1993 - 2016
      • De la pédocriminalité
    
    
    
    
    
       
  
    2016
      
    
    
       
    
    *** • Point de vue d’un ami
      prêtre
      
    
     
    Extraits
      
    
    
       
    
    *** • Cette homélie n’a pas été publiée en
      avril en raison de la tempête médiatique qui s’acharnait sur le cardinal Barbarin.
      
      
    
    
    
     
    
       
    
    Dimanche 10
      avril 2016
      
    
    
       
    
    3e  dim. de Pâques
      
    
    
       
    
    Chers frères et sœurs,
      
    
    
       
    
    Je reviens de Rome, nous étions place Saint Pierre dimanche dernier,
      dimanche de la miséricorde, avec le Pape François pour la Messe. Il vient de
      sortir son exhortation sur la famille, marquée non par un changement de
      doctrine, évidemment impossible, mais par son souci que l’Évangile se fraye un
      chemin dans tous les cœurs. Il y avait bien peu de monde, étonnant pour cette
      année sainte. La crainte des attentats, sans doute, le Vatican étant une cible
      privilégiée pour les fanatiques. Le saint Père a fait plusieurs fois le tour de
      la place, souriant, rassurant, la main tendue vers les enfants amassés aux
      barrières.
  
    
    [...]
      
    
    Nous avons trop tué le père, nous avons mis en accusation la
      paternité, la transmission du savoir, l’honneur dû au maître. Un professeur me
      racontait que lors de sa dernière inspection, l’envoyé du ministère, un de ces
      pusillanimes qui n’ont qu’un pouvoir très limité mais qui l’exercent avec un despotisme
      digne de Robespierre - que d’ailleurs ils admirent beaucoup - écrasé par les
      poncifs postrousseauistes de l’éducation nationale,
      lui avait dit ces paroles stupéfiantes remarquablement dénoncées par
      François-Xavier Bellamy : « Vous n’êtes
        pas là pour transmettre aux enfants ».
  
    
    Mais les hommes restent toujours des enfants, ils ont soif d’apprendre,
      ils ont soif d’une paternité qui les rassure, sinon ils errent comme des brebis
      sans pasteur, « troupeau parqué pour les enfers » (Ps 48), esclaves médiatiques,  abrutis de fausses évidences mondaines,
      affamés d’une vérité qui leur restitue enfin leur liberté de penser. Nul ne
      peut devenir un maître s’il ne reste un disciple, nul ne peut devenir un homme
      s’il ne demeure un enfant. « Sois le berger des mes brebis » dit le Seigneur à
      Pierre.
  
    
    J’aime aller prier en terre sainte dans la toute petite église au bord
      du lac, sur le rocher.
      
    
    [...]
      
    
    La barque pleine de poissons, le rocher près du lac, le feu de bois,
      le pain partagé, voilà la première Église, une page d’évangile remplie de
      lumière, de simplicité et de tendresse.
  
    
    [...]
      
    
    « Quand tu seras vieux un autre te mettra ta ceinture et te mènera là
      où tu ne voudrais pas aller ».
  
    
    Plus on aime, moins on s’appartient. On apprend à mourir, à renoncer à
      la toute puissance de sa volonté pour la vie de ceux qu’on aime.
  
    
    [...]
      
    
    Ainsi, le Pape Jean-Paul II : « Je rencontre quotidiennement dans mon entourage des personnes âgées
      que tu éprouves fortement : elles sont paralysées, handicapées, impotentes, d’autres
      ont perdu l’usage de leurs facultés mentales. Je vois agir ces gens et je me
      dis : “Si c’était moi ?”. Alors, Seigneur, aujourd’hui même, tandis que je
      jouis de la possession de toutes mes facultés motrices et mentales, je t’offre
  à l’avance mon acceptation à ta sainte volonté, et dès maintenant je veux que
      si l’une ou l’autre de ces épreuves m’arrivait, elle puisse servir à ta gloire
      et au salut des âmes. Et si, un jour, la maladie devait envahir mon cerveau et
      anéantir ma lucidité, déjà, Seigneur, ma soumission est devant toi et se poursuivra
      en une silencieuse adoration ».
      
    
    Ce sont les paroles d’un saint qui accepte par amour d’aller là où il
      n’aurait jamais voulu aller.
  
    
    « Quand tu seras vieux, un autre te mettra ta ceinture… »
      
    
    Je pense avec horreur au scandale des prêtres pédophiles et à la honte
      qui rejaillit sur tout le corps sacerdotal pour le péché mortel de
      quelques-uns. Je prie pour les enfants traumatisés par ceux qui ont abusé de la
      confiance que l’on met dans les prêtres.
  
    
    [...]
      
    
    Je pense à l’énigme de Judas, l’un des douze, capable de trahir, comme
      chacun de nous. Je pense aux larmes de Pierre. Nous portons la sainteté dans
      des vases si fragiles… Gospodi pomiloi, comme le chantent sans cesse les consacrés
      d’Orient dont la voix sombre jaillit des abîmes : « Seigneur prends pitié » et
      les vieux moines en soutane noire et barbes blanches, les yeux tout remplis de
      sagesse et d’amour murmurent la philocalie, la prière du cœur : « Jésus Christ,
      Fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur ». « Le visage si sale de ton
  Église nous effraie » disait le futur pape Benoît XVI lors du chemin de Croix
      au Colisée, et cette parole, une fois élu : « Priez pour que je ne me dérobe
      pas devant les loups ». L’Église marche entre ombres et lumière, elle chante à
      genoux le « Kyrie des gueux » et mendie avec Péguy « la  dernière place en votre purgatoire ».
  
    
    Et pourtant, malgré tout, malgré les scandales, les pasteurs qui ont
      perdu la foi, les « princes de l’Église » qui font refaire leur palais en
      détournant l’argent des pauvres, malgré mes péchés et mes contradictions, [...]
      je veux redire au monde, qui ne me fait pas tellement peur car j’ai une
      conscience extrêmement vive que notre vie ici-bas n’est qu’un souffle et que
      seul compte le jugement de Dieu, de cesser de cacher sa corruption dans un
      facile bouc émissaire qui - même si la justice fait son travail avec son
      entière collaboration - paye manifestement cher sa défense courageuse de la
      famille l’année passée. Oui, je veux redire au monde : « Retire d’abord la
      poutre qui est dans ton œil et tu verras clair » (Mt 7, 3).
  
    
    Concernant le scandale de la pédophilie, il y aurait beaucoup de
      choses à dire, mais la prudence m’interdit d’être trop précis et ce sont des
      réalités si épouvantables d’abjection qu’elles pourraient nous faire désespérer
      de l’homme... Ceci dit, seule la vérité nous réhabilite : « Si vous, vous demeurez dans ma parole à moi, vous êtes
        vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous
        libérera » [Jn 8, 32]. Combien d’affaires
      sordides, y compris récentes, étouffées ou classées sans suite, combien de
      personnes lourdement suspectes ont-elles échappé à toute accusation ?
  
    
    Nous avons la mémoire bien courte. Dans les années 70-80 des journaux
      réputés relayaient volontiers des appels contre la majorité sexuelle ou des
      pétitions appelant à la défense de pédophiles notoires comme dans l’affaire de
      Versailles du 27 janvier 1977, signée par ces « humanistes éclairés » que sont
      Sartre, Simone de Beauvoir et bien d’autres qui n’ont jamais été inquiétés. Il
      est bien trop facile de projeter exclusivement sur l’Église ce que le monde ne
      supporte pas d’affronter en lui-même. N’est ce pas vraiment le bal des
      hypocrites ?
  
