiographique de Jeanne Cordelier [2] que trois prostituées sur quatre avaient été abusées dans leur enfance dans ou hors de leur famille d’origine. Jeanne Cordelier y parle aussi du cas, assez fréquent somme toute, d’une personne ayant subi de tels actes dans les familles d’accueil de la DASS où elle avait été placée pour être “protégée” selon l’expression courante. Le résultat fut qu’on en fit une prostituée !

     La prostitution ne concerne pas uniquement les femmes. L’enfant abusé reçoit de telles pressions de son abuseur qu’il a bien du mal à se défaire de ces liens. Le chef de famille, pater familias souvent alcoolique, exerce parfois une véritable dictature par la violence et la menace aussi bien contre l’enfant que contre la mère de celui-ci. Mais beaucoup utilisent tout simplement la séduction : quelques piécettes de monnaie et très généralement les éternelles gâteries (ce qui confère à cette pratique le caractère d’une école de prostitution) ; mais dans l’une et l’autre situations, qui peuvent par ailleurs alterner, les effets en sont toujours destructeurs. 

     En 1932, Sandòr Ferenczi [3] , à la suite d’Anna Freud, insistait sur l’importance du mécanisme d’identification à l’agresseur. “Si l’enfant se remet d’une telle agression, il en ressent une énorme confusion : à vrai dire, il est déjà clivé, à la fois innocent et coupable, et sa confiance dans le témoignage de ses propres sens est brisée (...). La personnalité encore faiblement développée réagit au brusque déplaisir non par la défense, mais par l’identification anxieuse et l’introjection de celui qui la menace ou l’agresse”. Sandòr Ferenczi précise également dans son Journal Clinique : “Pas de fixation par le plaisir, mais fixation par la peur. Hommes et femmes vont me tuer si je ne l’aime pas (si je ne m’identifie pas à ses désirs)”. Plus loin, il ajoute : “Il faut connaître exactement l’adversaire dangereux, suivre chacun de ses mouvements pour pouvoir s’en protéger”.

     De nos jours, le mécanisme de l’identification à l’agresseur est repris dans le domaine de la psychiatrie sous le nom de “Syndrome de Stokholm” pour désigner les relations très particulières que peuvent entretenir avec leurs geôliers des prisonniers arbitrairement détenus ou des otages avec leurs ravisseurs. Sandòr Ferenczi s’est beaucoup intéressé aux problèmes que j’évoque ici. Il décrit dans son  Journal Clinique les symptômes dont souffrent les filles abusées par leur père - “Caractère entêté, incapacité à mener à terme des études quelles qu’elles soient”. L’intimidation qu’elles subissent de la part du père pour garder un silence garant de la cohésion familiale, l’attitude ambiguë de certaines mères qui parfois désavouent leurs filles lorsque celles-ci viennent se plaindre à elles. Qu’en est-il donc de ces mères qui ne “protègent” pas leurs propres enfants et qui, vivant dans de petits studios, disent n’avoir rien vu et rien entendu ? Ferenczi ne se prononce pas. Sans doute ces femmes préfèrent-elles que l’homme reste à la maison plutôt  qu’aller courir dehors. Elles-mêmes sont souvent immatures avec une enfance désastreuse. Dans l’impossibilité de réagir, elles apparaissent comme si elles aussi étaient dans un état de sidération et de peur.

     Les situations d’enfants abusés sexuellement dont j’ai eu à m’occuper dans le cadre de mon travail m’ont enseigné que la plupart du temps la mère savait ce qui se passait entre son conjoint et sa fille, mais se trouvait elle-même vis à vis de son compagnon comme une petite fille exclue de la chambre à coucher. Dans ces cas là elles agissent presque toutes de la même manière : elles vont faire la vaisselle ou s’activent pour ne plus penser à rien. Celles qui en viennent enfin à dénoncer les agissements du père, c’est le plus souvent que celui-ci est allé beaucoup trop loin et que sa responsabilité pourrait être en cause (grossesse de l’enfant par exemple). Dans La confusion des langues entre les adultes et les enfants, Ferenczi précise les conséquences de tels actes sur les enfants : angoisse de mort, effets de fixation, régression “vers une béatitude prétraumatique qui cherche à le rendre [le trauma] non advenu”. C’est dans ce texte qu’il développe son apport le plus original sur la question, le concept de fragmentation.

     Les conséquences sont encore plus graves dans les cas où la séduction est très précoce et commence dès la petite enfance, contrairement à ce qui a pu se passer pour Violette Nozière qui, comme nous le verrons plus loin, a pu vivre normalement après s’être débarrassée de son “père” et après avoir purgé sa peine de prison. Il arrive en effet que ces petites filles restent handicapées à vie par des problèmes de troubles du comportement et d’adaptation, sans aucun apprentissage à l’école, parfois boulimiques et manquant d’autonomie, présentées souvent comme “débiles”, ces enfants sont aussi incapables de tenir un raisonnement cohérent. Ce qui, par ailleurs, facilite la possibilité pour l’abuseur de réfuter les accusations que l’enfant pourrait porter contre lui.

