L’association
ψ [Psi]
LE TEMPS
DU NON
existe maintenant, déclarée sous
cette appellation depuis 27 ans tout juste
- 1983 sous un autre nom, trop parisien. Elle
a toujours pour but de favoriser la réflexion
pluridisciplinaire par les différents moyens
existant, la publication et la diffusion de matériaux
écrits, graphiques, sonores, textes originaux,
uvres d’art, archives inédites, sur
les thèmes en relation à la psychanalyse, l’histoire et l’idéologie.
ψ =
psi grec, résumé
de Ps ychanalyse
et i déologie.
Le NON
de ψ
[Psi]
LE TEMPS DU NON
s’adresse à l’idéologie
qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance
délibérée,
est l’antonyme de la réflexion, de la raison,
de l’intelligence.
ø
Début décembre 2012
Au sujet du
dit “mariage pour tous” et thèmes voisins
Guy Coq • Lettre à Monsieur François Hollande, Président de la République
Olivier Douville • Des psychanalystes face à l’égalité des droits et au « Mariage pour tous »
Nicole François, Eva Talineau, Micheline Weinstein • Réflexions sur le sujet
Jean Duchesne • Le problème du mariage homosexuel en France
Paule Pérez • Méditations sur séparation et sexe comme possibilité de penser
ø
© Guy Coq
Lettre à Monsieur François Hollande, Président de la République
Le 30 novembre 2012
Monsieur le Président,
Dans une première lettre, j’avais tenu à
vous remercier de vos propos tenus au Congrès des Maires de France. Vous
reconnaissiez aux maires le droit d’avoir une conscience. Hélas ! La
conscience n’a pas droit de cité en politique de nos jours ! D’une manière
qui reste pour moi incompréhensible, vous avez ensuite fait volte face. La
conscience ne fait donc pas partie des références de l’action politique ?
Si vous et vos soutiens deviez en rester là, dans cette négation du droit de
l’homme politique à la conscience, je serais conduit pour ma part à rompre avec
votre « idéal » politique.
Mais peut-être, sans vous déjuger une
nouvelle fois, pourriez-vous malgré tout consentir à reconnaître à l’homme
politique un droit à la conscience, quand il est amené à voter certains textes
de lois ?
En bref : pour prendre certaines
décisions d’importance quant au sens même de la société, ou dont les
implications anthropologiques sont certaines, décisions qui du même coup
divisent la plupart des familles politiques, ne faudrait-il pas adopter le
principe que nos représentants voteront en conscience, libérés pour cette
occasion de la discipline de leur groupe politique ? Je n’entends pas
méconnaître en démocratie l’utilité des groupes politiques et de leur droit à
demander la discipline quand le groupe a décidé démocratiquement. Mais pour les
décisions telles que ce profond changement du mariage républicain qui
s’annonce, un vote du parlement où chaque député aurait eu à prendre position en
conscience, où l’on ne se serait pas limité aux rapports de forces qui
régissent l’exercice du pouvoir, aurait à mon sens une valeur supérieure.
Une telle modification exceptionnelle de
la procédure du vote démocratique pourrait être proposée par le Président de la
République aux divers partis politiques représentés au Parlement.
Sur un sujet comme le mariage actuellement
en débat, j’admettrais volontiers la légitimité du choix de mon député, décidé
en conscience. Par contre, s’il me disait voter pour ou contre par simple
discipline partisane, excusez-moi, je trouverais que ce serait une position
partisane méprisable et ceci d’autant plus si cet élu reconnaissait que sa
position personnelle était en contradiction avec celle qu’il adoptait par
discipline.
Quelque chose me choque profondément dans
la manière dont les responsables de votre famille politique envisagent le rôle
de la « discipline » dans un parti politique. Dans une démocratie
laïque, la sphère du politique ne saurait avoir la place d’un absolu : le
politique ne saurait être radicalement indépendant d’impératifs éthiques et
spirituels. C’est seulement dans un parti totalitaire que la soumission à la
discipline partidaire s’impose sans limites, comme un
absolu. Je suis inquiet quand j’entends dire, aujourd’hui, que certains élus
socialistes n’osent pas exprimer leur sentiment personnel sur le projet de loi
sur le mariage et se préparent en fait à voter contre leur conscience pour
sauver leur mandat.
Vous le savez, Monsieur le Président,
j’appartiens au parti majoritaire au Parlement. Il n’y a pas, dans ma
suggestion, la moindre remise en cause du rôle essentiel des partis politiques
en démocratie. Auteur de livres sur l’éducation, j’ai souvent mis en avant le
défaut que représente l’absence d’une réflexion sur les partis politiques dans
l’éducation à la citoyenneté qu’est censée assumer notre école républicaine.
Veuillez croire à mon profond respect et à
toute mon estime pour votre personne,
Guy Coq
© Olivier Douville
Des psychanalystes face à l’égalité des droits et au « mariage pour tous »
Plus de 1 500 signatures donnent
aujourd’hui une certaine visibilité à la Lettre ouverte Des psychanalystes face à l’égalitédes droits et au « Mariage pour tous » mise sur le net il y a près d’un mois. Je me refuse
à l’énumération injuste et fastidieuse d’un “best off” des signataires, mon
caractère me faisant bouder la joie infantile qui escorte toute confection de
palmarès. Je propose, en mon seul nom, quelques possibles pistes d’analyse
d’une telle audience.
Je précise, en un premier temps que les auteurs et
signataires de cette lettre ne se situent pas pour ou contre « le
mariage » fût-il « pour tous » – ce dit “mariage gay” par
les échotiers. Ce serait, de plus, une étrange méprise que de s’autoriser de
ces signatures ou de s’en glorifier pour faire accroire que le psychanalyste
gagnerait à se confondre avec le législateur. Ici, je suis surpris par les
idées exprimées par certains psychanalystes qui poussent la sophistication
légaliste jusqu’à proposer des statuts de beau-parentalité ou à recommander la
délivrance de carnets d’adoption. Or, de telles idées donc sont tout à fait
hors champ de ce que veut dire le terme de législatif. Il me semble que ces bons
collègues en appellent alors, non sans naïveté, à une conception du droit qui
le réduirait à de la morale ; mais c’est alors s’avancer sans aucune
connaissance de ce qu’est la notion juridique de droit et ne voir dans le droit
qu’une collection des droits lors que le droit n’est au plus qu’un archivage
des juridictions. Bref, je ne suis pas certain que nous ayons à prêter
main-forte au législateur ou alors faisons des études de droit.
Les initiateurs de cette lettre ouverte (soit
Laurence Croix et moi), après avoir amendé une première version de leur
initiative selon les conseils de collègues prévoyants, ont tenu à marquer qu’on
ne saurait user de la référence au corpus psychanalytique pour s’ériger de
façon hostile et péremptoire contre ce projet de loi “le mariage pour tous”.
Que ce message, en dépit de certaines tournures expéditives dans sa
formulation, ait été fort bien reçu, par un grand nombre de collègues de toute
appartenance théorique et de générations différentes constitue un enseignement
qui pourrait retenir l’attention de l’opinion qu’on dit éclairée. Sans préjuger
que des débats, des réunions de travail regroupant différents spécialistes des
sciences humaines, différents praticiens, etc. puissent avoir lieu
ultérieurement, et calmement si possible. Des enjeux sont à penser, qui
tournent autour du même point de gravité : soit ce qu’on nomme ordre
symbolique et des absurdités qu’il y a à postuler la transcendance d’un tel
ordre en le naturalisant. Il est, a
contrario de cette manie funeste et répandue en nos mondes
« psy », notable qu’au sein des sciences humaines les anthropologues
ne redoutent pas une telle évolution des mœurs, de même que beaucoup de
réactions indifférentes ou opposées à cette lettre ouverte, venant de collègues
sincères, semblent par trop inaverties d’un certain nombre d’études faites à
propos des enfants élevés par des couples homosexuels et qui n’indiquent en
rien un développement et un devenir difficile pour de tels enfants.