    
    Beaucoup – et sans doute même dans l’Église - ont échappé au
      jugement des hommes à force d’agiter leurs réseaux et d’acheter le silence par
      le pouvoir de l’argent roi, mais ils n’échapperont jamais au jugement suprême.
      [...]
  
    
    Bientôt sonne le glas ! Seule la vie éternelle étanchera enfin notre
      soif de la justice. « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice » (Mt 5,
      6).
  
    
    [...]
      
    
    « Malheur à celui qui scandalise un seul de ces petits qui sont les
      miens, dit le Seigneur, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mette au cou une
      de ces meules que portent les ânes et qu’on le jette à la mer » (Mt 18, 6). «
      Ce que tu as fait au plus petit, c’est à moi que tu l’as fait » (Mt 25). Que
      chacun balaye devant sa propre porte et prenne ses responsabilités. Ce que l’Église
      a fait courageusement et dans la douleur après bien des lâchetés et des
      compromissions, principalement grâce au courage du grand pape Benoît XVI, ce
      que font les évêques de France dans leurs récentes dispositions, on ne peut que
      souhaiter vivement que d’autres institutions le fassent à leur tour avec le
      même zèle.
  
    
    Non pas que je veuille défendre l’Église, je ne m’inquiète pas tant
      pour elle.
      
    
    [...]
      
    
    Je sais que les forces du Mal ne prévaudront pas contre elle, même si
      elles l’attaquent sans relâche, mais par amour de l’Église, je veux rappeler
      aussi, avant tout, son immense tendresse pour tous les hommes, je veux redire
      que le bien ne fait jamais de bruit, que le sacrifice de tant de chrétiens, de
      prêtres, de consacrés restera caché du bouillonnement médiatique. L’honneur de
      l’Église palpite dans le cœur des saints. Je veux redire le sang des martyrs,
      les petites sœurs de Mère Teresa qui se penchent sur les lépreux, les moines
      tout remplis de prière, la fidélité des vieux couples reclus d’épreuves, les
      prêtres qui meurent oubliés après avoir tant servi, les affamés nourris, les
      pauvres consolés, les prisonniers visités. Redire l’incomparable intelligence
      chrétienne de l’homme, la formation de tant d’enfants, l’éducation, le beau
      service de la vérité, la puissance des prophètes…
  
    
    [...]
      
    
    Il y avait 153 poissons dans le filet. C’était l’ensemble des pays
      connus au temps du Christ. 
  
    [...]
      
    
    ø
      
    
    
       
    
    1993
      
    
    
       
    
    Saïd Bellakhdar
      
    
    
       
    
    Le pervers et son image
      
    
    
       
    
    [In publication papier du numéro 17 -18 de ψ  [Psi] • Le temps du non, janvier -juin 1993]
      
    
    
       
    
         L’idée d’écrire
      le présent texte m’est venue après avoir lu le livre de Patrick Meney : Les voleurs d’innocence. C’est actuellement,
      à mes yeux, l’un des meilleurs ouvrages traitant la question de la violence
      exercée sur des enfants (meurtres, viols, incestes etc.). Il s’agit là de
      crimes encore trop fréquemment tus et pour lesquels l’opinion publique et les
      médias ne s’émeuvent momentanément que lorsqu’il y a assassinat. Or, souvent,
      les faits qui auraient dû donner l’alerte sont connus depuis longtemps. Ainsi
      ce “fait divers” qui a suscité la stupeur à l’arrestation d’un “instituteur modèle”
      abuseur de petits enfants dans le cadre même de l’école. Huit élèves ont ainsi
      été violés. Avant même que l’affaire n’éclate au grand jour, cet instituteur
      avait déjà été muté huit fois pour les mêmes raisons sans autre sanction. En
      général, c’est l’enfant qui doit changer d’école sans que l’adulte soit, lui,
      inquiété. P. Meney rapporte les propos d’un pervers :
      “Quand tu es professeur, éducateur ou curé, tu es dans une position de force.”
      À ces professions on pourrait aussi bien ajouter puisque cela arrive parfois,
      médecins, psychothérapeutes, magistrats etc. En fait l’impunité ne vient pas
      seulement de la situation sociale du pervers. Elle est due aussi au fait que
      les institutions religieuses, scolaires, d’assistance, de soins, les
      pensionnats, les maisons pour handicapés, les orphelinats, les colonies de
      vacances attirent les pervers ; aussi bien ceux qui passent à l’acte que ceux
      qui ne s’y risquent pas, mais se trouvent en position de voyeur, voire de
      complice et qui, peut-être, devraient tout autant faire l’objet de poursuites
      et de condamnations judiciaires. Comment expliquer autrement que des
      travailleurs sociaux puissent insister auprès des autorités compétentes pour qu’un
      enfant reparte chez lui le week-end alors qu’il est déjà accueilli en institution
      après qu’un diagnostic pudiquement dénommé “Syndrome de Silverman”
      eût été posé à l’âge de neuf mois et qui plus tard, à l’âge de quatre ans,
      vient se plaindre d’être abusé par son père ? Comment expliquer encore qu’après
      avoir signalé des faits analogues aux mêmes autorités, une institution renvoie
      l’enfant qui lui est confié chez ses parents pour les congés hebdomadaires ? 
      
