© Micheline Weinstein
29
octobre-2 novembre 2008
Françoise Dolto
Le
6 novembre 2008 ne sera pas seulement le centième
anniversaire de naissance de Françoise
Dolto, ce sera également, dépassé
de deux mois - 25 août 1988 -, le vingtième
anniversaire de sa mort.
Il
est difficile de comprendre la polémique
opiniâtre, peu élégante, dans
la presse écrite, reprise par l’ensemble
des médias, déclenchée par
les commémorations et manifestations médiatiques
liées à ces dates.
Étrangement,
cette polémique se trouve menée
exclusivement par des auteurs masculins, via leurs
publications.
Nous
aurions souhaité un peu plus de retenue,
pour ne pas aller jusqu’au mot “respect”,
qui semble bien désuet en ces temps, après
qu’il eût été essoré
de son sens.
Est-ce
affaire de concurrence mercantile des milieux
éditoriaux, histoire de faire de l’argent
avec ce qui s’apparenterait à des racontars,
par définition non-documentés.
Ah
! La rumeur... la calomnie... ! Ainsi sont-elles
généralement dans les couloirs menant
aux basses arrières-salles...
Est-ce
affaire de concurrence entre “lobbies”
psychiatriques, pédagogiques, idéologiques,
para-psychologiques et affiliés culturels
?
Nous
serions tentés de répondre, devant
cet étalage : “Si vous n’aimez pas Dolto, c’est
votre entière liberté, usez-en à
loisir, à condition de la garder, décemment,
pour vous. Ne vous acharnez pas à vouloir
priver autrui de l’apport de F. D. à la
psychanalyse, absolument singulier, basé,
ce qui est loin d’être le cas de ses dépréciateurs,
sur une solide connaissance de Freud.”
Cela
n’a aucune sorte d’intérêt pour personne.
Cela
est vulgaire.
Quoiqu’il
en soit, le titre générique le plus
souvent entendu et lu de la polémique actuelle
est : « La fin de l’Enfant-Roi », “enfant-roi”, dont on attribue la
maternité dommageable aux théories
et aux pratiques de Françoise Dolto, laquelle
n’est plus là pour faire face à
cette impensable contre-vérité.
À
y bien réfléchir, cette entreprise
de démolition semblerait être de
même nature que le sont les thèses
révisionnistes, telles que nous les évoquerons
un peu plus loin, à partir du dialogue
entre Françoise Dolto, le 30 décembre
1987, huit mois avant qu’elle ne nous quitte pour
aller visiter l’autre monde, et Jean-Jacques Moscovitz,
au sujet du film de Lanzmann, Shoah, dialogue que j’avais enregistré et que
j’ai publié, dont le titre est
Dialogue,
dont nous aurions attendu qu’il ouvre sur un débat
public, lequel n’a jamais pu avoir lieu, il n’intéressait
pas grand-monde.
Dialogue émouvant entre chaque locuteur
: Françoise Dolto, d’une tonicité
incroyable, faisant fi d’une insuffisance respiratoire
; Jean-Jacques Moscovitz, rendant un hommage bouleversé
aux “siens” en même temps qu’à
chaque Juif, femme ou homme, disparu.
Dialogue,
qui sera évoqué dans la seconde
partie de ce texte, avant de donner lieu, enfin, nous l’espérons, à une analyse
critique.
Car
une saine critique, de haut-vol, claire dans le
ciel, au delà des nuages atteints par les
scories du monde moderne : oui.
Mais
une polémique qui se distingue par sa “basseur”
de vues, autrement dit, basée sur une ignorance
délibérée : non.
« La psychanalyse nous enseigne qu’il n’y a
ni bien ni mal pour l’inconscient »
Me
tenant assez éloignée de ces choses,
je n’ai que peu lu la presse actuelle. Je ne retiendrai,
au sujet de l’“Enfant-Roi” attribué,
“dans son dos”, à Françoise
Dolto, que le long dossier, traité honnêtement,
si l’on tient compte des informations partielles
dont il dispose, par « Le Figaro Magazine
».
