Mont
Mouchet
Sur les traces
de mes grands-parents paternels
À la
mémoire des Résistants d’Auvergne
La route du Puy vers le Mémorial
de la Résistance du Mont Mouchet , à
la limite de la Lozère, de la Haute-Loire
et du Cantal, est une petite départementale
qui contourne le Mont, site d’origine de la légende
de la Bête du Gévaudan, à
travers une épaisse forêt de sapins.
Elle descend dans une clairière parsemée
de rochers glaciaires qui forment un vallon humide
où pâturent quelques vaches, puis
elle franchit un petit pont de pierre. Elle remonte
ensuite dans la forêt domaniale du Mont
Mouchet. Après quelques virages, la route
en forte montée débouche enfin dans
un clairière gazonnée. Au milieu,
un grand monument « À la Résistance »
et « Au maquis », un Jardin
du Souvenir, où des Résistants ont
demandé que soient répandus leurs
cendres et en bordure de la forêt, deux
bâtiments, l’un était une auberge,
l’autre abrite un Musée de la Résistance.
À travers les arbres on entra-perçoit
vers l’ouest la pente de la montagne en face,
à l’opposé, vers le nord-est, par-delà
la forêt, le sommet du Mont.
L’ancienne auberge, vide et silencieuse
aujourd’hui, est un bâtiment de ferme sans
caractère, sinon d’être bâti
à l’emplacement de l’ancienne maison forestière
qui servit de quartier général au
maquis et fut entièrement détruit
en juin 44 par les obus allemands.
Le Musée a un toit pentu à
deux versants qui retombent presque jusqu’au sol,
proche de la forme d’une tente ou d’une chapelle.
À l’intérieur, l’historique décrit
le contexte général de la guerre
et du nazisme, mais est toutefois centré
sur la Résistance en Auvergne. Il est géré
par une association d’anciens de la Résistance
[1]
avec le soutien du Conseil
Régional d’Auvergne. La scénographie
modifiée l’an passé; claire et pédagogique,
présente des documents, pour la plupart
des fac-similés, autour d’un déroulement
chronologique depuis l’arrivée d’Hitler
au pouvoir jusqu’à sa chute et se termine
par quelques informations sur les camps de concentration
et d’extermination. Elle est manifestement pensée
pour des jeunes générations ou pour
des personnes peu au courant de ces événements.
L’exposition précédente, touffue,
manquant d’axes prioritaires et d’explications
didactiques, déployait toutefois plus de
documents locaux, d’un grand intérêt
pour le visiteur connaissant le contexte général.
Les anciens Résistants maquisards qui l’avaient
probablement conçue, avaient plus fortement
mis en valeur les maquis, leur constitution et
leur développement en Auvergne.
Une salle centrale retrace les combats
qui se déroulèrent autour et sur
le Mont Mouchet en juin 1944 et conduisirent à
la dispersion des maquisards.
Avant cette salle, une séquence
présente l’apparition des maquis, qui ne
se développèrent vraiment qu’à
partir de 1943.
Après la défaite de 1940,
l’existence de groupes armés et organisés
militairement pour des opérations de guerre,
n’étaient pas envisagés ni, semblerait-il,
souhaités. Les premiers Résistants
avaient plutôt l’intention de mener d’abord,
soit un combat idéologique contre la Révolution
Nationale et la démoralisation des français
[2], fournir des renseignements
à Londres, faire vivre des filières
d’évasion pour les juifs et tous ceux qui
étaient poursuivis par les nazis
[3], ainsi que les militaires
prisonniers ou les pilotes alliés. L’intérêt
de ces organisations était de se fondre
dans la population, leurs membres de subvenir
par eux-mêmes à leurs besoins, professionnellement
quand cela était encore possible ou grâce
à quelques personnes sûres. Les premiers
groupes de sabotages ou d’attaques étaient
constitués d’hommes, ou de femmes, vivant
en ville, exerçant un métier sans
attirer l’attention. L’option militaire, l’organisation
d’unités armées sur un modèle
proche d’une armée régulière
ne s’imposa et ne devînt possible que plus
tard, quand l’opinion publique commença
à basculer contre les Allemands et le gouvernement
de la Révolution Nationale
[4].
