© Micheline Weinstein / Juin 2008
L’affront fait à Freud
ou
La
psychanalyse en France comme “Paillasson”
de la psychanalyse à l’américaine
et ses suites
[Comme on dit “Le bœuf en daube”]
ø
« Toute interprétation
livrée aux journalistes et aux lecteurs
reste dans le champ de l’interprétation
sauvage. »
par
Jacques Sédat
Auteur de « Comprendre Freud » • Armand Colin, 2007
Lorsqu’on a élu un président qui ne fait pas mystère
de sa vie privée, qui sait parler avec
des accents de sincérité, d’indignation
ou de complicité selon ses interlocuteurs,
la tentation est grande de glaner indiscrétions,
confidences et rumeurs pour interpréter
ou juger, à l’aune de sa subjectivité,
même quand on est psychanalyste. Sortir
de la sphère politique où doit se
jouer l’action publique conduit à une dépolitisation
de la pensée. Cet effacement de la différence
entre les sphères publique et privée
est reconduite par certains psychanalystes qui
prétendent saisir le politique à
partir du privé ou qui occupent une position
politique, au risque de classer les hommes politiques
selon leurs affects.
Certains peuvent donner leur interprétation sur tout fait culturel
et confisquer la parole de l’autre pour l’interpréter.
Du diagnostic au verdict, de l’interprétation
au jugement, de l’opinion à la prétention
de dire la vérité : autant de dérives
qui n’ont pas leur place dans une démarche
psychanalytique. Toute analyse médiatisée
reste dans le champ de l’interprétation
sauvage, n’engageant que celui qui en prend le
risque, dans une illusion de toute-puissance qui
flirte avec cette volonté de puissance
qu’on prétend dénoncer chez les
autres. Alors que le divan donne la parole à
l’autre, le divan généralisé
en scène publique confisque la parole de
l’autre pour l’interpréter, comme les marionnettes
qu’on fait parler.
C’est oublier le sens ultime du « Malaise dans la culture »
que diagnostiquait Freud : « Fusionner avec
autrui, être en indivision avec lui »
par horreur d’être ou de penser seul.
C’est-à-dire penser pour l’autre et donc
le penser. C’est aussi attendre la parole d’un
oracle qui penserait à notre place.
L’une des formes les plus subtiles de la violence, aujourd’hui, ne serait-elle
pas la violence de l’interprétation, mettre
ses mots dans ceux de l’autre ?
Propos recueillis par Jean-Michel Décugis dans LE POINT
du Jeudi
29 mai 2008, intitulé «
Sarkozy et les psys ». Publié
ici avec l’autorisation de l’auteur.
ø
Ma
lettre à Jacques Sédat, pour lui
demander de nous donner l’autorisation de publier
ses propos recueillis en un “billet”
dans Le Point,
était en fait un petit mémoire,
une sorte de court panoramique sur, disons, la
vulgarité, autrement dit sur la seule notion
qui me vienne à l’esprit aujourd’hui, incompatible
aussi bien avec la personne de Freud qu’à
son œuvre, indissociable, la psychanalyse.
Jacques
Sédat a l’habitude. Après Françoise
Dolto et François Perrier, il est celui
qui connaît le mieux mon itinéraire
professionnel, à partir de signifiants
biographiques et historiques bien précis,
qui sait les interrogations rencontrées
durant des lunes, les effrois, les obstacles et
les menaces de découragement qui s’ensuivent.
Mais
avant de développer brièvement quelques
aspects de la vulgarité - j’avais écrit
récemment mes impressions sur la chose,
elles sont sur le site, où tout est toujours
dit avant tout le monde, et tous les titres repris
les uns après les autres dans la presse,
entre 3 jours et une semaine après publication,
il suffit de se reporter aux dates -, je remercierai
d’abord Rama Yade, pour avoir trouvé le
mot juste au juste moment, sortant in situ un « Paillasson » négligé jusqu’alors, cet
objet sur lequel “on” s’essuie les
pieds quand “on” est bien élevé.
D’abord,
une première ratée, le titre du Point : « Sarkozy et les psys ».