À
ceci près : dans cet hebdomadaire, les
revendications de l’“enfant-roi” sont
illustrées par la reproduction de la photo
d’un môme prêt à foncer sur
tout ce qui bouge si l’on n’accède pas
à ses désirs.
Or,
s’agit-il ici de l’“enfant-roi” de
madame et de monsieur toutlemonde, ou plutôt, sur cette photo, d’un enfant
autiste
? Pour qui travaille ou a travaillé auprès
de ces enfants, l’expression de ses yeux, de sa
bouche, de ses mains, ne trompe guère.
De
même, autre photo, le gamin, marchant seul
sur un caillouteux chemin de chèvres, dans
les Cévennes, que l’on reconnaît
nettement à leurs touffus petits chênes
verts.
Il
est à remarquer qu’étrangement,
dans cette polémique, de par les médias
en général, la réussite époustouflante,
incontestable et incontestée, de Françoise
Dolto auprès des enfants autistes - et
de leurs parents - n’est pas abordée.
Quelle
analyste de premier ordre, préoccupée
par le destin de “ces enfants-là”
- ayons au passage une pensée pour Maud
Mannoni -, ne trouvant ni dans les séminaires,
ni chez leurs “contrôleurs”,
d’intérêt à coltiner leur
pratique privée,
non rentable - une séance avec un enfant
est la plupart du temps assez longue -, à
l’énigme des enfants dits “autistes,
mutiques, schizophrènes... ”, n’a-elle
pas trouvé auprès de Françoise
Dolto, le frayage clinique, la voie d’accès
permettant de leur offrir une vie possible, parmi
les humains, les sauvant ainsi d’un enfermement
inéluctable dans l’une ou l’autre institution
psychiatrique, après qu’ils eurent été
- et le sont toujours -, trimballés, en
toute inefficacité, dans divers CMPP, où
les jeunes “psys” débutants
ne sont pas préparés à les
aider et restent inopérants.
Quitte
ensuite, pour l’analyste enseignée par
F. D., à poursuivre seule sa route, nationale
ou/et internationale, vers un plus de savoir encore.
F. D., comme font les parents soucieux de la prise
d’autonomie de leurs enfants, ne manquait jamais
d’inciter les analystes à aller se nourrir
d’expériences autres.
Or
ces “enfants-là”, devenus adultes
existent, bien vivants aujourd’hui. Même
s’ils ne parlent toujours pas énormément
- pour dire quoi et à qui ? -, voire pas
du tout, il n’est pas rare de rencontrer parmi
eux musiciens, comédiens, peintres, artisans...
Lancer
une polémique à partir des seuls
enregistrements d’émissions radio-diffusés
de vulgarisation, ça ne fait pas très sérieux,
ce n’est pas très “classe”,
ça ratisse assez bas.
Il
est possible, par contre, d’engager une réflexion
critique, basée sur une solide connaissance
de la pratique de F. D. et à défaut,
pour les plus jeunes, de son œuvre.
Que
Françoise Dolto ait dispensé un
enseignement sur les ondes, a certes permis, pour
ne prendre qu’un exemple, aux parents de considérer
l’enfant comme “une personne” à
part entière et non comme un objet, adorable
pour autant qu’il est bébé, qu’il
n’a pas encore l’usage de la parole - qu’illustrent
les portraits fabuleux de la Vierge à l’Enfant
-, mais devenu gênant, voire exaspérant,
dès qu’il se manifeste en tant qu’être
humain sexué désirant, “doué
de parole”.
François
Perrier résumait ainsi la référence
incontournable qu’incarnait Françoise Dolto :
“
C’est toujours à elle qu’on s’adresse quand on
s’aperçoit que quelque chose du côté
du corps n’a pas encore été théorisé.
Il faudrait retravailler Dolto au-delà
du cas Dominique, au-delà de tout ça.
Enfin, c’est toujours à elle qu’on s’adresse,
et on s’adresse en même temps à une
femme. Si je voulais caractériser le style
de Dolto dans ses thérapies et analyses
d’enfants, je dirais qu’elle est toujours dans
la métaphore, ce qui permet en effet aux petits enfants, non pas d’avoir
un corps pour remettre en jeu cette question,
mais pour ne pas être eus par leurcorps.”