Les premiers à devenir ce que
l’on nommera à partir de fin 1942
[5]
les maquisards, se rendent
ou s’arrêtent dans des zones rurales, envoyés
auprès de sympathisants (avérés,
espérés ou supposés) parce
qu’ils sont dans l’incapacité de passer
à l’étranger ou qu’ils ne veulent
plus fuir, mais combattre activement sur place,
au-delà du renseignement ou de l’aide aux
évadés et proscrits. Peu nombreux
au départ, leur nombre augmente de manière
telle qu’il n’est plus possible de les disperser
dans des fermes ou auprès de sympathisants,
ils doivent être regroupés en équipe,
de dix personnes maximum, pour que la discrétion
et le ravitaillement ne soient pas trop voyants
[6].
Citadins, employés, ouvriers,
professions libérales, ces hommes se sont
retrouvés dans une région paysanne
où ils pouvaient se cacher, en général
pas trop près des grandes villes, où
le maillage de la surveillance des troupes allemandes
et de la police était moins étroit
[7]. Restaient les gendarmes,
mais ceux-ci, moins nombreux, plus isolés,
étaient quelquefois plus enclins à
fermer les yeux soit, mais peu souvent, par esprit
de Résistance, ou encore parce qu’ils étaient
tenus par leurs liens locaux. L’Auvergne se prête
à ces regroupements : de vastes reliefs
montagneux, difficiles d’accès, à
l’écart des grandes artères de circulation,
seulement deux lignes de chemin de fer à
voie unique, reliant le Nord et le Sud de la France,
avec un maillage de villes moyennes et petites,
souvent de gros bourgs, qui ne permettaient pas
à l’ennemi ni à Vichy d’avoir une
présence forte partout. Avec néanmoins
une base économique et industrielle (mines,
industries de transformation et textiles) non
négligeables à l’époque,
qui fut une source de recrutement importante dans
les derniers mois de la guerre.
Les premiers maquisards se sont trouvés
très isolés dans des zones rurales
qu’ils connaissaient mal, obligés d’avoir
des contacts avec des populations dont le soutien
n’était pas acquis puisqu’ils n’étaient
jamais sûrs que la personne qui leur ferait
face ne les dénoncerait pas dans l’heure
à la gendarmerie ou à la Kommandantur.
Mais fin 42, l’espoir change de camp
: battue à Stalingrad, la Werhmarcht doit
reculer sur plusieurs fronts. Les Américains
aidés des Anglais, débarquent en
Afrique du Nord, chassent l’Afrika Korps de Lybie,
puis de Tunisie. Ils stoppent la progression japonaise
dans le Pacifique et reprennent l’initiative début
43. Les troupes de la France Libre, si squelettiques
furent-elles, avec un recrutement hétéroclite,
participèrent à ces combats. Un
nouveau pouvoir français, installé
et affirmé à Alger, réarme
des troupes avec l’aide des Alliés. Tous
cela commence à circuler et à se
savoir, malgré la propagande nazie et vichyssoise.
Depuis la défaite de 1940, les
hommes et femmes qui entrent en Résistance
ont une caractéristique rare : ils sont
volontaires pour risquer leur vie, leur réputation,
leurs compétences, parfois celles de leurs
proches, dans un combat aux perspectives hasardeuses.
Ils sont sans aucune expérience de la lutte
clandestine, de ses règles et de ses dangers.
Chacun y vient pour des motivations très
diverses, beaucoup disent ou diront que ce fut
une évidence, qu’il n’y avait pas d’autre
choix possible : le courage est toujours un acte
de volonté qui, à l’époque,
ne fut pas partagé par tout le monde
[8].
