Psychanalyse et idéologie

Jean-Pierre Faye • « Par-delà le mal »

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Jean-Pierre Faye / 11 Juillet 2005

« Par-delà le mal »

La chambre à gaz du Struthof
annexe expérimentale d’Auschwitz
au camp de Natzweiler en Alsace annexée

 

Prologue

Par-delà le mal. La perspective de “recherche” que propose le Professeur SS Dr Hirt au Reichsführer SS Himmler, désigne le temps futur où l’Untermenschentum - comment traduire cette lourde “Soushommitude” ? - aura totalement disparu. Par delà ce que le Numéro 2 de la SS, Heydrich, nomme à la Conférence de Wannsee « L’ensemble des mesures ». Et que déjà Gœring annonçait comme la Solution Finale - die Endlösung.
Par delà cette fin, cette Ende : une collection de crânes, de ceux ou celles qui sont ainsi nommés “sous-hommes”, en vue d’être exposée à l’Institut d’Anatomie dont la SS s’est emparé à Strasbourg, ville annexée au IIIe Reich.
Entité ainsi disparue ? Comment et pourquoi ?
Ici un autre Professeur est en avance sur l’Histoire en temps réel.
En 1933-34, le cours du Professeur Heidegger sur « L’Essence de la Vérité » annonce “le combat comme essence de l’étant” et “les lois originelles de notre race d’hommes germaniques”, de “l’essence germanique originelle”. Et de là, il en vient à “l’ennemi”, celui qui est “enté sur la racine la plus intérieure de l’essence originelle d’un peuple”, afin de “s’opposer à l’essence propre à celui-ci”. Visant cet ennemi intérieur, il faut “initier l’attaque en vue de l’anéantissement total” - “Die völlige Vernichtung”.
Ainsi le Professeur Hirt se place par-delà cet “anéantissement total” : sa collection de crânes toute “scientifique”, sera sélectionnée, expose-t-il, grâce à la guerre à l’Est, où pourront être raflés des crânes de “Commissaires du peuple bolcheviques”.
Mais ce sont trente jeunes femmes, la plupart prises dans les rafles à Thessalonique, qui vont être annoncées par Himmler à travers son chargé d’affaires courantes et expédiées dans un “transport”, d’Auschwitz en Pologne vers le Struthof en France, dans l’Alsace annexée.
En vue de cette Forschung, cette recherche : exposée par-delà l’acte de cruauté le plus total.
La plus jeune des victimes a vingt-trois ans : Katarina Mosché.
Ainsi le projet du Professeur Hirt vient se réaliser le 11 août 1943, par-delà celui du Professeur Heidegger, exposé en 1933-34.
Nous sommes à l’extrême limite de la folie des langages, au travail en histoire réelle.
Ou plutôt, par-delà la limite.

J.P.F.
11 juillet 2005

La chambre à gaz
du camp du Struthof en Alsace annexée :
annexe expérimentale d’Auschwitz

La décision hitlérienne de 1’Endlösung, de la « Solution finale » - de la Shoah - s’inscrit dans le cadre de ce que la langue nazie nommait étrangement le Generalgouvernement (pourquoi ces mots français, renversés et comme soudés par un plombier monstrueux ?). C’est-à-dire ce qui restait de la Pologne, reste marqué par cette langue-pour-la-mort.
Le périmètre des six camps d’extermination traverse un hexagramme de six noms : Auschwitz, Belzec, Chelmno, Majdanek, Sobibor, Treblinka. Vernichtungs-lager. Nous avons à épeler ces six noms un à un. Un film fulgurant de Claude Lanzmann vient de nous apprendre le visage de Sobibor.
Les trois immenses Krematorium de Birkenau-Auschwitz II avaient englouti les morts dans leurs sous-sols, d’où les chambres à gaz livraient les corps aux monte-charge qui les portaient au feu des Krema I, II, III (le Krema IV était en construction). Quand les déportés eux-mêmes eurent fait sauter le Krema I, avant d’être exécutés par les tueurs, ceux-ci s’avisèrent qu’ils avaient eu raison : mieux valait ne pas laisser à l’Armée Rouge en marche ces documents évidents - ils firent donc sauter à leur tour les machines à mort II et III. Restent les blocs de béton géants, témoins muets, immensément saisissants. Visibles dans Shoah comme des météorites monstrueuses, tombées de la plus grande catastrophe d’histoire.
Comparé aux massacres d’Auschwitz-Birkenau, le Struthof est un lieu de moindre meurtre. Mais il importe de mesurer le fait étrange et relativement méconnu : la chambre à gaz du Struthof a été faite dans le prolongement des exterminations de Birkenau, comme une “annexe” qui ajoute à la tuerie une intention “expérimentale” et un projet stupidement “scientifique”. Car le Hauptsturmführer Hirt, maître de l’Institut d’Anatomie confié à la SS par le Reich nazi, a programmé la nécessité d’une collection de crânes des prétendus “sous-hommes”, de préférence des “commissaires du peuple bolcheviques”. Himmler lui fait envoyer des femmes juives de Salonique en guise de “matériel”.
L’absurde équivalence entre “juif” et “bolchevique”, postulat nazi fondamental, avait pourtant été démentie par Staline en personne, lorsque la signature du pacte Ribbentrop-Molotov l’amène à féliciter Hitler à distance de sa “politique antijuive”, devant un diplomate japonais étonné.
Au Struthof l’espace parle : il montre du dehors la petite cheminée rajoutée, avec son chapeau chinois qui la protège de la pluie. En dedans, il montre ce coude de tuyau qui part vers le plafond. Le trou dans la paroi répond aux dimensions de l’entonnoir, par où sont versés les cristaux de Zyklon B. L’entonnoir est visible au Musée de la Résistance à Besançon, à l’intérieur de la forteresse de Vauban. Sans doute manque-t-il au “Musée” du Struthof. Mais celui-ci est une cabane de bois, déjà objet d’incendies criminels. La forteresse de Besançon du moins est un abri sûr pour ce document-instrument.