Mais
que F. D. ait prodigué des “conseils”,
des séances publiques, radiophoniques,
à qui se précipitait pour les entendre,
[me] semblait peu compatible, ni avec la pratique,
ni avec la théorie analytique, en ce que,
exactement comme dans le monde universitaire ou
le monde culturel en général, ils
évacuent, de fait, par définition,
l’inconscient, autrement dit la psychanalyse en soi, qu’ils sont censés transmettre.
Cet
aspect, le résultat, le danger de ces émissions
publiques, Stéphane Clerget les relève
avec justesse dans « Le Figaro Magazine
»,
...les parents oublient souvent d’être des parents
et se transforment en psys de leurs enfants :
ils prennent ici ou là des recettes, des
trucs qu’ils appliquent sans être toujours
naturels ou cohérents [...] ils disputent
leur enfant puis font machine arrière,
parce qu’ils ont lu que ça ne se faisait
pas et ils s’excusent. Ou ils discutaillent à
propos de tout avec leurs enfants.
La
psychanalyse c’est, cela ne peut être, qu’un
espace absolument, impérativement privé, c’est-à-dire un cabinet de travail pourvu d’un divan et d’un
fauteuil, de la présence d’un/e analysant/e
et d’un/e analyste, aménagé différemment
à l’intention des enfants. De plus, ces
parents auditeurs, ces mères plus particulièrement, qu’évoque Stéphane
Clerget, ce sont plutôt dans les milieux
assez aisés, que l’on désigne aujourd’hui
par “bobos”, férus d’un certain
snobisme “psy” qu’on les trouve [cf.
Freud, « XXXIVe Conférence
sur la Psychanalyse / 1932 • Précisions,
orientations, applications »],
Il
m’est toujours apparu que l’intention généreuse
de Françoise Dolto, acceptant ainsi de
livrer sans filet son savoir au public, émanait,
tout comme sœur Emmanuelle - son livre, quel
courage ! - de son arrimage Chrétien :
“faire le bien”.
Seulement,
pour aller au plus bref, une telle idéologie
ne prend pas suffisamment en compte, me semble-t-il,
ce que Freud nommait, ce que la psychanalyse nomme
depuis, “Le narcissisme des petites différences”, la haine / amour des proches entre eux, la haine
/ amour de soi, la haine sans amour de l’autre,
la haine tout court, lesquels échappent
irréductiblement à toute forme de
désir, voire souvent de réalisation,
de “faire le bien”.
Narcissisme
des petites différences,
qui oblige à s’en remettre à la
Loi, symbolique aussi bien que réelle,
cette dernière souvent bancale, mais indispensable
aux humains pour qu’ils évitent de s’entretuer
et respectent, par le langage, la parole donnée,
un minimum de “civilisation”.
Dans
le dialogue avec Jean-Jacques Moscovitz au sujet
de Shoah, c’est-à-dire lors d’un échange
amical, F. D. évoque avec assez de précision
ce narcissisme des petites différences,
prenant appui sur Freud quant à la spécificité
individuelle de l’inconscient de chaque sujet,
par rapport à ce qui est d’un autre “ordre”,
aux “mailles” du collectif dans lesquelles
le sujet est pris, via la notion de solidarité,
...les
victimes, on ne peut pas en parler. Les familles
des victimes, ceux qui ne sont pas les victimés,
c’est ceux-là qui souffrent le plus
de ne pas avoir pu aider leurs latéraux
ou leurs ascendants. Parce que, justement, c’est
ce côté d’entraide - son frère
c’est une partie de soi, sa mère,
son père, c’est une partie de soi.
Même si, dans la libido individuelle,
on s’entredéchire, dès que
c’est en public, le groupe se reforme...
Et
puis, quoi qu’on en dise et redise, l’histoire
recommence à l’identique car les pulsions
humaines sont éternelles, puisqu’invariantes,
dès la paix revenue... Les “Israélites”
français, français d’abord, israélites
ensuite depuis l’Affaire Dreyfus, natifs pour
la plupart de l’Alsace encore allemande, ayant
essaimé principalement dans la capitale
et dans le sud de la France pour cause d’antisémitisme,
la guerre finie, rejoignirent leur caste, leur
classe, leur “famille”, “les
leurs”, avec leurs dissensions internes,
retrouvant intact un mépris à peine
dissimulé pour la piétaille juive
d’Europe Centrale, dont ils avaient, un moment,
contribué à essayer de sauver de
l’extermination les orphelins sans apanage...
