© M.
W. / 1er
août 2008
Au sujet des officines de la délation...
Il
y a quelques semaines, Le Nouvel Observateur publiait une pleine page, décrivant, apparemment avec délices,
le malheur qui frappait une femme psychiatre,
étiquetée “délirante
paranoïaque” par des confrères
habilités, poursuivie par la police, aujourd’hui
internée pour la seconde fois en deux ans,
au prétexte qu’elle dérangeait les
populations, dont certains VIP, par son abondant
courrier.
Cette
semaine, l’“information” fut reprise,
successivement, sur une demi-page par un quotidien,
Le Parisien, puis dans un encart d’un hebdomadaire, Le Point, sous l’intitulé « Le corbeau
réduit au silence ».
Quel
bonheur pour les journalistes, assistés
de leurs conseillers en psychiatrie, que de serrer
dans l’étau de la calomnie une psychiatre,
qui fut en effet assez connue, et bien sûr,
une femme.
Mi-août
2007, paraissait dans Le Figaro, un petit article remarquable, relatant les détestables poursuites
engagées contre
une autre femme, assez connue elle aussi,
mais non psychiatre, que je reproduis in-extenso
:
À
Paris, le bureau de santé mentale veille
POLICE
Une habitante du XVIIIe arrondissement
qui déplorait les conditions de vie de
son quartier avait envoyé des mails au
ministère de l’Intérieur. C’est
un psychiatre qui lui a répondu.
CE FUT « le monde à l’envers » pour elle. En ouvrant son courrier samedi
dernier, Sylvia Bourdon a découvert qu’elle
était invitée à aller consulter
un psychiatre à l’hôpital Maison-Blanche
à Paris. Un rendez-vous prévu pour
le 20 août à 14 heures. Objet de
la convocation : des mails envoyés au ministère
de l’Intérieur « pour se plaindre
de ce qui se passait dans mon quartier ».
À 58 ans, elle vit dans le XVIIIe arrondissement.
« Je loue un appartement en face de l’église
Saint-Bernard. Je me suis installée dans
le quartier en 2004 parce que je voulais un peu
d’exotisme », souligne cette directrice d’une entreprise de dépollution.
Mais trois ans à peine après
son arrivée, l’ancienne actrice de films
pornographiques enrage. « Il y a trop
de vandalisme, trop de violences, trop de jeunes
encapuchonnés. »
Sylvia Bourdon décide alors de prendre
les choses en main. Elle crée plusieurs
blogs pour dénoncer « ce ghetto
chaotique, cette aire décomposée
la plus criminogène de la capitale ». Conjointement, elle se met le 14 juin à
la fenêtre de son deux-pièces pour
prendre des photos de ce qu’elle qualifie «
de troubles récurrents ».
Repérée par une dizaine de garçons,
elle se fait caillasser dans son appartement les
jours suivants. Trop pour elle. Au point qu’elle
adresse des mails quelque peu enflammés
à des responsables du ministère
de l’Intérieur « pour leur demander
tout bonnement d’assurer ma sécurité
».
Migrer définitivement
Sur cette liste figurent notamment le préfet
de police de Paris, Michel Gaudin, le chef de
cabinet du ministre de l’Intérieur, Ludivine
Olive, et le commissaire central du XVIIIe
arrondissement Jean-Paul Pecquet. Des mails restés
sans réponse.
Jusqu’à ce qu’elle reçoive samedi
dernier une lettre qui l’a fait tomber des nues.
« Suite aux divers courriers que vous
avez adressés au Ministère de l’Intérieur
via Internet, les autorités compétentes
nous ont demandé de prendre contact avec
vous. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous
proposer un rendez-vous. Je vous propose le lundi
20 août 2007 à 14 heures », lui écrit le Dr Yves Pignier de l’hôpital Maison-Blanche.
Ce dernier a agi sur demande du bureau des
actions pour la santé mentale de l’infirmerie
psychiatrique de la Préfecture de police
de Paris, chargé de l’instruction et du
contrôle des hospitalisations d’office.