Il serait facile mais tentant de redire que le devoir
de chacun est de se tenir averti des savoirs actuels. Il est vrai également que
certains d’entre nous, toutefois, se frottent à ce qui se publie en tant que
recherches et études à ce propos. Est-ce pour cela que nous rencontrons parmi
les signataires une forte présence d’universitaires ? C’est possible. En tous
les cas, cette lettre ouverte a au moins le mérite de ne pas laisser la
référence faite à la psychanalyse en tant que corpus théorique et doxa à la
seule disposition publique de certains supporters véhéments de l’ordre
patriarcal.
ø
Extraits
d’échanges de courrier électronique avec notre site
Olivier Douville
19 novembre 2012
J’ai lu votre postface, sensible, claire, intelligente, mais la «
Lettre ouverte » a comme centre de gravité non pas une position “pour” ou
“contre” le mariage pour tous, mais le refus
d’instrumentalisation de la psychanalyse par des “anti” avec des arguments qui
défigurent l’héritage freudien.*
O. D.
*
Je souligne, M. W.
Nicole François
19 novembre
Voilà qui est très intéressant et merci pour cette postface.
Je n’ai pas signé [la pétition] pour les mêmes raisons que tu exposes
et de plus, au moment où les hétérosexuels laissent plus ou moins tomber le
mariage, qu’ils essaient de questionner cette institution, qu’ils essaient
d’interroger le droit canon et le faire bouger, voilà que des homosexuels
revendiquent ce que les autres veulent de moins en moins et là où ils préfèrent
le pacs...
Le texte d’Élisabeth Roudinesco est bien. Cependant, en prenant
position pour le mariage, elle se met du côté du législateur et, de par ce fait,
elle enlève le poids des paroles freudiennes, à savoir que les homosexuels ont
le droit de s’aimer et d’avoir des enfants. Peut-être aurait-elle pu mettre
l’accent sur les hétérosexuels qui maltraitent les ou leurs enfants...
Nicole
20 novembre
L’important, me semble t-il, de ne pas se laisser manipuler par une
certaine mode, celle par exemple du : on dit tout, on voit tout... Et tu as
raison de relever la phrase de Freud “la
sexualité de l’être humain est son affaire exclusivement privée”.
Je sais que tu n’aimes guère Lacan, mais quand il parle des 3 passions
de l’humain, dont l’une est l’ignorance, il me semble que cette passion
correspond tout à fait à l’actualité ambiante chère aux politiques, puisqu’ils
la font, chère à celles et ceux qui souscrivent. Pour penser a-minima, on reste
dans le binaire : “t’es pour ou t’es contre ?” Et si on met du tiers, on nous
répond par la terreur.
En effet tu as raison c’est tout en affirmant leur droit à la
différence qu’ils veulent “être comme tout le monde...”, qu’ils veulent être
les deux, c’est quand même très symptomatique... Et que pour se faire bien
entendre, ils se livrent à toutes sortes d’exhibitions, c’est très
adolescent... et les médias, les regards, de le transmettre...
Bref…
Nicole
Fragments de réponse
Chère Nicole,
J’ai repris maxime de Freud et y
tiens fermement, dans la mesure où, quand il y a collusion du privé avec le
public, comme cela s’est produit à plusieurs reprises depuis 2011, venant de
personnages politiques très en vue, censés témoigner pour le bien de tous
d’une, n’hésitons pas devant le “gros mot”, éthique, le spectacle devient
consternant, voire carrément obscène.
[…]
En effet, je n’aime pas, dans le plein sens de la formulation, Lacan.
Ce qui d’ailleurs m’a dispensée de le haïr. Par contre, je respecte ses écrits
- j’ai longtemps suivi son séminaire et lui ai rendu quelques visites pour lui
dire directement ce que je pensais -, n’ai négligé ni ses concepts ni ses
qualités de psychiatre. Toutefois, je
n’ai jamais pu souscrire à ses applications pratiques de la psychanalyse,
lesquelles contredisaient ouvertement les théories qu’il mettait en place, ce
que j’associais - et associe toujours - à une structure perverse : “la main droite ignore ce que fait la main
gauche”, les actes démentent radicalement les paroles (souvent pédantes, voire
sciemment obscurantistes, etc.).
De plus, j’avais été écœurée par ses propos céliniens antisémites,
pour n’en évoquer que quelques-uns à titre d’exemple, envers Freud, Anna Freud,
le Pr François Jacob, grand résistant, prix Nobel de médecine… mais il en
tint pas mal d’autres... À l’un de mes sens (l’“intuitif”, comme disait Solange
Faladé), ceux de ses discours émaillés d’algarades pseudo-surréalistes (il
était fort jaloux de Salvador Dali) peu reluisantes, étaient, et restent
incompatibles avec la pensée et la personne de Freud, de même qu’avec l’édifice
freudien tant clinique que théorique. Je l’ai souvent dit et écrit depuis 1967,
ce qui ne nous rajeunit pas, c’est-à-dire quand j’ai eu connaissance du ralliement
intellectuel de Lacan à Heidegger. Ma réflexion argumentée à ce sujet figure
dans nombre de textes placés sur notre site.
Mais puisque tu pointes le “binaire” inhérent aux idéologies,
c’est-à-dire l’évacuation, que j’apprécie aussi peu que toi, du symbolique, je
t’assure que tout cela n’a jamais eu quelque incidence sur mon amitié à ton
égard, pas plus que sur l’estime que je porte à ton travail.
Micheline
P. S. Voici ce sur quoi je suis
tombée par hasard en consultant un article sur le Net.
12 septembre
2012 22 h 40
On oublie les Narcissiques ! Pourquoi
oublier les Narcissiques ? C’est discriminatoire.
Je propose le droit au mariage avec
soi-même, l’auto-mariage. Beaucoup de gens n’ont pas eu la chance de
rencontrer l’âme sœur et ont pris l’habitude de vivre en quelque sorte en
concubinage harmonieux avec eux-mêmes. Le temps passant, certains ont découvert
en eux le partenaire idéal dans une union que le temps consolide. Cette
situation familiale est plus fréquente qu’on ne le croit et semble stable
puisque le divorce de personnes seules est extrêmement rare dans notre pays.
Cette expérience sociale est donc un succès, mais qui doit recevoir la
reconnaissance du Droit et des Institutions dans le cadre de l’évolution des
mœurs. Or certains de ces amoureux d’eux-mêmes peuvent désirer régulariser
cette situation pour des raisons évidentes d’égalité de droit et d’intégration
à une norme sociale. Les effets fiscaux eux-mêmes peuvent légitimement être un
facteur incitatif. De plus en cas d’hémiplégie, l’auto-mariage donnerait droit
à une pension de réversion à la partie intacte. Le mot moitié prendrait alors
tous son sens. Espérons que la reconnaissance du droit au mariage homosexuel
ouvrira la porte à l’auto-mariage, qui est forcément aussi un mariage
homosexuel, mais solitaire et c’est bien triste. Les Narcissiques doivent
pouvoir dire “Je m’aime” en public sans être discriminés, ils ont le droit
comme tout un chacun de se passer à l’annulaire de chaque main le cercle de
métal précieux d’une union reconnue par la République.
Commentaire de Nicole : Et bien, en tant que sujet
divisé, je suis assez d’accord pour une pension de réversion.
Nicole
© Eva Talineau
Résumé d’un travail en cours,
intitulé provisoirement
«
Différence des sexes et ouverture du champ de l’Autre.
Du
jaillissement de la signifiance. Questions. »
Je viens de parcourir votre postface à l’allocution d’Élisabeth
Roudinesco. Je suis tout à fait sur la même longueur d’onde, mais je voudrais
arriver à développer surtout une autre idée - c’est que dans le psychisme
humain, la différence des sexes n’est pas qu’un donné naturel dont il serait si
simple de faire fi, au profit d’une créativité de la culture qui “suffirait” à
ce qu’il y ait “du symbolique” -, c’est l’index d’une signifiance qui s’origine
d’une différence irréductible, d’une signifiance qui n’accole pas un mot et une
chose, mais où le décollement des mots d’eux-mêmes se trouve être symbolisé par
l’écart entre un sexe et un autre.