Il me semble que, quand les “psys”
se mêlent de donner leur pédant avis
public sur la chose privée, le titre juste,
évident, eût été :
« Les psys chez Sarkozy ».
Curieusement,
ces avis publics, à l’image de leurs programmes
par les responsables politiques, sont mots pour
mots identiques, quels que soient les médias
dans lesquels ils apparaissent. Tout le monde
copie tout le monde, glanant - pour rester polie
- des mots, des bouts d’idées, des infos
tronquées de leur contexte, des intitulés,
sur Internet, se les passant ou non (“c’est Moi qui ai trouvé le preum !”), par mails, SMS et mille autres
sigles.
Une
exception, histoire d’en rabaisser les qualités,
“on” ne glane pas chez Olivier Besancenot
face auquel, bien qu’il se présente, avec
une sincérité hors de toute mise
en doute, comme n’ayant aucun goût pour
le pouvoir, “on” re-brandit depuis
peu dans la presse le chiffon sanglant en la perspective
de voir subrepticement rôder derrière
sa conception de ce que serait une république,
le spectre opaque et terrifiant du stalinisme,
de la dictature. Pourtant, Besancenot ne s’attarde
pas sur des joutes assez peu documentées
de vocabulaire, il appelle un chat un chat, ou
encore le capitalisme, capitalisme.
Quelques
autres menues ratées linguistiques maintenant.
Il arrive que certains bavardages frisent la calomnie.
“On” insiste, depuis le remariage
du Président de la République, sur
l’intelligence, incontestable d’ailleurs, de sa
nouvelle épouse. Mais “on”
insiste si pesamment que, a-contrario,
cela insinuerait presque que la précédente
ne l’était pas. Nous pouvons par ailleurs
lire dans la presse ce nouveau slogan selon lequel
un conseiller privé du Président
est “maurrassien”. N’aurait-il pas
été plus simple de s’adresser d’abord
directement à l’intéressé
involontaire, prendre intérêt à
son parcours, à son évolution ?
François - Comte de - La Roque,
initiateur des “Croix-de -feu”, le
fut. Puis, résistant, fut déporté
en Allemagne. En octobre 1939 - j’exhume indéfiniment
mes archives, ici extraites d’un texte écrit
en 1994... - le seul quotidien français
ayant accepté de mentionner la mort de
Freud, grâce à “Notre chère
Princesse” Marie Bonaparte, fut le journal Marianne de l’époque,
Marie Bonaparte
Mort de Freud le 23 septembre 1939
Article paru dans Marianne le mercredi 4 octobre 1939
Parmi les nouvelles des fronts de combat, à l’heure où s’ouvrent si larges à tant de jeunes gens les portes de la Mort, l’annonce de la disparition d’un vieillard est venue émouvoir la conscience universelle. C’est que celui qui vient de fermer à la lumière ses yeux profonds était l’un des plus grands parmi les hommes. Il fut de ceux dont chaque siècle ne voit naître que quelques-uns et l’univers, bien qu’absorbé actuellement par la violence et la destruction, ou tendant ses efforts afin d’y parer, a senti passer, avec le souffle de la mort qui faucha Freud, celui de la haute et calme grandeur.
Descendante moi-même d’une lignée qui donna au monde l’un de ses plus grands conquérants, mais fille d’un petit-neveu de l’Empereur qui se voua aux œuvres de la pensée, j’ai, depuis l’enfance, appris a estimer plus haut que les actions de force et de puissance les conquêtes spirituelles, et c’est sans doute ce qui me porta, sur le déclin de ma vie, vers Freud, dont je m’enorgueillis d’être la disciple. Certes la force est nécessaire aux peuples Pour se défendre ;contre les entreprises de la violence, mais la fleur de l’esprit humain ne s’épanouit que dans l’atelier de l’artiste ou le laboratoire du savant.
Or, le laboratoire ou Freud accomplit ses découvertes, en est-il de plus magnifique : l’âme humaine, l’âme de nous tous, aux secrets jusqu’à lui inexplorés ? Les mystères du rêve, les mystères des maladies de l’âme, les mystères du sexe et les miracles par lesquels se muent nos instincts les plus animaux en nos plus hautes valeurs morales, culturelles, religieuses, sous l’influence de cet alambic qui a nom “ civilisation ”, voilà ce que nous révéla Freud.
