© Saïd Bellakhdar
Saïd Bellakhdar
Meurtres et disparitions
05 mars 2012
Bonjour et merci de votre présence.
Je vais aborder ici la question des « Meurtres
et disparitions » sur l’invitation de Sophie de Mijolla que je tiens à
remercier en pensant au drame vécu en Syrie par notre collègue Rafah NACHED, il
y a quelques mois maintenant.
Chacun se souvient peut-être qu’elle avait
disparu un temps dans l’aéroport de Damas alors qu’elle partait pour Paris.
Elle est “réapparue” quelques jours plus tard (environ 48 heures) dans une
prison de femmes. Elle est donc passée d’un statut des plus préoccupants et
dont je parlerai plus loin, à un statut de droit commun, statut certes peu
enviable, mais statut juridique tout de même qui la reconnaissait comme une
personne ayant une existence réelle et bénéficiant de quelques droits :
droit d’être défendue par un avocat, droits de visites, etc.
Rien de tout cela ne lui était garanti lors de
sa disparition. Alors que le statut de « Droit commun » renvoie à l’idée
que la situation de la personne relève de règles et de la législation en
vigueur commune à tous, s’appliquant à tout un chacun. Le « Droit
commun » est sinon lisible par tous, il est du moins interprétable par les
avocats, les juristes, de même que par les citoyens et chacun peut donc s’y
référer, le discuter et s’en approprier les termes.
On notera que d’une certaine manière ce
« Droit commun », fait exister
la personne dans le champ social, lui
donne une consistance que ne donne pas la désignation de disparu…
Les disparitions de
personnes :
S’agissant de la disparition de personnes, la distinction s’impose
entre :
• d’une part les disparitions qui peuvent avoir lieu dans
n’importe quel pays et qui relèvent là aussi du droit commun. Il s’agit
de disparitions pour des raisons davantage criminelles que politique au sens
strict du terme et,
• d’autre part les disparitions qui
relèvent du domaine politique dans des situations de dictature ou de
guerre civile. Comme exemple de ces situations nous avons en mémoire les
« Mères de la Place de Mai » en Argentine et dont le modèle est
repris dans de nombreux pays tels Le Chili ou l’Algérie, pays où des femmes se
rassemblent chaque semaine depuis le 02 août 1998 !!!
Dans le cas de disparitions qui relèvent du
droit commun où la Loi
reconnait la disparition (Loi du 21 Mars 1803), nous avons eu l’exemple en
France de jeunes enfants comme Delphine BOULAY ou Estelle MOUZIN, mais il y
aussi d’autres exemples, bien sûr.
Si le mystère de la disparition d’Estelle M.
persiste encore aujourd’hui, nous savons par contre quel a été le sort de D.
BOULAY, car une jeune femme qui trouvait le comportement de son cousin des plus
étranges a pu lire un carnet intime dans lequel l’auteur du crime avait
transcrit ce qu’il avait fait. Elle en fit aussitôt part à la police.
Ces cas suscitent la plus grande émotion auprès
du public en raison de la proximité possible avec la victime et la conviction
que cela peut arriver à n’importe qui, à un proche, sans exception.
Dans ces cas, les parents des disparus se sont
trouvés accompagnés et très suivis par les autorités policières et judiciaires
qui ont pris très au sérieux les plaignants et les ont soutenus.
Le sérieux et le professionnalisme des
enquêteurs rassuraient les parents. Lesquels ont affirmé avoir eu des liens très
étroits avec une personnalité de la haute hiérarchie de la police ou de la
gendarmerie, chargées de les informer sur les avancées de l’enquête. Ce lien
avec les autorités représentant l’État constituait une sorte d’accompagnement tout
au long de la procédure, marquant l’intérêt au plus haut niveau de l’État pour l’affaire
criminelle et la souffrance des personnes qui se sentent ainsi comprises et
aidées par la famille, les voisins, la municipalité, l’État etc.