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Car il reste à apprendre quelque chose de plus, un surplus encore dans la furie. Un SS va inventer un motif d’ajouter de la destruction.
Il demande une collection de crânes et propose un projet en ce sens au Reichsführer SS Himmler, la correspondance bureaucratique chemine durant des mois à propos de cette “recherche” - pour laquelle ledit Reichsführer se dira “intéressé”. Le “matériel” sera finalement envoyé : au camp du Struthof, camp de Nuit et Brouillard ouvert comme une blessure à côté d’une carrière de granit, dans les Vosges.
Nous retrouvons, dans les notes prises à Auschwitz par l’héroïque Adélaïde Hautval, une trace du départ de ce “matériel”. Des femmes sont soumises à des mensurations par les étranges docteurs d’Auschwitz et sélectionnées : pour la collection.
« En mai 1943 surgit un nouveau protagoniste des théories raciales. Il fit le choix de son “matériel” en faisant défiler devant lui des femmes nues de tout âge... des mesures de toutes les parties du corps furent prises à l’infini.
« ...Un jour on leur fit savoir qu’elles avaient une chance extraordinaire d’avoir été choisies, qu’elles allaient quitter Auschwitz pour aller dans un excellent camp. Elles le crurent, trop contentes de quitter cet enfer...
« Les malheureuses furent emmenées au camp du Struthof en Alsace et tuées dans un but que nous avions soupçonné. »*

* Dr Adélaïde Hautval, Médecine et crimes contre l’humanité, Actes Sud, 1991. Présentation et postface d’Anise Postel-Vinay.

À l’autre extrémité du voyage a donc été construite la chambre à gaz du Struthof, à la demande du “chercheur”, le Hauptsturmführer Hirt.
Elle est décrite minutieusement dans son fonctionnement par le commandant SS du camp, au cours de ses deux procès de l’après-guerre, à Strasbourg en juillet, à Luneburg en décembre. Mais cette description est aussi une prise sur le vif du fonctionnement d’une mémoire SS.
- À Strasbourg le commandant SS Joseph Kramer affirme sa qualité de tueur : il observe par le “regard” de verre, ménagé par ses soins dans la paroi de la chambre à gaz, jusqu’au moment où les victimes sont immobiles dans la mort.
- À Luneburg, où il sent se rapprocher le verdict judiciaire, il est devenu plus “sensible” : il ne regarde plus ! il écoute les plaintes et les cris... Quand il ne les entend plus, il met en marche le ventilateur, et il en entend le bruit. La sensation de vérité, la preuve même, est donnée : au moment où, après l’attente nécessaire à l’évacuation par ventilation de ce quelque chose qui tue, - il ouvre la porte. Le commandant SS Kramer, face au gaz toxique, prend soin de sa propre survie.
Les compte-rendus des dépositions de Kramer en 1945-46, je les ai recherchés longuement. D’abord à Ludwigsburg - Zentrale Stelle der Landesjustizverwaltung -, puis à Colmar aux Archives Départementales du Haut Rhin (Archives du tribunal Militaire des Forces Françaises en Allemagne, 3 rue Fleischauer), enfin au Palais de Justice à Paris, où ils étaient déposés à l’occasion d’un débat judiciaire de ce temps, aujourd’hui dépassé. Je les trouve posés au sol, enveloppés de ficelle, et en dénouant les nœuds j’ai le sentiment d’approcher d’un moment de la mémoire nouée. Suis-je à cette date le premier à défaire ces nouages, et à trouver les dépositions rendues en français et en anglais par le soin des traducteurs jurés ? J’en retiens les fragments significatifs, car à cette date l’invention de la photocopie n’est pas faite au point d’être chose courante.
Malheureusement les éditeurs de l’enquête effectuée à la fin des années 1970 en vue de la publication chez Fischer et aux Éditions de Minuit comptaient sur leurs doigts le nombre de pages. Fallait-il que la quantité de pages publiables soit en proportion du nombre des victimes ? Ils vont composer un “compact” des deux dépositions - Strasbourg/Luneburg - dont le doublet leur semblait inutile. Ainsi survient une déposition-robot, compressant en une seule la double “vérité” du menteur.