Œuvre le plus souvent incomprise! La matière étudiée par Freud les instincts, les forces animales, barbares, sexe et agression, hantant le tréfonds de nous tous, ainsi que leurs transformations. L’instrument d’investigation : la raison, notre raison spécifiquement humaine aboutissant, par cette investigation et par la connaissance, à la maîtrise justement de ces forces archaïques. Or le public confond souvent la matière avec l’instrument et il s’est même trouvé hier un journaliste français pour accuser Freud d’avoir “glorifié” l’instinct et par-là préparé l’avènement du nazisme !
Hélas ! Parmi les persécutés par le barbare credo pangermaniste actuel, Freud fut l’un des plus visés parce que l’un des plus grands. La culture allemande est aujourd’hui exilée d’Allemagne, d’une Allemagne où ne retentit plus, depuis mois après mois déjà, que le bruit des bottes, le roulement des tanks ou des canons, le vrombissement des avions.
Avec un Einstein, un Thomas Mann et d’autres, Freud, pourchassé dans sa pensée, ayant vu détruire ses livres par milliers, avait dû, l’an passé, prendre le chemin de l’exil. A quatre-vingt-deux ans il quittait sa patrie, Vienne, où s’était écoulée toute sa longue vie de famille et de labeur et, avec les siens, il s’établissait en cette libérale Angleterre qui gardera l’honneur d’héberger, après son dernier exil, ses cendres.
Les cendres de ce corps menu qu’anima une si haute flamme reposeront non loin des restes d’un Newton ou d’un Darwin. Et à juste titre : la hardiesse de ces trois grands génies fut égale, que l’esprit du premier se soit élancé vers les astres, du second vers l’évolution millénaire de la vie, du dernier enfin vers les abîmes inondés de l’âme humaine.
Accessoirement
: “on” a appris aux jeunes à
nommer “musique” des formes d’expressions
sonores parfois superbes, parfois allant jusqu’à
l’assourdissement véritable. Dans un registre
plus spécialisé, la radio, “on”
emprunte aux vocables de la psychiatrie : voilà
qu’un matin, allumant France-Musique pour me délasser,
j’entends un commentateur gloser sur la “névrose”
de Hændel, la couleur “maniaco-dépressive”
mais non “psychotique” de l’œuvre
qu’il présentait... Nous vient alors à
l’esprit une pensée nostalgique pour Molière,
suivie d’une seconde, pour son prédécesseur,
Rabelais, décrivant, dans une langue inégalée
de comique, la pédanterie ridiculissime
du jargon des étudiants du Quartier Latin
de son époque. Pour en revenir à
l’émission en question, j’ai coupé
net, me privant de la suite d’un nouveau catalogue
nosographique, appliqué à l’œuvre
d’art, et ai placé un CD / Mozart par Clara
Haskil sur le plateau.
Ainsi,
de nos jours, journalistes et autres intellectuels
instruits par les “psys” pérorent
à tous vents sans avoir aucunement vérifié
la signification de ce “narcissisme”
qu’ils prêtent au Président de la
République. Nous ne pouvons que rester
consternés par l’indigence de leurs professeurs
de “psy”.
Le
“narcissisme”, en psychanalyse est,
soit une pathologie grave, auquel cas, il enferme
le sujet dans son “bunker”, nous n’avons
plus aucun lien social avec lui, le plus souvent
il peuple les institutions psychiatriques ; soit,
le narcissisme n’est qu’une caractéristique
dominante dans la personnalité d’un sujet,
lequel se satisfait, dans une passivité totale, d’être persuadé qu’il est
le centre du monde, ce pourquoi l’érotomanie
le guette comme un appât, qu’il est admiré
par chacun et par tous. Ou alors, à l’opposé,
le sujet s’isole, mais partiellement, d’autrui
quand il est dominé par le masochisme.