Dans ces cas là, comme dans les situations de
dictature le disparu est celui qui manque à sa place. Sa disparition
inquiète, dérange ceux qui l’ont connu. Ce problème est présent en filigrane du
« Cas Dominique » exposé par Françoise Dolto (Dans cette famille, un des
oncles de Dominique avait disparu, si mes souvenirs sont exacts, lors d’une
excursion en montagne. Et Dolto note que la sœur de Dominique a été appelée
Sylvie, (“ie → s’il vit ”).
Le disparu ou la disparue est une personne de la
communauté, un frère, une sœur, un mari, un conjoint. Il peut être un père, une
mère, un voisin, un collègue de travail, etc. et, même si nous ne l’avons pas
connu de près, son absence nous affecte par le vide qu’elle laisse et l’énigme
qu’elle représente. S’ajoute, bien sûr, au manque, ce vide qui inquiète en raison
de la situation d’inconnu qu’il rappelle à chacun.
Dans tout ces cas, se brouille la frontière
entre ce qui relève du symbolique et de l’imaginaire. Aucun tiers ne peut
trancher avec certitude entre ces deux registres. Il y a sans cesse,
hésitation, voire une sorte de confusion que l’on note aussi au cours des
procès médiatiques entre “la victime et le bourreau”. Ce dernier ne peut être
déclaré coupable sans preuves et peut aussi se présenter comme victime… Et tant
que l’on ne sait pas, que l’on n’a pas trouvé et identifié l’auteur, cette
situation de confusion perdure dans les esprits.
Le disparu ne fait pas partie du monde des morts
ni de celui des vivants et l’anthropologie est riche d’enseignement sur l’importance
accordée par les cultures afin de différencier ces deux mondes, rendant avec l’appui
des rites, des cérémonies et autres usages la possibilité de soutenir un deuil
par les manifestations publiques de la peine et de la douleur.
Les condoléances et les cérémonies œuvrent à la
reconnaissance de la douleur et de la peine et contribuent à favoriser par l’expression
sociale du deuil à son élaboration.
Les rites funéraires permettent aux membres des
familles de bénéficier d’un effet cathartique et d’organiser les
investissements d’amour, de haine et de culpabilité.
Nous savons que la Culture est fondée sur l’interdit
de l’inceste et du meurtre mais aussi de la manière dont on s’occupe des
défunts. Or, dans les cas dont il est question ici, nous n’avons aucune trace
concernant la disparition, ni restes ni dépouilles, sinon parfois un indice,
pas d’objet en lien direct avec cette disparition et/ou arrestation.
Nous avons à faire à une absence, à quelque
chose qui n’a pas vraiment de contour, ni lieu, ni représentation. C’est
pourquoi la disparition de Rafah NACHED pouvait faire penser à une absorption
dans une sorte de néant qu’était alors devenu l’aéroport de DAMAS.
Cette absence de contour et de représentation n’incite-t-elle
pas les proches à défiler avec d’énormes portraits du ou de la disparu-e, comme pour d’une certaine manière lui
donner une consistance, une réalité, y compris dans les pays où la religion
interdit la reproduction par photo ou portrait d’une créature humaine.
Aucune des manifestations sociales et
culturelles citées plus haut ne peuvent se mettre en place dans les situations
de terreur d’État en raison de l’attitude de celui-ci et aussi, en l’absence
de corps, de dépouille et de sépulture… De plus, les actes juridiques qui
devraient attester de la réalité et de l’évidence sont inexistants comme par
exemple les actes par exemple d’état civil qui, dans les sociétés
modernes, attestent de notre statut social et autorisent par exemple certains droits
pour les survivants tels que les successions chez le notaire, etc.
Ainsi, dans le film « Ici on noie des
Algériens », une dame raconte qu’il lui a fallu des dizaines d’années de
procédures pour faire reconnaitre la disparition de son mari et pouvoir faire
valoir certains droits, comme par exemple son statut de veuve, et de pouvoir
percevoir une pension de réversion…
Je rappelle ici très brièvement ce dont il s’agit.
Le contexte est celui de la guerre d’Algérie en France métropolitaine. Le FLN
contrôlait l’immigration algérienne depuis 1956. La répression était
extrêmement violente : exécutions extrajudiciaires, crimes racistes
pratiqués par la police, un certains nombres d’algériens étaient jetés dans la
Seine ou pendus dans les bois environnant Paris, entravés avec les fils de fer
servant de freins aux bicyclettes appartenant aux agents de police. Il y eut tortures,
etc.