     Au delà de l’exposé d’une situation dramatique et de la dénonciation de l’ampleur des problèmes de maltraitance, c’est la complicité voire la duplicité avec les abuseurs qui pose problème. Pourtant, à ce jour, personne n’a découvert de remèdes miracles contre ce genre de perversion. Pour H. Giraud  : “Le pervers sexuel est incurable, il récidive toujours. Pour lui, il n’y a pas de réinsertion, ni remède, ni miracle”. Ou encore comme le dit un patient rencontré au Canada par P. Meney : “La pédophilie ne se guérit pas, mais elle se soigne. C’est un peu comme l’alcoolisme, on finit par la contrôler”.

     En France l’illusion thérapeutique est encore tenace. En témoigne l’histoire de Christian V. G. Il s’agit d’un multirécidiviste qui avait, comme beaucoup de pervers sexuels, organisé sa vie autour de la possibilité de mettre en acte ses obsessions : enlèvements et viols de fillettes. “Un homme, apparemment bien adapté, intelligent”, selon la presse. Un jour, il fut arrêté. À Orléans où il a été “soigné”, il s’était montré courtois et coopératif. On avait pensé qu’il pouvait être débarrassé de sa “maladie”. Il est jugé et condamné à quatre ans d’emprisonnement dont trente mois avec sursis. La peine est assortie de cinq mois de mise à l’épreuve avec obligation de se soigner. Il est libéré en décembre 1984 après avoir passé quatorze mois en prison et continue d’être suivi pendant la période probatoire.

     D’après Agathe Logeart, journaliste au journal Le Monde [4], on citera encore quelques années durant “l’exemple de ce cadre exemplaire qui a su se guérir de sa pédophilie sans rechuter”. Cela durera jusqu’au jour où, en 1990, le personnage est à nouveau arrêté et condamné à deux mois de prison avec sursis pour exhibitionnisme. Puis, en octobre 1991, c’est l’assassinat de deux fillettes.

     Le pervers fascine. Il fascine d’autant plus qu’il appartient ou donne l’impression d’appartenir à un milieu honorable. Pour lui plus qu’un autre “l’habit fait le moine”. Il accomplira d’autant mieux son acte si dans l’environnement institutionnel de l’enfant des gens sont prêts à se laisser mystifier, à ne rien voir et à laisser faire. C’est avec l’habit de l’honorabilité qu’il attire ses victimes. Certains policiers, comme ceux qui ont arrêté Christian V. G. le savent puisque l’un d’eux disait avoir mené l’interrogatoire après l’arrestation en s’efforçant de ne jamais regarder le prévenu dans les yeux afin justement de n’être pas saisi par le doute et de ne pas risquer de tomber sous le coup de la fascination. Le pervers est tout à fait capable de se marier - avec une femme dont il n’a que faire - d’avoir des enfants, de paraître être un bon père de famille, d’occuper un emploi tout à fait respectable et qui lui confère un statut social enviable. Mais ses pensées sont en fait constamment occupées par les mêmes choses : comment mettre en acte ce qui l’obsède et ce qui le tourmente - ce que le névrosé ne fait pas, il en parle.

     Les psychiatres et les psychologues canadiens par contre sont beaucoup plus méfiants quant à la “guérison” des abuseurs. La prise en charge thérapeutique de ces derniers commence avant même le procès et se poursuit au sein de la prison-hôpital si le “malade” est jugé suffisamment capable d’admettre ses problèmes. Il est ensuite suivi “à vie” après sa sortie de prison pour prévenir la récidive. “Chez vous”, constate le Dr Aubut au sujet d’un pervers qui ne fait pas mystère de ses compulsions meurtrières envers des enfants, “ce type-là serait complètement livré à lui-même. Sa peine purgée, il ruminerait toujours dans sa tête ses projets de viols et de meurtres. Et il finirait par récidiver. Mais la société aurait bonne conscience, car il aurait payé sa dette”. Je ne dirai que quelques mots sur ces thérapeutiques au Canada. Elles agissent sur le comportement : apprentissage de la vie sociale, relaxation, recherches visant à la compréhension de la crainte des femmes et des difficultés rencontrées avec les adultes, thérapies aversives etc., l’ensemble ne visant qu’à empêcher tout nouveau passage à l’acte. La recherche d’éviter la récidive est constante, tournée d’abord vers la prévention des risques encourus par les enfants.

     Il a fallu en France toute la détermination et l’obstination de militantes pour faire reconnaître la gravité du viol contre une femme aux yeux de la justice et de la police et que les ricanements baissent d’un ton dans ces institutions quand elles reçoivent des plaignantes. Il en faudra encore beaucoup pour que la législation applique la prescription en faveur de la majorité des victimes de viols incestueux (Loi du 10 Juillet 1989). Car aujourd’hui encore, et malgré la législation, les personnels médico-socio hésitent à signaler aux autorités “administratives et judiciaires” des cas de maltraitance sur des enfants mineurs et ce faisant avalisent ces pratiques. Les causes de cette inertie sont multiples. La plus communément entendue et reprise est que les enfants fabulent, argument des plus anciens que le très médiéval Marquis de Sade utilisait déjà contre l’un de ses accusateurs : “(...) mais cet enfant était domestique : ainsi à titre d’enfant et de domestique, il ne peut être cru” [5] . L’argument avait aussi été utilisé à l’encontre de Violette Nozière par les magistrats qui avaient eu à la juger pour parricide. Son biographe [6] , qui fait dans l’antienne : « Violette Nozière, ses amours, ses crimes, son expiation, son rachat » nous apprend que celle-ci à douze ans avait été malade, “des maux de ventre”, une appendicite, des problèmes de santé qui l’ont amenée à souvent redoubler la classe et à aller se reposer à la campagne chez sa grand-mère. Violette, auparavant très bonne élève, faisait des “fugues”, séchait la classe, “mentait”, avait eu des relations sexuelles trop précoces. Autant de faits qui ressemblent fort à certaines descriptions de cas relevées dans le Journal clinique de Ferenczi. Parlant de son père, Violette avait confié à des amis, “il oublie parfois que je suis sa fille”. Alors un jour d’août 1933 comme l’a écrit Paul Eluard,

 

                                          Violette a rêvé de défaire

                                          A défait

                                          L’affreux nœud de serpents des liens du sang.