Ainsi va la vie...
Et
sur ce point, F. D. témoigne d’une naïveté
désarmante lorsque, dans ce même
entretien, elle attribue à “Les Juifs”
une “convivialité” congénérique
!
Alors,
la Loi, parlons-en, puisque Françoise Dolto
est maintenant suspectée de l’avoir confiée
aux seuls enfants, aux enfants “qui font
la loi”, d’avoir poussé à
l’anarchie.
Au
cours du soixantehuitâge, fut envisagée
une proposition de loi gouvernementale, portant
sur le primaire dans l’Education Nationale, destinée
à accroître l’autorité, assez
chahutée, des directeurs d’écoles.
Dolto,
interrogée dans « Libération
» de l’époque, avait appuyé
cette initiative, l’argumentant avec précision,
justement pour, selon elle, restaurer une autorité
symbolique - disons... une figure de proue -, seule capable
de restituer aux enfants un cadre éducatif
structurant, lequel menaçait alors de tourner
à vau-l’eau.
Tout
une partie du monde médiatique lui est
tombée dessus : “réactionnaire,
pétainiste, de droite, has-been... !” Que l’on soit ou non d’accord avec son point
de vue, les invectives, émanant d’intellectuels
écoutés, “psy[analyste]s”
inclus, frôlaient davantage des oukases
relevant d’une idéologie stalinienne que
de la magnifique aventure des « Enfants
de Barbiana »
en Italie, de « Blueberry » à Brooklyn, et quelques autres, exemplaires, en Amérique
du Sud, en Angleterre...
Ces
invectives ne l’ont d’ailleurs pas émue.
Dolto était une “grande” analyste,
qui savait paisiblement, sans en être accablée,
accuser les coups de transfert, violents, brutaux,
infantiles.
Leurs
mômes ont-ils été élevés
en “Enfants-Rois” par leurs mères,
tassées dans les cocottes-minutes que sont
les HLM des banlieues dites “défavorisées”,
auxquelles manquait majoritairement la langue
française, lesquelles n’écoutaient
certainement pas les émissions de Françoise
Dolto, produites par Jacques Pradel sur France-Inter
? Éduqués en “Enfants-Rois”
par les enseignants, qui refusent le rôle
de policiers, mués, encore aujourd’hui,
en assistantes sociales, infirmières, éducateurs
de rues, exsangues dont certains, bien que croyants,
n’avaient [n’ont] probablement pas le temps de
lire « L’Évangile au risque de la
Psychanalyse », ou alors laïcs, d’assister
au « Séminaire de psychanalyse d’enfants
» ou enfin d’écouter « Lorsque
l’enfant paraît » à la radio
?
Sont-ils
devenus “Adultes-Rois”, ceux qui,
enfants, sont passés, en privé par
la rue St Jacques, en consultation
à l’hôpital des Enfants-Malades,
à l’hôpital Trousseau, où
F. D. ne recevait d’ailleurs pas d’honoraires.
Ça se saurait...
ø
La
loi symbolique, les permis, les interdits (“Tu
ne tueras point” par exemple !), indispensables
à l’enfant pour la structuration de son
psychisme, Françoise Dolto n’a cessé
de la lui transmettre.
D’ailleurs,
les “psys” qui assistaient, en foule
compacte, à ses séminaires, qu’elle
avait, longtemps, eu le tort, comme pour les émissions
de radio, de laisser ouverts librement, devraient
être plus nombreux à en témoigner
aujourd’hui, en ces temps de démolissage
de sa personne et de son œuvre. Seule quelques
psychanalystes femmes, suffisamment introduites
dans les médias, le font énergiquement.
Seulement
transmettre les codes d’accès à
la loi aux enfants, c’est, pour les parents et
les éducateurs un énorme travail
de patience.