E. T.
© Jean Duchesne
Le problème du mariage homosexuel en France
On en a entendu de toutes sortes à propos du
mariage gay ces jours derniers. Cela signifie-t-il qu’un véritable débat se
fait jour ? Pas le moins du monde ! Des critiques du projet de loi gouvernemental
sur “le mariage pour tous” mettent sans cesse en avant toutes sortes
d’excellentes raisons de le refuser et personne ne répond.
Les ministres ont simplement déclaré qu’ils étaient
heureux de permettre à chacun d’exprimer son opinion, mais les partisans des
familles à deux pères ou deux mères ne se soucient pas d’argumenter. Ils
croient apparemment qu’un droit aussi évident n’a pas besoin d’être justifié.
Il doit être reconnu, disent-ils, ça ne se discute pas. C’est pourquoi aucun
officiel, ni aucun partisan de la loi n’a daigné se pencher sur les objections
détaillées présentées par des cardinaux, des évêques, des imams, des rabbins et
même des personnalités et organisations non-religieuses.
Dans l’ensemble, les médias trouvent de tels raisonnements trop subtils : on ne
peut pas les résumer en un titre accrocheur, le public s’ennuierait si on
reprenait tout point par point.
Inversement, l’idée que n’importe qui puisse
épouser n’importe qui est basée sur un principe simplissime que tout honnête
homme saisira et adoptera d’emblée : toute forme de discrimination est
mauvaise. Refuser le mariage aux gays et lesbiennes qui le désirent revient
alors à ne pas les reconnaître comme des êtres humains. C’est par conséquent
moralement inacceptable, une manifestation de cette homophobie qui a été
déclarée un crime tellement atroce que la prévention en est faite dès la petite
section de maternelle.
Il est aussi avancé que plusieurs états américains
et européens ont déjà ouvert le mariage aux gays et lesbiennes et que la France
doit se rattraper en vue de rester, parmi les pays les plus avancés, le
porte-étendard de l’égalité et de la justice.
Une autre excuse pour esquiver de débattre
sérieusement des objections est que le mariage gay faisait partie du programme
du candidat Hollande. Puisqu’il a été élu président, on en conclut que la
majorité a approuvé cette idée et qu’il serait anti-démocratique d’y revenir.
Comme les opposants (notamment les catholiques)
commencent à manifester en masse parce que le débat rationnel s’est montré
impossible à mettre en place, une quatrième forme de refus apparaît : une
pression politique de ce genre est présentée comme anormale, parce que défiler
dans la rue en chantant des slogans est réservé aux progressistes et aux
défenseurs des opprimés, et que pour des conservateurs et réactionnaires, c’est
contre nature...
L’incongruité serait plutôt qu’un gouvernement de
gauche ait à céder devant des contestataires occupant pacifiquement la rue. Il
y a eu un précédent cependant : en 1984, après qu’un million de manifestants se
sont rassemblés à Paris, un autre président socialiste prénommé François a été
forcé de renvoyer son premier ministre et son gouvernement et de retirer son projet
de nationaliser toutes les écoles privées, pour la plupart catholiques.
Hollande n’a aucune certitude de faire mieux que
Mitterrand. L’exécution de sa promesse de légaliser “la mise à mort
miséricordieuse” a été repoussée, officiellement pour laisser le temps à un
comité d’experts de creuser la question et d’écrire un rapport détaillé dont
personne n’osera contester les conclusions.
Les partisans de l’euthanasie sont manifestement
plus patients que les champions du “mariage homosexuel”. La détermination
aveugle de ces derniers est un autre paradoxe – et un vrai : à une époque
où le mariage a perdu de sa popularité, où garçons et filles se marient tard ou
pas du tout, même quand ils ont des enfants, et divorcent encore plus souvent,
il est ironique de voir une "avant-garde" réclamer le droit à
profiter d’une institution aussi vieillotte.
Il y a plus : on ne trouve pas d’unanimité à
gauche, même parmi les groupes homosexuels. Leurs alliés habituels, les bi et
les transsexuels, se sentent manifestement peu concernés, si bien que le lobby
LBGT se disloque, tandis que la base socialiste, qui voit des priorités plus
urgentes, est perplexe et divisée. Pour être honnête, quelques voix en faveur
des droits des homosexuels se font entendre dans l’opposition gaulliste.
Avec un peu de recul, il apparaît qu’une petite
élite “éclairée” s’est auto-persuadée et a persuadé
une poignée de politiciens craignant de paraître rétrogrades que les unions
homosexuelles sont l’inévitable nouvelle étape de la modernisation de la vie
sociale et de la croissance des libertés civiles, après le suffrage universel,
l’abolition de l’esclavage, la condamnation du racisme et du sexisme, le
divorce et le contrôle des naissances. Parce qu’elle s’enracine dans la foi
illusoire dans le “Progrès”, cette croyance est imperméable à tout raisonnement
et elle aura recours à des caricatures de valeurs et à des arguments
contradictoires pour s’imposer, sans même daigner révéler ses véritables
motivations ni examiner les conséquences.
Dans le cas présent, la crainte de ne pas être “dans
le vent” est utilisée pour imposer dans les foyers l’idée que l’homosexualité
est "normale". Le but inavoué est de vaincre la répugnance
instinctive, surtout chez les adolescents. La perspective des étapes suivantes
ne donne pas seulement la nausée, elle est tout bonnement révoltante. Le poète
Paul Valéry disait que les civilisations pouvaient mourir. Il semblerait que la
nôtre envisage de se suicider.
Une question se pose : combien de temps les gens
vont-ils supporter d’être manipulés et traités comme des abrutis par des fous
furieux se prétendant philanthropes ? Il n’est pas vrai que François Hollande a
été élu parce qu’il a promis de légaliser les unions homosexuelles : les
Français ont simplement rejeté de peu le président sortant. L’égalité ne
signifie pas qu’hommes et femmes soient interchangeables. L’espérance d’un
avenir meilleur ne passe pas par la dénaturation du mariage mais par un pari
sur la raison. Les responsables religieux ont fait leur devoir en pointant les prévisibles
effets désastreux de la légalisation du mariage homosexuel. Au tour du peuple
d’achever le travail en rendant clair pour la classe politique que ce n’est
certainement pas la sorte d’avancée dont il a besoin. J. D.
© Micheline Weinstein
Tout d’abord, je voudrais chaleureusement
remercier les auteurs qui ont confié leurs points de vue, publiés
antérieurement ou originaux, à notre site : Élisabeth Roudinesco,
Olivier Douville, Nicole François, Paule Pérez, Eva Talineau, Bertilie Walckenaer-Virenque, qui m’a transmis la lettre du 30
novembre 2012 de Guy Coq au Président de la République et le texte de Jean Duchesne.
Avec un petit salut amical personnel à
Nicole François, dont la réflexion de longue date sur les sujets qui nous
occupent, au cours de nos échanges, m’a aidée à clarifier la mienne.
Ayant écrit ce que je pensais au sujet du
“mariage gay” dans ma postface à l’Allocution
d’Élisabeth Roudinesco à l’Assemblée Nationale, ainsi
qu’à la Lettre ouverte d’Olivier Douville, je ne
reviendrai que sur quelques points récents.
J’ai été consternée, pour ne pas dire
stupéfiée, d’entendre dans les médias et de lire dans la presse les propos
clamés et affichés devant l’Assemblée Nationale par un collectif de militantes
et militants en faveur du “mariage gay” et de l’“égalité des droits”, le 29 novembre, lors de la réception, écourtée et plutôt leste,
salle Lamartine, des communautés religieuses venues présenter leurs objections.