 

     Malgré ses déclarations lors de l’instruction à la justice, elle fut condamnée à mort, puis grâciée car les femmes n’étaient plus exécutées en 1934. Pourtant le commissaire de police qui l’avait arrêtée avait noté les choses ainsi : “Elle me raconta comment un jour son père avait odieusement abusé d’elle, pendant un voyage de sa mère. Quand celle-ci fut de retour, elle n’avait rien osé lui avouer, par peur. Et, docilement pendant des années, elle s’était prêtée à l’odieux caprice de l’homme pour qui elle n’éprouvait plus que de la haine et du mépris. Mais un jour elle avait fait la connaissance de quelqu’un qu’elle avait tout de suite aimé avec passion. Bien sûr elle menait une vie qui n’était pas exemplaire mais c’était son rachat, cet amour merveilleux. Alors, elle avait essayé de se refuser à son père. Hélas... Seule sa mort pouvait me délivrer de lui, conclut-elle d’une voix lasse, et c’est ainsi qu’est née, peu à peu, l’idée de me débarrasser de lui à jamais, de l’empoisonner”. Le “psychiatre-expert” chargé d’“examiner” Violette était le Dr Truelle, celui-là même qui avait été commis pour les sœurs Papin et d’autres “cas” célébrissimes.     

     Une fillette de quatre ans exprimait ainsi ce sentiment de violence et de souhait de mort contre son père en demandant : “Quand je serais grande est-ce que mon père mourra ?”. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce qu’une fillette déclare plutôt  que quand sa mère mourra, elle épousera son père. Éva Thomas confirme dans son livre Le sang des mots la très grande fréquence de ces souhaits de mort chez des femmes ayant eu a subir de semblables choses.

     Aujourd’hui, l’argumentaire pour refuser d’entendre les enfants s’est modernisé et utilise un vocabulaire pseudo-freudien qui prétend faire valoir la suprématie du fantasme dans de telles affaires, puisque Freud lui-même aurait abandonné l’idée que les traumatismes précoces, relatés par ses patientes hystériques et subis dans leur enfance, aient eu une quelconque réalité. On s’est jeté - pour quel bénéfice ? - sur ces  seuls propos que Freud adressa à Fliess le 21 septembre 1897 : “Le grand secret qui au cours de ces derniers mois s’est lentement imposé à moi : je ne crois plus à ma neurotica” ! Peut-on tirer de cela et de la théorisation par Freud de la sexualité infantile organisée à l’image du mythe d’Œdipe, qu’il ignorerait désormais qu’il existât des criminels de par le monde ? Certes, il estimait que la théorie de la séduction ne suffisait pas à elle seule à expliquer l’étiologie des névroses. Mais constamment il réaffirmera l’existence de la séduction précoce (Cf. les notes de la réédition de 1924 des Études sur l’hystérie). En 1916, il précise : “Ne croyez d’ailleurs pas que l’abus sexuel commis sur des enfants par des parents masculins les plus proches soit un fait appartenant entièrement au domaine de la fantaisie. La plupart des analystes auront eu à traiter des cas où cet abus a réellement existé et a pu être établi d’une manière indiscutable, seulement cet abus avait eu lieu à une époque beaucoup plus tardive que celle à laquelle l’enfant le situe”. En 1937 dans Constructions en analyse il distingue de façon tout à fait claire ce qui peut ressortir au fantasme ou à la “vérité historique”. Ferenczi dans La confusion des langues entre les adultes et les enfants rappelle dans un ultime texte : “On ne pourra jamais assez insister sur l’importance du traumatisme et en particulier du traumatisme sexuel comme facteur pathogène. Même des enfants appartenant à des familles honorables et de tradition puritaine sont, plus souvent qu’on n’osait le penser, les victimes de violences et de viols. Ce sont, soit les parents eux-mêmes qui cherchent un substitut à leurs insatisfactions de cette façon pathologique, soit des personnes de confiance, membre de la même famille (oncles, tantes, grand-parents), les précepteurs ou le personnel domestique qui abusent de l’ignorance et de l’innocence des enfants”. Peut-être faut-il préciser ici que ces familles “honorables” se débrouillent beaucoup mieux que les autres pour garder leurs secrets. Freud confiait dans Ma vie et la psychanalyse qu’après la guerre de 14-18 la psychanalyse avait connu une période de reconnaissance justement en raison de ce que celle-ci pouvait apporter pour les victimes de névroses traumatiques. Mais il est vrai qu’il s’agissait dans ce cas de traumas liés à la guerre et à l’angoisse de mort qui pouvait en résulter chez des soldats. Les traumas liés à “l’éducation” des enfants par des pervers n’avaient visiblement pas encore droit de cité !