Je
ne plagierai pas ici Françoise Dolto sur
cette question, il suffit de se reporter à
son œuvre, non de vulgarisation, mais théorique
et clinique.
Outre
les enfants devenus adultes, passés par
la rue St Jacques, les adultes parents
ayant été en analyse ou / et, pour
les psychanalystes, en contrôle avec Dolto,
il suffit de parler, aujourd’hui-même, lorsque
l’on attend son tour devant une caisse de supermarché,
avec une gamine ou un gamin, encore dans sa poussette,
dont la mère pratique ou a pratiqué
un certain temps, avec eux, « La Maison
Verte » dans le XVe Arrt,
pour témoigner de l’inscription de la loi
symbolique dans leur psyché, constater
leur épanouissement, leur joie de vivre,
de jouer, de parler, de penser, d’observer, en
même temps que leur degré de maturation,
leur sérénité.
La
très jeune mère de l’un d’entre
eux, un jour, m’a confié que, pour que
son bébé, avec qui je discutais
ferme - on riait aux éclats tous les deux
-, puisse bénéficier de «
La Maison Verte », elle, son mari et l’enfant,
vivaient dans une chambre de 12m2,
où ils avaient installé un paravent
pour ménager leur espace privé,
distinct de celui du gamin. Et pour éviter
le risque de conflits entre adultes empilés
les uns sur les autres, le père, “Black”,
travaillait la nuit - vigile ou n’importe quoi
du genre -, la mère, “White”,
travaillait le jour comme vendeuse dans un magasin
de “fringues”. Ils espéraient
un printemps des parents pas trop éloigné
pour emménager plus vaste... Ils s’aiment
beaucoup.
ø
Et
puisque nous abordons cette question de la Loi,
abordons maintenant le commandement : “Tu
ne tueras point”, à partir de ce
dialogue au sujet de Shoah, entre Françoise Dolto et Jean-Jacques
Moscovitz, donc au sujet de la mort*.
Nous nous contenterons ici de relever brièvement
quelques idées forces nous invitant à
la réflexion, puisqu’il y aura débat
ultérieur, animé par JJM, qui verra
enfin son désir se réaliser.
• L’inconscient
/ Le trauma
À
la question de JJM sur la non-transmission par
le langage aux héritiers des disparus,
engloutis,
dans la “Vernichtung”, F. Dolto répond,
Ce que la psychanalyse a découvert, c’est ce qui,
de l’inconscient, n’est pas parlé, n’est
pas symbolisé, qui se communique de façon
traumatique.
•
L’euthanasie, l’avortement
Nous
nous souvenons que, si Françoise Dolto
n’a pas trouvé d’aide gouvernementale financière,
par le Ministère de la Santé de
l’époque, pour la création de «
La Maison Verte », c’est aussi, et peut-être
surtout, en raison de sa position à l’égard
de l’IVG. Position qui, pour serrer de près
la question de la Loi symbolique,
n’a pas été comprise et a été
sujette à une interprétation, idéologiquement,
très approximative. F. D. n’était
pas contre l’avortement en soi, elle était
opposée à “une
loi en faveur de”
l’avortement, c’est-à-dire à une
banalisation légale de cette intervention
dont nous ne pouvons ignorer que son après-coup
n’est jamais neutre dans le psychisme d’une femme.
F. D. s’en explique en toutes lettres **.
...le
fait même que l’on parle d’euthanasie,
qu’on justifie, qu’on justicie, l’avortement,
qu’on légalise l’avortement, on le dit, on dit ce
mot-là, alors qu’on devrait dire
qu’on dépénalise, on devrait
dire dépénaliser l’aide à
une mère qui veut avorter. Légaliser l’avortement [...] avec ce mot-là,
la loi devient que l’on régit la vie avec
le conscient. Alors que la vie
est sourcée dans l’inconscient et
n’est pas régissable par le conscient.
Il ne faut pas la régir. Dans régir,
il y a le mot roi. Le roi lui-même, s’il
vit, s’il survit, c’est par son inconscient.