Un couvre feu avait été décrété par le Préfet de
Police Maurice PAPON à toute la population algérienne. C’est dans ce contexte
là que l’époux de la personne précitée a disparu.
Alors se pose la question : “Où
est-il ? Où est-elle ?” “Qui l’a enlevé” ? “Qui l’a tué ?”
“Comment ?”. Ce qui renvoie à la question des mythes magico sexuels… J’y
reviendrai plus loin.
Les motifs des meurtres “extra-légaux” et les disparitions
ont un sens différent dans les pays sous dictature ou en guerre civile
Ici la violence n’est pas fondatrice d’un ordre
nouveau, ni d’une société nouvelle. Il n’y a pas de pactes entre frères comme l’avance
Freud dans « Totem et Tabou » afin de renoncer à la violence, thème que nous pouvons trouver dans certaines
mythologies et légendes.
Nous pouvons au contraire observer ici un déchaînement
sauvage de violence dont nous avons divers exemples : le terrorisme en
Algérie, les dictatures en Amérique Latine,
en Afrique, en Asie, en Grèce, durant le nazisme, le stalinisme, ainsi qu’au
Liban etc., déchaînement qui ne prend fin qu’avec la chute de ces dictatures.
À quoi
servent les disparitions dans ces conditions-là ?
Elles servent en premier lieu à :
1 • Éliminer les opposants politiques.
2 • Cela vise à contrôler et à dissuader par la terreur et par l’exemple de
l’usage de celle-ci toutes les personnes tentées par une démarche contestatrice.
3 • À déstructurer des réseaux sociaux sur le long terme. Les personnes
concernées n’ont plus d’autre recours que se replier sur les relations
familiales et n’avoir qu’une vie sociale très réduite. Ce qui limite toute
forme de contestation organisée.
4 • Il arrive aussi que progressivement toutes les
composantes de la société soient sous surveillance et chacun est menacé. Au début,
les opposants, ensuite les partis politiques, les syndicats, etc., jusqu’à ce
que la totalité de la société se trouve sous haute surveillance.
Cela m’amène à évoquer les propos bien connus du Pasteur Martin Niemöller :
Comme je l’ai indiqué plus haut, l’une des
différences majeures entre crime de droit commun et ceux commis en temps de dictature,
réside dans le fait que les proches des victimes et des familles de ces
derniers, se trouvent dans l’évitement des réponses par les autorités. La
duplicité, l’absence d’enquêtes sérieuses, l’arbitraire des autorités militaires
et policières sont de règle.
Il est un fait que l’État qui est considéré
comme une institution devant protéger les citoyens et les habitants se comporte
lui-même comme criminel de façon directe ou par le biais de groupes
paramilitaires (Escadrons de la mort, etc.).
Autrement dit, le crime est commis, dans ces cas, par ceux dont la mission est
de protéger les citoyens. Et si, comme le formule Max WEBER, “l’État s’arroge le monopole
de la violence légitime”, le citoyen a l’obligation de ne pas rendre justice lui-même.
La justice est, certes, une valeur mais elle est aussi une fonction que l’État doit assurer dans l’intérêt
de chaque citoyen et de la collectivité au moyen d’institutions appropriées.
Face à ces problèmes nous sommes enclins à
penser et à se dire que cela se déroule en des continents lointains : l’Amérique
du Sud, l’Afrique, l’Asie ou le Sud de la Méditerranée et que cela ne concerne que
d’autres espaces culturels où l’on recoure plus facilement à la violence dans
les rapports sociaux.
Ou encore, que cela s’est passé il y a longtemps
comme la Shoah par exemple. Ces mécanismes de défense par l’éloignement
géographique ou temporel permettent de se défaire de ce qui gêne et de
supporter l’insupportable.
Un élément important qui me semble devoir être précisé
est qu’en raison de l’impossibilité de faire face à l’arbitraire et d’obtenir
gain de cause face à la Justice et
à l’État, le
sentiment de HONTE est au premier plan et relève
davantage des rapports du MOI aux idéaux très fortement ébranlés.