     Il arrive, malgré la connaissance que nous avons aujourd’hui des conséquences de la maltraitance, que l’on affiche, au contraire, l’idée selon laquelle cela n’est fait que pour le bien et l’intérêt de l’enfant et qu’il n’y a rien de particulièrement répréhensible derrière certaines invitations. Mais c’est aussi l’un des traits du pervers que de dire, à bout d’autres arguments, que c’est l’enfant qui l’a provoqué. Un homme d’une quarantaine d’années déclarait, parlant d’un enfant dont il avait abusé, avoir été entraîné de force “par ce jeune homme de quatre ans”. Une certaine presse reprend aussi ce genre d’âneries à son compte. Libération du 7 mai 1978 publie en gros titre : “Et si les enfants désiraient être volés ?”. De tels propos pouvaient s’écrire alors qu’un assassin d’enfant allait être jugé à Troyes. Je cite ce texte en tant qu’il est un condensé d’inepties tenues sur les enfants présentés là successivement comme objet de jouissance ou comme objet de répulsion par un certains adultes. Un intellectuel y écrit : “Le rapt pour nous, ce n’est pas la fugue. Ce n’est pas simplement la fuite, hors des emprisonnements, c’est beaucoup plus : c’est la valeur positive du rapt en tant que correspondance de désir entre le rapteur et le rapté, et vers quelque chose de très précis.” Il ajoute plus loin : “L’enfant est un parasite, quelque chose qui se pose là, qui se rapproche plus de la mandragore”. Et encore : “Un bébé est un parasite beaucoup plus compliqué que les autres” ; enfin pour l’un de ces penseurs convoqués à débattre, c’est la faute à la publicité si les enfants sont raptés et, pontifiant, il écrit : “Nous on dit : voilà la manière de les avoir les enfants. Enlevez-les. Faites l’amour avec”. Un autre reste “nostalgique d’une forme de possibilité historique réelle de vagabondage rapteuse qui s’est bloquée à un moment donné”. Laissons-là ces puissants raisonnements pour rappeler que dans des temps, somme toute assez proches, de “vagabondage” et peut-être même d’errance, la responsabilité des enlèvements et des meurtres d’enfants n’était pas mise sur le dos de n’importe qui et que cela servait aussi de prétextes à de sinistres pogroms. L’un des fondateurs de la schizo-analyse prétend que l’abandon “c’est peut-être un véritable amour”. Il avait déjà affirmé quelque mois plus tôt dans le même journal au sujet de la même affaire que l’assassinat commis par un homme normal (sic) sur l’enfant “ne menace pas l’ordre public mais l’ordre mental des gens”. Aucune place ici à la compassion pour la victime ou pour ses parents. Alors qu’il s’agit bien d’un acte irréparable. Jamais à travers cet article de presse, comme d’ailleurs à travers les déclarations de pervers en général, nous ne trouvons la moindre trace d’un réel intérêt pour l’enfant et pour ce qu’il a dû subir. “L’amour” n’est ici qu’une argutie de plus pour légitimer leurs actes et dès lors que ceux-ci ne peuvent être assouvis l’enfant devient ce “monstre” gênant, cette “mandragore”.

     La fascination pour l’œuvre de Sade se nourrit aussi des retournements de situations qu’opère le pervers et du peu d’intérêt pour ce qu’ont pu subir ceux ou celles qui tombèrent entre ses mains. Son œuvre, comme celle de Céline, est publiée et abondamment commentée depuis la dernière guerre mondiale comme si depuis lors notre humanité en avait vu bien d’autres. Avec Lacan, le Marquis “pour quelques badinages, a encouru en connaissance de cause (voir ce qu’il fait de ses « sorties », licites ou non) d’être embastillé durant le tiers de sa vie, badinages un peu appliqués sans doute, (...) - Treize ans de Charenton pour Sade, sont en effet de ce pas - Mais ce n’était pas sa place - Tout est là. C’est ce même pas qui l’y mène. Car pour sa place, tout ce qui pense est d’accord là-dessus, elle est ailleurs. Mais voilà : ceux qui pensent bien, pensent qu’elle était dehors, et les bien-pensants depuis Royer-Collard qui le réclama à l’époque, la voyait au bagne, voire sur l’échafaud. C’est justement ce en quoi Pinel est un  moment de la pensée. Bon gré mal gré, il cautionne l’abattement qu’à droite et à gauche, la pensée fait subir aux libertés que la Révolution vient de promulguer, de ce que ce soit nom de liberté.” [7]. Mais en vérité, a-t-on incarcéré Sade en raison seulement de “quelques badinages”, comme l’écrit Lacan ? Termes que les dictionnaires définissent ainsi : “enjouement dans le style”. Ou était-ce en raison de l’usage qu’il pouvait faire d’une badine que les mêmes dictionnaires définissent de la sorte : “baguette ou canne en bois flexible” ? En fait, à y regarder de plus près, Sade n’a pas attendu la Révolution pour “badiner” d’une manière que les autorités de son temps n’appréciaient guère. Il a été  mis en prison car accusé par des enfants et par des domestiques d’avoir commis à leur endroit d’innommables violences. Il a aussi eu des ennuis avec la justice quand des prostituées se sont trouvées très gravement malades après qu’il les eut invitées à manger certaines “dragées”. De surcroît, il eut à faire avec la justice pour séquestration, viol et menaces de mort contre une mendiante en 1768. En fait, cette vie tumultueuse avait valu à son auteur dès l’âge de vingt trois ans, en 1763, de très sérieux problèmes avec cette même justice, tout du moins pour ce que nous en savons d’après les archives qui ont pu être conservées et non soustraites à la curiosité de ses contemporains par la noble famille de Sade et ses alliés. Il sera arrêté à nouveau et pour longtemps cette fois-ci en 1777, à trente-sept ans. Il allait bientôt commencer la carrière littéraire que nous lui connaissons. La Révolution allait démarrer douze ans plus tard. Sade avait souvent pu échapper à la justice commune en tant que noble (sa mère était la cousine du Grand Condé) et les écarts d’un personnage de ce rang relevaient des décisions du Roi, de son ministre, et du responsable de la police des mœurs de l’époque qui, lui, et il n’était pas le seul, admettait que Sade puisse même être capable de meurtres [8]. Peut-être faut-il reconnaître que les hommes de ce temps, qu’ils fussent monarchistes ou républicains, savaient ce qu’était un pervers. Aujourd’hui, et pour notre temps, seul un artiste comme Pasolini a su nous révéler, dans Salô ou les 120 journées de Sodome, la vérité de l’œuvre de Sade.