Et tout ce qu’il peut jaspiner, ordonner, déclarer,
c’est par le conscient, et encore par une
partie tout à fait, enfin, obscène,
obscène dans le sens très lourd
du terme. Le conscient règle les questions
des comportements d’apparence, les corps
de mammifères debout que nous sommes et
qui circulent les uns avec les autres.
[...] Alors ceci trouble complètement les
idées. Enfin, trouble... rend l’inconscient
aussi valable, sinon plus, à respecter
que le conscient. Le conscient, pour moi, est
à dévaloriser par rapport à
des forces profondes qui échappent au bien
et au mal, au savoir que la vie serait le bien
et la mort le mal.
On
peut tout à fait être en désaccord
avec ce point de vue. Mais est-ce une raison,
en démocratie, pour rendre encore plus
difficile qu’elle ne l’était déjà,
la création d’un lieu destiné à
favoriser l’épanouissement des enfants
et des parents, des mères surtout, pour
lequel F. D., certes catholique croyante, était
allée assidûment emprunter à
l’expérience des kibboutz et de la première
Halte-Garderie, pionnière, de La Cour Desnoues,
dans le XIe Arrt, absolument,
fondamentalement, laïque et républicaine
?
•
Le désir
J-J.
M.
:
La
mort n’existe pas dans l’inconscient,
mais quand même, la mort fait limite au
désir.
F.
D.
Je
n’en sais rien ! Fait limite au désir
tel que nous le connaissons consciemment. Notre
désir conscient n’a de dynamique
que du fait de sa source inconsciente. C’est
à un certain niveau qu’il devient
conscient et peut alors subir un glissement de
sens. C’est ce qui se passe dans les névroses,
“c’est plus fort que moi, je ne
sais pas pourquoi”.
La dépendance toxicomaniaque, je ne sais
pas pourquoi, je ne peut pas l’empêcher.
Et tel que témoigné dans «
Shoah »,
cette dépendance à la cruauté
déstructurante et méprisante et
avilissante de l’autre, c’est la dépendance
à un surmoi extraordinairement fort. On
voit comment ça s’est enraciné
dans une terreur sacrée. Terreur de son
père sadique du petit enfant, à
l’époque prégénitale,
homosexuelle, en tous cas passive quant aux pulsions
alors en jeu, les pulsions actives étant
toutes projetées dans la personne déifiée
du père.
• Le collectif
J-J.
M.
Mais
est-ce cela, le collectif ?
F.
D.
La
psychanalyse ne nous y prépare pas ! Qu’est-ce
que tu veux, on ne peut pas prendre l’altitude
avec un thermomètre ! On approche de l’altitude
avec un thermomètre quand on sait qu’à
partir d’un certain niveau il ne peut pas
y avoir moins ou plus... mais ce n’est pas
l’instrument adéquat. L’inconscient
d’un individu est touché et parfois
reste marqué par les effets du collectif
sur lui, mais on ne peut pas appréhender
avec finesse ce qui se passe pour un individu,
mammifère, avec trente autour de lui auxquels
il est fusionné, même dix autour
de lui, qui refont une famille artificielle comme
quand il était petit. Le groupe, parfois
même un seul, peut jouer le rôle de
mère porteuse ou jouer le rôle de
père, c’est-à-dire de leader,
et qui de ce fait supporte le transfert du père
qu’il y a dans chacun de ces petits séparés
et qui le voit dans un du groupe. C’est
ainsi qu’un individu apparemment autonome
peut, pris dans un collectif humain artificiel,
momentané, ou organisé et durable,
se comporter en objet partiel du groupe maternant
ou en enfant subjugué par l’adulte.
• La dignité humaine/
Le narcissisme
JJM se pose devant F. D. la question de la
transmission traumatique de “l’existence
hallucinée” dans la Shoah, inimaginable
jusqu’alors, de “cette mort-là”,
question relayée ainsi par
F. D.
“c’était
un cheminement vers la mort, et pas seulement
vers la mort du corps. C’est ça qui est
très important. C’est la mort de la dignité
humaine...
”
JJM,
après réflexion, la reprend en ces
termes :
La mort de la mort...
J’ai
demandé à JJM, au cours du débat
prévu, de bien vouloir développer
cette notion, dans la mesure où, exprimée
trop succinctement, j’entends “la mort de
la mort” comme signifiant “la vie”.