Bruno BETTLHEIM rappelait que la honte était en partie liée dans
les camps et en société au fait d’être contraints à exécuter des actes
contraires aux convictions éthiques et/ou aux valeurs morales de leurs auteurs.
Cela a
aussi fait l’objet d’études en psychosociologie sous le terme de « Dissonance
cognitive » à partir des expériences de MILGRAM, lesquelles avaient pour
visées d’essayer de comprendre pourquoi des hommes obéirent à des ordres
“illégaux” durant le nazisme.
Ainsi, les
sujets contraints d’envoyer des décharges électriques, mais ignorant qu’elles
étaient fictives, à des “cobayes”,
furent en réalité complices à leur insu des expérimentateurs.
L’une de
ces expériences fit néanmoins apparaitre un malaise chez certaines personnes
qui se trouvèrent en contradiction flagrante avec leur éthique et convictions
personnelles.
La
violence des actes, l’impossibilité d’y faire face et d’y répondre provoquent une dévalorisation narcissique engendrée par la
perte de la maîtrise de la situation :
• Le sujet
n’a plus aucun pouvoir, ni aucune prise sur ce qui se passe.
• Il est
obligé de se taire, d’être discret et d’obéir.
Dans ces
situations là, les pères et tous citoyens peuvent être rabaissés, humiliés, mis
dans une position d’infériorité de manière blessante. Aux humiliations subies
par les familles de victimes, s’ajoute le fait que les Escadrons de la Mort et autres groupes terroristes détruisent le
plus souvent les repères sur lesquels s’appuient les investissements
narcissiques objectaux et d’attachement par l’atteinte à l’honneur y compris par le kidnapping et le viol des
femmes.
S’installe alors un état de menace extrêmement
grave, pernicieux et pénible pour chacun.
En raison de certaines confusions entendues ici
ou là, il me parait utile d’indiquer ici la différence entre la honte et la
culpabilité. La culpabilité s’adresse au Surmoi et à la Loi, alors que la
honte, elle, relève des idéaux et de la mauvaise image et de la piètre opinion
que l’on peut avoir de soi lorsqu’on ne peut se hisser aux valeurs et attentes
que ces idéaux ont promues.
Les questions que se posent les proches
concernant le disparu ont un lien fantasmatique avec les questions des origines et des fins que Sophie de Mijolla a
travaillé dans « Le Besoin de Savoir ». C’est-à-dire à tous ces
scénarios et questions concernant ce que les enfants et les adultes peuvent se
poser à certains moments de leur existence : “Où étai[t]-JE avant de
naître ?” et “Où serai[t]-JE après ma mort ?”. Il s’agit de scénarios
relativement dynamiques qui soutiennent l’activité de pensée, de théorisation
et d’historisation.
Ces scénarios ne peuvent que difficilement s’élaborer
concernant les disparus dont il est question ici, car un doute persiste sur le
décès et les circonstances de celui-ci.
Comme le dit Freud, le travail de deuil ne
commence qu’avec l’épreuve de réalité, à savoir la connaissance du décès de la
personne. Aussi les proches ont besoin de certitudes précédant la mise en œuvre
du besoin de savoir.
Ici le Moi endeuillé se doit de faire un travail supplémentaire d’élaboration psychique en raison de l’incertitude
dans laquelle chacun se trouve pris pour pouvoir se séparer de l’objet dans ces
conditions spécifiques de disparition.
Le Moi peut-il, en effet, tolérer que la vie et que
tout ce qu’il en advient n’ait pas de sens ? N’a-t-il pas besoin de se
construire une représentation à l’image d’une fantaisie offrant la possibilité
d’un déploiement, d’une mise en scène d’objet et de lien avec le disparu ?
À tout cela s’ajoute le fait que le disparu s’intègre
ainsi difficilement dans une représentation de la généalogie familiale, puisqu’il
ne peut pas être considéré comme Mort. Alors, où le placer dans l’arbre
généalogique ?
Est
présente aussi la culpabilité : “Nous n’aurions pas dû le ou la laisser sortir !”