Voici trois slogans, devant l’Assemblée
Nationale, relevés dans la presse, à l’adresse directe de l’Archevêque André
Vingt-Trois :
« André Vingt-Trois, occupe-toi de ton
culte ! »
« Vingt-Trois, on n’a pas besoin de
toi, tire-toi ! »
« Lâche ton missel, sniffe mon aisselle
! »
Sur quoi, j’ai fait circuler le courrier /
mail suivant :
L’opposition
de communautés religieuses nécessite-t-elle, de la part d’électeurs favorables
au “mariage gay” et à l’“égalité des droits” des insultes ordurières ?
Il semblerait qu’à l’intérieur, salle
Lamartine, quelques parlementaires aient fait montre, oralement, d’une démocratique
élégance à peine plus nuancée.
Un instant, nous nous sommes crus
propulsés dans les arènes de ce que l’on désigne par “quartiers”, de banlieue,
d’hors banlieue, de Paris - dont l’arrondissement que je pratique, réputé
pourtant assez “sélect” - de province…
Ces invectives, dignes d’une cours d’école
primaire et de nombreuses salles de classe où les enfants ont pris coutume
de se lâcher assez violemment, avec la vulgarité qui colore les mœurs de notre
temps, témoignent-elles d’une maturité susceptible de dispenser une idéologie
humaniste aux enfants que les couples homosexuels, à la ressemblance de maints
couples hétérosexuels, adopteront pour les élever ?
Il n’y a pas si longtemps, avant que le
concept n’évolue et ne se banalise, le devenir humaniste impliquait que l’on
avait du goût pour l’étude, pour le sens des mots que l’on choisissait
d’employer, voire que l’on avait fait ses “humanités”, notamment laïques,
comprenant entre autres disciplines, le grec, le latin - creusets des langues
européennes -, l’histoire/géo, la littérature, la philosophie, les sciences,
exactes et/ou humaines, les arts et les langues… et alii par la suite, selon les choix propres aux désirs de chacune et de
chacun. La publicité relative à l’addiction à l’argent, à l’avarice, était
absente des “humanités”, cela n’empêchait pas de se diriger, adulte, vers
l’étude du capitalisme, de l’économie, de la politique etc.
Cet enseignement était alors, pendant des
siècles, ce que l’on nommait la voie d’accès à la civilisation.
La société a profondément changé,
entend-on. Certes, mais les invariants de nature humaine, le narcissisme des
petites différences au sein des “diversités” fussent-elles dans l’environnement
le plus proche, à commencer par celui de la famille, ont-ils tant cillé ?
Par exemple, dans le vocabulaire médical
psychiatrique, des appellations, souvent pédantes ou “siglées”, ont été
plaquées, pour les recouvrir, sur les termes d’une nosographie antérieure, mais
les symptômes modernes sont-ils différents pour autant ? En tous cas, TOC ou
pas TOC, je peux assurer, et ne suis pas la seule que, pour la psychanalyse, au
plan clinique, la névrose obsessionnelle, une réelle calamité, continue vivace
d’exister. De même que l’hystérie, pareille à elle-même et au temps de Freud
ainsi, pour faire bref, que chaque autre souffrance insupportable entraînant
une grande difficulté, voire une impossibilité de vivre, du moins en société.
Toutes liées, quelles que soient l’incidence des bouleversements extérieurs,
familiaux, des types de sociétés, bien qu’ils ne soient pas à négliger, à la
sexualité.
Il semblerait par ailleurs que,
s’inspirant depuis des décades de l’Amérique tout en la décriant par souci de
bonne conscience, au plan des concepts, l’on soit davantage friands d’une
supposée sexualité active d’Anna Freud par exemple. Pourtant la chose me paraît
très simple : Anna Freud, dont le père savait tout ce qu’il y avait à savoir
sur la sexualité de sa fille, dont Freud était le psychanalyste de tous ses
prétendants, hommes et femmes, et savait tout ce qu’il y avait à savoir sur
leur sexualité, allait-elle seulement leur montrer son corps physique et de plus en dévoiler les
secrets ?
Je laisse à part les psychoses qui ne
ressortissent pas à la psychanalyse.
La seule nomination n’ayant pas été
modifiée est celle de perversion, seulement elle est tabou, l’on n’en parle pas, elle
appartient juste, en tant que système psychique de fonctionner, aux mœurs
générales en cours.
Je reviendrai sur ce thème un peu plus
loin, à propos d’un reportage TV.
Il a donc émané de la séance de réception
des représentants des cultes à l’Assemblée Nationale, que les musulmans, les
bouddhistes et les juifs avaient été épargnés des invectives, au détriment
sauvagement exprimé du seul catholicisme.
Or curieusement, dans les collectifs
“gays” manifestant publiquement leur joie de voir leur union intégrée au Code
Civil tout en lançant sans retenue des injures, nous ne remarquons guère de
“gays” catholiques. Peut-être, sur ce point précis, pour une fois, sont-ils en accord avec cette maxime de Freud :
La vie
sexuelle de l’humain relève de son domaine exclusivement privé.
N’étant pas habilitée à parler de ce que
je ne connais que très partiellement, je m’en tiendrai aux communautés juives.
Furent-elles alors ménagées en souvenir de l’adéquation obtenue
administrativement du triangle rose à l’étoile jaune, dont je tairai ici ce que
j’en pense, ce n’est pas le propos ?
Ce serait donc cela, l’“égalité des droits” ?
Ce qui ne me va pas dans ces “mariage gay”
et “égalité des droits”, n’a rien de commun avec une affaire de morale, encore
moins d’idéologie, dont les psychanalystes n’ont pas à se mêler - c’est cela la
“neutralité bienveillante”. Ce sont les termes eux-mêmes de “mariage” et d’“égalité” et ce qu’ils impliquent de collectivisation
autoritaire de leur sens.
Ainsi fit-on avec les déportés, ainsi
fait-on avec les “enfants cachés”, avec les héritiers directs de la déportation
des Juifs, qui par ailleurs n’intéressent pas grand monde, il suffit de lire
les titres des ouvrages à ce sujet et de saisir en un clin d’œil les grilles
globales, spécialement “psys”, d’interprétations arbitraires de leurs auteurs,
loupant ainsi les réelles conséquences psychiques de cet hapax.
Ce qui intéresse les limites de mon
travail, c’est le sujet, une par une, un par un, d’où qu’ils proviennent.
N’est-ce pas, si ma mémoire ne me trahit pas, une par une, un par un, ourdissant
quasi professionnellement, faisant fi des unions, des souricières en tous
genres, que l’on a attrapé les Juifs en vue de les assassiner, chacune, chacun,
avec sa singularité, son histoire familiale et sociale particulière, sa
personnalité, son caractère, particuliers ?
Pour davantage de réflexion sur ce vocable d’“égalité”, je me permets de déléguer les lectrices
et lecteurs intéressés vers les pe[a]nseurs, avec un “e” ou un “a”, les sages, dans tous les
domaines, qui l’analysent actuellement avec le soin qu’il exige, ce qui donne
lieu à des textes exceptionnels de qualité.
Quant à la désignation de “mariage” entre personnes de même sexe, j’ignore encore pourquoi aujourd’hui, mais j’ai touvé ça bouffon, disons, pour célébrer ce nouvel événement, pas très inventif.
Et pour conclure sur ce thème, j’extrairai un tout petit
passage de la Cause des enfants, de
Françoise Dolto - sur qui la mode, par le biais des médias, impose que l’on
bave gaillardement - elle était catholique n’est-ce pas ? - sans que l’on
prenne même la peine d’avoir lu une ligne de ses observations cliniques,
extrait qui figure d’ailleurs sur Internet :
Il faut une très grande maturité pour être
capable d’être parent, car cela implique d’être conscient que ce n’est pas une
situation de pouvoir, mais une situation de devoir, et qu’on n’a aucun droit à
attendre en échange.
Un
dernier mot. Je propose, plutôt que d’intituler tristement, spécialité de quelques administrations, les partenaires des couples de même
sexe “parent 1, parent 2”, indifféremment, à leur gré : “Mapa”
et “Pama”, à moins que cela ne rende dyslexiques nombre de leurs enfants...