Pour F. D., c’est de la mort du narcissisme qu’il
s’agit,
Non...
la mort du... la mort du narcissisme, qui nous
permet de vivre. Dans Shoah, il y a ceux qui arrivent
à Treblinka, je crois, dans un pullman
jusqu’à la fin, ceux-là je
trouve que ce n’est pas la même chose
que ceux qui ont été affamés,
battus, soumis au travail forcé et finalement...
dans la chambre à gaz.
L’écueil
d’une conversation à bâtons rompus,
nous le remarquerons ici, est d’évacuer
l’inconscient, ce que, dans son style, relève
à plusieurs reprises Françoise Dolto.
Car dans ce passage, elle s’exprime comme si elle
oubliait que les bourgeois aisés hollandais,
dans ce “pullman” qui filait direct
vers la chambre à gaz, d’abord internés
dans le camps de Westerbork, l’équivalent
de Drancy en France, n’avaient pas été,
ce qui est impensable frappés d’angoisse.
Cette angoisse qui paralyse aussi bien les humains
que les animaux en partance pour l’abattoir, dès
qu’on les regroupe pour les charger dans des camions.
Cf.
Version audio / vidéo : http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/media/index.html
•
La fiabilité en l’être humain / L’enseignement
de la Shoah aux enfants
[La fiabilité de l’être humain s’est altérée,
y compris] la fiabilité en soi-même, tout simplement. C’est
pour ça que je comprends très bien,
je comprends qu’on ne veuille pas le dire
aux enfants, qu’on ne veuille pas le dire
aux générations d’après.
Parce que dire ça, c’est ôter
en chacun la confiance en lui-même [...]
Une horreur en soi, dont nous sommes capables,
chacun. Je pense que c’est l’effet
que peut produire un film comme ça sur
certains jeunes de huit à dix-huit ans,
les rendre nihilistes à la façon
romanesque des Russes avant la Révolution.
Oui je suis un salaud, je suis... Une façon,
déviée, de vivre masochiste, c’est-à-dire
pervers. Vous n’y croyiez pas ? Voilà
des témoins. Ça prouve que tout
homme croisé dans la rue peut être
un salaud, tu es un salaud, je suis un salaud,
ton père est un salaud ou peut l’être
d’une seconde à l’autre. La
preuve, tel fils, son père officier, des
médailles, son pays très fier de
lui... Et voilà ce qu’il faisait.
Avant de rentrer dîner [...] C’est
un long processus qui prouve que c’était
logique, donc c’est humain quand c’est
logique, bien que ça soit épouvantable.
Et c’est ça qui est décourageant
à montrer à des jeunes. Je crois
que quand on est adulte, on peut le supporter,
mais en même temps qu’on l’a
supporté, on se dit mais... c’est
trop...
• La fonction paternelle
J-J.
M.
Est-ce
que ça n’altère pas la fonction
paternelle...
F.
D.
La
fonction filiale, la fonction paternelle, y compris
la fonction génitrice de la mère,
toutes les fonctions ! Je crois que ça
ébranle complètement de voir un
film comme ça. La foi dans l’être
humain et dans toute “société
humaine”. Ça ébranle complètement
chez celui qui le voit, la superbe humaine...
Ça démoralise...
[...] J’ai eu une altercation
très tendue avec un rabbin une fois...
Il disait : “le père c’est
celui qui représente Dieu dans la famille,
ce que dit le père, il a raison”.
C’est complètement pervers ! C’était
à propos des enfants séparés
par le divorce... [...] C’est le juge
qui doit décider et non pas le géniteur-père
ni la génitrice-mère. C’est
le juge qui est informé de ce que peuvent
dire le père, la mère, les témoins.
Nous savons que la justice humaine n’est
jamais juste mais s’il y a une chance qu’elle
soit moins injuste, c’est que ça
ne soit pas le père qui prenne la décision.
Après, il n’a pas voulu me dire au
revoir...
• Le
racisme
...c’est le racisme en acte qui est animal.