À partir de fin 1942, l’Occupation
aura, pour la population française, des
conséquences allant bien au-delà
des humiliations, des restrictions et privations
dues à l’état de guerre : les jeunes
de certaines classes d’âge seront requis
pour quitter le pays et risquer leur vie afin
d’appuyer l’appareil de guerre nazi. L’Occupation
prend une forme qui touchera durablement et individuellement
beaucoup de Français.
Quand, pour honorer les besoins de
main d’œuvre de l’effort de guerre nazi et
à défaut de trouver suffisamment
de volontaires pour aller travailler en Allemagne,
le régime de Vichy instaure le Service
du Travail Obligatoire, le STO, à la fin
de l’été 1942, il va provoquer un
véritable tournant dans le développement
de la lutte armée sur le sol français.
La Résistance dans son ensemble
va faire tout de suite du rejet du STO un axe
majeur pour saboter le travail du Commissariat
Général du STO. L’une de ses principales
préoccupations sera d’aider les réfractaires
(faux papiers, Ausweis et cartes de travail...)
[9]. Malgré les efforts
de la propagande vichyste et de sa police, conforme
à ses objectifs, après fin 42 et
début 43, très vite le nombre de
réfractaires va croître dans des
proportions considérables
[10], au fur et à mesure
notamment que se préciseront les conditions
de vie de ces travailleurs, bien loin de celles
annoncées par les documents de recrutement
[11]
: insuffisamment nourris
et soignés, ils étaient aussi mal
traités que les prisonniers de guerre regroupés
dans des camps de baraquement dont ils ne peuvent
sortir.
Tous les réfractaires au STO
ne rallièrent pas la Résistance,
encore moins les maquis : entre 10 et 30 %
selon les départements
[12]. Pourtant, quelsques-uns
réalisèrent qu’il était
temps d’agir et de refuser une situation dont
ils venaient de subir personnellement les conséquences.
Joints aux nouvelles perspectives de la guerre
où l’espoir d’une libération devenait
tangible, les plus courageux, les plus conscients
firent le pas
[13]. Ces hommes, eux aussi,
bien que plus tardivement, furent volontaires
pour prendre des risques vitaux
[14], poussés par une
nécessité qui n’était non
seulement morale, mais tangible et immédiate.
Ce n’était pas un choix facile
ni confortable. Les conditions de vie des maquis
étaient difficiles.
Un groupe d’hommes doit manger, se
vêtir, s’abriter avant même de se
préoccuper de s’armer. Pouvoir compter
sur la bienveillance et d’un soutien effectif
d’une partie importante de la population environnante
[15], sans lesquels il n’est
pas possible de survivre, est une préoccupation
permanente.
L’été est une période
relativement douce et favorable mais, selon les
saisons, à partir de la fin septembre,
la situation de ces hommes se détériore.
Les problèmes de ravitaillement et d’isolement
se compliquent davantage.
Il fait très froid sur les hautes
terres d’Auvergne. La neige peut venir dès
la fin octobre et tenir jusqu’en mai, ce qui fut
le cas au cours des rudes hivers des années
40. Elle s’accumule en congères qui gênent,
certes, les mouvements des ennemis, mais aussi
rendent difficiles le ravitaillement qui doit
arriver à dos d’hommes après des
heures de marche. Le vent du nord, la “burle”,
qui glace et emporte tout, peut souffler des jours
et des jours, balayant la neige sur son passage
et la faisant tournoyer, aveuglante , son hurlement
assourdissant use les nerfs. Selon sa violence,
il agite les forêts de sapins avec un bruit
plus ou moins puissant, rappelant celui des déferlantes
marines. Les arbres craquent, se frôlent,
quelques animaux se faufilent, le tout majorant
l’angoisse des sentinelles que s’efforce de placer
l’encadrement.