     Alors qu’est-ce qu’un pervers ou plus précisément qu’est-ce qu’une perversion chez des gens qui passent à l’acte de la manière dont il a été jusqu’ici question ? Pour Freud dès 1905, in Les Trois Essais..., la sexualité perverse serait une sexualité de caractère infantile qui se maintiendrait à l’âge adulte. Elle résulterait d’une fixation à un stade particulier du développement émotionnel. Les concepts de fixation et de régression jouent ici un rôle essentiel et l’enfant n’a pas subi de castration symboligène de ses pulsions. Dans les cas d’inceste ou de pédophilie, on découvre très souvent que les problèmes se répètent d’une génération à l’autre. Dans l’exemple de Violette Nozière, le grand-père paternel de la jeune femme avait, selon son biographe déjà cité, une liaison très suivie, au su et au vu de tous, avec une de ses belles-filles. Dans les cas de pédophilie, très souvent, l’auteur est fils de pédophile et a été lui-même initié très jeune. Sade fait une allusion à ce genre d’initiation alors qu’il était scolarisé chez les jésuites et son père semble avoir été un “libertin”, cautionnant une sentence populaire : “L’exemple vient de loin”. Peut-être a-t-il fallu, dans le cas de Violette Nozière, le meurtre réel du père pour arrêter cette répétition intergénérationnelle de l’agir incestueux. Lorsque Violette dit à ses juges qu’elle voulait tuer son père mais qu’elle n’a pas voulu tuer sa mère, il est vraisemblable qu’elle aurait voulu punir celle-ci également, mais d’une moindre façon, pour n’avoir pas su ou pas pu la défendre et la protéger. S’il n’est pas toujours possible d’établir que l’inceste ou la pédophilie ont été initiés par une personne de la génération qui précède, celle-ci, par contre, ne cache pas toujours son admiration devant l’acte commis. Un homme dont le fils est actuellement emprisonné pour une longue peine, répondait à une journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait de ce qu’avait fait son fils : “Au moins, lui, il a osé aller jusqu’au bout !”. Dans ces cas, comme dans le cas de certains crimes xénophobes commis par de jeunes gens, l’acte délictueux est réalisé pour l’autre génération.

     L’amour de soi que Sadger qualifiait de narcissisme est une étape que Ferenczi situe “après le stade de l’autoérotisme pervers polymorphe et avant le choix proprement dit d’un objet d’amour dans le monde extérieur”. Parcours bien compliqué pour un “petit d’homme” à moins qu’il ne soit aidé dans cette épreuve par des adultes qui n’ont pas été eux-mêmes en grande difficulté à ce moment-là de leur propre enfance. Pour illustrer mon propos j’évoquerai simplement l’exemple de ce personnage d’un roman de Giono qui, compatissant à la vue d’un  homme très petit et bossu, lui demanda si son enfance n’avait pas été trop dure, se vit répondre que chez lui ce n’était pas comme dans les riches demeures où il y a de grands miroirs et des armoires à glace, chez lui on ne s’y voyait que dans les yeux de sa mère.

     Freud qui sur ces questions avait de l’avance écrit qu’un jour, dans son wagon-lit “un monsieur d’un certain âge en robe de chambre, le bonnet de voyage sur la tête entra chez moi. Je supposai qu’il s’était trompé de direction en quittant le cabinet qui se trouvait entre deux compartiments et qu’il était entré dans le mien par erreur ; je me levai précipitamment pour le détromper, mais m’aperçus bientôt abasourdi, que l’intrus était ma propre image renvoyée par le miroir de la porte intermédiaire. Je sais encore que cette apparition m’avait foncièrement déplu. Au lieu donc de nous effrayer de notre double, nous ne l’avions tout simplement, Mach et moi, pas reconnu. Mais le déplaisir que nous y trouvions n’était-il pas tout de même un reste de cette réaction archaïque qui ressent le double comme figure étrangement inquiétante ?”. Cette citation un peu longue, si elle vaut beaucoup pour les notations “ethnographiques” comme le “bonnet de voyage” ou sur l’idée qu’un homme qui se trompe de porte dans un train sort nécessairement des cabinets, vaut surtout, à mes yeux, pour la question du miroir, du double et de l’image de soi.

