© Micheline Weinstein / 29 juillet 2015
Une Lettre de Marc-François Lacan • 1982
Lors de la mise à jour de notre site, j’ai retrouvé cette lettre, que nous avions publiée, de Marc-François Lacan, frère de Jacques Lacan, adressée à Jacques Sédat le 3 décembre 1982.
Avec Jean Lacan, cousin de Jacques, aumônier, devenu un ami, nous avons fait équipe à l’Hospice d’Ivry (en 1976, l’arrêt d’autobus était toujours désigné par « Les Incurables »).
Son portrait et sa mission figurent aux pages 174 à 182 du livre,
Michèle Dacher - Micheline Weinstein
Histoire de Louise
Des vieillards en hospice
Préface de Françoise Dolto
Paris, Le Seuil, 1979
Plus de trente ans ont passé. Cependant, cette lettre intéressera peut-être encore aujourd’hui les biographes-historiens de la psychanalyse.
La Direction
du journal « La Croix » ne nous ayant pas donné l’autorisation
de reproduire le remarquable Entretien avec Jacques Sédat, paru le mercredi 25 avril 2001,
Lacan l’inventeur du « réel
»,
ci-dessous, nous transmettons seulement au public la lettre du 3 décembre 1982 que Marc-François Lacan lui a adressée.
M. W.
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« Il a cherché à traverser le miroir »
Frère de Jacques Lacan, Marc-François Lacan était bénédictin. Voici un extrait d’une lettre adressée par lui à Jacques Sédat, le 3 décembre 1982.
Un fait est à rappeler : Jacques, au début de sa carrière, a pendant un certain temps signé : Jacques-Marie, puis Marie a disparu de la signature. Quelqu’un pourrait-il donner le sens de ce fait ? En tout cas, il en a un.
D’autre part, un autre fait est évident : Jacques a, toute sa vie, cherché à traverser le miroir, cherché le vrai, dont tous les miroirs ne procurent que l’illusion.
Le vrai au sens biblique : non pas le vrai, qualité de la pensée, mais le vrai qui donne sens à la vie et est au-delà de toute pensée, le vrai qui est le réel.
Ma relation à mon frère se situe au cœur de cette quête qui implique le refus du savoir comme moyen d’accès à ce réel. Notre amitié de toujours était reconnaissance mutuelle de deux personnes en quête du réel ; et je crois qu’il m’a initié à cette quête.
J’ai choisi mon chemin, alors qu’il en avait choisi un autre. [?] Quelle relation entre mon frère et la tradition chrétienne ? Voilà la question qu’il faut poser. Est-il possible d’y répondre ?
Voici au moins des jalons indiquant la direction dans laquelle il faut la chercher.
La tradition chrétienne donne à la personne une place qu’on peut dire fondamentale. Dans la lumière de cette tradition dont il a cherché à avoir une connaissance profonde, Jacques a cherché à être, non un saint, mais une personne.
Une telle recherche comporte des exigences - des exigences - et quelles exigences ! Être une personne, implique les relations dans lesquelles la tradition chrétienne place “le Père” que Jésus nous a appris à nommer. (...) Être une personne exige d’un homme qu’il se situe par rapport au père, qu’il prenne conscience de cette relation “fondamentale” qui fait de lui un homme. Et une autre prise de conscience est nécessaire : celle de la dimension que Freud a nommée “inconscient”. Mon frère a voulu explorer l’inconscient, précisément pour être une personne.
Et dans la tradition chrétienne, la dimension de la personne qu’est l’inconscient n’était pas nommée ainsi, mais elle était présente sous le nom de mystère. » [?]
Marc-François Lacan (1907-1994)
Repères - Sa vie, par Jacques Sédat
1901 : naissance de Jacques Marie Emile Lacan à Neuilly, le 13 avril dans une famille bourgeoise de vinaigriers. Il aura deux frères : Raymond, né en 1902, et mort en 1904 et Marc, né en 1907, ainsi qu’une sœur Madeleine, née en 1903.
1913-1918 : études à Paris, au collège Stanislas, où découvre l’œuvre de Spinoza. II a pour professeur de philosophie Jean Baruzi spécialiste de Leibnitz et de Jean de la Croix.
Début des années 1920 : durant ses études de médecine, il est interne à l’hôpital Sainte-Anne. Il fréquente l’avant garde littéraire surréaliste et collabore à la revue Le Minotaure où il se lie à Queneau, Prévert, Masson, Tzara, Leiris.
1932 : tout en terminant ses études de psychiatrie par le soutien d’une thèse sur un cas de paranoïa criminelle, “le cas Aimée”, il entreprend une analyse avec Rudolph Lœwenstein, qu’il achèvera en 1938.
1934 : il épouse Marie-Louise Blondin dont il aura trois enfants, il assiste au séminaire de Kojève sur Hegel.
1938 : il est élu membre titulaire à la Société psychanalytique de Paris (SPP) et il met fin à son analyse. Il rédige l’article « La famille ».
1941 : il divorce et épousera plus tard Sylvia Bataille, ancienne épouse de Georges Bataille.
1953 : avec F. Dolto, D. Lagache, J. Favez-Boutonnier et B. Reverchon-Jouve, il quitte la SPP pour fonder en juin la Société française de psychanalyse (SFP) qu’il inaugure par la conférence « Le réel, le symbolique et l’imaginaire ».
Septembre 1953 : à Rome, Conférence sur la « Fonction de la parole dans l’expérience psychanalytique et relation du champ de la psychanalyse au langage », connue ensuite sous le titre « Le rapport de Rome ».
Novembre 1953 : ouverture de son séminaire sur Freud à Sainte-Anne (jusqu’en 1963).
1964 : son séminaire passe à l’École normale, rue d’Ulm (jusqu’en 1969) ; il fonde seul l’école française de psychanalyse, qui deviendra l’École freudienne.
1966 : voyage aux États-Unis. Parution du volume des « Écrits » (Seuil).
1969 : ouverture, en novembre, du séminaire sur « L’envers de la psychanalyse ».
1971 : série de conférences à Sainte-Anne sur « Le savoir du psychanalyste ».
1980 : il dissout l’École freudienne de Paris et fonde la Cause freudienne.
1981 : il décède, le 9 septembre, à l’âge de 80 ans.