Qui est montré comme fatal. Les fourmis
rouges contre les fourmis vertes, c’est
quelque chose d’animal. Qui, du fait de
l’accès au langage, c’est à
dire à un code de communication symbolique
de la pensée, devrait être surmonté
par les humains [...] Alors que le langage, que
la parole, que tous ces êtres étaient
des gens qui savaient parler, qui pouvaient parler,
et qu’ils en aient été réduits
à... c’est quelque chose qui fait
mentir tous les espoirs qu’un être
humain peut avoir dans l’humanité.
Je pense que cela peut développer le cynisme,
justifier l’égoïsme, la lâcheté,
le refuge dans l’individualisme. Se méfier
des causes collectives [...]
• Le
négationnisme
Si les psychanalystes
avaient pris en compte, en 1988, 1995, 2001 et
ultérieurement, ce dialogue entre F. D.
et JJM, sans doute n’auraient-ils pas tant débattu
sur le négationnisme, procurant ainsi à
ce dernier une célébrité
publicitaire dont il eut été peut-être
prudent de se passer. Je cite Françoise
Dolto à la question de JJM sur la contemporanéité,
...il
y a des moments insupportables pour l’esprit.
Par exemple la recherche de la preuve de la dimension
d’une chambre à gaz, sa dimension est-elle
de 3,50m x 5m ou
3,25m x 4,50m, ou des trucs comme ça ? Il y a des
ratiocinations obsessionnelles qui concluent :
il n’y a donc pas de preuves de l’existence des
chambres à gaz. C’est révoltant.
• « Plus jamais ça
! »
Moi,
je croyais que c’était né
à Verdun. C’est pendant la guerre
de 14 que je l’ai entendu, petite fille.
Chaque fois que l’on suivait le service
d’enterrement d’un soldat tué
à la guerre, il y avait quelqu’un
pour le dire tout haut devant le cercueil : “Il
est mort pour qu’il n’y ait plus jamais
ça”. Alors, tu vois, on avait déjà vécu ça
dans la génération dont je fais
partie. “Plus jamais ça !”,
c’était une connerie puisque ça
a recommencé pire, ça a recommencé
pire, vingt ans après. Parce que les humains
sont des êtres pervers, c’est terrible.
Alors on se sent un être pervers parce qu’on
en est un, d’être humain. Et on sent
que ces gens sont comme nous. Avant l’holocauste,
la Shoah, on pouvait croire que c’étaient
des salauds épouvantables, des bourreaux,
des sadiques... comme on voit des masques épouvantables.
Pas du tout, c’est monsieur-tout-le-monde, pépère, qui sort sa pipe, qui...
ø
Nous
terminerons l’écoute de quelques fragments
de cette sonate à deux voix par une note
d’espoir que Françoise Dolto, quand nous
étions effondrés par la sauvagerie
humaine, nous transmettait et auquel elle savait
nous arrimer,
« On espère toujours qu’il y
en aura un qui saura se servirde la parole, de son intelligence, et agir selon son
dire »
M. W.
29 oct. - 2 nov. 2008
* J’aimerais souligner,
une fois encore, la différence, telle que
je l’ai comprise, entre ce que Freud nomme “la
pulsion de mort” (d’abord désignée
par “l’instinct de mort”) et “la
pulsion [ou instinct] d’agression, de meurtre”.
La pulsion de mort est liée
au principe dit de plaisir, autrement dit à la propension qu’a l’humain à
économiser au maximum son énergie
vitale, régressivement, passivement, inactivement,
en “en faisant” le moins possible,
dans le but de se maintenir le plus longtemps
possible en vie, quitte à ce qu’elle paraisse
crypto-végétative. C’est une pulsion qui relève de l’instinct de vie, du narcissisme, où
l’autre n’est pas concerné, il n’y a pas
d’autre ; la pulsion, ou instinct, d’agression, de meurtre, témoigne,
quand on la repère en soi ou quand elle
se manifeste, du désir violent, irrépressible,
de tuer l’autre, aussi bien par haine
que par amour.
** En italique : je
souligne. Par ailleurs j’ai provisoirement, pour une meilleure lecture, reconstruit
certaines phrases qui étaient trop en style
“parlé”.