Mais voici les témoins vivants.
La fille du voiturier, réquisitionné par les SS avec son cheval et qui chaque jour apporte de Natzwiller jusqu’au Struthof ce que l’on exige de lui. En fin de journée d’août 1943 - entre le 9 et le 11 selon les témoins -, il est surpris par un déploiement singulier de troupes. De la fenêtre de son écurie il voit se déployer les SS et survenir un groupe de quinze femmes : elles entrent dans l’Annexe de l’Auberge. Une heure plus tard ce sont des cadavres que l’on porte hors du bâtiment de l’Annexe.
Lui-même demeure jusqu’à la nuit, il ne sortira de l’écurie qu’une fois la nuit tombée, par les chemins de la forêt, sans repasser par la route. Il arrive à Natzwiller vers 11 h du soir, épuisé et hagard. Sa fille de dix huit ans le voit surgir, elle nous décrira l’angoisse et l’horreur qu’il porte sur son visage.
L’autre témoin : le secrétaire de la Mairie à Natzwiller. Cet homme de quatre-vingts ans me rapporte la surprise qu’il a, le lendemain matin du même jour, à voir survenir dans son auberge, au bas de la vallée, le SS en uniforme dont il a dû accepter de recevoir l’épouse et les enfants, deux petites filles, pour les vacances d’été, sur ordre de réquisition. Le SS - en uniforme, chose inhabituelle lorsqu’il descendait jusqu’au village - s’approche de son épouse et lui parle à voix basse, puis repart. Elle se lève et va vers l’évier laver son bol de café : là elle éclate en sanglots, elle s’écrie : “Ils ont passé quinze femmes hier soir dans une Gaskammer.”
Ce mot, il l’entend pour la première fois. C’est son entrée en France par la langue allemande.

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Mais déjà ce mot est vérifié par l’écart déconcertant entre les deux dépositions du commandant SS du Struthof - à Strasbourg et à Luneburg. Au moment même où, en version anglaise et par crainte de la corde, en décembre 45, il donne une narration mensongère de son travail de bourreau - “mon âme trop sensible ne regardait point par les yeux pour éviter de voir les morts” -, au même moment la menteuse narration laisse échapper le vrai : j’écoutais avec soin la ventilation des gaz mortels, avant d’ouvrir la porte. Car la narration n’est pas un décalque du réel. Elle est un acte de vérité. Surtout là où il y a mensonge.
Nous l’entendons ici déborder la consigne impérative, prononcée par le Sturmbannführer SS Rudolf Brandt, quand il écrit au Numéro 2 de la SS, Kaltenbrunner, le 29 mars 1943 : Le Reichsführer SS Himmler vous demande de réunir vos hommes avant les “actions spéciales” d’extermination, et de faire qu’ils s’engagent “à tirer un trait (un Strich) sur leur temps dans les commandos spéciaux” - les Sonderkommandos - “et de ne pas parler de cela, même par allusion**.”

** Bundesarchiv, Dok. Samml. ZstL, Bd I, B1.86. In A. Rückerl, NS Vernichtungslager, dtv 1977, p. 282.

Le Strich ordonné par Himmler sur “une page glorieuse et qui ne sera jamais écrite”, comme il la nomme dans son Discours de Posen du 4 octobre 1943 : - “nous sommes toujours restés corrects envers les animaux, nous le serons aussi à l’égard de ces bêtes humaines”-, le voici surmonté par le lapsus calculé du bourreau, mais aussi par les témoins les plus proches, celui qui a vu, le voiturier Steiner, et celui qui a entendu, le secrétaire de Mairie Flajolet.
Le processus démesuré des assassinats secrets du IIIe Reich est mis à découvert par l’aveu involontaire du SS, confronté à lui-même entre Strasbourg et Luneburg, et le geste libre des témoignages de Natzwiller, le village de la vallée alsacienne sur lequel pèse l’ombre lourde du camp de « Natzweiler-Struthof ». La vérité est faite de ces fragments, dans un terrible champ de fouille.

Juin 2002
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Le procès de Strasbourg : le regard

Sous-dossier : EXÉCUTION DES JUIFS
ORGANISATION DES CAMPS

BOÎTE n°3

Pièce 1806/V/2


Tribunal militaire permanent de la 10e région séant à Strasbourg
L’an 1945, le 26 juillet, à 15 heures.

A répondu se nommer KRAMER Joseph, SS Hauptsturmführer, 39 ans, domicilié à Bergen-Belsen.
« Au cours du mois d’août 1943, j’ai reçu du camp d’Oranienburg ou plutôt du Commandement Suprême SS de Berlin, qui me l’a fait transmettre par le Commandant du camp d’Oranienburg, l’ordre de recevoir environ 80 internés venant d’Auschwitz. Dans la lettre qui accompagnait cet ordre, il était précisé d’avoir à me mettre en relation immédiatement avec le Professeur Hirt, de la Faculté de Médecine de Strasbourg.
« Au début d’août 1943, je reçus donc les 80 internés destinés à être supprimés à l’aide des gaz qui m’avaient été remis par Hirt [sous forme de cristaux]. Je commençai par faire conduire à la chambre à gaz un certain soir vers 9 heures, à l’aide d’une camionnette, une première fois une quinzaine de femmes environ. Je déclarai à ces femmes qu’elles devaient passer dans la chambre à désinfection, et je leur cachai qu’elles devaient être asphyxiées Assisté de quelques SS, je les fis complètement déshabiller et je les poussai dans la chambre à gaz, alors qu’elles étaient toutes nues. Au moment où je fermai la porte, elles se mirent à hurler. J’introduisis, après avoir fermé la porte, une certaine quantité de sels dans un entonnoir placé au-dessous et à droite du regard. En même temps, je versai une certaine quantité d’eau qui, ainsi que les sels, tomba dans l’excavation située à l’intérieur de la chambre à gaz au bas du regard. Puis je fermai l’orifice de l’entonnoir à l’aide d’un robinet qui était adapté dans le bas de cet entonnoir, prolongé lui-même par un tube en métal. Ce tube en métal conduisit les sels et l’eau dans l’excavation intérieure de la chambre, dont je viens de vous parler. J’allumai intérieur de la chambre à l’aide d’un commutateur placé près de l’entonnoir, et observai par le regard extérieur ce qui se passait à l’intérieur de la chambre. Je constatai que ces femmes ont continué à respirer environ une demi minute, puis elles tombèrent à terre. Lorsque j’ouvris la porte après avoir fait en même temps marcher le ventilateur à l’intérieur de la cheminée d’aération je constatai que ces femmes étaient étendues sans vie.
J’ai chargé deux SS infirmiers de transporter ces cadavres dans une camionnette le lendemain matin vers 5 h 1/2, pour qu’ils soient conduits à l’Institut d’Anatomie, ainsi que le Professeur Hirt me l’avait demandé. »