         L’idée
  qu’un enfant ne rentre pas chez lui en fin de semaine semble inacceptable pour
  beaucoup d’adultes. Que ce même enfant supporte l’absence de ses parents et
  puisse grandir et se développer sans eux l’est apparemment encore plus. C’est
  ici le principe de la famille traditionnelle avec mère idéale, protectrice
  assumant parfaitement sa maternité et sa progéniture, qui est en jeu. 
         Le fait
      que des hommes et des femmes soient dans l’impossibilité,
      pendant de nombreuses années, de s’occuper et d’élever leurs enfants sans les
      maltraiter et les mettre en danger de façon à hypothéquer gravement leur avenir
      est encore difficilement audible. Qu’il faille mettre un terme à ce que peuvent
      endurer dans de telles conditions des enfants grands ou petits, y compris,
      lorsqu’il le faut, en faisant appel à une mesure de protection judiciaire, ne
      constitue pas encore une évidence. Les adultes se comportent parfois dans ces
      cas comme des enfants qui, dans une situation traumatique, sont en état de
      sidération et ne peuvent s’opposer à des parents qui en seraient les auteurs.
      Les abus commis dans les institutions par certains membres du personnel ne
      dépassent qu’assez exceptionnellement les murs de celles-ci. Il arrive assez
      souvent que des personnes ayant révélé de tels agissements dans les
      institutions où elles travaillent se soient trouvées, par la suite, en
      délicatesse et qu’elles aient fait l’objet d’une mesure de licenciement, à
      moins qu’elles n’aient été contraintes de partir d’elles-mêmes. Ce phénomène
      est pourtant loin d’être marginal et méconnu. Un fonctionnaire du Ministère des
      Affaires Sociales cité par P. Meney affirme en effet :
  “Nous savons parfaitement qu’un certain nombre de directeurs d’institutions ont
      eu de sérieux problèmes avec des enfants. L’un d’eux en particulier a été mêlé
  à des faits extrêmement graves. C’est un pédophile récidiviste invétéré. Mais
      il est toujours en place. Il dirige un établissement important dans la région
      de P...”. À cela s’ajoutent les divers réseaux, parfois très bien protégés par
      des notables, des intellectuels, voire des personnalités importantes du monde
      politique. Ces réseaux disposent d’officines, de revues, d’associations ayant
      pignon sur rue et se permettent même d’adresser au Président de la République
      des pétitions demandant la légalisation de la pédophilie comme mode de
      prophylaxie des crimes sexuels contre les enfants !
         Selon l’Observatoire
      National de l’Action Sociale, en 1991, il y a eu 30 000 signalements
      judiciaires d’enfants en danger, dont 22 000 enfants victimes de carences
      diverses et 8 500 victimes d’abus sexuels ; 300 meurent des violences subies -
      les associations pensent que ce chiffre sous-estime largement la réalité. Mais
      tout cela ne concerne cependant que ce qui est signalé aux autorités
      judiciaires. Selon l’hebdomadaire TÉmoignage ChrÉtien du
      19 Septembre 1992, une femme sur dix et un homme sur huit auraient subi un abus
      sexuel ; dans 40% des cas l’agresseur est le père et dans 3% la mère.
         Les dégâts
      causés par les maltraitances diverses et les abus sexuels sont pourtant connus
      depuis fort longtemps. Benoîte Groult écrivait il y a une dizaine d’années dans
      sa préface au roman autobiographique de Jeanne Cordelier que trois prostituées sur quatre avaient été abusées dans leur enfance dans ou
      hors de leur famille d’origine. Jeanne Cordelier y parle aussi du cas, assez
      fréquent somme toute, d’une personne ayant subi de tels actes dans les familles
      d’accueil de la DASS où elle avait été placée pour
  être “protégée” selon l’expression courante. Le résultat fut qu’on en fit une
      prostituée ! 
         La
      prostitution ne concerne pas uniquement les femmes. L’enfant abusé reçoit de
      telles pressions de son abuseur qu’il a bien du mal à se défaire de ces liens.
      Le chef de famille, pater familias souvent alcoolique, exerce parfois une
      véritable dictature par la violence et la menace aussi bien contre l’enfant que
      contre la mère de celui-ci. Mais beaucoup utilisent tout simplement la
      séduction : quelques piécettes de monnaie et très généralement les éternelles
      gâteries (ce qui confère à cette pratique le caractère d’une école de
      prostitution) ; mais dans l’une et l’autre situations, qui peuvent par ailleurs
      alterner, les effets en sont toujours destructeurs.  
         En 1932, Sandòr Ferenczi, à la suite d’Anna
      Freud, insistait sur l’importance du mécanisme d’identification à l’agresseur.
  “Si l’enfant se remet d’une telle agression, il en ressent une énorme confusion
      : à vrai dire, il est déjà clivé, à la fois innocent et coupable, et sa
      confiance dans le témoignage de ses propres sens est brisée (...). La
      personnalité encore faiblement développée réagit au brusque déplaisir non par
      la défense, mais par l’identification anxieuse et l’introjection de celui qui
      la menace ou l’agresse”. Sandòr Ferenczi précise
  également dans son Journal Clinique : “Pas de fixation par le
      plaisir, mais fixation par la peur. Hommes et femmes vont me tuer si je ne l’aime
      pas (si je ne m’identifie pas à ses désirs)”. Plus loin, il ajoute : “Il faut
      connaître exactement l’adversaire dangereux, suivre chacun de ses mouvements
      pour pouvoir s’en protéger”. 
         De nos
      jours, le mécanisme de l’identification à l’agresseur est repris dans le
      domaine de la psychiatrie sous le nom de “Syndrome de Stokholm”
      pour désigner les relations très particulières que peuvent entretenir avec
      leurs geôliers des prisonniers arbitrairement détenus ou des otages avec leurs
      ravisseurs. Sandòr Ferenczi s’est beaucoup intéressé
      aux problèmes que j’évoque ici. Il décrit dans son  Journal Clinique les
      symptômes dont souffrent les filles abusées par leur père - “Caractère entêté,
      incapacité à mener à terme des études quelles qu’elles soient”. L’intimidation
      qu’elles subissent de la part du père pour garder un silence garant de la
      cohésion familiale, l’attitude ambiguë de certaines mères qui parfois désavouent
      leurs filles lorsque celles-ci viennent se plaindre à elles. Qu’en est-il donc
      de ces mères qui ne “protègent” pas leurs propres enfants et qui, vivant dans
      de petits studios, disent n’avoir rien vu et rien entendu ? Ferenczi ne se
      prononce pas. Sans doute ces femmes préfèrent-elles que l’homme reste à la
      maison plutôt  qu’aller courir
      dehors. Elles-mêmes sont souvent immatures avec une enfance désastreuse. Dans l’impossibilité
      de réagir, elles apparaissent comme si elles aussi étaient dans un état de
      sidération et de peur. 
         Les
      situations d’enfants abusés sexuellement dont j’ai eu à m’occuper dans le cadre
      de mon travail m’ont enseigné que la plupart du temps la mère savait ce qui se
      passait entre son conjoint et sa fille, mais se trouvait elle-même vis à vis de
      son compagnon comme une petite fille exclue de la chambre à coucher. Dans ces
      cas là elles agissent presque toutes de la même manière : elles vont faire la
      vaisselle ou s’activent pour ne plus penser à rien. Celles qui en viennent
      enfin à dénoncer les agissements du père, c’est le plus souvent que celui-ci
      est allé beaucoup trop loin et que sa responsabilité pourrait être en cause
      (grossesse de l’enfant par exemple). Dans La confusion des langues