Dans tous les cas, sa vie se résume à
ne jamais RIEN faire,
il n’agit pas, n’est investi que par soi-même
et considère autrui, quel qu’il soit et
quelle que soit sa position hiérarchique,
réelle ou supposée, comme son domestique.
C’est toute la différence avec le terme
courant de “surcompensation” par exemple,
où le sujet tend, d’une façon souvent
émouvante, à se défendre
de ce qu’il n’aime pas en lui, voire de ce qu’il
hait en lui, et ferait n’importe quoi pour être
aimé, y compris distribuer la Légion
d’Honneur à tort et à travers.
“On”
se dit “décomplexé”.
Ce qui signifie ? Que les hommes d’État
précédents étaient “complexés”
? Freud avait choisi le terme de complexe à
partir de Sophocle, pour nommer le Complexe d’Œdipe,
ce complexe assez proche de ce que l’on nomme
en mathématiques un “nombre complexe”
: en partie réel, en partie imaginaire.
Laisser se découvrir et se déployer
la fonction du symbolique dans l’inconscient relevant,
pour faire bref, de notre travail. Il refusait
formellement, mais en vain, l’utilisation généralisée
qu’en avait conçu Jung et à sa suite,
les psychologies comportementales.
“On”
balance du “fantasme” à tout
va pour invalider l’opinion de quelqu’un. “Ce
qu’il dit, voyons, c’est son fantasme !”
Quel retard sur l’évolution des concepts
théoriques ! La théorie du fantasme
a été sérieusement érodée
ou étiolée avec la généralisation
des moyens informatiques de communication, d’inflation
de l’image, des bruits qui rendent sourds et se
réverbèrent dans les écouteurs,
par la disparition, pour cause de pollutions monstres
et diverses, du goût, de l’odorat... Il
n’y a plus de fantasme, plus d’imaginaire qui
tiennent, tout est passé dans le réel,
c’est le réel, sexuel préférentiellement,
qui vous est jeté en pleine face, jour
et nuit, tout le temps. Et cela a une incidence
préoccupante sur l’inconscient du sujet,
il suffit, dans notre travail, d’écouter
le récit des rêves actuels des jeunes
analysants, voire des enfants... C’est comme si
la théorie psychanalytique de la sexualité
avait, au fil du temps, été rabattue
au rang de la pornographie...
Bref,
la mode, pour ne pas perdre de vue l’idée
de départ qui était la vulgarité
hissée à la dignité de l’éthique,
est à l’atteinte directe, brutale, grossière,
à la personne, morale ou/et physique, associée
au mépris des réalisations, des
l’œuvres, du patrimoine intellectuel, artistique
ou simplement humain.
“On”
dit, à partir d’une donnée biographique,
privée, du Président de la République
actuel, que la France, la République, n’ont
plus de “père”. C’est bien
mal connaître la relation entre les pères
et les fils. S’il y a une absence d’autorité
respectée en France, c’est celle d’un “Maître”,
celui qui permet au “peuple” - “Les
gens” - de le citer en exemple.
Il
y a, par contre, les quantités de caricatures
de “Maîtres”, autrement dit
des “maîtres sadiens”. Sans
entrer ici dans une étude plus approfondie
de la perversion, disons que le pervers est la
caricature de celui qui se prend pour le “Maître”,
dont les bordels, nobles ou de basses fosses,
nous offraient des descriptions exemplaires, agrémentées
de leurs accessoires répétitifs,
de parodies de pères (!) fouettards ou
fouettés...
Alors,
à l’intention de psychanalystes qui souhaiteraient
effectuer une petite mise à jour, il serait
intéressant de reprendre de près
au sujet de ce qu’est un pervers, le “mathème”
de la perversion proposé par Solange Faladé
et à le soumettre à la critique,
pour revoir un peu le tour qu’a pris le destin
de la psychanalyse en France.
“On”
pourrait aussi, puisque cela n’a jamais été
fait, mettre à l’étude le concept
“princeps” [sic !] de Lacan sur le “Stade du miroir”
en regard de l’observation de Françoise
Dolto, en désaccord sur le même sujet
depuis 1954, reprise et réaffirmée
en 1983, qui figure sur notre site.