La population locale, habituée
à la rigueur des saisons, se munit de vêtements
et de chaussures adaptés. Mais ceux qui
viennent d’ailleurs, de plus loin, n’ont pas idée
de ce que peut être le froid humide qui
transperce tout le corps. Difficile de réchauffer
les granges et les fermes avec des feux de bois
pas toujours secs. Il faut veiller à ne
pas dégager trop de fumée susceptible
d’alerter les tournées de gendarmes et
les patrouilles ennemies attentives à repérer
des feux dans des endroits insolites où,
en cette saison, il n’y a normalement personne.
Heureusement l’ennemi, bien nourri,
n’est pas pressé de quitter son casernement
chauffé : il intervient peu pendant cette
longue saison.
L’hiver, ce peut être aussi l’inaction,
le désœuvrement, l’ennui qui mine
le moral des meilleures troupes et contre lesquels
luttent à coup d’exercices, de manœuvres,
toutes les armées du monde. Les militaires
entrés dans la Résistance le savent,
ils organisent des séances d’instruction
souvent difficiles avec des hommes très
mal équipés pour résister
au froid, peu disposés à se plier
à une discipline mal expliquée et
mal comprise. Gelures et accidents détournent
de l’action.
De plus, militaires et civils se partageant
un armement restreint et disparate. Il est difficile
de s’entraîner au tir quand la moindre balle
est comptée, d’accomplir les exercices
quand l’on est épuisé par le froid
et la faim, que l’avenir paraît plus gris
que le ciel d’hiver
[16].
Néanmoins, les maquisards partent
en opération pour récupérer
du matériel, des armes, du ravitaillement
dans les services de Vichy ou dans les réserves
des troupes d’Occupation. Il faut aussi intimider
les collaborateurs et leurs soutiens, entraver
par des sabotages les mouvements ennemis, gêner
la participation à l’effort de guerre nazi
en empêchant le départ des produits
sortis des usines et des mines auvergnates. Chaque
action réussie, chaque coup porté,
chaque matériel récupéré,
qui ne sont parfois que de minuscules coups d’épingle,
maintiennent leurs motivations, si dérisoires
que puissent paraître ces activités,
vues de Londres ou de Washington. L’hiver favorise
le découragement de certains maquisards,
leur désertion
[17], des dépressions,
les maladies déciment. Certains groupes
diminuent, la clandestinité n’étant
plus vécue par les plus découragés
comme un combat.
Mais plus nombreux sont ceux qui restent,
car la solidarité et le but partagé
soutiennent les échanges et le moral. De
nouveaux partisans les rejoignent, faisant fi
des conditions très dures de cette période,
ainsi Marinette Menut, née Lafaye, qui
rallie le maquis en décembre 1943. Pharmacienne,
elle s’occupera de l’hôpital clandestin
du Mont Mouchet à partir de mai 1944. Capturée
dans une embuscade en juin, elle sera fusillée
à Aulnat le 12 juillet.
Beaucoup sont portés par leur
sens du devoir : Marcel Fontaine, capturé
en février 1944, écrit à
ses parents le 26 mars 1944, quelques heures avant
d’être fusillé, qu’il est condamné
en n’ayant “rien fait”,
il a simplement rejoint la Résistance.
Aucun pathos dans sa lettre, où il conjure
sa mère de survivre malgré la douleur
qu’elle va subir (le père est, semblerait-il,
très malade). Ses dernières volontés
: qu’elle embrasse ses petits chiens,“qui
depuis le 29 février doivent rester tous
les soirs devant la porte à l’attendre” et d’être si possible enterré
auprès de son frère mort l’année
précédente de maladie.
Fin 1943-début 44, sans qu’aucun
indice précis ne le justifie, l’idée
d’un débarquement prochain prend corps
et se répand dans l’Europe occupée.