        entre les adultes et les enfants, Ferenczi précise les conséquences de tels actes sur les enfants : angoisse de
      mort, effets de fixation, régression “vers une béatitude prétraumatique qui cherche à le rendre [le trauma] non advenu”. C’est dans ce texte qu’il
      développe son apport le plus original sur la question, le concept de
      fragmentation.
         Les
      conséquences sont encore plus graves dans les cas où la séduction est très
      précoce et commence dès la petite enfance, contrairement à ce qui a pu se
      passer pour Violette Nozière qui, comme nous le
      verrons plus loin, a pu vivre normalement après s’être débarrassée de son
  “père” et après avoir purgé sa peine de prison. Il arrive en effet que ces
      petites filles restent handicapées à vie par des problèmes de troubles du
      comportement et d’adaptation, sans aucun apprentissage à l’école, parfois
      boulimiques et manquant d’autonomie, présentées souvent comme “débiles”, ces
      enfants sont aussi incapables de tenir un raisonnement cohérent. Ce qui, par
      ailleurs, facilite la possibilité pour l’abuseur de réfuter les accusations que
      l’enfant pourrait porter contre lui. 
         Au delà
      de l’exposé d’une situation dramatique et de la dénonciation de l’ampleur des
      problèmes de maltraitance, c’est la complicité voire la duplicité avec les
      abuseurs qui pose problème. Pourtant, à ce jour, personne n’a découvert de
      remèdes miracles contre ce genre de perversion. Pour H. Giraud  : “Le pervers sexuel est incurable,
      il récidive toujours. Pour lui, il n’y a pas de réinsertion, ni remède, ni
      miracle”. Ou encore comme le dit un patient rencontré au Canada par P. Meney : “La pédophilie ne se guérit pas, mais elle se
      soigne. C’est un peu comme l’alcoolisme, on finit par la contrôler”.
         En
      France l’illusion thérapeutique est encore tenace. En témoigne l’histoire de
      Christian V. G. Il s’agit d’un multirécidiviste qui avait, comme beaucoup de
      pervers sexuels, organisé sa vie autour de la possibilité de mettre en acte ses
      obsessions : enlèvements et viols de fillettes. “Un homme, apparemment bien
      adapté, intelligent”, selon la presse. Un jour, il fut arrêté. À Orléans où il
      a été “soigné”, il s’était montré courtois et coopératif. On avait pensé qu’il
      pouvait être débarrassé de sa “maladie”. Il est jugé et condamné à quatre ans d’emprisonnement
      dont trente mois avec sursis. La peine est assortie de cinq mois de mise à l’épreuve
      avec obligation de se soigner. Il est libéré en décembre 1984 après avoir passé
      quatorze mois en prison et continue d’être suivi pendant la période probatoire. 
         D’après
      Agathe Logeart, journaliste au journal Le
        Monde, on citera encore
      quelques années durant “l’exemple de ce cadre exemplaire qui a su se guérir de
      sa pédophilie sans rechuter”. Cela durera jusqu’au jour où, en 1990, le
      personnage est à nouveau arrêté et condamné à deux mois de prison avec sursis
      pour exhibitionnisme. Puis, en octobre 1991, c’est l’assassinat de deux
      fillettes.
         Le
      pervers fascine. Il fascine d’autant plus qu’il appartient ou donne l’impression
      d’appartenir à un milieu honorable. Pour lui plus qu’un autre “l’habit fait le
      moine”. Il accomplira d’autant mieux son acte si dans l’environnement
      institutionnel de l’enfant des gens sont prêts à se laisser mystifier, à ne
      rien voir et à laisser faire. C’est avec l’habit de l’honorabilité qu’il attire
      ses victimes. Certains policiers, comme ceux qui ont arrêté Christian V. G. le
      savent puisque l’un d’eux disait avoir mené l’interrogatoire après l’arrestation
      en s’efforçant de ne jamais regarder le prévenu dans les yeux afin justement de
      n’être pas saisi par le doute et de ne pas risquer de tomber sous le coup de la
      fascination. Le pervers est tout à fait capable de se marier - avec une femme
      dont il n’a que faire - d’avoir des enfants, de paraître être un bon père de
      famille, d’occuper un emploi tout à fait respectable
      et qui lui confère un statut social enviable. Mais ses pensées sont en fait
      constamment occupées par les mêmes choses : comment mettre en acte ce qui l’obsède
      et ce qui le tourmente - ce que le névrosé ne fait
      pas, il en parle. 
         Les
      psychiatres et les psychologues canadiens par contre sont beaucoup plus
      méfiants quant à la “guérison” des abuseurs. La prise en charge thérapeutique
      de ces derniers commence avant même le procès et se poursuit au sein de la
      prison-hôpital si le “malade” est jugé suffisamment capable d’admettre ses
      problèmes. Il est ensuite suivi “à vie” après sa sortie de prison pour prévenir
      la récidive. “Chez vous”, constate le Dr Aubut au sujet d’un pervers qui ne
      fait pas mystère de ses compulsions meurtrières envers des enfants, “ce type-là
      serait complètement livré à lui-même. Sa peine purgée, il ruminerait toujours
      dans sa tête ses projets de viols et de meurtres. Et il finirait par récidiver.
      Mais la société aurait bonne conscience, car il aurait payé sa dette”. Je ne
      dirai que quelques mots sur ces thérapeutiques au Canada. Elles agissent sur le
      comportement : apprentissage de la vie sociale, relaxation, recherches visant à
      la compréhension de la crainte des femmes et des difficultés rencontrées avec
      les adultes, thérapies aversives etc., l’ensemble ne visant qu’à empêcher tout
      nouveau passage à l’acte. La recherche d’éviter la récidive est constante,
      tournée d’abord vers la prévention des risques encourus par les enfants.
         Il a
      fallu en France toute la détermination et l’obstination de militantes pour
      faire reconnaître la gravité du viol contre une femme aux yeux de la justice et
      de la police et que les ricanements baissent d’un ton
      dans ces institutions quand elles reçoivent des plaignantes. Il en faudra
      encore beaucoup pour que la législation applique la prescription en faveur de
      la majorité des victimes de viols incestueux (Loi du 10 Juillet 1989). Car
      aujourd’hui encore, et malgré la législation, les personnels médico-socio hésitent à signaler aux autorités
  “administratives et judiciaires” des cas de maltraitance sur des enfants
      mineurs et ce faisant avalisent ces pratiques. Les causes de cette inertie sont
      multiples. La plus communément entendue et reprise est que les enfants
      fabulent, argument des plus anciens que le très médiéval Marquis de Sade
      utilisait déjà contre l’un de ses accusateurs : “(...) mais cet enfant était
      domestique : ainsi à titre d’enfant et de domestique, il ne peut être cru”. L’argument avait aussi été utilisé à l’encontre
      de Violette Nozière par les magistrats qui avaient eu
  à la juger pour parricide. Son biographe, qui fait dans l’antienne
      : « Violette Nozière, ses amours, ses crimes, son
      expiation, son rachat » nous apprend que celle-ci à douze ans avait été malade,
  “des maux de ventre”, une appendicite, des problèmes de santé qui l’ont amenée
  à souvent redoubler la classe et à aller se reposer à la campagne chez sa
      grand-mère. Violette, auparavant très bonne élève, faisait des “fugues”,
      séchait la classe, “mentait”, avait eu des relations sexuelles trop précoces.
      Autant de faits qui ressemblent fort à certaines descriptions de cas relevées
      dans le Journal clinique de Ferenczi. Parlant de son père, Violette avait confié à des amis, “il oublie
      parfois que je suis sa fille”. Alors un jour d’août 1933 comme l’a écrit Paul
      Eluard,
    