Revenons
à ce qui concerne les psychanalystes français
“en vue” (ah ! l’image !), et leurs
“élèves”, pour la plupart
issus du lacanisme. Il semblerait que les théories,
qu’ils dispensent, qui le contesterait, et leurs
comportements, ont constitué depuis plus
d’un demi-siècle un ensemble en forme de
vaste “paillasson” à l’usage
des pieds de la psychanalyse américaine
- “bling-bling”, restons modernes.
Il est donc permis de s’interroger sur leur pratique
de la psychanalyse quotidienne auprès de
leurs analysants, notamment, sans être exhaustive,
auprès des enfants et des sans grade particulier
- vous, je, ils -, des non-inscrits au Bottin
Mondain - les fameux “lobbies” -,
ou encore dans les annuaires du spectacle, des
universités, des écoles de journalisme,
les “raouts”... Où, qui, sont
leurs analysants, hors le “Show-biz”
?
Je
sais où sont ceux ayant croisé par
ici, il arrive assez fréquemment que je
reçoive des nouvelles des années
après leur analyse, et aussi des nouvelles
des enfants nés pendant leur analyse, devenus
maintenant parents à leur tour. Connaissant,
de fait, mon mode de travailler, chacun et chacune
s’en sont allés vers leur destin - leur
“devenir” -, dissuadés, avec
la dissolution transférentielle, de pratiquer
la psychanalyse, métier trop astreignant.
Beaucoup sont venus “aux renseignements”,
ils ne sont pas restés bien longtemps,
voire pas du tout.
Quand
ont-ils le temps, ces “psys en vue”
de permettre à leur pensée de se
former à partir de ce qui leur vient à
l’esprit ? Quand ont-ils du temps à ménager
pour leur travail ? Quand ont-ils le temps de
commencer par lire Freud ? Car le plus amusant,
le plus curieux, lorsqu’un psychanalyste décède,
c’est que l’on retrouve à la Halle aux
Livres du Parc Georges Brassens son abondante
bibliothèque analytique, pourvue de livres
à l’état neuf, assez souvent aux
pages non coupées, sans la moindre note,
comme sont les livres de collection, ce pourquoi
sans doute, même d’occasion, ils sont vendus
si chers.
De
telle sorte que n’importe qui, depuis quelques
décades, s’intitule, sans que l’on ne sache
rien de sa formation, “quelque chose et psychanalyste”. Du coup, une nouvelle sous-profession
occulte a vu le jour et s’est installée
: Etpsychanalyste.
Pour
le reste, pour la diffusion d’ouvrages analytiques,
la “réclame”, la “propagande”,
la “com.” aujourd’hui, ces “psys”
que j’évoque détiennent des parts
de “marché”, parfois assez
importantes, dans le monde rassemblé de
l’édition, des médias - chaînes
radio / TV, aussi bien publiques que privées
-, du cinéma, du théâtre,
de la “production” exclusivement financière
bien que dite culturelle, en tous genres.
Ainsi,
à l’image des jeux politiques d’une cruauté
étonnante ou / et dans le monde des puissantes
affaires, ces “cartels” ont toute
latitude pour pratiquer l’Omerta intellectuelle
et “casser” qui ils jugent susceptibles
de leur faire de l’ombre, d’ailleurs ils le disent
ouvertement. Ils ont donc toute latitude pour
pratiquer, sinon l’“interdit de penser”
que l’on condamne unanimement dans les dictatures,
dont Freud faisait une caractéristique
principale du pouvoir de la religion, mais a-minima l’interdit
de rendre matériellement, “économiquement”
comme on dit aujourd’hui, public le travail de
pensée de l’autre, de celui qui n’est pas
du “clan”. Et à arpenter les
groupes analytiques pour se mettre en scène
avantageusement, histoire de s’établir
une clientèle sélectionnée
en détournant les analysants de leurs confrères
et consœurs.