L’agitation de plus en plus fébrile de
l’ennemi, la nomination sur la côte Atlantique
d’un de leur plus fameux chef militaire, Rommel,
ne fait que confirmer cette perspective.
Les états-majors américains
et britanniques commencent, sous la pression notamment
du Gouvernement Provisoire de la République
Française, à réévaluer
l’importance de la Résistance, non seulement
pour la renseigner, mais aussi en tant que groupes
armés susceptibles de freiner ou de retarder
l’ennemi. Une union, sous l’égide d’un
De Gaulle qu’ils n’aiment guère, mais qui
ne peut être suspecté de complaisance,
les rassurent. En conséquence, armes et
munitions sont distribuées plus largement.
Le haut-commandement allié va
accepter l’idée de créer en France,
au moment du débarquement, des réduits
dont l’objectif militaire est de fixer une partie
des troupes ennemies, afin de les empêcher
de participer à la bataille sur le front
du débarquement de Normandie
[18].
Pour les résistants en général,
et les maquis plus particulièrement, ces
considérations stratégiques leur
échappent, mais les hommes montent sur
les hauts plateaux, ils ont entendu dire que des
armes commencent à arriver, que ces combats,
dont les effets paraissaient dérisoires
face à la machine de guerre allemande,
prennent de l’importance alors que celle-ci commence
à être affaiblie.
Le 20 mai, avant même donc que
le débarquement de Normandie ait commencé,
le colonel Gaspard (Émile Coulandon), chef
des Mouvements Unis de la Résistance (MUR)
en Auvergne, lance l’ordre n°1 convoquant
tous les hommes susceptibles de porter les armes
à se rassembler dans les maquis du Mont
Mouchet, de Venteuges, à l’est, et de la
Truyère à l’ouest
[19]. Chacun doit venir avec
ses meilleurs sabots ou chaussures, des couvertures,
et des armes, s’ils en a reçu. C’est alors
que les sous-préfets et préfets
de la région enregistrent la diminution
rapide d’effectifs ouvriers des usines locales,
phénomène qui va s’accélérant
à partir du 6 juin.
À l’entrée de Clavières
un panneau indique : “Ici commence la
France libérée”, provocation à laquelle les nazis répondront
en rasant le village.
Ainsi vont se réunir sur les
hauteurs des hommes d’appartenances variées
qui, en quelques jours, vont devoir se former
et s’amalgamer comme une armée en campagne.
Il arrive que l’encadrement soit composé
d’anciens officiers, dont certains honteux de
la manière dont s’est passée la
défaite de 40. Ils ont été
formés pour une guerre toute différente,
où l’ennemi est visible, identifié,
où il existe des règles, notamment
pour les officiers, qui doivent être traités
comme tels s’ils sont faits prisonniers. Les voilà
entourés d’hommes pour lesquels ils n’avaient
auparavant que mépris, peuple que les officiers
subalternes ne rencontraient qu’en inspectant
les chambrées ou dont ils n’avaient qu’une
vue d’ensemble dans les défilés.
Les voici face à des hommes dont ils savent
qu’ils ne sont pas là parce que contraints
par la conscription, qui sont des volontaires,
quelles que soient leurs motivations profondes,
qui n’acceptent leur autorité qu’en tant
qu’elle justifie leurs actes, non par leur grade
et leur place dans une institution militaire.
S’ils sont pris, ils seront traités comme
des terroristes, sans égard à leur
“rang”. Quant aux officiers, ils ont
fait un choix : remettre en cause leur hiérarchie,
qui s’est accommodée de la défaite
en paradant dérisoires, à Vichy,.
À l’exeption d’un Général.
L’histoire de chacun des hommes est
originale et personnelle, chacun se trouve là
pour des motifs propres.
L’un sera un ouvrier dans une usine
de la région, il entrera dans la clandestinité
pour ne pas partir en Allemagne au titre du STO.
