Psychanalyse et idéologie

Lettre ouverte à Madame Simone Veil

Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon de l’authenticité » par T. W. Adorno • 1964

Ø

Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Bertha Pappenheim

point

© Micheline Weinstein / 15 Octobre 2008

Lettre ouverte à Madame Simone Veil

Paris, le 15 octobre 2008

Chère Madame,

ne “surfant” ni ne “blogant” sur Internet, c’est par la presse que j’ai eu connaissance du Colloque Françoise Dolto à l’Unesco en décembre 2008, jubilé pour le centenaire de sa naissance.

Vous avez bien voulu vous associer à son programme au titre de membre du Comité d’Honneur.

Nous, de nombreux psychanalystes ayant connu d’assez près, professionnellement ou / et personnellement Françoise Dolto, ne figurons pas dans le programme des intervenants. Dont des analystes de l’OSE, par exemple, ayant été, pour les plus anciens encore bien vivants, en contrôle avec F. D. tout juste à la sortie de la guerre, dans les années cinquante. Dont ceux également, dispersés dans et hors institutions, de ma génération ou de mon inter-génération, nous étions alors enfants de la Shoah.

En 1979, j’avais été peinée, après vous avoir adressé, en tant que Ministre de la Santé, « Histoire de Louise » (Le Seuil), de votre refus de contribuer à la promotion, tout particulièrement, de la magnifique préface de F. D. à ce livre - audible sur notre site, cf. à “Audio / Vidéo” -, au prétexte “diplomatique” que vous étiez “sortante” du gouvernement d’alors.

Cette même année, Françoise Dolto, après bien des difficultés administratives et peu d’aides institutionnelles, sinon aucune, avait tout de même réussi à ouvrir « La Maison Verte » dans l’espace limité d’une boutique de la rue St Charles.

En 1979 également, je travaillais - depuis environ sept ans - avec Françoise Dolto auprès d’enfants diagnostiqués “autistes, “schizophrènes, “mutiques”... et c’est lors de la signature d’« Histoire de Louise » que j’ai rencontré Mira Rothenberg, dont « Children with Emerald Eyes » venait d’être traduit pour Le Seuil. « Enfants aux yeux d’émeraude » est ce que l’on désigne par “Un grand livre”, unique. Il retrace le travail clinique - ainsi que la création de son école « Blueberry » - de Mira Rothenberg auprès d’enfants et d’adolescents “autistes”, “schizophrènes”,  enfants orphelins rescapés des camps de la mort et “déplacés” aux U.S.A, enfants aussi dont les parents, pendant la Shoah, avaient réussi à émigrer.

Ce livre fut pour la jeune psychanalyste que j’étais alors, issue également de la Shoah, la pièce déterminante, que j’ignorais manquante, d’un puzzle de transmission, un contrepoint à l’enseignement de F. D. Et l’est resté dans ma pratique, auprès des enfants, des adultes, des anciens, de toutes conditions, étiquetés “schizophrènes” ou pas.

Mais cet aspect des choses fait l’objet d’un travail, que j’ai entrepris voici 5 ans et qui commence à prendre forme. Ce pourquoi je reviens des USA, où j’ai passé un grand moment, dans les plus beaux sens du terme “grand”, avec Mira Rothenberg, nommée en 2004 « Personnalité de l’année » par le Maire de New-York.

Pour rester dans l’histoire de la transmission, j’ai lu récemment dans la presse que Jacques-Alain Miller s’élevait contre le projet Accoyer sur le statut des psychothérapeutes, lequel signe, à son entendement, la mort de la psychanalyse en France. Son propos indigné est accompagné par une publication dans « Le Nouvel Âne » d’une lettre ouverte à Madame la Ministre actuelle de la Santé et... pour illustrer cette mort, d’une... bande dessinée sur Freud ! Personnellement, côté “niveau”, j’aurais préféré y trouver des extraits écrits, puisés directement dans l’œuvre de Freud, étonnamment actuelle.