Ce
phénomène est de notoriété
publique, pour qui cela intéresse, qui
contribue à ce que l’on appelait du temps
de Marx, le “Lavage [généralisé]
des cerveaux” des “gens”, de
plus en plus “aliénés”
et étranglés par la détresse
matérielle, auquel nous assistons aujourd’hui.
Juste
un mot sur Marx, dont j’ignore si les adversaires
acharnés du marxisme l’ont lu ou non. J’ai
ici un exemplaire de la première édition
en trois tomes en allemand de la correspondance
entre Marx et Engels. Elle est prodigieuse d’intelligence,
de qualité d’analyse, de qualité
d’écriture, de goût insatiable du
savoir, de références solides auprès
des théoriciens majeurs, dans tous les
domaines, de tous pays, auprès des artistes,
philosophes, écrivains, scientifiques...
Il
est vrai que lire, écrire, puiser, pour
nourrir son évolution intellectuelle, sont
des exercices indissociables du temps et, au mieux,
mais là encore, de même que pour
les activités matérielles, il y
“inégalité des chances”
qui sont les conditions environnementales de paix.
Faute de quoi, il faut faire sans.
Curieusement,
depuis quelques décennies, en France tout
au moins, lorsque vous êtes “graphomanes”
- Freud, Marx, Engels... l’étaient -, ainsi
que nous nous définissons sans nous être
consultés, avec mon ami poète Gil
Jouanard, le monde intellectuel l’“Intelligenzia”,
vous toisent avec condescendance et... si vous
persistez quand même, “on” vous
flanque, sans vous avoir lu naturellement, cela
ne “rapporte” pas, dans la catégorie
des malades mentaux, des “monomaniaques”...
De
nombreux auteurs ont tenté d’établir,
assez péniblement, un pont entre le marxisme
et la psychanalyse. Certes, il existe des passerelles,
principalement sociologiques, comme pour toutes
les disciplines relevant de la condition humaine.
Il
suffit cependant, pour distinguer nettement l’écart
entre la psychanalyse et la théorie marxiste,
issue selon Freud de l’“obscure philosophie
hégélienne” prisée
par Lacan, de se reporter à ce qu’il en
avait déduit et dont voici quelques extraits,
[...]
Dans la théorie marxiste, il y a des thèses qui m’ont déconcerté
comme celle qui veut [...] que les changements
dans la stratification sociale procèdent
l’un de l’autre par la voie d’un mouvement dialectique.
Je ne suis pas sûr de comprendre correctement
ces affirmations, elles ne sonnent d’ailleurs
pas à mes oreilles comme “matérialistes”
mais plutôt comme une lourde condensation
de quelque obscure philosophie hégelienne,
école par laquelle Marx a aussi passé.
Je ne sais pas comment me libérer de mon
point de vue de non-croyant, habitué à
ramener la formation des classes dans la société
aux luttes qui se sont déroulées
depuis le début de l’histoire entre les
hordes humaines peu différentes les unes
des autres. [...] Dans la coexistence sur
le même territoire, les vainqueurs devenaient
les seigneurs, les vaincus les esclaves. Il n’y
a pas là de loi de la nature ou de métamorphose
du concept à découvrir ; en revanche,
on ne saurait méconnaître l’influence
qu’exerce la maîtrise progressive des forces
de la nature sur les relations sociales des hommes,
du fait qu’ils mettent toujours et en même
temps les moyens de puissance nouvellement acquis
au service de leur agressivité et qu’ils
les utilisent les uns contre les autres.
[...]
J’ai presque honte de traiter devant vous un thème d’une telle
importance et d’une telle complexité en
quelques remarques insuffisantes ; [...] ce qui
m’importe seulement, c’est d’attirer votre attention
sur le fait que le rapport de l’homme à
la maîtrise de la nature, à qui il
emprunte ses armes pour combattre ses semblables,
a une influence certaine sur ses institutions
économiques. [...] La force du marxisme
ne réside manifestement pas dans sa conception
de l’histoire et dans la prédiction de
l’avenir qui y trouve son fondement mais dans
la démonstration perspicace de l’influence
contraignante que les rapports économiques
des hommes exercent sur leurs positions intellectuelles,
éthiques et artistiques. Mais on ne peut
émettre l’hypothèse que seuls les
motifs économiques déterminent le
comportement des hommes dans la société.