« Face à ce comportement des
plus incompréhensibles », Sylvia Bourdon a contacté son avocat Maître
Christian Charrière-Boumaze futur bâtonnier
de Paris, pour qu’il rédige deux courriers
à l’intention du ministre de l’Intérieur,
Michèle Alliot-Marie, et au procureur de
la République de Paris.
Très remontée, Sylvia Bourdon
a choisi de quitter Paris et la France. Elle promet
de migrer définitivement vers la Grèce
dans le courant du premier semestre 2008.
Reste à savoir si elle répondra
présente à sa convocation ce lundi.
Elle avoue ne pas avoir encore pris sa décision.
Thibaut
Danancher
LE FIGARO samedi 18 - dimanche 19 août 2007
Voici des extraits
de ma lettre d’alors à un correspondant
:
Cher Monsieur,
[...]
Je serais Sylvie Bourdon, en tout état de cause, je
ne me rendrais pas à la convocation du
psychiatre, soit-il assermenté.
Il semblerait ici que l’on soit devant une sorte de “délit
de générations”, lequel impliquerait
éventuellement le physique de la personne,
compte-tenu de son âge, son appartenance
au genre féminin, et le fait que, malgré
ces deux dernières caractéristiques,
S. B. se permette de parler publiquement, de dire
ce qu’elle pense tout simplement, selon sa nature,
plus ou moins “enflammée”.
Contre quoi, “on” la fait passer pour
folle.
[...]
En décembre
2006, pour de tout autres raisons relatives à
l’histoire de la psychanalyse, j’écrivais
un petit billet intitulé « Quand
on veut faire piquer son chien... » :
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/courrier/quandonveut.html
et en anglais :
Il y a peu encore,
les “ukases” qui expédiaient
au goulag, beaucoup plus simples, étaient
somme toute moins pernicieuses, qui ne s’embarrassaient
guère d’enquêtes préalables,
se contentant d’enfermer les réfractaires
à la “Gleichshaltung” idéologique
du siècle, sur délation à-tout-va
par n’importe qui, jaloux, envieux, xénophobes,
sexistes, bref des humains ordinaires, néanmoins
de toutes conditions. Le panorama était
très large, intellectuels, scientifiques,
artistes ne se privant pas de participer activement
à ces opérations radicales...
Dans l’histoire
des féroces foires d’empoigne pour le pouvoir
du mouvement analytique, nous connaissons tous
des psychanalystes qui furent isolés, muselés,
traités, dans la complicité d’un
silence épais, comme des pestiférés,
internés, ce qui avait pour conséquences
qu’ils étaient finalement privés
de leur travail. Et pas des moindres. Sur un siècle,
pour ceux et celles qui n’avaient ni fortune ni
autres ressources humaines ou/et matérielles,
on compte tout de même de nombreux suicides...
Je me rappelle
Noëlle, élève de célébrités
psychanalytiques, analyste d’enfants réputée
dans le Val d’Oise, elle résidait à
Mantes-la-Jolie, quel joli nom, sans assises financières,
virée de la maison dont elle était
locataire : affolée, elle s’était
alors tournée de tous côtés,
avait beaucoup téléphoné,
écrit, pour essayer de trouver un peu de solidarité auprès
de ses illustres collègues... Quand j’ai
appelé son “analyste-contrôleur”,
un lacanien en vue, qui exerce toujours et tient
séminaire, il ne savait pas qui “c’”était. Résultat : sur ses appels à
l’aide auprès de personnes privées,
professionnelles, et d’institutions administratives,
sur ses écrits, Noëlle a été internée d’office
par la police, à vie.
Je me rappelle,
comment ne pourrais-je pas, une jeune femme, médecin
psychiatre, qui m’avait été adressée
pour une analyse, avec cet “Ausweis”
de la part de l’analyste/expéditrice :
“Je te l’envoie car je ne sais pas faire
avec les paranoïaques.” Quel que soit
son symptôme dominant, qui la faisait abominablement
souffrir, B. accomplissait son travail formidable
de psychiatre dans le service des grands criminels
à Villejuif. J’ai gardé sa remarquable
thèse d’habilitation. Certes, c’était
une jeune femme atypique, très expressive,
parfois un peu bruyante, quoiqu’il en soit, au
changement de direction de l’hôpital, histoire
de s’en débarrasser, elle a été
littéralement persécutée,
ce qui atteignait dans le mille la cible de sa
fragilité, diagnostiquée par ses
confrères bonne à interner. Par
chance, elle était étrangère
francophone et surtout confortable héritière
d’un père fameux avocat dans une ancienne
colonie française, nous avons donc rapidement
fait en sorte qu’elle y trouve refuge et reprenne
un poste de psychiatre dans l’H. P. de la capitale
de ce pays. Je reçois de ses nouvelles,
de temps à autre.