Après quelques mois de planque chez ses
parents, solution trop dangereuse pour eux et
lui - trop de gendarmes, de miliciens, de collaborateurs
et de voisins peu sûrs - il montra au maquis
à l’automne 1943. Presque un vétéran,
il a déjà pu bénéficier
d’un certain entraînement militaire. Il
a participé à quelques actions.
Il sait tenir une carabine, son père, petit
agriculteur qui l’a poussé à devenir
ouvrier pour échapper à la condition
paysanne, l’ayant initié à la chasse.
Pour lui, tirer sur un homme ne sera pas simple.
Le second sera un étranger,
venu en France comme réfugié ou
immigrant, que la politique vichyssoise a rattrapé.
Parmi les maquisards
[20]
on trouve de nombreux républicains
espagnols, aguerris par des années de combat,
de clandestinité, qui forment les hommes
à l’armement ou aux rudiments du combat,
ou les encadrent lors de coups de main.
Le troisième sera un militant
communiste, qui continuera le combat avec des
non communistes, dans une alliance provisoire
contre l’ennemi commun. Cet adversaire de classe, dont il appréciera le courage et
l’ardeur, le rendra ultérieurement suspect
aux yeux des staliniens n’ayant pas toujours manifesté
leur présence lors des combats.
C’est dans ces rangs étrangers
et/ou communistes, que l’on trouvera les résistants
juifs ayant échappé à la
déportation.
Le suivant sera fils d’un bourgeois,
révolté par ce qu’il considère
comme la lâcheté de ses parents et
qui a décidé de se joindre au maquis.
Il veut prouver qu’il est digne de ce risque.
À côté, le fils
d’un notable local qui a œuvré pour
ses concitoyens et la Résistance voudra
montrer qu’il est digne de ce dévouement.
Son voisin sera un artisan qui a décidé
de partir au maquis en mai 1944, rassuré
par la perspective du débarquement .
Celui-ci sera un employé qui
a aidé à fabriquer des faux papiers,
à trafiquer des certificats pour échapper
au STO, jusqu’au jour où, le risque étant
devenu trop grand, il a quitté son bureau.
Le suivant encore sera de famille aristocratique
de vieille souche qui a accueilli très
favorablement l’arrivée du Maréchal
Pétain au pouvoir et a approuvé
la plupart de ses initiatives. Le vent de la guerre
ayant manifestement tourné depuis un an
et demi, il s’est décidé à
rejoindre les maquis voici quelques semaines,
peu désireux d’être après
guerre confondu
avec les idées de ses parents.
D’autres seront les fils d’agriculteurs
de hameaux proches, s’engageant avec parfois l’appui
et le fusil de leurs pères respectifs.
Connaissant tous les chemins et les bois, ils
formeront d’excellentes estafettes.
On y croisera aussi un personnage plus
ambigu, qui a eu maille à partir avec les
gendarmes avant guerre, et pas pour de nobles
faits de Résistance : braconnage, vols,
bagarres... Le voilà engagé dans
ce combat qui ne correspond pas à sa réputation,
mais rien ne permet de douter de sa loyauté.
Son habitude des coups durs peut être précieuse.
Certains, pour qui ce devait être
une étape avant de parvenir à rejoindre
la France Libre par l’Espagne et l’Afrique du
Nord, se seront arrêtés là
et auront choisi de combattre sur le sol national.
Il y aura ceux qui n’auront pas ou plus supporté, à
un certain moment, la Résistance dans l’ombre.
Ceux-là voudront alors combattre franchement,
face à face, armes à la main
[21]. Les maquis, pour eux,
n’auront été qu’un passage avant
qu’ils n’intègrent l’armée régulière.
Les motifs varient : patriotisme ou
valeurs morales, revanche ou vengeance, idéologie
ou opportunisme, quelques-uns seront des têtes
brûlées, venues pour la bagarre.