Réflexion annexe mais non
étrangère à ce qui nous occupe.
Le
reportage TV + débat que j’évoquais plus haut fut une émission sur La 2 de trois
heures, consacrée à ce qui a été défini par “autisme”.
À la
suite duquel j’ai écrit ce que j’en pensais à Élisabeth Roudinesco,
c’est-à-dire que ce reportage était intellectuellement et délibérément malhonnête, à la gloire des neurosciences
principalement inspirées par les psychiatres américains, dont une secte.
La
présentation de ce reportage, voilà ce fut reparti pour un tour, fut
ouvertement, avec violence, méchanceté dans le propos, hostile à la
psychanalyse française - et probablement à Élisabeth elle-même, si l’on en juge
par la foire d’empoigne personnelle dont elle est l’objet, au mépris de son travail, quelles que soient les
divergences de points de vue, lesquelles pourtant, nourrissant les recherches,
gardent vivace l’évolution de la théorie et de la clinique psychanalytiques.
J’ai
proposé en plaisantant à Élisabeth d’écrire un tome II de Pourquoi tant de haine.
Ce
fut donc, un coup de griffe pour Freud, visionné brièvement dans le jardin de Maresfield Garden, lequel Freud n’a rendu publics aucune parole, aucun écrit au sujet de l’autisme ; un autre coup de griffe pour Bettelheim, on s’y attendait : un troisième,
dans l’ordre ou dans le désordre, pour Deligny, où
l’on a revu Jean-Marie, si bien que, par ce dernier biais, Françoise Dolto,
Maud Mannoni… pour ne citer que deux femmes, et ceux de leurs élèves, sur deux
générations, qui furent confrontés dans leur pratique quotidienne à l’autisme,
au mutisme, à la schizophrénie chez les enfants, furent discrédités sans
vergogne.
Pas
une allusion nominale à Françoise Dolto, pas une tout court à Lacan, par frousse, sans doute, que leurs héritiers n’engagent des poursuites judiciaires.
L’œuvre
clinique et théorique capitale de Françoise Dolto sur cette question est
d’ailleurs savamment ignorée. C’est Françoise Dolto qui, outre son analyse des
dessins d’enfants, la première en France, à la fin des années soixante, a
introduit la pratique du piano auprès d’enfants qui, tout en étant d’une
intelligence hors-normes, disons de “sur-doués”, ne
parlaient pas et présentaient les symptômes physiques de l’autisme généralement décrits. Et ce, grâce à
une amie, Mme Benoît, épouse du pédiatre psychanalyste Pierre
Benoît, laquelle avait inventé à leur intention sa propre méthode de transmission de la pratique
musicale.
Aujourd’hui
comme hier et jusqu’à présent, les psychanalystes soucieux et éducateurs
français, soucieux d’offrir une vie vivable, dans un lieu vivable, à ces
enfants, de sorte qu’ils ne soient pas destinés à l’hôpital psychiatrique, se
sont immanquablement heurtés à un refus de se voir attribuer des aides
matérielles par les pouvoirs publics.
Dans
ce reportage de 3 heures à la TV, les images montrant des enfants en très bas
âge ne correspondaient pas aux personnages réels qui témoignaient de leur
parcours et de la réussite des neurosciences, ce qui n’est pas surprenant. La
malhonnêteté intellectuelle, délibérément ignorante, peut faire des montages et
faire dire ce qu’elle veut selon ce vers quoi elle penche.
De
plus, et peut-être en premier lieu, « L’autisme » en général
n’existe pas : quels que soient les efforts thérapeutiques, allez proposer à un
enfant de 7 ans qui se mutile, qui mord et déchire ses poignets jusqu’à l’os,
de jouer du piano…
Au
cas où des lectrices et lecteurs seraient intéressés par le travail quotidien
efficace, sans tapage, de psychanalystes, d’éducateurs, de
psychiatres, d’équipes environnantes, à ce sujet, ils peuvent alors se reporter
à l’adresse suivante sur notre site,
en double cliquant sur le titre [lien direct].
Élisabeth Roudinesco
Psychanalyse et autisme
: la polémique
Bibliographie complémentaire • Sur l’autisme • Documents associés
M. W.
© Paule Pérez
Méditation sur séparation et sexe comme possibilité de penser
1ère publication in Temps
Marranes n° 5 • Janvier/Février 2009
http://www.temps-marranes.info/article_5_7.html
Depuis le moment freudien, on ne peut plus
éluder la question de l’injonction sociale et de l’interdit, séculaires dans
les affaires qui touchent à la sexualité, au désir et à son expression.
Cependant, la visibilité contemporaine des personnes dénonçant, via les gender studies, la division
traditionnelle, voire fonctionnelle des sexes, issue du phallocentrisme, ou
encore la revendication de celles qui prônent
une performativité alternative dans la pluralité sexuelle, via les mouvements
« queers », nous placent, décidément, devant de l’irrécusable et
du réel.
Comme le rappelle
Noëlle Combet [1] : « Judith Butler a bien
fait la différence dans Trouble dans le
genre, lorsqu’elle veut montrer que les signes culturels sont
performatifs puisqu’ils nous imposent les normes sexuelles essentiellement à
l’aide d’une sélection et de répétitions constantes de signes empruntés au
champ sémiotique. »… « Le sexe est posé comme une donnée biologique
tandis que le genre ressortirait au champ culturel. »… « Dans cette
dualité sexe-genre, le sexe lui aussi serait un objet relevant des normes
socio-historiques que révèle tout particulièrement la réflexion
sémiotique. »
Par-delà la banalisation contemporaine de
l’homosexualité, les conduites intermédiaires et hybrides
multiples, inouïes, viennent désormais requérir de nous
une élasticité empathique. Certes. Mais surtout, me semble-t-il une
flexibilité conceptuelle. Et ce, en-deçà des registres psychologique, social,
esthétique, moral et politique : immanquablement le caractère pluriel,
voire inouï, de ces conduites, suscite dans son sillage un saisissement -
ce que Noëlle Combet appelle une « expropriation ». Ce caractère
bouleversant incite tout autant, me semble-t-il, à une élaboration
logique tant il interpelle notre capacité à penser.C’est ce à quoi je
m’essaie ici. D’abord, j’ai tenté d’argumenter qu’on peut certes
accepter le flou et la possibilité de contradiction et de brouillages entre
genre et sexe chez le même individu (se percevoir comme « femme née dans
un corps d’homme », ou la réciproque, pour ne prendre que la figure
inaugurale du mouvement critique), et même que ces brouillages puissent
êtres affirmés comme possibles, plausibles et acceptables, à la fois sur le
plan psychique-mental et sur le plan social-politique. En effet cela n’est pas
irrecevable.
Mais il y faut une
condition préalable. Il s’agit d’effectuer et de repérer deux mouvements de l’esprit :
d’une part, celui de la distinction en elle-même, dans l’abstrait. D’autre
part, celui de la distinction dans le genre, soit : masculin vs féminin. Car pour pouvoir penser
qu’on n’appartient pas au genre de son sexe, encore faut-il avoir pensé la différence des genres. Ceci rend, dès
lors, inévitable, l’entreprise d’éclaircissement terminologique du sexe
relativement au genre. Premier mouvement de mon travail qui pourrait sembler, à un lecteur pressé, quelque peu critique à l’égard
des tenants des gender studies ou du
queer.
Mais dans un second mouvement, j’essaie de dégager
en quoi ce développement s’avère porteur d’éléments permettant aux tenants
des études sur le genre d’aller encore plus loin dans leur propre direction. Et ce sous deux modalités :
- D’une part, au sens où je généralise l’idée
que l’opération de la différence, distinction, séparation, peut se poser comme
prémisse nécessaire à la genèse de l’esprit et fondamentale (voire nécessaire) pour la possibilité de la
pensée. Et que justement, dans les distinctions élémentaires chez le petit
enfant, celle du genre est fondatrice, par le fait qu’ayant perçu très tôt
la distinction entre lui et pas-lui, mais que concomitamment il
perçoit entre ce qui est comme lui et
ce qui est pas-comme-lui.
