«
Blueberry »
Traduit par Micheline Weinstein
Bonjour Micheline, c’est Mira. Je vais
essayer de te parler de Blueberry, et quelques
autres petites choses que tu m’as demandées.
À
ta question : non, les difficultés à
lancer et à continuer cette aventure ne
dépendaient pas du fait d’être
docteur en médecine ou de n’être
pas docteur en médecine, pas plus qu’à
la faire fonctionner, ni à cause de cela
qu’elle n’a pas survécu.
En
1958, avec Tev et Zev, nous avons travaillé
dans une école pour enfants en bas âge,
dont plupart d’entre eux étaient autistes,
mais nous ne le savions pas car ce n’était
pas encore la mode de diagnostiquer ces enfants
comme autistes. Ces enfants là étaient
alors tous diagnostiqués comme souffrant
de schizophrénie infantile.
À
la fin de notre semestre dans cette école,
nous avons réalisé que l’école
seule n’était pas suffisante pour
ces enfants, qu’ils avaient besoin d’une
forme d’accompagnement vingt-quatre heures sur
vingt-quatre. Nous avons donc décidé
d’aller sur une île où nous
avons emmené 11 enfants et nous avons essayé
de leur faire prendre un début de contact
avec la réalité.
Je pense que
six d’entre eux souffraient de ce que l’on
appelle schizophrénie infantile, et les
autres étaient autistes. À cette
époque j’ai écris un article
que je t’enverrai, « La renaissance de Jonny
». Il s’agissait d’un enfant
autiste, et ce travail a été publié
dans le Harper’s Magazine. puis a été
porté à l’écran. C’était
donc la première fois que le public voyait
un enfant autiste, hors de l’hôpital,
avec lequel nous travaillions. Nous avons donc
emmené cet enfant avec les dix autres et
nous avons vécu avec eux sur cette île,
ce qui était une idée hasardeuse
et folle si on y réfléchit maintenant.
Mais l’aventure a réussi car, à
la fin du séjour, l’état de
la majeure partie des enfants s’était
amélioré.
C’est ainsi que le
monde extérieur a pris conscience que ces
enfants étaient curables. Avant cela, l’état
de ces enfants était considéré
comme définitivement incurable. Nous avons
donc conçu pour eux une école que
nous avons appelé l’école
de soins de jour « Blueberry », nous
avons monté un campus pour qu’il
y ait une permanence, et qu’il n’y ait pas d’interruption
de leur relation avec nous pendant l’été.
Puis nous avons créé une résidence
de vie pour les enfants qui ne pouvaient continuer
à être pris en charge chez eux. Nous
avons ensuite construit une nursery pour bébés
autistes et schizophrènes, et enfin un
village sur l’État de New York. Tout
cela, l’ensemble, était « Blueberry
». C’était une première
du genre, dont le symbole était «
Du berceau au tombeau ». Nous espérions
qu’il serait possible à ces enfants, pour
ceux qui y parviendraient, de devenir autosuffisants.
D’ailleurs quelques uns d’entre eux ont
pu fréquenter des écoles alentour
- accompagnés tout de même par des
éducateurs. Les adolescents ont appris
l’artisanat tout en allant au collège,
et l’un deux a même fait des études
supérieures.
Toutefois, « Blueberry
» était à peu près
le seul endroit où ces enfants pouvaient
vivre et être soignés. Mais cela
coûtait très cher. La répartition
entre enfants et adultes était très
faible, il y avait parfois un adulte pour un enfant,
parfois deux enfants pour un adulte, mais au plus
c’était trois enfants pour un adulte.
Dans l’ensemble, l’aventure fut un succès.
Cependant
les sources de financement, les administrations
telles la psychiatrie, les services sociaux, l’Éducation
nationale, ne souhaitaient vraiment pas dépenser
de telles sommes d’argent. Si bien que finalement
nous avons été conduits à
la faillite, et avons dû fermer car ils
ne versaient pas ce à quoi ils s’étaient
engagés. Nous n’avions plus aucun moyen
d’obtenir les fonds pour entretenir le personnel
et les enfants. « Blueberry » a donc
fermé faute de financement. Cela n’a
donc rien à voir avec une formation médicale
ou non. Nous avions un psychiatre, un pédiatre,
mais aussi des employés de toutes sortes,
ce n’était vraiment pas là
l’important. Par contre, fondamentale était
la relation entre l’enfant et l’adulte,
quel que soit le statut social de cet adulte.
Lorsque
nous avons démarré « Blueberry
», pour s’assurer d’être à
la hauteur, nous avions tout une équipe
de docteurs, puis insensiblement nous sommes passés
à tout une palette d’artistes : sculpteurs,
peintres, danseurs... qui étaient, en fait,
bien plus efficaces que les professionnels de
la santé. Nous avions même un avocat
de Californie. Ils s’attachaient à faire
évoluer ces enfants, à comprendre
leur manière différente de penser,
de percevoir, d’interroger le monde. Finalement,
c’est nous qui avons formé, nous-mêmes,
notre personnel, capable de s’occuper de 100 bébés,
72 ou 75 enfants et préadolescents dans
le centre de soins de jour, 18 jeunes enfants
dans la résidence, avec lesquels nous vivions.
Il y avait aussi 12 à 16 adolescents sur
l’état de New York et 50 enfants
dans le camp. Malheureusement les pouvoirs publics
s’intéressaient davantage à la politique
qu’à la guérison de ces enfants,
et donc la fin de l’histoire, comme je l’ai
dit précédemment, fut la faillite.
Nous avons été obligés de
fermer, exclusivement pour cause de difficultés
financières. Lorsque nous avons commencé,
la plupart d’entre nous travaillaient bénévolement,
mais lorsque la structure s’est agrandie, a accueilli
autant d’enfants, nous avions 200 employés
qui ne pouvaient pas travailler bénévolement,
ils avaient leur familleà assumer. Et par-dessus
cela, un directeur adjoint a détourné
une partie de nos maigres fonds. Ce fut donc la
fin.
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