Freud rappelait à ce sujet que la culpabilité et les auto-reproches étaient le
signe que le Moi pensait être pour quelque chose dans
le décès de l’être cher !
Être exposés dans de telles circonstances à y
penser pose de fait de redoutables problèmes puisque cela implique la relation du
sujet à son bourreau.
Autrement dit de quel côté de la scène sommes
nous, lorsque l’on y pense ? Sommes-nous du côté de celui qui tue en nous
représentant son geste, de celui qui torture ? Ou bien nous mettons-nous dans
cette scène du côté de celui qui est tué et/ou torturé ?
Pour sortir de ce problème l’une des solutions
possibles est de ne plus y penser, voire d’inhiber sa pensée dans de nombreux
domaines. Mais en fait c’est toute la psyché qui, dans ces cas, est habitée par
le disparu.
Dans le film « Ici on noie des
Algériens », on voit une septuagénaire évoquer son mari disparu en octobre
1961 à Paris. Elle avait une vingtaine d’années à l’époque. Ses propos tournent
ainsi autour du départ du domicile, un soir, son mari qui devait aller voir une
personne pour lui rembourser des dettes (obligation majeure dans la culture
traditionnelle algérienne). Elle évoque le tour des différents commissariats qu’elle
a dû faire pour tenter de retrouver la trace de son mari et le fait qu’on l’expédie
d’un endroit à l’autre, d’un commissariat à l’autre, lui disant qu’il n’est pas
là mais qu’ailleurs on pourra mieux la renseigner.
Elle semble ne pouvoir retracer que le type de
faits qui tournent autour du départ de l’époux et ses démarches auprès des
autorités judiciaires, le tout sur un ton très las.
Évoquer le passé comme l’avenir devient donc
problématique. Cette relation au disparu vient bloquer dans les familles et
chez les proches le processus de mythopoésis (du grec Mythopoeïa), terme
utilisé par certains thérapeutes familiaux pour désigner le travail de mise en
commun d’éléments de mythes familiaux, de récits, de souvenirs (comme les vacances
d’été, les fêtes familiales, l’évocation de tel ou tel parents, de la manière
dont tel oncle se tenait à table, etc.) ce qui concourt à donner du sens et à
nous inscrire dans une tradition familiale et aussi à produire un peu de sel
dans notre vie.
Ce pourquoi j’indique une difficulté, une
inhibition à penser.
Retour à la « Normale »
Lors du
retour à un régime démocratique où les tribunaux peuvent fonctionner plus
normalement, il arrive qu’après des années de procédures un non-lieu soit
prononcé, ce qui revient à la non-reconnaissance des exactions commises.
Il n’est pas rare que lorsque l’auteur est jugé plusieurs années plus tard, il soit
avancé que ne l’on juge plus le même homme. Nous avons parfois à faire à un
vieillard qui serait alors victime de l’acharnement judicaire, comme s’il ne
s’agissait, non pas de juger des actes, mais un homme. Or pour les plaignants
ce sont d’abord des actes qui doivent être reconnus et jugés.
Je
rappellerai ici que les actes commis en dictature ont un effet délétère sur ce
que nous appelons le lien social, puisque l’État a failli à sa mission et a en quelque sorte trahi le pacte qui le liait aux citoyens qu’il doit protéger. Il doit également concourir
à favoriser le lien social et le vivre en bonne entente. Ici, c’est tout le
contraire qui a été mis en œuvre. Cela a abouti à entraîner de la méfiance à l’égard des institutions
telles que la police, la justice, l’armée, etc. La parole dévalorisée de l’État et de ses institutions perd crédibilité et légitimité et ce, y compris
lorsque la dictature a laissé place à la démocratie.
Il n’en demeure pas moins que dans certains États comme l’Afrique du
Sud et le Rwanda les « Commissions dites de “réconciliations” » peuvent
avoir un effet positif dans la mesure où elles n’ont pas pour visée d’occulter
les crimes. Les actes sont reconnus bien que ne faisant pas toujours l’objet de
poursuites, et cette reconnaissance des actes et crimes commis sont la
condition d’une remise en ordre, d’une séparation entre « Imaginaire »
et réalité ou encore « Symbolique », terme que j’emploie ici sans la
certitude qu’il convienne véritablement. Mais l’important est que le tiers
institutionnel reconnaisse au plus haut niveau de la Nation les comportements
et les actes nommés et réprouve les coupables.