L’enfant opère le lien avec ce qui est comme lui et
la distinction de ce qui n’est pas comme lui. La distinction des genres en tant
qu’elle est inscrite dans le langage [2], dans
lequel baigne l’enfant, ne précède-t-elle pas, en effet, la distinction des
sexes, qui se produira lors de la vision effective par l’enfant de la
différence anatomique [3] ? Il s’agit donc
de poser ceci : si, la forme
élémentaire du « penser » consiste à la fois à lier et à distinguer,
séparer, discerner, alors la distinction fondamentale par l’enfant,
entre identité et altérité, infère ou équivaut à sa découverte de la différence des genres, qui est première,
puis à celle des sexes, qui est seconde. Hypothèse qui me conduit à me référer à l’étymologie du mot sexe, qui, bien davantage
que la désignation anatomique, organique ou fonctionnelle, indique la notion de
coupure, comme dans sexion, section [4]. Soit coupure ou sexuation de l’humanité en deux genres,
et accessoirement par le sexe anatomo-physiolologique, qui en est réduit à une
sorte de métonymie du genre.
- De ce fait il m’est permis de poser que le
genre n’est pas seulement une « catégorie » sociale ou
culturelle, argument majeur des gender studies, mais qu’il est bien une catégorie de l’esprit, un référent
anthropologique permettant de penser la différence, opérant
universellement. Et cependant, ce référent a été longtemps impensé comme tel. On peut pour cela l’instituer comme un refoulé, voire comme un élément forclos de l’histoire de la
pensée.
Enfin j’essaie de dégager que si la distinction [5] est opération fondamentale, cela permet de
supposer que la pensée adviendrait dans le duel ou le multiple, au milieu
et à partir duquel elle a à se déployer, et non dans l’unité bien identifiée,
délimitée.
Ainsi, par extension, contrevenant à
l’ordination des nombres, on serait fondé à dire que le 2 précèderait le 1 dans
la formation de la pensée, comme le 1 a bel et bien, historiquement,
précédé le 0.
Et aussi que la dualité n’en finit pas d’être à
questionner, en ce qu’elle peut « se développer ». En cela, aller
vers le trois, le ternaire, le triangulaire, ou encore, dans le cas où la
dualité se pose comme polarisation, aller vers la spectralité qui figurerait
une infinité de possibles tiers entre les deux pôles opposés.
Mes réticences initiales, puis ma propension au
« pourquoi pas ? » et enfin mon vif désir de comprendre ce
qui, ici, constitue un tournant important sur quelque chose ayant
partie liée avec la « condition humaine » et une manière de
questionner les mouvances de l’esprit - m’ont amenée à ce qui a pris
la forme de cette méditation.
Une
séparation primordiale : la Genèse comme possibilité de l’idée de
distinction
L’opération de distinction, séparation ou
discernement, peut en effet être supposée comme événement ou avènement interne
au fondement du « penser », comme un effet induit ou une figuration
abstraite, analogue, équivalente, voire
spéculaire à celle de la découverte de la non-fusion avec la mère (ou de
qui en tient lieu), de la distance entre soi et l’autre. Elle en serait aussi
comme « l’empreinte » au sens où une trace dessine en creux les
contours et le souvenir d’une forme, ou bien encore comme une
« révélation », au sens photographique.
La métaphore primordiale de la
séparation-distinction, que je convoque ici comme étai à mon propos, je
l’emprunte à la Genèse. Je considère axiomatiquement ce livre comme récit d’une
conception sur la création d’univers. Mais aussi comme une description première
faisant trace, frappe, qui est au fond un trait commun à ce qu’on appelle les
textes fondateurs [6]. De sorte que certains
pourraient y voir, comme en une embryogénèse poétique, se former l’esprit ou sa
figuration, dans un récit à fonction phylogénétique de la pensée :
narration où l’on verrait la pensée se constituer en tant que telle au prix et
au terme d’un certain nombre d’opérations.
Pourquoi serait-il impossible de poser le phénomène
voire l’épiphanie du « penser » (quoi, comment, par quoi ?), dans l’expérience subjective, aussi bien du côté
du principe de l’identité et sa
non-contradiction avec le tiers-exclu, que de celui de la manifestation de la distinction. Dans un tel cas, celle-ci ne
pouvant s’envisager autrement que dans une opération de passage, ne saurait se
concevoir sans « intentionnalité », induisant la notion du sens
(quoi, quel sens, pour quoi ?).
Sous cette optique, les registres ontologiques, logiques, autant que
psychologiques, s’entrelacent. Dans la perspective de
la division qu’implique par ailleurs
le fait que soit apparue « la question » - i.e. que l’homme se soit mis à questionner et à se questionner
- l’esprit deviendrait quelque chose qui chercherait à « se
comprendre » lui-même, mais forcément et de ce fait même, ne le pouvant
pas en totalité.
On lit : « Au
commencement Dieu avait créé le ciel et la terre. Or la terre n’était que
solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l’abîme et le souffle de
Dieu planait sur la face des eaux ». La Création se présente au commencement, comme un
ensemble formé de matériel et d’immatériel, avec deux éléments, ciel
(immatériel) et terre (matériel) et deux éléments désignés par des
qualificatifs ou des attributs indéterminés, indéfinis, immatériels,
caractérisant la terre (matériel), qui n’était « que solitude et
chaos », traduits de tohu-bohu, qu’on a pu envisager aussi comme
« vide » et « vague ».
Il est question d’un « abîme » obscur (couvert de
ténèbres, encore un élément immatériel), soit un creux, gouffre profond mais
aussi diviseur (comme on dit qu’il y a un abîme entre tel et tel) et l’unique élément (principe ?) nommable
est lui-même diffus c’est le « souffle » divin [qui]
« planait sur la surface des eaux » dans lequel certains
commentateurs ont voulu voir la notion d’énergie ou encore d’information.
L’abîme est-il un « il y a » un « yesch »,
ou un « ayin [7] » néant, rien,
« trou noir », vide ? Le « souffle » suscite la même
question : est-il un « il y a », un « vide » ou
un « néant » ? Ne pourrait-on dire d’ailleurs : l’un ou l’autre
de l’un et de l’autre, soit l’abîme comme quelque chose et le souffle comme
vide, ou l’inverse, selon qu’on leur affecterait des attributs ou des
potentialités ?
« Dieu dit :
que la lumière soit; et la lumière fut ». L’autre élément énoncé est le phénomène
d’apparition émanation ou création de la lumière. Il s’ensuit, et sur ce point
je voudrais insister, une séparation fondatrice associée à une nomination explicite. « Dieu considéra que la lumière était
bonne, et il établit une distinction entre la lumière et les
ténèbres. Dieu appela [8] la lumière jour, et les ténèbres, il les
appela nuit ». Ce qui tient de la surprise est que la notion d’unité
identifiable y est postérieure à la
notion de séparation et d’individuation, qui, impliquant séparation
« entre », fait signe que le donné (les data) se compose de plusieurs
éléments. Avec des mots d’aujourd’hui, on dirait qu’il est « déjà
complexe ».
« Il fut soir, il
fut matin, - un jour. » Ce que certains ont traduit : « jour un. » La
numération-énumération (conception apparition du nombre et de la suite des nombres, le 1 pris au sens ordinal et cardinal)
et la notion de début, donc de temps pris à la fois dans sa fonction de date et
de potentiel de durée, si elles sont concomitantes, interviennent après, elles
sont, aussi, postérieures à la nomination.