      Sur ce plan de l’image de soi Clérambault alla, tout attifé d’étoffes et pistolet en main, dans les derniers instants de sa vie, jusqu’au miroir devant lequel il mit fin à ses jours. Nous ne saurons jamais si pour lui l’image de soi était tant insupportable, s’il tira comme par défi pensant survivre à son geste, “pour de rire” comme disent les enfants, à moins que ce ne soit pour se voir mourir. Cet exemple montre l’ineffable et complexe rapport à soi du pervers.

     Dans la France rurale d’avant-guerre, H. Wallon, lui, a vu dans le miroir un très jeune enfant jubilant et entouré de quelques animaux de ferme. J. Lacan, regardant par dessus son épaule, n’y a vu que le très jeune enfant, les animaux avaient disparu.

     Je ne reprendrai pas ici tout ce qui a été écrit sur la question du miroir, je dirai simplement que c’est le moment - sans être pour autant à proprement parler un stade - d’une voie d’accès du sujet à son narcissisme et qui permet et recouvre le champ de la castration anale et de la castration primaire donc de la reconnaissance de la différence des sexes, qui vient après l’intégration par l’enfant de la loi de l’interdit de l’inceste et des lois éthiques et humaines sur lesquelles il fonde et appuie sa sociabilisation comme l’interdiction du vandalisme, du meurtre, du viol, etc. Si le respect du sujet et sa valorisation dans son appartenance sexuelle ne sont pas assurés et si, comme l’écrit Phyllis Grenacre, l’image de son sexe et celle de son visage aperçues dans le miroir ne lui sont pas verbalisées comme faisant partie de son propre corps, l’enfant ne peut s’engager vraiment dans la voie de l’Œdipe, ni le résoudre de façon satisfaisante. C’est lors du remaniement de l’organisation psychique à la puberté que se réveille à nouveau l’angoisse liée au complexe de castration. C’est aussi souvent à cette période-là que commencent, chez les pervers, les premières difficultés et les premiers passages à l’acte, communément appelés séduction, habituellement sur de jeunes enfants. Peut-être faut-il rappeler ici que le Carnaval, dans les pays où il en existe vraiment, permet, par ses déguisements, ses masques et ses parures à des adultes et à des jeunes de rejouer et mettre en scène par le simulacre ou la mascarade certaines de leurs tendances et pulsions mal castrées ; mais c’est toujours La Mort qui y mène le bal.

     Les bons auteurs, depuis Freud, ont confirmé que la question de la différence des sexes est une problématique primordiale chez le pervers. Tirésias avait essayé de la résoudre à sa façon. Selon la légende il aurait vu Athéna dans le plus simple appareil. Celle-ci l’aurait frappé de cécité, mais sa mère intervint en sa faveur et, tout en demeurant aveugle, il fut doté du pouvoir de double vue. Selon l’autre tradition, c’est en s’interposant alors qu’il voyait s’accoupler deux serpents qu’il avait été changé en femme ; sept ans plus tard, il avait assisté à une scène identique et s’étant manifesté de la même manière, il fut cette fois transformé en homme. Quelques temps après, il fut appelé par Zeus et Héra qui se disputaient sur le degré de plaisir qu’un homme et une femme peuvent atteindre respectivement en faisant l’amour. Tirésias, ayant connu les deux formes de jouissance, était censé savoir la réponse. Tirésias qui à certaines occasions était surnommé “l’homme aux mamelles”, aurait pu tout aussi bien être surnommé “la femme au pénis”.

     Le déni de l’absence de pénis chez la mère est lié à l’angoisse de castration chez le jeune garçon qui alors met tout en œuvre pour le faire exister : par un geste chez l’exhibitionniste ou par un objet fétiche servant en quelque sorte de trait d’union entre l’acceptation et le déni. Là, dans le déni, contrairement à la psychose, une reconnaissance antérieure de l’objet a été possible. Le déni porte sur un manque, il ne procède pas d’un refoulement comme chez le névrosé. Le déni permet en fait de maîtriser l’angoisse suscitée par le pénis manquant et renvoyant à l’idée d’une castration réelle. Chez le psychotique Freud écrit, au sujet du président Schreiber : “Il n’était pas exact de dire que la perception qui était supprimée à l’intérieur était projetée au dehors ; la vérité est plutôt que ce qui a été aboli à l’intérieur revient du dehors”. Il s’agit d’autre chose chez le pervers pour lequel l’épreuve de réalité, processus par lequel le sujet distingue les stimuli internes et externes, peut avoir été entravée différemment par un trauma - abusé sexuellement lui-même, par exemple. L’essai de maîtriser l’objet est de le maintenir à l’extérieur dans une construction scénique où il est le principal acteur et metteur en scène et dans laquelle il risque quelque chose de son corps et de sa vie.

     Le déni coexiste avec son contraire de par le clivage du Moi, ce qui se traduit parfois par un véritable dédoublement de la personnalité : le sadique peut être un bon citoyen, un exhibitionniste, un pédophile “excellent époux” dit-on, à moins qu’il ne soit un bon “père” mariste. Le clivage lui permet ainsi de maintenir le manque, de s’en rendre maître ainsi que de la réalité déniée. Contrairement à Tirésias qui successivement est homme puis devient femme et possède puis ne possède pas de pénis, le pervers veut et ne veut pas le voir dans le même temps.