Je n’évoquerai
pas ici ceux et surtout celles qui ne sont plus,
il n’y a pas toujours, pour les plus récents,
prescription !
Combien de magnifiques
hystériques croupissent, étreintes
par les mâchoires de la psychiatrie, étiquetées
paranoïaques - ce qui épargne aux
psychiatres (Etpsychanalystes !)
un long et difficile travail thérapeutique
- et qui le sont devenues sous l’effet des drogues,
hébétées, dans les institutions.
Pour
en revenir au « Corbeau... » dénoncé avec une inconséquente méchanceté,
nominalement, dans Le Point par
une dame “de” suivi du patronyme,
ci-devant journaliste, il ne serait peut-être
pas inutile de lui faire observer qu’un “corbeau”
ne signe pas ses lettres, un “corbeau” est par définition anonyme.
Depuis
Freud nous savons qu’il y a toujours une part
de vérité aveuglante dans les propos
et les écrits des paranoïaques. D’autant
plus aveuglante qu’un/e paranoïaque vous
la balance, cette part de votre vérité,
en pleine face, comme ça, en passant, cadeau,
sans s’intéresser le moins du monde à
ce qu’il énonce pas plus qu’à la
personne à laquelle il l’adresse, encore
moins aux effets produits par ses déclarations.
Nous
avons été attentifs, depuis Freud,
à nos propres passages crypto-délirants
bien que fugitifs, qui ne manquent jamais de se
produire au cours d’une analyse bien faite, et
qui nous apprennent quelque chose d’essentiel,
d’invariant, sur la psyché, ne serait-ce
que la tendance de chacun, à certains instants
de la vie, à la mégalomanie...
Quand
bien même cette psychiatre serait-elle paranoïaque,
est-il avéré qu’elle l’était
déjà ? Ou a-t-elle été
poussée à le devenir à la
suite de propos dérangeants qu’elle aurait
tenus dans le cadre de son travail hospitalier
? Quelqu’un d’habilité est-il allé
jeter un œil à l’hôpital de
Guingamp où l’on pouvait autrefois - je
n’y suis plus retournée depuis plus de
15 ans -, si l’on parvenait à tromper la
surveillance et à pénétrer
dans le pavillon “fermé”, tomber
avec effroi dans le plus sordide des mouroirs
pour “incurables” ?
Si
cette femme était réellement malade,
comment se fait-il qu’aucun de ses collègues
n’ait eu la minime générosité
d’essayer, quand il était encore temps,
de l’aider à neutraliser ses symptômes
plutôt que les ignorer lâchement et,
pour faire bonne mesure, établir un diagnostic
assermenté qui la livrait à la police
?
On
prend soin de préciser, dans chacune de
cette presse, qu’elle aurait été
provisoirement hébergée “pendant
sa cavale ” - comme une criminelle - par
d’anciens patients “parisiens”, et
si tel est le cas, ils lui étaient sans
doute reconnaissants. Les a-t-on consultés
avant de les rabattre dans la catégorie
d’adeptes sous influence d’une “guru”
?
A-t-on
pris le temps de lire, entre et dans les lignes,
ce qui a causé l’enchaînement de
cette correspondance en forme d’appel pathétique
?
Au
nom de quoi des psychiatres, tenus par le secret
professionnel, ont-ils permis que soit livrée,
nominalement, cette femme, après tant d’autres,
femmes et hommes, à l’étal de la
presse - je n’ai pas dit, à la suite de
François Mitterand, après le suicide
de Pierre Bérégovoy, “aux
chiens” ?