Le procès de Luneburg : l’écoute

French War Crimes Mission
Allied Missions Camp
HQ BRITISCH ARMY 0F THE RHINE PROCÈS-VERBAL D’INFORMATION

Pièce 1806/V/2 bis
Boîte 3

À Lunebourg, le 6 décembre 1945

A comparu KRAMER Joseph, né le 10 novembre 1906 à Munich (Allemagne), profession SS Hauptsturmführer, domicile : Bergen-Belsen.
« Au milieu de 1943 j’ai reçu un ordre par écrit de Berlin d’exécuter les gens qui avaient été envoyés d’Auschwitz et de livrer les restes à l’Institut Anatomique de l’Hôpital Municipal de Strasbourg. Quant au mode d’exécution, j’ai été, selon l’ordre par écrit, obligé de me mettre en rapport avec le Pr d’Anatomie Hirt. Je me rendis donc auprès de ce professeur et je lui fis part des ordres que j’avais reçus. Hirt me donna le conseil d’exécuter les gens par les gaz. Je lui répondis que dans le camp il n’y avait pas encore de chambre à gaz. Hirt me donna alors une bouteille de verre fermée avec de la cire. Dedans il y avait un produit se composant de petits corps blancs semblables à de la soude. Hirt me déclara qu’en y ajoutant de l’eau j’obtiendrai un gaz toxique ; il me donna aussi une indication exacte de la dose. Je lui dis que j’avais à ma disposition l’entrepreneur de bâtiments Untersturmführer Heider, qui m’avait été envoyé d’Oranienbourg. Je faisais alors construire la chambre à gaz par des internés. À quelque temps de là arriva un premier transport de 26 femmes âgées de 20 à 50 ans. Elles demeurèrent 8 jours au camp. Pendant ce temps elles ne furent pas maltraitées et pas mieux nourries que les autres internés. Je n’avais pas quant à ces personnes des instructions spéciales. Après 8 jours d’attente, au milieu d’août 1943, je fis conduire ces femmes à 9 heures du soir à la chambre à gaz. Dans l’antichambre elles furent déshabillées. Je plaçai alors une poignée de ce produit dans le trou aménagé dans le plancher. Je fis entrer les femmes dans la chambre à gaz et fermai la porte. Alors les femmes commencèrent à pleurer et à crier. De dehors je versai de l’eau dans l’entonnoir préparé. L’eau coula par un tuyau muni d’une fermeture dans le trou où se trouvaient les petits grains. Après une demi-minute les cris cessèrent dans la chambre. Je déclare que je n’ai pas par la fenêtre observé la mort, j’étais seulement aux écoutes. Comme il n’y avait plus rien à entendre et que plus rien ne se mouvait, j’ai mis le ventilateur en marche. Pendant ce temps je me trouvais à l’extérieur et je n’ai ni respiré ni senti le gaz. Après 1/4 d’heure j’ai ouvert la porte. Il semblait que la mort s’était déroulée d’une façon normale. Il était à peu près 9 h 30.
« Je n’ai éprouvé aucune émotion en accomplissant ses actes, car j’avais reçu l’ordre d’exécuter, de la façon que j’ai indiquée, les 80 internés. J’ai d’ailleurs été élevé comme cela.

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Le Rapport Hirt : la collection de crânes

Rapport sur l’obtention de crânes de Commissaires bolcheviques juifs
en vue de recherches scientifiques à l’Université allemande de Strasbourg

« II existe d’importantes collections de crânes de presque tous les peuples du monde. Cependant il n’existe que très peu de crânes de la race juive permettant une étude et des conclusions précises. La guerre à l’Est nous fournit une occasion de remédier à cette absence.
« II va suffire que la Wehrmacht remette vivants à la Police du Front (Feldpolizei) tous les Commissaires bolcheviques juifs. »

Professor August Hirt, SS Hauptsturmfiihrer (Capitaine), Directeur de l’Institut d’Anatomie de l’Hôpital Municipal rattaché à « l’Université allemande de Strasbourg » [sous contrôle de la SS].
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« Le Professeur Hirt a seulement pu fournir un Rapport préliminaire, qui concerne [...] la proposition de collection de crânes de Commissaires bolcheviques juifs. »

Wolfram Sievers, SS Standartenführer (Général de Brigade). Directeur de l’Ahnenerbe, Institut d’études sur l’Héritage ancestral, de la SS,
9 février 1942

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« J’ai rendu compte au Reichsführer SS des Rapports du Pr Hirt. ; ces travaux l’ont énormément intéressé. »

Rudolf Brandt, de l’Etat-major personnel du Reichsführer SS Himmler,
27 février 1942

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« Le Reichsführer SS a donné l’ordre de fournir au Pr Hirt tout le matériel nécessaire à son travail de recherche. »