À l’appel du colonel Gaspard,
plusieurs milliers d’hommes se sont regroupés
dans le massif du Mont Mouchet. Ils vont subir,
début juin 1944, une attaque concentrique
depuis le Puy, Saint Flour et Mende.
Le 2 juin, une colonne ennemie venant
de Mende, par le sud, est arrêtée,
puis recule après de vifs combats autour
de Paulhac en Margeride. Cette retraite donnera
alors aux hommes regroupés autour du Mont
Mouchet une confiance en eux et en leur force
qu’ils surestimeront
[22].
À l’est, le Mont Mouchet est
protégé par un groupe déployé
autour de Venteuges.
Venteuges est un village à flanc
de colline, situé à une dizaine
de kilomètres sur les premiers contreforts
de Mont Mouchet. Le paysage n’a sans doute pas
beaucoup changé depuis le 10 juin 1944
: toujours des champs bordés de clôtures,
sans doute plus grands aujourd’hui après
le remembrement, et des bosquets. De là,
on distingue Saugues dans le creux du plateau
et, derrière, l’échancrure dans
les reliefs en direction de Monistrol d’Allier
et des gorges de l’Allier. Au-delà, les
monts du Vivarais bordent l’horizon à l’est.
C’est par là que la colonne nazie arrive
du Puy, avec un matériel lourd auquel ne
pouvaient prétendre les maquisards.
Les instructions données aux
hommes répartis dans les halliers et les
chemins autour de Venteuges changent fondamentalement
de ce qu’elles étaient jusque là
: se cacher, attaquer par surprise puis se replier.
Mais ce 10 juin 1944, pour la première
fois, il faut tenir la position, rejeter l’attaque
dans un combat “régulier”,
comme dans un “vraie” guerre, ce qui
fut impossible
en 40, quand ils ont dû se dérober.
Aujourd’hui, ils ont des armes, ils connaissent
le terrain, ils ne veulent plus fuir, ou du moins
pas en catastrophe.
Rapidement, les combats s’engagent.
L’ennemi comprend que ses adversaires sont résolus
à tenir, alors il emploie les grands moyens.
Arrivent les premiers obus d’artillerie et de
mortiers. Pour les maquisards, surmontant la peur
aux tripes, il faut y aller. Cet épisode
les marquera à vie.
Certes, les bataillons ennemis qui sont chargés d’une opération
relevant, du point de vue de Vichy et du Commandement
allemand, plutôt de l’opération de
police, ne sont pas l’élite de la Werhmacht
ni même de la SS. Parmi eux, on trouve notamment
des mercenaires recrutés au hasard des
conquêtes nazies : ukrainiens, baltes, arméniens,
qui, dès que les circonstances le permettront,
déserteront. Mais le pire pour les maquisards
c’est la Milice, cette force supplétive
des allemands, qui bientôt n’aura plus rien
à perdre et dont la sauvagerie égalera
celles des SS.
Tenir, créer un réduit,
une parcelle de territoire national libérée
: pari magnifique, imprudent car l’ennemi est
en nombre, puissamment armé, en tout cas
infiniment mieux que les maquisards. Ce ne sont
pas les exploits ponctuels qui pourront renverser
la supériorité technologique
[23]. Les mortiers et les
mitrailleuses lourdes obligent les maquisards
à se replier d’abord vers le Mont Mouchet,
dans les forêts touffues où ils pourront
se dissimuler et où la puissance de feu
sera moins avantagée.
Ce qui se passe autour de Venteuges
se reproduit aussi sur la route de Langeac à
Pinols, au nord et de Saint Flour à Paulhac
par Ruynes en Margeride et Clavières, à
l’ouest.
La route qui monte de Ruynes en Margeride
à Clavières est jalonnée,
à partir de La Frugère, de monuments,
petites pyramides de granit avec la mention «
Ici
tombèrent tant de patriotes » qui montrent l’acharnement des combats des 10 et
11 juin. Paulhac, Ruynes en Margeride, Clavières
et Pinols entre autres furent quasiment rasés
par les assaillants et un certain nombre de leurs
habitants, généralement femmes,
enfants, vieillards, tués
[24].