       
    
                                              Violette
      a rêvé de défaire
  
    
                                              A
      défait
  
    
                                              L’affreux
      nœud de serpents des liens du sang.
  
    
    
       
    
         Malgré
      ses déclarations lors de l’instruction à la justice, elle fut condamnée à mort,
      puis grâciée car les femmes n’étaient plus exécutées
      en 1934. Pourtant le commissaire de police qui l’avait arrêtée avait noté les
      choses ainsi : “Elle me raconta comment un jour son père avait odieusement
      abusé d’elle, pendant un voyage de sa mère. Quand celle-ci fut de retour, elle
      n’avait rien osé lui avouer, par peur. Et, docilement pendant des années, elle
      s’était prêtée à l’odieux caprice de l’homme pour qui elle n’éprouvait plus que
      de la haine et du mépris. Mais un jour elle avait fait la connaissance de
      quelqu’un qu’elle avait tout de suite aimé avec passion. Bien sûr elle menait
      une vie qui n’était pas exemplaire mais c’était son rachat, cet amour
      merveilleux. Alors, elle avait essayé de se refuser à son père. Hélas... Seule sa mort pouvait me délivrer de lui,
      conclut-elle d’une voix lasse, et c’est
        ainsi qu’est née, peu à peu, l’idée de me débarrasser de lui à jamais, de l’empoisonner”.
      Le “psychiatre-expert” chargé d’“examiner” Violette était le Dr Truelle,
      celui-là même qui avait été commis pour les sœurs Papin et d’autres “cas” célébrissimes.      
         Une
      fillette de quatre ans exprimait ainsi ce sentiment de violence et de souhait
      de mort contre son père en demandant : “Quand je serais grande est-ce que mon
      père mourra ?”. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce qu’une fillette déclare
      plutôt  que quand sa mère mourra,
      elle épousera son père. Éva Thomas confirme dans son livre Le sang des mots la
      très grande fréquence de ces souhaits de mort chez des femmes ayant eu a subir de semblables choses.
         Aujourd’hui,
      l’argumentaire pour refuser d’entendre les enfants s’est modernisé et utilise
      un vocabulaire pseudo-freudien qui prétend faire valoir la suprématie du
      fantasme dans de telles affaires, puisque Freud lui-même aurait abandonné l’idée
      que les traumatismes précoces, relatés par ses patientes hystériques et subis
      dans leur enfance, aient eu une quelconque réalité. On s’est jeté - pour quel
      bénéfice ? - sur ces  seuls propos
      que Freud adressa à Fliess le 21 septembre 1897 : “Le grand secret qui au cours
      de ces derniers mois s’est lentement imposé à moi : je ne crois plus à ma
      neurotica” ! Peut-on tirer de cela et de la théorisation par Freud de la
      sexualité infantile organisée à l’image du mythe d’Œdipe, qu’il ignorerait
      désormais qu’il existât des criminels de par le monde ? Certes, il estimait que
      la théorie de la séduction ne suffisait pas à elle seule à expliquer l’étiologie
      des névroses. Mais constamment il réaffirmera l’existence de la séduction précoce
      (Cf. les notes de la réédition de 1924 des Études sur l’hystérie).
      En 1916, il précise : “Ne croyez d’ailleurs pas que l’abus sexuel commis sur
      des enfants par des parents masculins les plus proches soit un fait appartenant
      entièrement au domaine de la fantaisie. La plupart des analystes auront eu à
      traiter des cas où cet abus a réellement existé et a pu être établi d’une
      manière indiscutable, seulement cet abus avait eu lieu à une époque beaucoup
      plus tardive que celle à laquelle l’enfant le situe”. En 1937 dans Constructions
        en analyse il distingue de façon tout à fait claire ce qui peut
      ressortir au fantasme ou à la “vérité historique”. Ferenczi dans La
        confusion des langues entre les adultes et les enfants rappelle dans un
      ultime texte : “On ne pourra jamais assez insister sur l’importance du
      traumatisme et en particulier du traumatisme sexuel comme facteur pathogène.
      Même des enfants appartenant à des familles honorables et de tradition
      puritaine sont, plus souvent qu’on n’osait le penser, les victimes de violences
      et de viols. Ce sont, soit les parents eux-mêmes qui cherchent un substitut à
      leurs insatisfactions de cette façon pathologique, soit des personnes de
      confiance, membre de la même famille (oncles, tantes, grand-parents),
      les précepteurs ou le personnel domestique qui abusent de l’ignorance et de l’innocence
      des enfants”. Peut-être faut-il préciser ici que ces familles “honorables” se
      débrouillent beaucoup mieux que les autres pour garder leurs secrets. Freud
      confiait dans Ma vie et
        la psychanalyse qu’après la guerre de 14-18 la psychanalyse avait connu une période de reconnaissance justement en raison de
      ce que celle-ci pouvait apporter pour les victimes de névroses traumatiques.
      Mais il est vrai qu’il s’agissait dans ce cas de traumas liés à la guerre et à
      l’angoisse de mort qui pouvait en résulter chez des soldats. Les traumas liés à
  “l’éducation” des enfants par des pervers n’avaient visiblement pas encore
      droit de cité ! 
         Il
      arrive, malgré la connaissance que nous avons aujourd’hui des conséquences de
      la maltraitance, que l’on affiche, au contraire, l’idée selon laquelle cela n’est
      fait que pour le bien et l’intérêt de l’enfant et qu’il n’y a rien de
      particulièrement répréhensible derrière certaines invitations. Mais c’est aussi
      l’un des traits du pervers que de dire, à bout d’autres arguments, que c’est l’enfant
      qui l’a provoqué. Un homme d’une quarantaine d’années déclarait, parlant d’un
      enfant dont il avait abusé, avoir été entraîné de force “par ce jeune homme de
      quatre ans”. Une certaine presse reprend aussi ce genre d’âneries à son compte. Libération du 7 mai 1978 publie en
      gros titre : “Et si les enfants désiraient être volés ?”. De tels propos
      pouvaient s’écrire alors qu’un assassin d’enfant allait être jugé à Troyes. Je
      cite ce texte en tant qu’il est un condensé d’inepties tenues sur les enfants
      présentés là successivement comme objet de jouissance ou comme objet de
      répulsion par un certains adultes. Un intellectuel y écrit : “Le rapt pour
      nous, ce n’est pas la fugue. Ce n’est pas simplement la fuite, hors des
      emprisonnements, c’est beaucoup plus : c’est la valeur positive du rapt en tant
      que correspondance de désir entre le rapteur et le rapté, et vers quelque chose de très précis.” Il ajoute
      plus loin : “L’enfant est un parasite, quelque chose qui se pose là, qui se
      rapproche plus de la mandragore”. Et encore : “Un bébé est un parasite beaucoup
      plus compliqué que les autres” ; enfin pour l’un de ces penseurs convoqués à
      débattre, c’est la faute à la publicité si les enfants sont raptés et, pontifiant, il écrit : “Nous on dit : voilà la manière de les avoir les
      enfants. Enlevez-les. Faites l’amour avec”. Un autre reste “nostalgique d’une
      forme de possibilité historique réelle de vagabondage rapteuse qui s’est bloquée à un moment donné”. Laissons-là ces puissants raisonnements
      pour rappeler que dans des temps, somme toute assez proches, de “vagabondage”
      et peut-être même d’errance, la responsabilité des enlèvements et des meurtres
      d’enfants n’était pas mise sur le dos de n’importe qui et que cela servait
      aussi de prétextes à de sinistres pogroms. L’un des fondateurs de la
      schizo-analyse prétend que l’abandon “c’est peut-être un véritable amour”. Il
      avait déjà affirmé quelque mois plus tôt dans le même journal au sujet de la
      même affaire que l’assassinat commis par un homme normal (sic) sur l’enfant “ne menace pas l’ordre public mais l’ordre
      mental des gens”. Aucune place ici à la compassion pour la victime ou pour ses
      parents. Alors qu’il s’agit bien d’un acte irréparable. Jamais à travers cet
      article de presse, comme d’ailleurs à travers les déclarations de pervers en
      général, nous ne trouvons la moindre trace d’un réel intérêt pour l’enfant et