Wolfram Sievers,
2 novembre 1942

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« Le transfert au Camp de concentration de Natzweiler est maintenant impératif, en vue des opérations ultérieures sur les personnes sélectionnées. Vous trouverez ci-incluse une liste contenant le nom des personnes choisies. Je demande l’envoi d’une liste des directives nécessaires à l’occasion du transfert des prisonniers à Natzweiler. En même temps on doit pourvoir à l’installation de trente femmes au camp de concentration de Natzweiler, pour une courte durée. »

Wolfram Sievers,
21 juin 1943

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Au cœur du dispositif SS du Reich nazi, Wolfram Sievers appartient en même temps au cercle idéologique “ésotérique” de Friedrich Hielscher. Cercle qui lui-même circulait, autour du tournant de l’année 1930, dans les groupes précurseurs dits « nationaux-révolutionnaires », dominés par la personnalité intellectuelle d’Ernst Jünger et la personnalité militaire du Capitaine de Vaisseau Ehrhardt, le Kapitän, figure de proue du Putsch de Kapp en 1920, durant lequel est annoncée pour trois jours à Berlin la victoire triomphale de la « Contre-révolution », la Gegenrevolution. Putsch brisé par la grève générale qu’avait appelée la sociale-démocratie.
Durant le procès de Sievers et de son Institut SS de l’
Ahnenerbe, dans l’immédiat après-guerre, Friedrich Hielscher s’efforcera un moment de rassurer sur son sort, par révocation de ses propres “pouvoirs surnaturels”, les membres du “Hielscher Kreis” (réunis autour de 1930 par la revue « Das Reich »). La condamnation capitale de Sievers va marquer alors la fin d’une mythologie persistante et redoutable.
On verra pourtant resurgir en France, dans les années 60-70, des groupes “nationaux-révolutionnaires”.
Ils iront se fondre dans un plus vaste gouffre de l’extrême-droite.

J.P.F.

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Pièces annexes

Camp de « Natzweiler - Struthof »

Témoignage 1

Marianne FLUCK. née STEINER, fille de Léopotd STEINER, de Natzwiller.

« J’avais seize, dix-sept ans, lorsque mon père rencontra dans un café de Natzwiller un militaire allemand, de la Wehrmacht, qui racontait sa guerre en 1914-1918 sur 1e front d’Orient. Mon père, à la table voisine, a été frappé de découvrir qu’il était alors dans 1e même régiment et c’est ainsi que la conversation s’est établie, par des “souvenirs de régiment” - c’était l’époque où 1’Alsace était annexée.
« Mon père cherchait alors du travail. Quelque temps après, l’autre est venu le trouver, ayant appris qu’il disposait d’une mule et d’une voiture, en lui proposant de travailler “en haut”. Cet “en haut” n’était pas 1e camp de “Naweiler-Struthof”, mais au lieu dit “L’Auberge du Struthof”, qui se compose alors de l’auberge elle-même, de l’annexe située en face, d’une écurie de l’autre côté de la route, et de quelques baraquements [1]. Son travail consistait à “voiturer” toutes sortes de choses entre l’auberge et 1e village - mais aussi entre l’auberge et le camp du haut, fermé par la seconde enceinte, tout à fait stricte. Peu à peu il a commencé à monter du pain pour les déportés, que nous mettions de côté avec ma mère, des gâteaux que je faisais avec ma mère, et même des chats que nous attrapions pour cela. J’ai même monté le gros chien méchant du restaurant de Natzwiller... Je montais, avec son casse-croûte, des provisions pour les prisonniers. Je me suis liée d’amitié avec un groupe de Luxembourgeois qui étaient “prisonniers d’honneur” et avaient le droit de circuler entre les deux “enceintes” - celle qui gardait la route au-dessous de l’auberge (et que je traversais) et celle qui enfermait le camp. Sur leur demande, je suis allée dans leur village du Luxembourg, par les trains, en changeant à Strasbourg et à Metz et en prenant des billets de petite distance pour ne pas qu’on me repère. Je portais dans mon corsage des lettres et des dessins. Dans le train, au Luxembourg, je parlais allemand : les gens m’ont traitée de “boche”, j’ai essayé le français, mais personne ne me comprenait. Je suis arrivée à la première adresse, il faisait nuit noire, et je ne pouvais pas lire l’adresse, quelqu’un m’a éclairée avec une lampe de poche et m’a conduite à l’adresse indiquée. J’ai sonné, on m’a ouvert avec méfiance. Quand j’ai dit que je venais de la part de leur fils, les visages se sont fermés et on m’a dit qu’il était mort. Je me suis mise à pleurer et j’ai sorti de mon corsage les lettres et les dessins. Ils m’ont embrassée, on est allé chercher les autres familles, j’ai appris que les garçons faisaient partie du même mouvement de Résistance, et que leurs familles n’avaient plus de nouvelles depuis leur arrestation. Ils m’avaient prise d’abord pour une provocatrice. Maintenant ils me présentaient comme une parente, pour que les occupants ne me remarquent pas, je suis même allée à un mariage. Puis je suis vite rentrée, pour que mes parents ne s’inquiètent pas.

[1] Ceux du camp, actuellement détruits.

Ces Luxembourgeois, au moment de la Libération, dormaient dans des châlits sur les couvercles refermés, des cuves, dont eux disent qu’à leur connaissance elles n’ont jamais servi. L’un des Luxembourgeois est resté un ami [2].