Puis advient une suite de séparations. « Dieu dit :Qu’un espace s’étende
au milieu des eaux, et forme une barrière entre les unes et les autres’. Dieu
fit l’espace, opéra une séparation entre les eaux qui sont au-dessous et les
eaux qui sont au-dessus, et cela demeura ainsi. Dieu nomma cet espace-là le
ciel. Le soir se fit, le matin se fit - second jour ». Séparer divers
aspects de la matière, eaux, terre, eaux, ciel (celui-ci est l’air, mentionnons
en passant cette opération « physique » de transformation du liquide,
c’est dire déjà peut-être son évaporation) séparer le bas du haut, comme
précédemment la lumière de la ténèbre, quoi de plus fondamental pour former la
capacité à penser, avant même de pouvoir conceptualiser.
Et c’est après la suite des séparations tant
commentées de la Genèse, que vient la notion du « un ».
Le genre précède le sexe, nécessité d’un
principe séparateur pour penser
Ainsi
par exemple, là où la Logique aristotélicienne installe sa fondation par le principe
d’identité, la Genèse pose comme principe celui de séparation (entre du duel,
ou du multiple ou du divers) et de
distinction.
Ce que je souhaite exposer
ici est une interrogation qui m’est récurrente : la dialectique précèderait-elle l’identité ? Ou : peut-on
penser un moment pré-dialectique ? L’identité (et donc dans une certaine mesure
l’individuation) se pose-t-elle à partir de ce qui n’est pas (dans l’absolu),
ou à partir de ce qui n’est pas elle (dans le relatif, qui implique aussi
au passage, d’élaborer la question massive de la négation), ou encore d’un
ensemble indifférencié d’où elle émergerait ? Peut-on continuer à dire qu’elle
constitue dans tous les cas le point de départ de toute pensée ?
Ceci qui par incidence me questionne également du
côté de la Psychanalyse, sur la possible complexité du signifiant premier, « S1 » qui pourrait en français s’écrire
« Essaim [9] » – qu’on peut lire dès lors aussi comme
Ensemble (« est-ce un ») de signifiants – fondateur, refoulé proposé
par Lacan, par la barre de division du Sujet, qui le coupe radicalement de
ce quelque chose en assignant cela à demeurer au lieu de son inconscient…Cette
barre inscrirait ainsi le dividu de l’individu.
Pour un enfant la formation de la notion de l’autre en tant qu’autre peut être première
par exemple si on priorise le fil de lecture de l’expression « che
vuoi ? », « qu’est-ce tu (me) veux ? » envisagé
comme fondement paranoïde, avec sans doute de la haine primordiale. Mais pour
un autre enfant est-il inenvisageable de considérer que la formation de l’autre en tant que d’un autre « genre »,
peut être première, dès lors qu’on prioriserait le fil de lecture du « il
me faut » (cet autre), envisagé comme fondement hystéroïde, appuyé à un
ressenti de manque, avec peut-être de l’amour comme primordial ? Ceci
restera comme hypothèse mais aussi comme énigme. L’enfant fait l’expérience de
l’autre quand son regard ne capte plus l’autre dans l’indistinction en tant
qu’un simple prolongement de lui-même – et quand peu à peu il n’est plus
dans la fusion (confusion). C’est ce qui fondera dans son développement les
événements faisant la « coupure » nécessaire pour penser et devenir
ou rester psychiquement opératoire.
Or, cela peut s’envisager par des expériences qu’il
est permis de supposer de deux types, et ce aléatoirement, au cas par cas. J’explore
en effet ceci : que le fait de voir qu’il y a un autre ou de l’autre, cela peut
autant lui venir de manière asexuée que sexuée : par la distinction que sa
mère n’est pas lui ou elle, mais aussi pour un garçon par l’expérience symbolique
précoce que sa mère (ou telle femme) n’est pas « comme » lui, non pas
dans une différence biologique ou anatomique, mais bien plutôt du fait qu’il
entend des mots au masculin et au féminin, et pour la fille que son père (ou
tel homme) n’est pas « comme » elle. De fait, « il y a » du
masculin et il y a « du féminin » : le « genre » peut donc
bien être envisagé comme la première opération de…« sexuation » chez
l’enfant.
Le sexe est donc encore à ce stade, en
tant qu’opérateur logique de séparation, équivalent du genre.
Dans ce raisonnement, l’appréhension du
genre précèderait bien la prise de
conscience du sexe comme « organe » ou comme fait biologique, qui
n’en serait que modalité incarnée dès lors que l’enfant aurait eu l’occasion de
« voir l’anatomie » de l’autre sexe que le sien, expérience plus
« aléatoire » dans l’histoire du petit sujet. Au sens le plus
élémentaire de cette perception de la différence, le substantif
« sexe » agit comme un opérateur séparateur de l’humanité entre genres masculins ou (c’est un
« ou » exclusif, vs) féminin. Et justement rappelons encore
qu’étymologiquement le sexe est « section », coupure. L’émergence de
la notion de l’autre se formerait dans la double possibilité d’apparaître subjectivement de deux
manières et pas seulement d’une seule : l’autre en tant que pas moi et l’autre en tant que pas comme moi (par le genre). Ce qui
fait la « coupure » nécessaire effectuant la démonstration qu’il
y a de l’autre : la section, ou sexion, sémantiquement envisagée, dans la
stricte observance du principe linguistique que, de par leur
« mémoire » dans une langue, « les mots n’oublient jamais leur
trajet [10] ».
En deçà ou au-delà du social : le genre comme
catégorie refoulée de l’esprit
La sexuation, du genre ou de l’anatomie, de manière
indifférenciée pour ce qui relève de l’énonciation, peut être considérée comme
équivalent de l’événement avènement de l’autre, l’autre de l’un ou l’autre de
l’autre, doublé de l’autre de soi en soi, c’est un opérateur séparateur
« net », « coupant » [11].
Séparateur net comme le zéro l’est pour les nombres (positifs, négatifs) ou
pour le chronos, instaurant la possibilité du « négatif », comme du
« avant J.-C. », instaurant l’avènement de l’ère chrétienne comme le
zéro de l’Histoire.
Par la distinction et la séparation il y a
appréhension à la fois du couple zéro -
un et du couple un - deux. Et
c’est justement parce que la sexuation a cette fonction que les hybrides, les
trans-, les hermaphrodites, dérangent ou sont dérangés. Car par un phénomène où
la crête devient bord, ils brouillent la capacité de penser cette distinction
et mettent en échec le discernement et la capacité de l’esprit à maintenir sa
propre fonction à se com-prendre suffisamment tout au moins pour rester en
fonction. Le principe séparateur est indispensable à l’acte même de penser
à la fois comme appréciation (de la dualité en elle-même) et discernement
(entre les termes) [12].
Il est donc permis de dire
que c’est seulement après avoir posé
quelque chose de cet ordre, qu’on peut déployer une théorie du genre comme
catégorie sociale ou catégorie pour penser le social.
Plus audacieusement c’est là que je pose alors le
genre comme une catégorie de
l’esprit proprement dite, au même titre que « l’espace et le
temps » le sont pour Kant ou « la personne » pour Marcel Mauss.
C’est-à-dire, pas seulement comme une catégorie « sociale » (les
hommes, les femmes, dans la collectivité) mais bien comme une catégorie de
l’esprit pour penser -et pour parler. Au cours des siècles cette catégorie a
fait l’objet d’une « neutralisation » à tous les sens du terme, par
les auteurs. Le genre est bien l’absent de la Logique, le refoulé ou le forclos, et
d’une manière générale, de l’histoire de la pensée.
Encore la question de frontière…
Il y aurait peut-être aussi une réflexion à
conduire dans la comparaison entre la séparation de crête opérée par le
« sexué » comme « sexion » (certes répétons-le tardivement
anatomique mais surtout) logique pour penser, et le travail de la prière hébraïque
de la havdala (séparation, distinction) quand celle-ci sépare par la parole, dans son énonciation par l’assemblé, qui fait
symbole : il est dit et redit que le shabbat, jour sacré, est terminé et
qu’on passe aux jours profanes, on verbalise la transition en disant ce texte,
et cette ré-citation « performe » une frontière. Ce qui fait
que la séparation comme coupure et ligne de crête, par les mots prononcés,
devient ligne de bord : c’est dans cette justement « bande
passante » à la fois nécessairement séparatrice
et étendue qu’on se trouve aujourd’hui pour penser les notions de
« frontières ».