      pour ce qu’il a dû subir. “L’amour” n’est ici qu’une argutie de plus pour
      légitimer leurs actes et dès lors que ceux-ci ne peuvent être assouvis l’enfant
      devient ce “monstre” gênant, cette “mandragore”. 
         La
      fascination pour l’œuvre de Sade se nourrit aussi des retournements de
      situations qu’opère le pervers et du peu d’intérêt pour ce qu’ont pu subir ceux
      ou celles qui tombèrent entre ses mains. Son œuvre, comme celle de Céline, est
      publiée et abondamment commentée depuis la dernière guerre mondiale comme si
      depuis lors notre humanité en avait vu bien d’autres. Avec Lacan, le Marquis
  “pour quelques badinages, a encouru en connaissance de cause (voir ce qu’il
      fait de ses « sorties », licites ou non) d’être embastillé durant le tiers de
      sa vie, badinages un peu appliqués sans doute, (...) - Treize ans de Charenton
      pour Sade, sont en effet de ce pas - Mais ce n’était pas sa place - Tout est
      là. C’est ce même pas qui l’y mène. Car pour sa place, tout ce qui pense est d’accord
      là-dessus, elle est ailleurs. Mais voilà : ceux qui pensent bien, pensent qu’elle
  était dehors, et les bien-pensants depuis Royer-Collard qui le réclama à l’époque,
      la voyait au bagne, voire sur l’échafaud. C’est justement ce en quoi Pinel est
      un  moment de la pensée. Bon gré mal
      gré, il cautionne l’abattement qu’à droite et à gauche, la pensée fait subir
      aux libertés que la Révolution vient de promulguer, de ce que ce soit nom de
      liberté.”. Mais en vérité, a-t-on incarcéré Sade en raison seulement de
  “quelques badinages”, comme l’écrit Lacan ? Termes que les dictionnaires
      définissent ainsi : “enjouement dans le style”. Ou était-ce en raison de l’usage
      qu’il pouvait faire d’une badine que les mêmes dictionnaires définissent de la
      sorte : “baguette ou canne en bois flexible” ? En fait, à y regarder de plus
      près, Sade n’a pas attendu la Révolution pour “badiner” d’une manière que les
      autorités de son temps n’appréciaient guère. Il a été  mis en prison car accusé par des enfants
      et par des domestiques d’avoir commis à leur endroit d’innommables violences.
      Il a aussi eu des ennuis avec la justice quand des prostituées se sont trouvées
      très gravement malades après qu’il les eut invitées à manger certaines
  “dragées”. De surcroît, il eut à faire avec la justice pour séquestration, viol
      et menaces de mort contre une mendiante en 1768. En fait, cette vie tumultueuse
      avait valu à son auteur dès l’âge de vingt trois ans, en 1763, de très sérieux
      problèmes avec cette même justice, tout du moins pour ce que nous en savons d’après
      les archives qui ont pu être conservées et non soustraites à la curiosité de
      ses contemporains par la noble famille de Sade et ses alliés. Il sera arrêté à
      nouveau et pour longtemps cette fois-ci en 1777, à trente-sept ans. Il allait
      bientôt commencer la carrière littéraire que nous lui connaissons. La
      Révolution allait démarrer douze ans plus tard. Sade avait souvent pu échapper
  à la justice commune en tant que noble (sa mère était la cousine du Grand
      Condé) et les écarts d’un personnage de ce rang relevaient des décisions du
      Roi, de son ministre, et du responsable de la police des mœurs de l’époque qui,
      lui, et il n’était pas le seul, admettait que Sade puisse même être capable de
      meurtres. Peut-être faut-il
      reconnaître que les hommes de ce temps, qu’ils fussent monarchistes ou
      républicains, savaient ce qu’était un pervers. Aujourd’hui, et pour notre
      temps, seul un artiste comme Pasolini a su nous révéler, dans Salô ou les 120 journées de
        Sodome, la vérité de l’œuvre de Sade.
         Alors qu’est-ce
      qu’un pervers ou plus précisément qu’est-ce qu’une perversion chez des gens qui
      passent à l’acte de la manière dont il a été jusqu’ici question ? Pour Freud
      dès 1905, in Les Trois Essais..., la sexualité perverse
      serait une sexualité de caractère infantile qui se maintiendrait à l’âge
      adulte. Elle résulterait d’une fixation à un stade particulier du développement
  émotionnel. Les concepts de fixation et de régression jouent ici un rôle
      essentiel et l’enfant n’a pas subi de castration symboligène de ses pulsions. Dans les cas d’inceste ou de pédophilie, on découvre très
      souvent que les problèmes se répètent d’une génération à l’autre. Dans l’exemple
      de Violette Nozière, le grand-père paternel de la
      jeune femme avait, selon son biographe déjà cité, une liaison très suivie, au
      su et au vu de tous, avec une de ses belles-filles. Dans les cas de pédophilie,
      très souvent, l’auteur est fils de pédophile et a été lui-même initié très
      jeune. Sade fait une allusion à ce genre d’initiation alors qu’il était
      scolarisé chez les jésuites et son père semble avoir été un “libertin”,
      cautionnant une sentence populaire : “L’exemple vient de loin”. Peut-être
      a-t-il fallu, dans le cas de Violette Nozière, le
      meurtre réel du père pour arrêter cette répétition intergénérationnelle de l’agir
      incestueux. Lorsque Violette dit à ses juges qu’elle voulait tuer son père mais
      qu’elle n’a pas voulu tuer sa mère, il est vraisemblable qu’elle aurait voulu
      punir celle-ci également, mais d’une moindre façon, pour n’avoir pas su ou pas
      pu la défendre et la protéger. S’il n’est pas toujours possible d’établir que l’inceste
      ou la pédophilie ont été initiés par une personne de la génération qui précède,
      celle-ci, par contre, ne cache pas toujours son admiration devant l’acte
      commis. Un homme dont le fils est actuellement emprisonné pour une longue
      peine, répondait à une journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait de ce qu’avait
      fait son fils : “Au moins, lui, il a osé aller jusqu’au bout !”. Dans ces cas,
      comme dans le cas de certains crimes xénophobes commis par de jeunes gens, l’acte
      délictueux est réalisé pour l’autre génération.
         L’amour
      de soi que Sadger qualifiait de narcissisme est une
  étape que Ferenczi situe “après le stade de l’autoérotisme pervers polymorphe et avant le choix proprement dit d’un objet d’amour
      dans le monde extérieur”. Parcours bien compliqué pour un “petit d’homme” à
      moins qu’il ne soit aidé dans cette épreuve par des adultes qui n’ont pas été
      eux-mêmes en grande difficulté à ce moment-là de leur propre enfance. Pour
      illustrer mon propos j’évoquerai simplement l’exemple de ce personnage d’un
      roman de Giono qui, compatissant à la vue d’un  homme très petit et bossu, lui demanda
      si son enfance n’avait pas été trop dure, se vit répondre que chez lui ce n’était
      pas comme dans les riches demeures où il y a de grands miroirs et des armoires
  à glace, chez lui on ne s’y voyait que dans les yeux de sa mère.
         Freud
      qui sur ces questions avait de l’avance écrit qu’un jour, dans son wagon-lit
  “un monsieur d’un certain âge en robe de chambre, le bonnet de voyage sur la
      tête entra chez moi. Je supposai qu’il s’était trompé de direction en quittant
      le cabinet qui se trouvait entre deux compartiments et qu’il était entré dans
      le mien par erreur ; je me levai précipitamment pour le détromper, mais m’aperçus
      bientôt abasourdi, que l’intrus était ma propre image renvoyée par le miroir de
      la porte intermédiaire. Je sais encore que cette apparition m’avait
      foncièrement déplu. Au lieu donc de nous effrayer de notre double, nous ne l’avions tout simplement, Mach et moi, pas reconnu. Mais le
      déplaisir que nous y trouvions n’était-il pas tout de même un reste de cette réaction
      archaïque qui ressent le double comme figure étrangement inquiétante ?”. Cette
      citation un peu longue, si elle vaut beaucoup pour les notations
  “ethnographiques” comme le “bonnet de voyage” ou sur l’idée qu’un homme qui se
      trompe de porte dans un train sort nécessairement des cabinets, vaut surtout, à
      mes yeux, pour la question du miroir, du double et de l’image de soi.
          Sur ce plan de l’image de soi Clérambault
      alla, tout attifé d’étoffes et pistolet en main, dans les derniers instants de