     Le pervers cherche toujours des moyens de séduction lui garantissant l’illusion qu’il a obtenu le consentement de sa victime afin de s’en tirer à bon compte avec sa culpabilité. Il cherche aussi d’une façon ou d’une autre à obtenir l’accord des responsables légaux de l’enfant pour les mêmes raisons. Ainsi, dans une institution d’enfants dont les parents se trouvent en grandes difficultés sociales, un psychologue qui se livrait à d’étranges pratiques avec les enfants, réussit à acquérir le soutien du responsable de l’institution et d’une grande partie du personnel en déclarant “qu’il travaillait l’image”. Pour cela il emmenait au cinéma des fillettes de huit à neuf ans, - de préférence aux cheveux courts “à la garçonne”, ou bien les invitait à faire les magasins avec lui. En fait de magasins, lui qui “travaillait l’image” leur donnait rendez-vous en un lieu connu pour être fréquenté par des travestis et des prostituées. De là ils partaient ensemble se promener le long des boutiques qui dans ce quartier étaient occupées par des cabarets de spectacles pornographiques, des sex-shops et peep-show. C’est devant ces magasins que cet homme “travaillait l’image” avec la permission des responsables et le silence des enfants qu’il achetait en leur offrant des cadeaux, hypothéquant leur malaise inconscient. Il était même intervenu pour que l’une de ces enfants soit différemment vêtue selon ses goûts à lui. Soupçonné malgré tout de pédophilie par quelques personnes, ce qui lui fut signifié, alors pris de panique, il fit un accident de voiture puis à plusieurs reprises des chutes dans les escaliers de l’institution. Il ne fut pourtant jamais vraiment inquiété par la Direction malgré l’insistance des parents. Cependant, la mère de l’une de ces fillettes rapta tout simplement sa fille. Cet acte provoqua chez cet homme un court accès de dépression suivi par un violent accès de rage avec vœux de mort publiquement exprimés contre cette mère qui, tout compte fait, avait eu la seule attitude sensée dans ce genre d’affaire, en fonction des moyens dont elle disposait. Cet exemple montre à quel point le symptôme était utile à cet homme et combien il lui permettait de se “tenir”.

     En ce qui concerne Sade, la prison l’a obligé à contenir ses impulsions et après une réaction de caractère paranoïaque au début de son incarcération, lui a permis de “sublimer” ses tendances par l’écriture de romans dits “libertins”.

     Un autre qui raptait des petites filles, les ligotait, les violait puis les tuait, déclarait après son arrestation que tout cela était de la faute de sa mère car lorsqu’il était petit, il lui disait : “Oh ! La belle petite fille !”. Et sa mère ne réagissait pas. Il est fort probable qu’il verbalisait ainsi une image-écran où la petite fille, c’était lui-même. Dans ce cas comme dans la plupart, la fillette prend la place de l’enfant-pénis. L’auteur de ces crimes disait pour les justifier : “Que voulez-vous que j’en fasse, après cela ?”. Cette pratique, peut-être plus que d’autres pratiques perverses, cristallise et condense un ensemble de tendances et de complexes inconscients. Mais rarement comme dans ce dernier exemple, l’équation  pénis = enfant = fèces, n’est à ce point prise au mot.

     Cet exemple dramatique condense aussi toute la difficulté que rencontrent dans leur enfance ces personnes pour obtenir des réponses satisfaisantes à leurs questions concernant la sexualité : absence de réponses par-ci, violente répression concernant la masturbation par-là. Leurs propos sont d’une extrême pauvreté, leur incapacité d’associer et d’innover est tout à fait remarquable et ce, y compris dans leur métier où ils se rangent toujours derrière l’avis général. Il ne s’agit pas pour eux, dans ces situations là, de conformisme ou de “masque” pour éviter de se trahir ou de se démarquer de la grisaille environnante, mais d’une impossibilité de se poser en tant qu’adulte dans un groupe et d’y assumer le moindre début de responsabilité : ils sont bien plus à l’aise avec des enfants qui, eux, les considèrent comme des adultes. Là, c’est leur statut social qui fait illusion - cf. le psychologue cité plus haut qui avait nécessairement raison dans l’institution, de par son titre. L’un des autres moyens pour trouver des aménagements avec sa culpabilité est pour le pervers de se persuader du plaisir de sa victime et de son consentement.

     Ces pervers dont l’agir est tout à fait stéréotypé ont horreur du sexe des femmes et dès lors qu’une fille commence à devenir pubère et que son corps se transforme, elle ne l’intéresse plus. Il semble en effet que ce soit davantage un anus qui est recherché, ce qui épargne d’avoir à se représenter la féminité et de pouvoir surmonter, en la niant, l’absence de pénis tout en annulant la différence des sexes. Nous trouvons chez Sade, qui est un pratiquant si je puis dire, cette répulsion pour “cette maudite fente” à laquelle il préfère l’anus : “En général, offrez vous toujours très peu par devant, souvenez-vous que cette partie infecte que la nature ne forma qu’en déraisonnant est toujours celle qui nous répugne le plus” (in Les Cent Vingt JournÉes...) et il ajoute : “Le Président enfilait indistinctement tous les trous quoique celui du derrière d’un jeune garçon lui fut infiniment plus précieux”.