[2] Madame Fluck a rappelé au téléphone le lendemain, pour préciser que l’ami luxembourgeois serait tout disposé à répondre à une intervieew. Elle ajoutait : « Témoignez- le bien.

« Un après-midi, mon père a appris qu’il se préparait “quelque chose”. Il remarquait beaucoup d’allées et venues. Il décida de rester dans l’écurie d’où, en montant sur un tabouret, il pouvait voir, par une petite fenêtre élevée, ce qui se passait devant l’auberge et devant l’Annexe de l’Auberge.
« Il vit arriver un camion, que les soldats allemands appelaient la “Mina”. Du camion ont sauté des femmes, devant 1’annexe. L’une d’elles s’est précipitée sur l’officier qui contrôlait, elle criait, mais mon père n’a pas entendu les paroles, et l’officier l’a abattue d’un coup de revolver. Les autres ont été poussées dans l’annexe. Mon père était saisi d’horreur et continuait à attendre. Au bout d’un certain temps, il a vu qu’on sortait les cadavres et qu’on en remplissait le camion.
« Mon père connaissait le chauffeur, je vous en parlerai ensuite.
« Il est resté dans l’écurie jusqu’à la nuit, comprenant que s’il était soupçonné d’avoir vu tout cela. il serait aussi abattu. Il a attendu la nuit noire et il est sorti avec précaution, par les côtés, pour ne pas être remarqué. II est rentré très tard, ma mère et moi nous étions très inquiètes. Il a éclaté en larmes et nous a tout raconté.
« Quand mon père a reçu une convocation au procès des SS à Metz, après la Libération, je répondis pour lui qu’il ne pouvait y aller, à cause de la récolte. Nous étions en train de faire les foins, lorsque les gendarmes sont venu le chercher en voiture, puis en train, jusqu’à Metz, la Justice n’acceptant pas cette excuse pour ne pas témoigner. Quand il est entré dans la salle, il y eu un brouhaha qui l’a d’abord effrayé, mais qui venait des déportés présents dans la salle, qui 1e reconnaissaient, et qui étaient heureux de le voir venir. Lorsqu’il vit comparaître le conducteur de la “Mina” qui disait ne rien savoir, mon père l’a interpellé en lui disant : “Pourquoi ne dis-tu pas ce que tu m’as dit toi-même avoir vu, quand tu conduisais les cadavres à Strasbourg à l’Institut médico-légal ?” Il a alors reconnu ce fait.
« Après la Libération, mon père était amer, parce que les FFI sont venus perquisitionner chez nous et ils ont piqué dans le foin, où ils ont trouvé ce qui lui avait été confié par des déportés pour être remis à leurs familles : surtout les Carnets du Général Frère, et des croquis, des dessins, des objets en bois sculpté. Ces objets et carnets ont été donnés au musée, sans qu’on indique qu’ils avaient été sauvés par mon père.

Natzwiller, le 5 septembre 1986
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Témoignage de *****
Secrétaire de la Mairie de Natzwiller

Le 12 septembre 1940 est venue de Molsheim une commission des troupes d’occupation. Avec a sa tête le Kommissar (1’équivalent d’un Sous-Préfet). Ils sont allés voir la carrière de granit, ils nous ont dit : “Demain on viendra vous chercher.” C’était un SS en civil.
On est venu nous chercher à 10 heures le matin et on est rentrés à la nuit. Le Maire m’avait dit : “Tu viens avec moi pour que je ne sois pas tout seul.” Ils voulaient que le Maire vende le terrain de la carrière, tout de suite. Le Maire a refusé. Et ils ont trouvé la solution : louer d’abord, et acheter ensuite. Déjà, avant 1914, les Allemands savaient qu’il y avait 1à du granit.
Le 23 septembre, ils ont commencé à faire des recherches dans la carrière de granit. Devant 1’“Auberge du Struthof”, 1e bâtiment de la future chambre à gaz a été construit quand j’avais dix ou douze ans (vers 1912-1914). II y avait 1à une piste de luge d’un km de long. L’Auberge a fait construire cette salle pour le casse-croûte des lugeurs. Après la Première Guerre, mais 1e dimanche seulement, la jeunesse y faisait 1a fête. Là ils ont construit ta chambre à gaz, à l’intérieur.
Le carrelage a dû être mis en même temps. Mais au début les morts du camp étaient transportés au crématoire de Strasbourg, par camionnette [1].

[1] Déportés politiques allemands, des marins de Kiel. La date probable semble être le 19 mais 1941.