      sa vie, jusqu’au miroir devant lequel il mit fin à ses jours. Nous ne saurons
      jamais si pour lui l’image de soi était tant insupportable, s’il tira comme par
      défi pensant survivre à son geste, “pour de rire” comme disent les enfants, à
      moins que ce ne soit pour se voir mourir. Cet exemple montre l’ineffable et
      complexe rapport à soi du pervers.
         Dans la
      France rurale d’avant-guerre, H. Wallon, lui, a vu dans le miroir un très jeune
      enfant jubilant et entouré de quelques animaux de ferme. J. Lacan, regardant
      par dessus son épaule, n’y a vu que le très jeune enfant, les animaux avaient
      disparu.
         Je ne
      reprendrai pas ici tout ce qui a été écrit sur la question du miroir, je dirai
      simplement que c’est le moment - sans être pour autant à proprement parler un
      stade - d’une voie d’accès du sujet à son narcissisme et qui permet et recouvre
      le champ de la castration anale et de la castration primaire donc de la
      reconnaissance de la différence des sexes, qui vient après l’intégration par l’enfant
      de la loi de l’interdit de l’inceste et des lois éthiques et humaines sur
      lesquelles il fonde et appuie sa sociabilisation comme l’interdiction du vandalisme, du meurtre, du viol, etc. Si le respect du
      sujet et sa valorisation dans son appartenance sexuelle ne sont pas assurés et
      si, comme l’écrit Phyllis Grenacre,
      l’image de son sexe et celle de son visage aperçues dans le miroir ne lui sont
      pas verbalisées comme faisant partie de son propre corps, l’enfant ne peut s’engager
      vraiment dans la voie de l’Œdipe, ni le résoudre de façon satisfaisante. C’est
      lors du remaniement de l’organisation psychique à la puberté que se réveille à
      nouveau l’angoisse liée au complexe de castration. C’est aussi souvent à cette
      période-là que commencent, chez les pervers, les premières difficultés et les premiers
      passages à l’acte, communément appelés séduction, habituellement sur de jeunes
      enfants. Peut-être faut-il rappeler ici que le Carnaval, dans les pays où il en
      existe vraiment, permet, par ses déguisements, ses masques et ses parures à des
      adultes et à des jeunes de rejouer et mettre en scène par le simulacre ou la
      mascarade certaines de leurs tendances et pulsions mal castrées ; mais c’est
      toujours La Mort qui y mène le bal.
         Les bons
      auteurs, depuis Freud, ont confirmé que la question de la différence des sexes
      est une problématique primordiale chez le pervers. Tirésias avait essayé de la
      résoudre à sa façon. Selon la légende il aurait vu Athéna dans le plus simple
      appareil. Celle-ci l’aurait frappé de cécité, mais sa mère intervint en sa
      faveur et, tout en demeurant aveugle, il fut doté du pouvoir de double vue.
      Selon l’autre tradition, c’est en s’interposant alors qu’il voyait s’accoupler
      deux serpents qu’il avait été changé en femme ; sept ans plus tard, il avait
      assisté à une scène identique et s’étant manifesté de la même manière, il fut
      cette fois transformé en homme. Quelques temps après, il fut appelé par Zeus et
      Héra qui se disputaient sur le degré de plaisir qu’un homme et une femme
      peuvent atteindre respectivement en faisant l’amour. Tirésias, ayant connu les
      deux formes de jouissance, était censé savoir la réponse. Tirésias qui à
      certaines occasions était surnommé “l’homme aux mamelles”, aurait pu tout aussi
      bien être surnommé “la femme au pénis”.
         Le déni
      de l’absence de pénis chez la mère est lié à l’angoisse de castration chez le
      jeune garçon qui alors met tout en œuvre pour le faire exister : par un geste
      chez l’exhibitionniste ou par un objet fétiche servant en quelque sorte de
      trait d’union entre l’acceptation et le déni. Là, dans le déni, contrairement à
      la psychose, une reconnaissance antérieure de l’objet a été possible. Le déni
      porte sur un manque, il ne procède pas d’un refoulement comme chez le névrosé.
      Le déni permet en fait de maîtriser l’angoisse suscitée par le pénis manquant et
      renvoyant à l’idée d’une castration réelle. Chez le psychotique Freud écrit, au
      sujet du président Schreiber : “Il n’était pas exact de dire que la perception
      qui était supprimée à l’intérieur était projetée au dehors ; la vérité est
      plutôt que ce qui a été aboli à l’intérieur revient du dehors”. Il s’agit d’autre
      chose chez le pervers pour lequel l’épreuve de réalité, processus par lequel le
      sujet distingue les stimuli internes et externes, peut avoir été entravée
      différemment par un trauma - abusé sexuellement lui-même, par exemple. L’essai
      de maîtriser l’objet est de le maintenir à l’extérieur dans une construction
      scénique où il est le principal acteur et metteur en scène et dans laquelle il
      risque quelque chose de son corps et de sa vie.
         Le déni
      coexiste avec son contraire de par le clivage du Moi, ce qui se traduit parfois
      par un véritable dédoublement de la personnalité : le sadique peut être un bon
      citoyen, un exhibitionniste, un pédophile “excellent époux” dit-on, à moins qu’il
      ne soit un bon “père” mariste. Le clivage lui permet ainsi de maintenir le
      manque, de s’en rendre maître ainsi que de la réalité déniée. Contrairement à
      Tirésias qui successivement est homme puis devient femme et possède puis ne
      possède pas de pénis, le pervers veut et ne veut pas le voir dans le même
      temps.
         Le
      pervers cherche toujours des moyens de séduction lui garantissant l’illusion qu’il
      a obtenu le consentement de sa victime afin de s’en tirer à bon compte avec sa
      culpabilité. Il cherche aussi d’une façon ou d’une autre à obtenir l’accord des
      responsables légaux de l’enfant pour les mêmes raisons. Ainsi, dans une
      institution d’enfants dont les parents se trouvent en grandes difficultés
      sociales, un psychologue qui se livrait à d’étranges pratiques avec les
      enfants, réussit à acquérir le soutien du responsable de l’institution et d’une
      grande partie du personnel en déclarant “qu’il travaillait l’image”. Pour cela
      il emmenait au cinéma des fillettes de huit à neuf ans, - de préférence aux
      cheveux courts “à la garçonne”, ou bien les invitait à faire les magasins avec
      lui. En fait de magasins, lui qui “travaillait l’image” leur donnait
      rendez-vous en un lieu connu pour être fréquenté par des travestis et des
      prostituées. De là ils partaient ensemble se promener le long des boutiques qui
      dans ce quartier étaient occupées par des cabarets de spectacles
      pornographiques, des sex-shops et peep-show. C’est devant ces magasins que cet
      homme “travaillait l’image” avec la permission des responsables et le silence
      des enfants qu’il achetait en leur offrant des cadeaux, hypothéquant leur
      malaise inconscient. Il était même intervenu pour que l’une de ces enfants soit
      différemment vêtue selon ses goûts à lui. Soupçonné malgré tout de pédophilie
      par quelques personnes, ce qui lui fut signifié, alors pris de panique, il fit
      un accident de voiture puis à plusieurs reprises des chutes dans les escaliers
      de l’institution. Il ne fut pourtant jamais vraiment inquiété par la Direction
      malgré l’insistance des parents. Cependant, la mère de l’une de ces fillettes rapta tout simplement sa fille. Cet acte provoqua chez cet
      homme un court accès de dépression suivi par un violent accès de rage avec vœux
      de mort publiquement exprimés contre cette mère qui, tout compte fait, avait eu
      la seule attitude sensée dans ce genre d’affaire, en fonction des moyens dont
      elle disposait. Cet exemple montre à quel point le symptôme était utile à cet
      homme et combien il lui permettait de se “tenir”. 
         En ce
      qui concerne Sade, la prison l’a obligé à contenir ses impulsions et après une
      réaction de caractère paranoïaque au début de son incarcération, lui a permis
      de “sublimer” ses tendances par l’écriture de romans dits “libertins”. 
         Un autre