Les choses n’évoluent pas toujours ainsi :
en effet, des Lois d’amnistie sont votées, qui peuvent être assorties de
pensions pour les veuves et les orphelins. Certains États se retranchent
derrière le fait que les exactions ont été commises par des groupes terroristes
comme l’ont été les Escadrons de la Mort et estiment n’être pas concernés par les accusations.
En Algérie par exemple a été votée une Loi de
réconciliation nationale. Il s’agit en fait d’une Loi d’amnistie pour les
auteurs de crimes. Elle donne également la possibilité aux citoyens d’obtenir
une pension et se dispenser d’avoir recours aux tribunaux pour faire valoir
leurs droits quant aux disparus.
Que peut signifier la “réconciliation” dans
ces conditions ? Peut-on concilier, réconcilier un bourreau encore vivant avec
sa victime décédée ? Alors que l’un et l’autre ne sont pas à mettre sur le
même plan, qu’aucun parallélisme ne saurait être établi entre eux.
Les autorités cherchent davantage, dans ces cas
là, la paix civile et la restauration de l’ordre public. La réconciliation
concerne les vivants.
En ce pays, une nouvelle Loi a été promulguée en
Janvier 2012, qui restreint la possibilité des plaignants et des associations à
représenter et à défendre les intérêts du disparu et de leurs proches en les obligeant,
entre autres dispositions légales, à passer par des associations agréées ou
mises en place par l’État.
Tout cela : non-lieux prononcés par les
tribunaux, Lois d’amnistie, ont pour effet d’effacer les actes, de les annuler
et de ne pas prendre en compte les demandes des proches…
Rien n’est donc réglé pour ceux-ci.
Je finirai par évoquer le peu d’échos que
rencontrent dans les médias internationaux les rassemblements des femmes en
Algérie.
1 • L’une des raisons
principales réside dans le fait que les disparus sont désignés comme islamistes
et sont donc présentés comme étant vraisemblablement coupables de se situer
dans le camp du terrorisme islamiste. Ils auraient quelque chose à voir avec les
actions clandestines de ce dernier. Cela n’attire pas de sympathie envers eux.
2 • Les disparitions et
les exactions ont souvent été présentées comme étant l’œuvre de groupes armés
(GIA, etc.) Ce qui dédouane l’État de ses responsabilités.
3 • Contrairement aux
femmes argentines, chiliennes ou d’autres pays, qui sont le plus souvent
instruites et ont un niveau de formation acquis à l’Université, et ont des
compétences et la faculté de s’exprimer devant les médias, ce sont eux qui savent
prononcer et rédiger des discours, éditer et publier ; les femmes d’Alger par
contre inscrivent quant à elles leur démarche dans une culture plutôt
traditionnelle et ne sont pas en mesure de faire entendre leur voix et ce, d’autant
plus que dans cette société, ce sont les hommes qui doivent s’exprimer hors du
groupe puisqu’il incombe aux femmes, selon la coutume, de se taire en présence
d’hommes étrangers au groupe. Il ne leur reste qu’à s’y plier sous peine de
représailles…
Ce sont alors des associations “amies” qui
les aident avec plus ou moins de succès.
Notes
Créé
par Loi 1803-03-11 promulguée le 21 mars 1803
Modifié par Ordonnance 1945-10-30 art. 1
Modifié par Ordonnance 58-779 1958-08-23 art. 1 JORF 30 août 1958
Peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé.
Peut, dans les mêmes conditions, être judiciairement déclaré le décès de tout étranger ou apatride disparu soit sur un territoire relevant de l’autorité de la France, soit à bord d’un bâtiment ou aéronef français, soit même à l’étranger s’il avait son domicile ou sa résidence habituelle en France. La procédure de déclaration judiciaire de décès est également applicable lorsque le décès est certain mais que le corps n’a pu être retrouvé.
[2] Pour l’Amérique du Sud, voir le livre coordonné par J. PUGET, Paris, Dunod, 1998.