Les premiers déportés sont arrivés 1e samedi de Pentecôte 1941. Le lundi déjà ils sont venus me chercher pour constater un décès.
Un jour il y eut une réunion à Rothau. Et on nous a emmenés là-haut : c’était 1e SS Blumberg. Quand on est arrivés 1à-haut, il y avait déjà deux baraques construites, dans 1e camp. J’ai vu des tables où des dessinateurs, des “intellectuels” - des déportés - dessinaient des plans.
C’était 1e 18 mars 1942 : ils nous emmenaient 1à, 1e Maire, les ingénieurs du Génie Rural, des Ponts et Chaussées, des Eaux et Forêts, et moi-même comme Secrétaire de Mairie, parce qu’ils voulaient montrer 1e tracé de la nouvelle route aux Ponts et Chaussées.
Il était interdit de passer par la petite route qui va vers l’Auberge. Là, 1e gérant, Kiefer, avait dû partir, dès le 1er mars 1941. Mais le fermier, dans la ferme d’à côté, avait refusé de partir, Ernest Idoux. Il a témoigné, plus tard. Le voiturier, Steiner, a témoigné aussi.
Chez moi, en bas, à Natzwiller, notre maison était encore une auberge-restaurant. En août 1943 un des officiers SS, Mochner, est venu nous dire qu’il voulait que sa femme vienne passer huit jours de vacances chez nous avec ses deux enfants. Elle est donc restée ici, du 10 au 20 août 1943.
Un matin 1e SS Wochner est arrivé en uniforme. D’habitude il ne venait chez nous qu’en vêtements civils. Mais il n’était pas rentré la veille au soir, 11 août, il était resté “là-haut”. Il est venu parler un instant à sa femme.
Quand il est reparti, cette femme a dit en pleurant à ma femme : “Ils ont passé des femmes dans une Gaz Kammer.”
Cela se passait dans la pièce où nous sommes, en ce moment. C’était la salle à manger.
M. Ernest Idoux a entendu crier les femmes, 1e 11 août au soir. Leopold Steiner, 1e voiturier, s’était caché dans la baraque du cheval : entre les planches il a pu voir, caché dans 1e foin : les femmes [dix-huit ?] ont été déchargées du camion. La première s’est agrippée à Kramer et a été abattue.
Magnus Wochner était Inspecteur de Police à Stuttgart. Il a été arrêté à Rothweiler, et condamné à dix ans de prison [par les tribunaux anglais]. Il a été emprisonné à Metz, à Strasbourg, et àWerl.
Le Maire était également là-haut, quand ils ont fusillé les jeunes Alsaciens incorporés de force, qu’ils ont descendus sur un Schlitt jusqu’au crématoire d’en haut. C’étaient des “Malgré-nous” qui avaient été pris au Ballerdorf près d’Altkirch, dans le Sundgau, le “Haut-Rhin”. Un homme de Bernardswiller, qui devait livrer du vin là-haut, avait demandé au Maire de 1’accompagner.

Témoignage du 30 août 1982,
confirmé le 2 novembre 1982

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TÉMOIGNAGES COMPLÉMENTAIRES

Témoignage de Magnus Wocher

“I mention also in particular the executions of about 90 prisoners (60 men and 30 women) of Jewrsh race which according to my memory took place in the Spring of 1944, by gaz. In this case the corpse were sent to Professor HIRT at the Anatomy (by) Strassbourg [sic] and placed at his disposal.”

(Signed : Magnus Wochner)

Sworn before me, Major B.A. Barkwoth, detailed by C. In. C British Army of the Rhine at Geggenau, Germany on 21st April I946.
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“Ich erwähne auch im Besonderen die Hinrichtungen von ungefähr 90 Gefangenen (60 Männer und 30 Frauen) jüdischer Rasse, die, soweit ich mich entsinnen kann, im Frühjahr 1944 durch « GAS » stattfand. In diesem Falle wurden die Leichen zu Professor HIRT in die Anatomy nach Strassburg geschickt und ihm zur Verfügung gestellt.”

[Notons au passage les défaillances de mémoire de Magnus Wochner, quant aux dates : elles attestent 1’indépendance de son récit.]
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La consigne du silence absolu : déposition Wochner

“[...] I was forbidden to start any files on these prisoners or to register or to report their death.”

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“[...] Da es mir verboten war, Akten von diesen Gefangenen anzulegen oder ihren Tod zu registrieren oder zu melden.”

Documents communiqués par la ZENTRALE STELLE DER LANDESJUSTIZ VERWALTUNGEN, Ludwigsburg 714, par les soins de Willi Dresden (Militär-gerichtsprozess JAG 241 gegen Wochner.)

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La déposition de JOSEF KRAMER faite à Luneburg
[en zone d’occupation britannique]
le 6 décembre 1945 en présence du capitaine Paul André