      qui raptait des petites filles, les ligotait, les
      violait puis les tuait, déclarait après son arrestation que tout cela était de
      la faute de sa mère car lorsqu’il était petit, il lui disait : “Oh ! La belle
      petite fille !”. Et sa mère ne réagissait pas. Il est fort probable qu’il
      verbalisait ainsi une image-écran où la petite fille, c’était lui-même. Dans ce
      cas comme dans la plupart, la fillette prend la place de l’enfant-pénis. L’auteur
      de ces crimes disait pour les justifier : “Que voulez-vous que j’en fasse,
      après cela ?”. Cette pratique, peut-être plus que d’autres pratiques perverses,
      cristallise et condense un ensemble de tendances et de complexes inconscients.
      Mais rarement comme dans ce dernier exemple, l’équation  pénis = enfant = fèces, n’est à ce point
      prise au mot. 
         Cet
      exemple dramatique condense aussi toute la difficulté que rencontrent dans leur
      enfance ces personnes pour obtenir des réponses satisfaisantes à leurs
      questions concernant la sexualité : absence de réponses par-ci, violente
      répression concernant la masturbation par-là. Leurs propos sont d’une extrême
      pauvreté, leur incapacité d’associer et d’innover est tout à fait remarquable
      et ce, y compris dans leur métier où ils se rangent toujours derrière l’avis
      général. Il ne s’agit pas pour eux, dans ces situations là, de conformisme ou
      de “masque” pour éviter de se trahir ou de se démarquer de la grisaille
      environnante, mais d’une impossibilité de se poser en tant qu’adulte dans un
      groupe et d’y assumer le moindre début de responsabilité : ils sont bien plus à
      l’aise avec des enfants qui, eux, les considèrent comme des adultes. Là, c’est
      leur statut social qui fait illusion - cf. le psychologue cité plus haut qui
      avait nécessairement raison dans l’institution, de par son titre. L’un des
      autres moyens pour trouver des aménagements avec sa culpabilité est pour le
      pervers de se persuader du plaisir de sa victime et de son consentement.
         Ces
      pervers dont l’agir est tout à fait stéréotypé ont horreur du sexe des femmes
      et dès lors qu’une fille commence à devenir pubère et que son corps se
      transforme, elle ne l’intéresse plus. Il semble en effet que ce soit davantage
      un anus qui est recherché, ce qui épargne d’avoir à se représenter la féminité
      et de pouvoir surmonter, en la niant, l’absence de pénis tout en annulant la
      différence des sexes. Nous trouvons chez Sade, qui est un pratiquant si je puis
      dire, cette répulsion pour “cette maudite fente” à laquelle il préfère l’anus :
  “En général, offrez vous toujours très peu par devant, souvenez-vous que cette
      partie infecte que la nature ne forma qu’en déraisonnant est toujours celle qui
      nous répugne le plus” (in Les Cent Vingt JournÉes...)
      et il ajoute : “Le Président enfilait indistinctement tous les trous quoique
      celui du derrière d’un jeune garçon lui fut infiniment plus précieux”.
         Le
      passage à l’acte du pervers n’a rien de commun avec l’acting-out au cours d’une
      analyse dans un moment où l’impossibilité d’élaborer un conflit, un affect ou
      des émois transférentiels se traduit par un agir à l’extérieur. Dans les exemples
      dont il a été ici question, l’agir au contraire a été longuement préparé et
      mûri, la plupart du temps, dans ses moindres détails, du début à la fin. C’est
      dans des phases de dépression, que l’idée se fait jour et que le projet “d’aller
      draguer” prend consistance. La “normalité” qui étonne tant les journalistes
      suivant ce genre d’affaires ne concerne en fait que l’apparence de la personne.
      En effet sous son “masque” le pédophile cache une dépression intense et un
      manque impressionnant de confiance en soi devant les adultes de son âge, dont
      témoignent d’ailleurs les notes et carnets intimes souvent retrouvés à son
      domicile. Le moindre conflit, la moindre difficulté avec un adulte, peuvent
      entraîner la recherche d’un partenaire à la fois par envie de retrouver quelque
      chose de l’univers du jardin d’enfants et de s’adonner à une activité
      masturbatoire. Pour cela, il connait tout le répertoire du cinéma et des
      programmes télévisés destinés aux enfants. C’est par ailleurs un grand amateur
      de dessins animés à partir desquels il peut fantasmer les enfants et grâce
      auxquels il engagera la conversation lorsqu’il sera “en recherche”. L’agir
      devient le point ultime de la maîtrise de l’angoisse de castration, avec l’illusion
      ou le fantasme d’atteindre le stade de la sexualité génitale. C’est, par
      exemple, à l’acmé de la violence contre ses partenaires que Sade pouvait
  éjaculer. C’est-à-dire après qu’il ait pu manifester et exprimer sa domination
      totale. 
         Dans son
      agir, le pédophile condense des strates différentes de sa problématique. Il se
      répare lui-même avec un pénis enfant dont, tour à tour, il s’affuble ou prend
      la place et, selon le cas, il agit avec l’enfant à l’image de son fantasme d’être
      enfant agit par les adultes tutélaires : d’où les jeux avec les vêtements, avec
      les jouets etc. qui précèdent l’agir sexuel sur l’enfant et qui font tout
      autant partie de la “technique” de séduction que Ferenczi appelle “la confusion
      des langues”. On pourrait dire qu’il joue à la poupée - enfant fétiche
      phallique anal - mais il le fait avec une poupée vivante, se donnant ainsi l’illusion
      d’avoir accès à une sexualité adulte. Sa hantise, aux dires de plusieurs d’entre
      eux : le “cassage de gueule” s’il était surpris.
         À quoi,
  à qui les pervers, dans leur scénario, s’adressent-ils ? Il est rare que dans
      leur entourage il n’y ait pas quelqu’un qui ne se doute de ses déviations ne
      serait-ce que par quelques allusions, attitudes, provocations. Peut-être
      cherchent-t-ils à défier les imago parentales comme le ferait un enfant et à se
      libérer de leurs entraves. Mais il est vraisemblable que le pervers recherche,
      en même temps qu’il lance son défi, à se confronter à une véritable castration symboligène lui permettant de sortir de la contrainte de
      répétition d’actes dans laquelle il se trouve. Cela échoue le plus souvent car
      ce même défi peut en fait occuper la même place que la séduction et n’a pas d’autre
      résultat que de mettre la personne en position de voyeur ou de complice.
         Comme
      Lewis Carrol aimait à photographier les petites
      filles qu’il attirait chez lui, les pédophiles utilisent tout un magasin d’appareils
      photo et vidéo pour se filmer et filmer leurs ébats. Les films qui en sont
      tirés servent d’ailleurs souvent de preuves à la police judiciaire face à leur
      déni. Cependant, contrairement à Lewis Carrol qui n’osait
      pas passer à l’acte, mais tentait malgré tout de faire des photos dites
  “esthétiques”, ils ne regardent pour ainsi dire jamais les photos et films qu’ils
      ont pris. Bien au contraire, selon les policiers chargés des enquêtes sur ce
      genre d’affaire, la vue de ces photos suscite horreur et répulsion. Ces photos
      les montrent davantage comme ils sont dans leur sexualité, plutôt que comme ils
      voudraient être. Tout se passe en fait comme si dans leur agir ils
      recherchaient plus particulièrement qu’ailleurs et comme en toute chose à se
      construire une image d’eux acceptable, ayant des capacités sexuelles
      satisfaisantes. Mais ils ont besoin pour cela d’un regard extérieur, même si ce
      n’est que celui d’un Œil-machine, comme s’ils devaient se positionner à la fois
      dedans et dehors. 
         Être en
      même temps Le Christ, Ponce Pilate, La Vierge Marie et l’Enfant Jésus et être
      de surcroît celui qui prend la photo de l’ensemble du tableau.
     
    [1] P. Meney, Les voleurs d’innocence, Olivier Orban, Paris, 1992.
    
     [3] S. Ferenczi, JOURNAL CLINIQUE, Payot, Paris, 1985.
    
      [5] J. J. Pauvert, SADE VIVANT, Robert Laffont, Paris, 1986, tome 1.
    
     [7] J. Lacan, Kant avec Sade in ÉCRITS, Le Seuil, Paris, 1966.