© Philippe
Bilger / 14 mai 2015
Avec autorisation de l’auteur
Philippe Bilger
Obligations ou
Désertions : une fuite
In C.J.F.A.I le 10 mai 2015
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Dans une période qui ne s’y
prête guère, remercions le Conseil supérieur des programmes (CSP) pour le
sourire largement consensuel qu’il a suscité et qui nous a mis en joie, tant il
a rendu ridicule la mission qui lui avait été confiée par Vincent Peillon en
2013.
Il avait à réfléchir sur une
réforme des savoirs pour le collège et, de fait, s’il a remis un rapport, force
est de considérer que sa réflexion a été limitée, pour ne pas dire orientée.
Tout est touché : le grec,
le latin, l’histoire, les classes européennes, les classes bilingues,
l’essentiel devient optionnel et, surtout, il convient de se conformer
dorénavant à l’ardente obligation du jeu. Il s’agit de préserver à tout prix
les élèves de l’ennui.
Sans abus de langage, pour
complaire à ceux qui ont tout à apprendre et à espérer, on déserte l’Éducation
nationale pour la frivolité scolaire. Les professeurs sont sommés d’oublier
leur seule légitimité et de se muer en amuseurs. On aura des collégiens
ignorants mais apparemment heureux.
Ce qui a fait naître
l’hilarité quasi générale est l’incroyable jargon dont le CSP a usé pour
imposer l’enflure et l’hermétisme à certaines matières et à quelques activités
et lieux sportifs dont le libellé ancien se serait suffi à lui-même (Valeurs
actuelles). Plus la substance se vide, plus la dénomination a besoin d’une
pompe auprès de laquelle les Trissotin de Molière auraient fait pâle figure.
Cette entreprise de
démolition serait seulement ridicule si elle n’était pas révélatrice de la
catastrophe qui résulte de la pensée de bureaucrates abscons et déconnectés sur
une institution fondamentale pour la démocratie. Qu’en dehors de la dérision
citoyenne et, pour une fois, seul motif de satisfaction, de la concorde
politique, on continue à prendre au sérieux ces instances pluralistes que le
fait du prince a nommées et composées est la manifestation la plus accablante
d’une République perdant la boussole au profit d’une fuite dans l’absurde.
Désertions mais aussi
obligations. Toujours, en réalité, une fuite.
Ce qui est abandonné,
délaissé, il serait urgent de l’imposer ?
Il n’est pas indifférent que
depuis quelque temps, en raison notamment du très fort taux d’abstention qui
profondément affecte la légitimité des élus, on évoque la possibilité de rendre
en France le vote obligatoire comme c’est le cas par exemple en Belgique
(Libération).
J’aime beaucoup ce pays et
sur plusieurs plans il pourrait nous servir de modèle. Mais il me semble que la
France doit se colleter seule avec ce problème de l’abstention qui lui est
spécifique.
Rien ne serait pire, pour
l’esprit public, que de s’abandonner à cette solution de facilité, de fuite en
avant qui consisterait, pour un Etat désarmé face à la désaffection relevant de
sa responsabilité, de la médiocrité de ses propositions et de ses réponses, de
ses piètres résultats, à décréter la participation aux élections, impérative.
D’une part, cela serait
perçu comme le signe d’une faiblesse extrême. Contre l’extrémisme, contre une
abstention de moins en moins de négligence et de plus en plus de résolution, on
ne pourrait donc faire valoir que le couperet de la loi ?
D’autre part, cela
confirmerait la classe politique dans cette impression qu’au fond, elle ne
serait coupable de rien et que le remède magique se trouverait en dehors
d’elle. Alors qu’au contraire, elle est directement impliquée dans le désastre
civique qui vide notre société de ce qui devrait constituer sa force et son
exemplarité : le souci du bien commun, le désir de formuler une conviction, une
opinion, même pour manifester qu’on se veut hors jeu, l’engagement au service
d’une cause, précisément parce qu’aujourd’hui, il faut d’autant plus attacher
du sens aux différences que les similitudes sont plus nombreuses.
Le vote obligatoire serait
un moyen autoritaire d’ordonner une participation qui ne deviendra
bienfaisante, utile et éclairée qu’avec des politiques de droite ou de gauche
métamorphosés.
Il serait en plus périlleux
d’aggraver l’imperfection démocratique qui gangrène les esprits et les
sensibilités, même les plus lucides. Que penser par exemple de ce conseil donné
par le président du Sénat au président de la République ? Face au scandale
parlementaire de nombreux électeurs non représentés, seulement l’alerter sur le
risque de faire entrer à l’Assemblée nationale une centaine de députés FN me
semble proprement indécent. Plutôt l’injustice que l’équité ! (Le Figaro).
Pour rien au monde,
pourtant, je ne cracherai sur une classe dans l’ensemble de ses représentations
et de ses missions, qui est honnie par un populisme dangereux mais, en même
temps, on n’a pas à programmer pour celle-ci le cadeau d’un vote obligatoire
qui lui garantirait une impunité choquante. Elle se laverait les mains et
l’esprit de ce qui la regarde !
Ce n’est pas le citoyen qui
est coupable de ne pas se rendre aux urnes. Ce sont les pouvoirs qui l’en
dissuadent.
Désertions, obligations :
contre la fuite qu’elles entraînent, pourquoi pas, plutôt, la contrition, la
volonté et l’action ?
Le courage, quoi !
Philippe Bilger
Justice au singulier
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