     Le passage à l’acte du pervers n’a rien de commun avec l’acting-out au cours d’une analyse dans un moment où l’impossibilité d’élaborer un conflit, un affect ou des émois transférentiels se traduit par un agir à l’extérieur. Dans les exemples dont il a été ici question, l’agir au contraire a été longuement préparé et mûri, la plupart du temps, dans ses moindres détails, du début à la fin. C’est dans des phases de dépression, que l’idée se fait jour et que le projet “d’aller draguer” prend consistance. La “normalité” qui étonne tant les journalistes suivant ce genre d’affaires ne concerne en fait que l’apparence de la personne. En effet sous son “masque” le pédophile cache une dépression intense et un manque impressionnant de confiance en soi devant les adultes de son âge, dont témoignent d’ailleurs les notes et carnets intimes souvent retrouvés à son domicile. Le moindre conflit, la moindre difficulté avec un adulte, peuvent entraîner la recherche d’un partenaire à la fois par envie de retrouver quelque chose de l’univers du jardin d’enfants et de s’adonner à une activité masturbatoire. Pour cela, il connait tout le répertoire du cinéma et des programmes télévisés destinés aux enfants. C’est par ailleurs un grand amateur de dessins animés à partir desquels il peut fantasmer les enfants et grâce auxquels il engagera la conversation lorsqu’il sera “en recherche”. L’agir devient le point ultime de la maîtrise de l’angoisse de castration, avec l’illusion ou le fantasme d’atteindre le stade de la sexualité génitale. C’est, par exemple, à l’acmé de la violence contre ses partenaires que Sade pouvait éjaculer. C’est-à-dire après qu’il ait pu manifester et exprimer sa domination totale.

     Dans son agir, le pédophile condense des strates différentes de sa problématique. Il se répare lui-même avec un pénis enfant dont, tour à tour, il s’affuble ou prend la place et, selon le cas, il agit avec l’enfant à l’image de son fantasme d’être enfant agit par les adultes tutélaires : d’où les jeux avec les vêtements, avec les jouets etc. qui précèdent l’agir sexuel sur l’enfant et qui font tout autant partie de la “technique” de séduction que Ferenczi appelle “la confusion des langues”. On pourrait dire qu’il joue à la poupée - enfant fétiche phallique anal - mais il le fait avec une poupée vivante, se donnant ainsi l’illusion d’avoir accès à une sexualité adulte. Sa hantise, aux dires de plusieurs d’entre eux : le “cassage de gueule” s’il était surpris.

     À quoi, à qui les pervers, dans leur scénario, s’adressent-ils ? Il est rare que dans leur entourage il n’y ait pas quelqu’un qui ne se doute de ses déviations ne serait-ce que par quelques allusions, attitudes, provocations. Peut-être cherchent-t-ils à défier les imago parentales comme le ferait un enfant et à se libérer de leurs entraves. Mais il est vraisemblable que le pervers recherche, en même temps qu’il lance son défi, à se confronter à une véritable castration symboligène lui permettant de sortir de la contrainte de répétition d’actes dans laquelle il se trouve. Cela échoue le plus souvent car ce même défi peut en fait occuper la même place que la séduction et n’a pas d’autre résultat que de mettre la personne en position de voyeur ou de complice.

     Comme Lewis Carrol aimait à photographier les petites filles qu’il attirait chez lui, les pédophiles utilisent tout un magasin d’appareils photo et vidéo pour se filmer et filmer leurs ébats. Les films qui en sont tirés servent d’ailleurs souvent de preuves à la police judiciaire face à leur déni. Cependant, contrairement à Lewis Carrol qui n’osait pas passer à l’acte, mais tentait malgré tout de faire des photos dites “esthétiques”, ils ne regardent pour ainsi dire jamais les photos et films qu’ils ont pris. Bien au contraire, selon les policiers chargés des enquêtes sur ce genre d’affaire, la vue de ces photos suscite horreur et répulsion. Ces photos les montrent davantage comme ils sont dans leur sexualité, plutôt que comme ils voudraient être. Tout se passe en fait comme si dans leur agir ils recherchaient plus particulièrement qu’ailleurs et comme en toute chose à se construire une image d’eux acceptable, ayant des capacités sexuelles satisfaisantes. Mais ils ont besoin pour cela d’un regard extérieur, même si ce n’est que celui d’un Œil-machine, comme s’ils devaient se positionner à la fois dedans et dehors.

     Être en même temps Le Christ, Ponce Pilate, La Vierge Marie et l’Enfant Jésus et être de surcroît celui qui prend la photo de l’ensemble du tableau.

 

[1] P. Meney, Les voleurs d’innocence, Olivier Orban, Paris, 1992.

[2] J. Cordelier, LA DÉROBADE, Le livre de poche, Paris.

[3] S. Ferenczi, JOURNAL CLINIQUE, Payot, Paris, 1985.

[4] A. Logeart, LE MONDE du 05-03-1992.

[5] J. J. Pauvert, SADE VIVANT, Robert Laffont, Paris, 1986, tome 1.

[6] J. M. Fitère, VIOLETTE NOZIÈRE, Presse-Pocket, Paris, 1975.

[7] J. Lacan, Kant avec Sade in ÉCRITS, Le Seuil, Paris, 1966.

[8] J. J. Pauvert, SADE VIVANT, op. cit.

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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