Jacques-Alain Miller a raison, à ceci près, me semble-t-il, mais cela n’engage que le mien, d’entendement, que cette mort de la psychanalyse en France a commencé bien plus tôt, en 1938 par exemple. Cf. « Commentaire » de « La Famille » selon Lacan,

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/archives/commentaire.html

Cette mort annoncée fut entérinée en 1964, lors de la parution du 1er Annuaire de la toute nouvelle École Freudienne de Paris, fondée par Lacan, où, pour s’exonérer de toute responsabilité ultérieure il déclarait et faisait consigner par écrit que “Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même... et de quelques autres”. Quelques autres, mais qui ? Formés par qui ? Selon quels critères ? Cf. Bernfeld sur la formation des analystes in,

Micheline Weinstein

« Les traductions de ψ [Psi] • Le temps du non »

Une incroyable rêverie • Freud et Jung à Clark 1909, de W. A. Koelsch -La libido chez Freud et l’Éros chez Platon, de M. Nachmansohn - De la formation analytique, de S. Bernfeld - À la bonne adresse, de Bert Kok

Collection Études Psychanalytiques, dirigée par Joël Bernat, L’Harmattan, Paris, mars 2003 • ISBN 2-7475-3933-4

Contre quoi, depuis, n’importe qui peut s’auto-intituler psychanalyste, il n’y a plus aucun statut spécifique de la psychanalyse qui est devenue, cette fois pleinement, ce que Freud redoutait par dessus tout, la “domestique de la psychiatrie” et de l’Université, la “danseuse” des médias et des lavages de cerveaux fragiles. Chacun/e peut dès lors et ne s’en prive pas, ajouter à ses attributions un “et psychanalyste”, qui suggère que l’on travaille “au noir” en cabinet privé - quel vocable colonial encore vivace, encore tenace ! - lequel fonctionne comme un appel publicitaire pour attirer le client.

Pour en conclure sur le centenaire de la naissance de Françoise Dolto, dont la lettre/texte sur le miroir écrite à ma demande, où elle rappelle précisément son désaccord avec Lacan sur l’“assomption jubilatoire de l’enfant”, est consciencieusement “zappée”, ignorée, par le “milieu” depuis 1983, cf.

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/dolto.html

et de l’histoire de la psychanalyse liée à l’histoire de la Shoah, j’avais publié un entretien sur le film de Claude Lanzmann, entre Jean-Jacques Moscovitz et Françoise Dolto en 1987, entretien que j’avais passé des jours et des heures à décrypter, à mettre en forme et que j’ai préfacé,

La psychanalyse nous enseigne qu’il n’y a ni bien ni mal pour l’inconscient - 30 décembre 1987

et que l’on trouve sur notre site à,

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/jjmdolto.html

Lors de cet entretien, à la question de Moscovitz sur le cri “Plus jamais ça”, Françoise Dolto répondait, je cite de mémoire, “Je pensais que l’expression avait surgi après la guerre de 14”.

Oui, c’était après 14-18, ensuite après 39-45, enfin tout le temps depuis.

Au sujet donc de la psychanalyse en relation avec la Shoah, de leur histoire, des guerres internes fratricides récurrentes depuis l’aube des temps, de ce que j’en pense et qui n’engage que mon point de vue, vous trouverez ci-dessous, chère Madame, le courrier que je viens d’adresser par e-mail à Jean-Jacques Moscovitz, à la suite d’un échange téléphonique assez vif.

Avec mes vœux de réel succès pour le Colloque Françoise Dolto à l’Unesco, recevez, Madame Veil, l’assurance de toute ma considération,


 

Paris, le 15 octobre 2008

Cher Jean-Jacques,

du coup (littéralement), ou plutôt de l’après-coup de la violence de tes propos, j’en ai très mal dormi.

Mais au moins cela m’a appris d’où, comment, étaient fabriquées les choses, comment elles circulaient, parfois à la limite de la diffamation.

Me venger ? De qui, de quoi, sans aucun pouvoir, sans aucun moyen, isolée que je suis, consciencieusement, par l’extérieur, plus précisément depuis la mort de Françoise Dolto, dont je garde finalement les assez nombreuses archives personnelles (Catherine n’a pas même dit merci quand je lui ai fourni quelques documents, dont copie sonore de la préface à « Histoire de Louise »).

Me venger ? Quel verbe étrange dans la bouche d’un analyste et... enfantin, mais dont l’intention, comme chez les enfants, est relativement tueuse.

Ce que je dis, écris, je le dis et l’écris depuis plus de quarante ans, étayés de documents solides : on peut vérifier.

Me venger ? De ce que vous vous êtes abondamment servis, sans aucune vergogne, de ce que je mettais imbécilement à votre disposition, y compris des heures et des jours de travail, y compris mon carnet d’adresses (je t’ai dit, à toi et à d’autres, que l’association, le site m’avaient coûté un petit studio à Paris qui aurait garanti mes arrières, que j’avais, pour qu’ils continuent d’exister, partagé mon appartement pendant 20 ans afin de réduire les frais domestiques etc.) ? Pas l’un/e d’entre vous n’a jamais“renvoyé l’ascenseur” comme on dit familièrement. Au contraire, quand j’ai été virée du XIVe, grâce à qui vous savez, pas un/e seul/e d’entre vous ne m’a tendu la main. Anne-Lise Stern est allée même jusqu’à s’en réjouir par ces mots : “Ah, ah ! tu vas être SDF !”.

