© Micheline Weinstein / 2006
Petit billet du 11 octobre 2006
Livre
« Marilyn dernières séances »
de
Michel Schneider • Grasset, 2006
L’effet de lecture est étrange. La publication intitulée Roman, autrement dit Fiction, l’écriture elle-même, le style, où l’auteur parle en lieu et place de chacun des acteurs principaux, sont-elles une mesure de prudence juridique éditoriale ? En effet, de façon plus ou moins occulte, des responsables au plus haut niveau des États, liés à la Maffia, elle-même associée à la prospérité d’Hollywood avec toute son usine cinématographique, sont impliqués dans ce drame cynique et il serait sans doute imprudent de s’exposer à en évoquer directement les agissements. Mais, pour ce qui intéresse la psychanalyse, le lecteur trouve dans ce livre le nom de Freud, du fait, principalement, que sa fille, Anna Freud, reçut pour quelques séances, Marilyn Monroe, et a fonctionné également, à distance et épisodiquement, comme l’un des “contrôleurs” du dernier analyste de la plus célèbre de celles et ceux que l’on dit “Stars”.
Marilyn Monroe, le nom ainsi que la personne privée autant que publique, l’être humain parlant et vivant, sont identifiés, aujourd’hui comme hier, à un mythe, un récit fabuleux, une fable, un fantasme. Ici, l’auteur de cette fiction, malgré l’amour tendre qui l’anime, en nommant par leurs noms les acteurs de ce drame, mais en parlant à leur place, prolonge cette identification à un fantasme, et cela déréalise un peu plus encore MM, la jolie petite fille perdue d’avance.
En France, lors de nos vingtièmes années, la semaine de la mort de MM, un journal, « Le Canard Enchaîné », avait publié à son sujet un article ignoble, qui n’a sans doute pas disparu des archives.
Puisque, de ce drame, la pratique analytique est indissociable, et d’après les témoignages publiés, quelles critiques pourrait-on adresser à celle, largement décrite dans le livre, du psychanalyste Greenson, selon ses “diagnostics” mais aussi selon son intuition ?
Un mot, un concept analytique ne figure pas dans le livre de Michel Schneider, ni apparemment dans les documents desquels il étaye sont propos. C’est le mot “Trauma”, trauma sexuel initial. La particularité du trauma se définit en ce que son sujet, ravalé par la violence au rang d’objet, le remettra à son insu répétitivement en scène, sur la scène publique, tout au long de sa vie, pour tenter désespérément de le faire entendre en vain. Hélas, la surdité entraîne des expressions verbales telles que “bombe sexuelle”, dont on se sert ensuite grassement, quel que soit le degré de raffinement intellectuel de l’utilisateur.
L’analyste sait que guérir totalement un trauma serait illusoire, on ne revient pas tout à fait d’une effraction psychique passée par le corps. Mais s’il perçoit le trauma sexuel - et il est difficile de ne pas le percevoir dès la première rencontre -, il sait aussi que le mieux de ce que peut apporter l’analyse dans un premier temps, c’est d’essayer de faire en sorte que le trauma cesse de se manifester sur la scène publique, dans la mesure où ce qui s’y montre répétitivement du sexe sert d’argument pour disqualifier et injurier la personne abîmée au plus tôt dans l’enfance, le sujet qui en fut l’objet.
Et pour avoir une chance de parvenir à atténuer les effets de la surdité, l’analyste ne doit pas rendre publique l’analyse de l’un/e de ses analysant/e/s, fut-elle une star, ni se rendre public lui-même.
Pas plus dans ce cas-là que dans un autre d’ailleurs, selon Freud. Mais il semblerait que cette loi symbolique ait rarement été respectée. Dans le livre de Michel Schneider, elle l’est, par une seule analyste : Anna Freud, dont les notes cliniques ne font mention d’aucun nom.
Les séances quotidiennes ou multiquotidiennes auxquelles se présentait la limousine de MM à l’adresse bien en vue de son analyste à Hollywood, le transfert éperdu de MM qui la portait à se référer en public à son analyste, c’est-à-dire à assurer, en toute innocence, sa publicité, étaient largement suffisants, pour que le monde entier sache que l’analyste de Marilyn Monroe était Ralph Greenson.
De plus, une curiosité d’Hollywood était que les analystes des stars acceptaient également les demandes d’analyse des gens de la pègre, la vraie, la Maffia, et les laissait tranquillement continuer leur petite industrie sans moufter, comme si la psychanalyse n’appartenait pas au domaine de l’éthique, mais relevait plutôt de celui du cinéma.
Dans un film de Woody Allen, dont le titre ne me revient pas, une femme écrivain utilise le soupirail par lequel transitent les paroles d’une analysante, toujours la même, reçue dans le cabinet d’analyste mitoyen du studio qu’elle a fraîchement loué pour son travail. Elle se sert donc de l’analyse de cette autre femme, non pour concevoir de nouvelles œuvres, mais pour revenir sur elle-même, sa vie, les aléas de sa destinée.
Alors qu’il eut été si simple de contacter l’analyste, ne serait-ce que par téléphone, pour lui indiquer cette indiscrétion mobilière laissant filtrer ce qu’il y a de plus secret chez un être humain. Alors... il n’y aurait pas eu de film. Pas de cinéma.
Je me souviens maintenant, le film de Woody Allen s’intitule « L’autre femme ». Non, « Une autre femme », « L’autre femme » est de Nina Simone.
M. W.