Au milieu de 1943, je reçus de Berlin, un ordre, par écrit, d’exécuter les gens qui avaient été envoyés d’Auschwitz, et de livrer les restes à l’Institut Anatomique de l’Hôpital municipal de Strabburg.
Quant au mode d’exécution, j’ai été, selon l’ordre par écrit, obligé de me mettre en rapport avec le professeur d’anatomie Hirt. Je me rendis donc auprès de ce professeur et lui faisais part des ordres que j’avais reçus. Hirt me donna le conseil d’exécuter les gens par les gaz. Je lui répondis que, dans le camp, il n’y avait pas encore de chambres à gaz. [Mauvaise traduction. En fait Kramer dit : “Je répondis que dans le camp il n’y avait ni chambre à gaz, ni gaz.”]
Hirt me donna alors une bouteille de verre fermée avec de la cire [donc au contenu hydrophile]. Dedans il y avait un produit se constituant de petits corps blancs, semblables à de la soude. Hirt me déclara que, en y ajoutant de l’eau, j’obtiendrais un gaz toxique. Il me donnait aussi une indication exacte de la dose. Je lui disais que j’avais à ma disposition le directeur des constructions [Bauleiter] Untersturmführer Heider qui m’avait été envoyé d’Oranienburg.
Je faisais alors construire [en réalité, simplement aménager] la chambre à gaz par les détenus.
À quelque temps de là, arriva un premier transport de 26 [ou plutôt de 30] femmes âgées de 20 à 50 ans. Elles demeurèrent 8 jours au camp. Pendant ce temps, elles ne furent pas maltraitées et pas mieux nourries que les autres détenus. Je n’avais, quant à ces personnes, pas d instructions spéciales. Après 8 jours d’attente, au milieu d’août 1943 [semaine du 7 au I4], je faisais conduire ces femmes, à 9 heures du soir, à la chambre à gaz. Dans l’antichambre, elles furent déshabillées.
Je plaçais alors une poignée de produits dans le trou aménagé dans le plancher [où se trouvait un petit bac en porcelaine]. Je faisais entrer les femmes dans la chambre à gaz et fermais la porte. Alors, les femmes commencèrent à pleurer et à crier. De dehors, je versais de l’eau dans l’entonnoir préparé. Cette eau coula par un tuyau muni d’une fermeture dans le trou où se
trouvaient les petits grains. Après une demi-minute, les cris cessèrent dans la chambre. Je déclare que je n’ai pas, par la fenêtre, observé la mort. J’étais seulement aux écoutes. Comme il n’y avait plus rien à entendre et que plus rien ne se mouvait, j’ai mis le ventilateur en marche. Pendant ce temps, je me trouvais à l’extérieur et je n’ai ni respiré ni senti le gaz. Après un quart d’heure. j’ai ouvert la porte. Il semblait que la mort s’était déroulée d’une façon normale. Seulement 3 ou 4 n’avaient pu tenir leurs selles. Il était à peu près 9 heures 30.
Le matin suivant, à 5 h 30, je faisais conduire les corps à Strabburg dans un camion revêtu d’une bâche. Cette façon était choisie afin que personne ne puisse être tenu au courant de ce qui s’était passé. Car j’étais contraint au secret le plus strict. Je nie avoir abattu qui que ce soit, prisonniers ou détenus. À cette exécution, ont assisté 4 SS dont je connais le nom d’un seul, celui du Lagerführer Zeus [Wolfgang Seuss]. Le Stabscharführer Hans Jung n’y assistait pas. Je nie avoir tenu un discours. Hirt n’était pas présent. Il vint en tout 2 ou 3 fois au Struthof, en visite personnelle, sans rapport avec l’exécution.
À quelques temps de là, un deuxième transport arriva au Struthof, venant d’Auschwitz, composé seulement d’hommes. Huit jours après, ils étaient exécutés de la même façon. Deux ou trois semaines après, les 30 hommes d’un transport qui demeurèrent dix jours au camp furent également asphyxiés.

[Josef Kramer attribue à tort un intervalle de temps entre les “passages” - arrivée, séjour au camp et gazage confondus - des convois alors que, même si leurs arrivées furent probablement échelonnées ainsi que leurs gazages, les futures victimes étaient toutes rassemblées au Struthof au début de la semaine du 7 au 14 août 1943. Cinquante-sept hommes furent tués dans celle du 14 au 21].

Je nie, qu’après l’exécution, les SS aient bu. C’était toujours les mêmes SS qui assistaient aux exécutions. Le professeur me nomma le gaz ; j’ai oublié son nom. Mais je pourrais reconnaître les grains si on me les présentait.
Le professeur Hirt vint seulement deux ou trois fois dans le camp. Il ne demeurait jamais plus longtemps qu’une heure. Je connaissais les médecins du camp. Je ne sais pas s’il [Hirt] était en correspondance avec eux.
...
Les 86 corps qui ont été fournis à l’hôpital municipal de Strabburg étaient tous juifs. Je pouvais constater ce fait selon une liste nominative qu’il s’agissait d’habitants du Sud-Est de l’Europe.

[La traduction trop littérale de ce texte le rend gauche et pesant.]

[Documents 157 pour le texte allemand, et 158 pour celui en français présenté ci-dessus.
II existe une copie du 158 dans le document 1806 V 2 bis]

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Témoignage du Dr Adélaïde HAUTVAL

Le Docteur A. HAUTVAL, détenue à Auschwitz depuis le 24 janvier 1943, avait été envoyée au Block 10, où le médecin SS CLAUBERG voulait l’obliger à l’aider pour ses expériences de stérilisation sur de jeunes juives.
Voici ce qu’elle a noté, parmi ses souvenirs de captivité, en 45/46, concernant le cas des femmes du Block 10, transférées au Struthof. Voici cet extrait :


“En mai/juin 43 surgit un nouveau protagoniste des théories raciales. Il fit le choix de son matériel en faisant défiler des femmes nues, de tout âge : il voulait faire de l’anthropométrie, mais il voulait surtout - pensions-nous - se mettre à l’abri du front, sous couvert de recherches scientifiques d’importance primordiale pour l’avenir du Reich. Il fit prendre à l’infini les mesures de toutes les parties du corps. On nota toutes les particularités.
Un jour on leur fit savoir qu’elles avaient une chance extraordinaire d’avoir été choisies, qu’elles quitteraient Auschwitz pour aller dans un excellent camp quelque part en Allemagne. Elles le crurent, trop heureuses de quitter cet enfer et la perspective constante des fours crématoires. C’est avec joie qu’elles nous firent leurs adieux. Personne n’eut le courage de les détromper - à quoi bon ? -, d’autant plus que personne ne savait quelque chose de précis. Mais notre conviction était faite : bientôt, dans un musée du Grand Reich, elles allaient servir de témoins empaillés d’une race indigne de vivre, anéantie grâce aux mesures judicieuses prises par le national-socialisme. Nous n’entendîmes plus jamais parler d’elles.”


[Ces femmes étaient environ une vingtaine, disons entre 10 et 20.]



                             

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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