Mais frontière n’est pas non-lieu, et pour revenir
par un autre chemin à la neutralisation évoquée plus haut je ne suis pas
convaincue de la pertinence de l’idée présentée comme émergente,
consistant à « neutraliser » des mots, notamment pour parler de
« parents », de manière indifférenciée. Ce serait mal juger de la capacité qu’aurait l’inconscient (dès
l’enfance) à affecter (même paradoxalement) des rôles à chacun,
jusques et y compris dans les couples apparemment les plus traditionnels, et la
clinique montre à quel point le sujet se fait l’auteur de formations
surprenantes, leur apparente dé-raison rendant justement compte d’une (autre) rationalité
pour les psychanalystes qui voudraient y prêter attention.
« Hystoricisation »
sans discipline de la question du sexe ?
Je
ne suis pas davantage convaincue de la réduction de la « sexualité »
à son historicisation. Certes, on n’avait pas de théorie formalisée aux temps
antiques, ce qui a pu faire dire à certains que la « question de
l’homosexualité » n’existait pas. Mais
cela n’induit pas nécessairement pour autant qu’une méta-doxa sur le sexuel
n’existait alors pas. Si les représentations précèdent les théories ou les
rationalisations (une théorie n’est-elle pas liée à un imaginaire ?),
celles-ci ne s’en trouvent pas forcément exprimées ou traduites dans le
discours et les productions d’un temps. Il s’en faut. L’absence d’une doxa peut
également être l’indice d’une représentation
sous-jacente voire insue, pas encore conscientisée. Pointer l’absence d’une
doxa peut être un honorable travail d’historien mais peut également être une
entreprise de récupération anachronique à l’envers.
En
d’autres termes, dire que l’Antiquité n’avait pas de « politique » ou
de théorie sexuelle peut aussi bien nous rappeler que le bannissement de
l’homosexualité est venu après la christianisation, mais aussi que tout
simplement il n’y avait pas de discipline constituée pour se pencher sur la
question. Et cela éclaire peut-être d’un autre jour, sans l’atténuer en aucun
cas, comme je l’avais annoncé au début de ce travail, la position de ceux qui
étudient l’approche sémiologique du genre dans le discours de la Science et du
Social, les genderation, social and
cultural studies…
Si,
à titre d’exemple, certains entendent mettre l’accent sur le fait que la
théorie de Sigmund Freud n’a pu n’émerger que dans la Vienne bourgeoise et
capitaliste (ce qui n’est pas une révélation), il n’empêche que Freud a
« capté » quelque chose de fondamental et d’intemporel, à savoir, en
creux de la théorie du refoulement, la corrélation
dans le développement de l’enfant du sexuel et de possibilité de la pensée. Voire,
de leur indéfectible nouage, dès lors que l’enfant découvre qu’il y a deux sexes,
mais surtout qu’il découvre qu’il y a deux genres, c’est-à-dire un autre que le
sien : un « pascomme » qui ferait qu’il n’est
« pastout » - ou bien plus dramatiquement un « pascomme »
qui viendrait de ce qu’il a dû dans un renoncement peut-être tragique, admettre
et entériner qu’il sera pour toujours « pastout ».
Effets
induits d’une dialectique hypermoderne. Ternaire, trait-d’union, spectralité,
etc.
Est
d’autant plus importante la capacité d’opérer la coupure, que le sujet évolue
dans l’écheveau des ambivalences, en cette tension où se manifeste
aléatoirement l’autre en soi, avec ces effets curieusement
« spéculaires » qui font que nos « images » font l’objet de
bougés et d’anamorphoses, dans ce qu’il est convenu d’appeler la modernité. Et
ce dans toutes ses modalités, qu’il s’agisse de ses composantes
hyper-technologiques, de ses drames migratoires et des multiples formes de ses
exils.
La
dialectique entraîne les figures de la contradiction et du dialogue, qu’on
l’envisage en logique, psychanalyse, topologie, économie, politique…et autres
registres, domaines ou disciplines de nos activités et productions. Elles
s’effectueront diversement : négation, opposition, division, superposition,
glissement, paradoxe, nouage, disjonction, conjonction, ambiguïté, dualité,
chimères, ambivalence, retournements, etc. Chacune de ces modalités a été ici
ou là étudiée pour elle-même, leur élaboration évolue souvent vers une
résolution dans l’option ternaire, notamment par l’invite d’un élément
triangulateur, comme un apport salutaire de tiers en tant que législateur ou
arbitre. Mais pas toujours. Cela nous amène à poursuivre le travail sur les
figures de la dualité.
Avant
de conclure, je voudrais souligner que ces figures duelles retiennent
particulièrement mon attention lorsqu’elles s’écrivent par une expression
portant en son centre un
« trait-d’union » Ce signe typographique « dia-bolique »
tant il distingue en réunissant, indique justement l’union-désunion. Quelques
expressions peuvent illustrer ce propos : judéo-chrétien, freudo-lacanien,
marxiste-léniniste… Autant de formulations doubles qui expriment à la fois le lien
« historique » ou « logique » indissoluble et une
contrariété irréductible ! La question se dramatise face à deux termes reliés par un trait d’union, lorsqu’ils désignent des éléments issus d’un même
point de départ, qui ont divergé au point d’en devenir contraires ou ennemis. À
partir d’une même source, les deux termes présentent irrévocablement des
éléments communs et des distinctions radicales. Il s’agit ici d’une forme
particulière et spécifique du travail de négation dont les implications restent
peut-être à explorer.
Solubilité ou insolubilité de la dualité ?
Qu’on songe, aussi, à la possibilité de polarisation. Donc l’idée de deux
pôles, avec entre les deux un spectre de positions (les fameuses « nuances
de gris » du langage populaire entre le blanc et le noir). Et ceci
constitue une étendue spectrale entre les pôles. Ce qui dans une construction
dialectique, pourrait fonder un ternaire
comme un tiers intersticiel ou introjecté. Un arbitre ou une loi
au-dedans…N’est-ce pas une certaine façon de voir et de vivre l’expérience
marrane ? Et cependant, pour pouvoir se donner la spectralité comme une ligne
de fuite parmi d’autres, encore nous a-t-il fallu en passer par la sexion et la
perspective du sexe et du genre, comme un autre des fondamentaux de la pensée
pour ne pas verser dans la confusion. Tant la nuance, la diversité,
l’indistinct ou le flou, se déploient mieux dans leur richesse quand ils nous
ont au préalable fait faire un tour du côté de la distinction. P. P.
[1]
www.temps-marranes.info, n°5
[2] Sont-elles
nombreuses, les langues où n’existe pas le couple masculin-féminin ?
[3] découverte généralement ultérieure et chronologiquement aléatoire selon
les enfants.
[4] ou : secte.
[5] Encore une
fois, comme le lien, mais dans ce présent travail j’ai placé l’accent sur la
distinction.
[6] À l’heure de
la mondialisation, j’invite les spécialistes des pensées non occidentales à
nous communiquer comment cela s’énonce dans leurs creusets de pensée
respectifs.
[7] Ce mot
hébreu signifie aussi œil et source (cf un « regard » au sens
architectural).
[8] C’est moi qui
souligne. C’est par la parole que la création (de la lumière et du reste) est
rendue effective.
[9] L’essaim est
un ensemble d’individus qui se groupent pour se séparer, s’assemblent pour se
séparer et aller fonder ailleurs une nouvelle colonie.
[10] Cf. les
travaux de Michel Bakhtine.
[11] N’est-ce pas dans cette période d’ailleurs que l’enfant commence à se mettre en mesure
de découvrir les distinctions ou « sexuations » les plus
élémentaires : dedans dehors, oui non, là pas là, silence bruit, froid
chaud, précisions que nous pourrons demander aux spécialistes de corroborer).