Le fait indubitable que des personnes, des populations
différentes se comportent de façon
différente dans les mêmes conditions
économiques exclurait déjà
la seule et unique domination des facteurs économiques.
On ne comprend absolument pas comment on peu négliger
des facteurs psychiques là où il
s’agit des réactions d’êtres humains
vivants ; car sans compter que ces derniers ont
déjà participé à l’instauration
des conditions économiques, les hommes
ne peuvent faire autrement, même sous la
domination de ces conditions, qu’apporter dans
le jeu leurs motions pulsionnelles originaires,
leur pulsion d’autoconservation, leur goût
pour l’agression, leur besoin d’amour, leur aspiration
à l’acquisition du plaisir et à
l’évitement du déplaisir.
[...]
Par sa réalisation dans le bolchevisme russe, le marxisme théorique
a maintenant gagné l’énergie, la
cohérence et le caractère exclusif
d’une Weltanschauung, mais en même temps une
ressemblance inquiétante avec ce qu’il
combat. Initialement conçu lui-même
comme une part de science, s’édifiant pour
sa réalisation sur la science et la technique,
il a cependant édicté un interdit
de penser [sic, je souligne] aussi inexorable que le fut
en son temps celui de la religion.
[...]
Comme
quoi, contrairement à l’antienne populaire,
l’histoire de la psyché humaine est un
éternel recommencement à l’identique
dont toutes les avancées et réalisations
techniques, destinées au mieux-être
matériel des humains, ne sont pas parvenues
à neutraliser les résistances à
évoluer vers un peu plus de civilisation.
En témoignent, pour faire court, l’échec
des Lumières, la réussite de la
Shoah.
En
inventant la psychanalyse, en la nommant ainsi,
en espérant mais, plus le temps passait,
sans grande illusion, qu’elle serait reconnue
comme une science expérimentale, le désir
de Freud était de contribuer à ne
jamais laisser faiblir le goût des humains
pour l’intelligence, l’entendement, le savoir.
En
témoignait sa méthode de travail,
d’investigation, pour reprendre la terminologie
de l’époque où, dès l’âge
de 16 ans pour les traces qui nous sont accessibles,
nous pouvons y retrouver sa passion pour la lecture
dans les multiples domaines qui l’intéressaient,
l’analyse des commentaires hérités
de ses prédécesseurs. Puis, à partir de sa mise en pratique
de la psychanalyse, nous assistons à l’élaboration,
pas à pas, de ses commentaires originaux,
associés aux échanges vivants de
vues avec ses contemporains de différentes
générations et différentes
disciplines, directs quand cela était possible,
sinon abondamment épistolaires, souvent
les deux.
Et
c’est cette méthode que Freud transmettait
à qui voulait bien la recevoir. En cela
il était un véritable Maître,
ouvrant à ses élèves une
large baie devant la forme qu’avait pris pour
chacun son goût pour les voyages infinis
et toujours inachevés dans le savoir.
Chez
le maître sadien au contraire, pour peu
qu’il accède à une chaire universitaire,
rien de tel. Son “enseignement” peut
être désigné comme dictatorial,
sur un mode semblable à celui des gourous
de sectes, il est fermé à tout autre
que le sien, à tout apport extérieur.
C’était étouffant, du temps de Lacan,
et assez stérile, cela ne menait qu’à
du psittacisme fasciné, halluciné.
Alors
pourquoi ce titre « L’affront fait à
Freud » par ceux des psychanalystes français
qui ont fait de la psychanalyse, grâce aux
puissances de l’argent / Roi - le “Roi /
Dollar américain” selon Freud - de
son nom, un vulgaire “Paillasson de l’Amérique”,
depuis les années 60 ?
Lacan
avait lancé le slogan selon lequel “les
psychanalystes sont des gens [sic] comme tout le monde”, tout le monde, trop
content, s’y est conformé. Du coup,
tout le monde fait comme tout le monde. Plus besoin
de psychanalyse.