Rapidement l’idée de tenir un
coin de territoire national libéré
se révèle illusoire. La maison forestière
du Mont Mouchet, bombardée à plusieurs
reprises doit être abandonnée et
sera investie par l’ennemi le 12 juin au matin.
Le colonel Gaspard donne dès le 11 juin
au soir l’ordre d’abandonner les positions et
de se rabattre vers les gorges de la Truyère,
autour de Chaudes-Aigues.
Une nouvelle offensive allemande, le
20 juin 1944, attaque le réduit de la Truyère
au cours de combats violents, mais il est maintenant
évident qu’en l’état il n’est pas
(encore) possible de faire front dans une bataille
rangée. Les forces alliées sont
trop loin pour soutenir efficacement ces réduits.
En outre, en ce mois de juin où la situation
en Normandie n’est pas acquise, elles ont d’autres
priorités, même si l’aide apportée
par la Résistance derrière les lignes
allemandes n’est pas négligeable.
Les pertes sont élevées
: environ 3000 hommes étaient regroupés
autour du Mont Mouchet, 250 furent tués
(les blessés qui tombèrent aux mains
des assaillants et les prisonniers furent exécutés).
Leurs noms figurent sur différents monuments
autour du Mont, à Clavières. L’un
d’eux salue la mémoire de 11 maquisards
anonymes tombés dans les combats. Les pertes
ennemies sont limitées : alors que Gaspard
annonçait dans un article d’un journal
des Mouvements Unifiés de Résistance
(MUR) de juillet, 1400 morts et 1700 blessés
dans les rangs adverses, les dernières
estimations, reprises par le Musée donnent
40 tués, autant de blessés incapables
de reprendre le combat avant la Libération,
et une dizaine de prisonniers.
Ce repli devant des forces supérieures
en puissance et organisation conduit dans les
jours qui suivent à un changement de tactique
: dès le 1er juillet 1944, le
colonel Gaspard, chef des maquis d’Auvergne, donne
ses nouvelles directives : couper en permanence
les lignes de chemin de fer, attaquer les “petits
convois” avec des groupes de trente hommes,
exécuter indicateurs et collaborateurs
notoires, miner les routes à la demande
de l’état-major. Maintenir la pression
sur l’ennemi, sans l’affronter en combat rangé,
se révèlerait inefficace
et génèrerait de lourdes pertes.
Pas plus de 300 hommes par zones, répartis
par groupe de 30. C’est à ce moment que
les Alliés commencent à fournir
de manière plus régulière
des parachutages d’armes, de matériels
et d’argent.
La tactique se révèle
payante : les résistants d’Auvergne, maquisards
ou non, libèrent eux-mêmes
la région tout entière
[25], poussant l’ennemi qui
recule de plus en plus vite
[26].
Au-dessus de la salle centrale où
sont présentés les combats du Mont
Mouchet, un escalier conduit à une mezzanine
aménagée en une sorte de Mausolée
émouvant déployant des photos de
victimes du nazisme (enfants, hommes, femmes ou
enfants juifs) ou de résistants, connus
ou inconnus, en Auvergne ou ailleurs, tombés
pendant la guerre ou survivants, relatant l’histoire
de chacun, victime ou acteur,
Résistants et maquisards d’Auvergne
et d’ailleurs ne sont pas tous des héros,
les raisons pour lesquelles ils se joignirent
au combat furent diverses : morales, idéologiques,
opportunistes, mais c’est l’ensemble qui importe
: après une défaite écrasante,
quelques hommes, quelques femmes, peu nombreux
en proportion, ont su dire non et ont participé
au renversement du nazisme. Cela témoigne
qu’une attitude autre que celle de la collaboration, de
l’attentisme, de l’inertie, était possible.