Je ne reviendrai pas sur les nombreuses personnes que j’ai aidées concrètement (Maria Landau peut en témoigner si elle a bonne mémoire et pour ne prendre qu’un seul exemple).

Si nous ne nous étions pas parlé, toi et moi hier, je n’aurais rien su, comme d’habitude depuis 20 ans, du lien entre ton site et celui d’ARTE (mais pas avec le nôtre), où tu dis mentionner mon nom et celui de l’association, en oubliant, comme tous tes collègues, le ψ “Psi” grec [Ps ychanalyse et i déologie], essentiel, de leur intitulé, déclaré dans les statuts depuis 20 ans, où tu dis te référer au livret que j’ai publié, en 1995 (ISSN... ), puis en 1999 (ISBN... )rendant compte de ton échange avec Françoise Dolto en 1987, après avoir passé des heures et des jours à le décrypter et le rendre lisible... sans même un merci de ta part.

J’ai déjeuné lundi avec, notamment, Jacqueline, en contrôle, toute jeune alors, chez Françoise Dolto, à la sortie de la guerre, après avoir été internée dans un camp du Sud de la France, et qui m’avait adressée à Dolto quand j’étais gamine, via l’OSE, où l’on ne savait que faire de mon faramineux Q. I. (!) Et aussi en compagnie de quelques analystes, plutôt de ma génération, de l’Institut et de pas l’Institut, avec lesquels nous sommes restés amis. Autrement dit mes témoins, dont la doyenne (Jacqueline) depuis 60 ans, ceci pour ce qui porte sur le domaine de la psychanalyse. On peut aussi croiser d’autres témoins, beaucoup plus jeunes, parmi mes analysants (dont une quarantaine d’enfants devenus adultes), et quelques amis fidèles (pas beaucoup) de longue date.

Je vais te dire une chose Jean-Jacques, qui n’engage que ma parole, que moi et personne d’autre : pour mon propre compte, je sais assez bien ce qui s’est passé entre les Juifs eux-mêmes pendant la Shoah. Ce sont des êtres humains “commetoutlemonde”, ni plus ni moins, ainsi que le déplorait Freud, dont les comportements, les agissements, sont restés identiques, sempiternels, avant, pendant, après. À ceci près, spécificité monstrueuse, qu’ils sont marginalisés, désignés, un par un, objets d’un antisémitisme récurrent, sempiternel, aussi virulent aujourd’hui que toujours, qui ne leur laisse régulièrement que, seule, leur psyché, pour exister et transmettre la vie - d’où, probablement, un surcroît de haine jalouse, indéracinable, à leur égard et... pour eux, l’espoir comme perspective d’avenir... Il y eut, pendant la Shoah, des êtres d’exception, nombreux, je cite les noms de ceux que j’ai connus, rencontrés, Juifs et non-Juifs, des Justes, de ceux qui m’ont sauvé la vie, dans pratiquement chacun de mes textes.

Alors toutes ces péroraisons sur la solidarité pendant la Shoah, les appropriations publicitaires individuelles, à coups d’argent et de compromissions, pour l’extension majuscule de, chacun/e, son “Moi” personnel, m’auraient été indifférentes si, en tant que fille d’assassinés sur 4 générations, psychanalyste, femme, non-affiliée à un “Lobby”, à une secte, à une sous-secte ou assimilés, sans aucun patrimoine que ma tête pensante, tout ce qu’on voudra, elles ne m’avaient flanqué, ces péroraisons, une nausée dont je ne parviens pas à me défaire.

“Vale”,

Micheline Weinstein (du nom de mon grand-père Moïse, Président du « Joint » à Ialta et à Istanbul avant la Shoah, dont j’ai recueilli la photo à Yad Vashem, suprêmement noble avec sa magnifique moustache à la turque ou à la russe, comme l'on préfère !)

 

P.S. Ton mail perso a-t-il changé où tu m’as rangée dans les “Indésirables” pour continuer de ne rien entendre ? Quelle qu’en soit la raison, inintéressante, voici donc ce courrier sur l’adresse de ton association.

ø

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2008