Ce
qui était exactement au contraire de l’espoir
de Freud et, avec et après lui, de ses plus fidèles élèves
et amis. La vague lacanienne, son snobisme - sine
nobilitas -,
son avidité pour la mise en avant du chacun
pour “Moi”, son tropisme vers le pouvoir,
impossible à prendre sans la suprématie
exclusive de l’argent, avec la disparition progressive
des derniers psychanalystes, des meilleurs cliniciens
et théoriciens que la France ait abrités
et qui avaient commencé leur formation
déjà avant guerre, a emporté
haut la main l’adhésion générale,
la soumission.
La
principale difficulté de la psychanalyse,
pour tenter rendre une vie de l’esprit et du corps,
vivable, supportable, à un être humain
chez lequel tous les autres essais “thérapeutiques”
ont échoué, est que sa spécificité
consiste à explorer l’inconscient à partir du seul langage.
Or,
à l’inverse des disciplines telles que
les sciences dites exactes, les mathématiques,
la physique par exemple, lesquelles jouissent
d’un grand respect, à l’aune de ce qui
intimide et que l’on ne comprend guère,
le langage de la psychanalyse a emprunté
au langage de domaines très divers avant
que Freud ne donne à ses concepts un sens
bien précis, non interchangeable.
C’est
l’ensemble de ces concepts, ce vocabulaire de
la psychanalyse, qui constituent une “méthode
originale d’investigation”, à partir
non plus de définitions préétablies
sur diagnostics recensés, formatés
et étalonnés, mais à partir
de ce que nous enseignent les formations de l’inconscient,
lequel est un rébus, au départ d’une
analyse,qui nous permettent de lire le sens des
symptômes physiques et psychiques irréductibles,
restés énigmatiques devant tout
autre forme d’approche.
Or,
d’un langage compréhensible, toute personne
peut faire ce que bon lui semble, en toute bonne
foi. Sauf les psychanalystes. L’affront à
Freud réside dans ce fait que les psychanalystes,
par négligence, pour satisfaire au “principe
de plaisir” que j’ai renommé “principe
de paresse” ou pour arriver plus vite à
exercer une activité conçue comme
prestigieuse, plutôt que de recueillir précieusement
et sauvegarder le langage forgé par Freud,
dont la connaissance représente la base
théorique indispensable pour la pratique
d’une discipline aussi nouvelle aujourd’hui qu’il
y a un siècle, l’ont laissé tomber
en délitescence.
Le
pouvoir de la psychiatrie d’une part, n’a cessé
de vouloir peser de toute sa masse - et continue
-, contre le désir formel de Freud, dans
le but de s’accaparer la psychanalyse, jusqu’au
point d’essayer d’en faire son pré carré
exclusif ; d’autre part, contre le désir
tout aussi formel de Freud, la philosophie a tenté
- et continue - un contre-pouvoir à la
psychiatrie, en tirant vers elle la psychanalyse.
Et ce par des discours tendant à invalider
la découverte de Freud en arguant par exemple
que le terme d’”inconscient“ existait
déjà avant lui, sous-entendant que
ce serait une preuve de non-paternité de
la discipline elle-même et de son efficacité
; répandant, arguments philosophiques et
calembours de Lacan à la rescousse, que
la psychanalyse n’est pas une science, ni humaine,
ni du langage, ni de rien... Tout cela a produit
ceci que les résistances n’ont pas failli
d’un gramme et essuient toujours leurs pieds sur
la psychanalyse, dont il est évident maintenant
qu’elle ne sera jamais reconnue comme science
expérimentale.
Freud
craignait que la psychanalyse ne devint la domestique
ou / et la “danseuse” de la psychiatrie.
De même, dès Totem et Tabou,
il comparait le système philosophique,
depuis la fin des Lumières, à une
caricature écrivait-il, du système
du délirant.
Aujourd’hui,
soyons plus terre à terre, reconnaissons
humblement que tous les pouvoirs qui se sont opposés
à la psychanalyse en tant que science expérimentale
autonome, à part entière, ont réussi
à ce que la psychanalyse ait été
ravalée, en France en tous cas, à
l’état de “paillasson” public.