Élisabeth
Roudinesco, historienne de la psychanalyse
Psychanalyse
et autisme : la polémique
Bibliographie complémentaire
• Sur l’autisme • Documents
associés
Ø
Il
est plus facile d’élever un temple que d’y faire
descendre l’objet du culte
Samuel Beckett
• « L’Innommable »
Cité
en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit »
par T. W. Adorno • 1964
It
is easier to raise a temple than to bring down there
the worship object.
Samuel Beckett • “The
Uspeakable one” Underlined
in « Jargon of the authenticity » by
T. W. Adorno • 1964
Ø
Personne
n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque
chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge,
ni la religion ou le parti politique ne peuvent être
une excuse.
Nobody has the
right to remain quiet if he knows that something of
evil is made somewhere. Neither the sex or the age,
nor the religion or the political party can be an excuse.
Bertha Pappenheim
|
|
|
|
ψ = psi grec, résumé
de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie
qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée,
est l’antonyme de la réflexion, de la raison,
de l’intelligence.
ø
© Élisabeth Roudinesco / Janvier 2012
Élisabeth Roudinesco
Psychanalyse et autisme
: la polémique
Partie 1, première
parution dans
http://www.huffingtonpost.fr/france/
http://www.huffingtonpost.fr/../../elisabeth-roudinesco/psychanalyse-autisme-polemique_b_1241992.html
Le 31 janvier 2012
Depuis
des décennies, la question de la définition
et du traitement de l’autisme - déclarée
grande cause nationale pour l’année
2012 - est devenue l’enjeu d’une bataille
juridico-politique, avec insultes et procès,
au point qu’on se demande comment des parents,
des thérapeutes (pédiatres, psychiatres,
psychanalystes), des députés et des
chercheurs ont pu en arriver à ce point de
détestation réciproque.
Violemment hostile
à Freud, à la psychanalyse et à
ses héritiers, la cinéaste Sophie
Robert, soutenue par les auteurs du Livre noir
de la psychanalyse
(Les Arènes, 2005), a été
conspuée après avoir filmé,
dans un documentaire que l’on a pu regarder
sur Internet pendant des semaines, des thérapeutes
connus pour leur adhésion à une
psychologie oedipienne de comptoir. Selon eux,
les mères seraient responsables des troubles
psychiques de leurs enfants, y compris l’autisme,
maladie aux multiples visages. Ces représentants
du discours psychanalytique se réclament
de Sigmund Freud, de Donald W. Winnicott, de Jacques
Lacan ou de Melanie Klein en oubliant une règle
élémentaire : les concepts ne doivent
jamais se transformer en jugements à l’emporte-pièce
ou en diagnostics foudroyants. Un concept n’aboie
pas.
Il n’est
question dans ce film que de mères «
crocodiles », « froides », «
dépressives » ou incapables «
d’expulser de leur corps le rejeton qu’elles
n’auraient jamais désiré ».
Pour les avoir ridiculisés en montant des
séquences à charge, Sophie Robert
a été poursuivie devant les tribunaux
par trois d’entre eux qui ont obtenu que
les passages les concernant soient retirés
du film (jugement rendu par le tribunal de Lille,
le 26 janvier 2012). Elle a aussitôt interjeté
appel de cette décision de justice qui
ne change rien au problème de fond, puisque
la vulgate de la « mère pathogène
» et de la loi nécessaire «
du père séparateur » est bel
et bien présente dans le discours psychanalytique
contemporain. Et c’est en son nom
qu’une partie de la communauté psychanalytique
française est entrée en guerre en
1999 contre les homosexuels désireux d’adopter
des enfants tout en s’opposant, du même
coup, aux nouvelles pratiques de procréation
assistée, et plus récemment encore
à la gestation pour autrui (GPA, «
mères porteuses »). Ce discours,
fondé sur la naturalisation de la famille
et de la différence des sexes, a été
critiqué par les féministes, les
sociologues, les anthropologues, les philosophes
et les historiens de la famille : notamment Elisabeth
Badinter.
Méconnaissant
l’évolution des mœurs et les
progrès de la science, voilà que
ces praticiens - qui ne représentent en
rien l’ensemble des cliniciens d’orientation
psychanalytique - sont à leur tour interpellés
par la loi en la personne d’un député
UMP du Pas-de-Calais,
Daniel Fasquelle, président du groupe d’études
parlementaires sur l’autisme, qui s’apprête
à déposer devant le Parlement une
proposition de loi visant à abolir toute
approche psychanalytique dans l’accompagnement
des enfants autistes.
Que s’est-il
donc passé en France pour qu’un élu
de la République en vienne à croire
qu’une question scientifique puisse être
résolue par des poursuites judiciaires ?
Après les lois mémorielles restreignant
la liberté de penser des historiens, verra-t-on
des juges pourfendre la doctrine freudienne devant
des tribunaux ?
C’est en
1907 que le psychiatre suisse Eugen Bleuler invente
le terme d’autisme, à partir de celui
d’auto-érotisme, pour désigner
un repli sur soi de nature psychotique (folie)
et une absence de tout contact pouvant aller jusqu’au
mutisme. En 1943, le pédiatre autrichien
Leo Kanner transforme l’approche en sortant
l’autisme infantile précoce du domaine
des psychoses. Il émigrera aux Etats-Unis
et poursuivra ses travaux. Mais, en 1944, un autre
pédiatre viennois, Hans Asperger, qui avait
lui-même été atteint dans
son enfance, décrit “l’autisme
de haut niveau”, caractérisé
par une absence d’altération du langage
et une capacité de mémorisation
inhabituelle. En témoigne l’inoubliable
Raymond Babbit, interprété par Dustin
Hoffman dans Rain Man, le film de Barry Lewinson
(1988). Aujourd’hui, et dans cette perspective,
l’autisme est considéré comme
une maladie organique dont l’une des causes
serait une perturbation des circuits neuronaux
au cours de la vie fœtale.
De son côté,
Bruno Bettelheim, psychanalyste autrichien, déporté
à Dachau puis à Buchenwald, inventa
un traitement spécifique de l’autisme
en devenant, en 1944, le directeur de l’Ecole
orthogénique de Chicago. Comparant cet état
à une situation extrême, semblable
à l’enfermement concentrationnaire,
et favorisé par le désir destructeur
des mères, il sera accusé à
tort, après sa mort, d’avoir fait
de son école un goulag. À vrai dire,
il ne mérite aujourd’hui ni légende
dorée, ni légende noire. D’autant
que l’approche
psychanalytique des enfants autistes et psychotiques
eut pour effet, sur cette lancée - de Margaret
Mahler à Frances Tustin, puis de Françoise
Dolto à Jenny Aubry ou Maud Mannoni - de
les extirper d’un destin asilaire.
Dans un livre
magistral, L’enfant qui s’est arrêté
au seuil du langage,
(Aubier, 2008, Le Monde du 18 avril 2008),
Henri Rey-Flaud, psychanalyste et professeur émérite
à l’Université de Montpellier,
a fort bien décrit, à partir d’une
sérieuse étude de cas, mais aussi
en s’appuyant sur des récits publiés
par les autistes de haut niveau - Temple Grandin,
par exemple - le monde particulier des enfants
autistes, un monde de souffrance, de silence et
de rituels insolites. Ces enfants, - environ quatre
sur mille et en majorité des garçons
- s’expriment avec des gestes et des cris.
Ils sont parfois violents, ils ont l’air
d’accomplir des tâches incohérentes
et ont donc besoin d’être pris en
charge en permanence par leurs parents et par
des équipes de thérapeutes et d’éducateurs
qui les font vivre à leur rythme, tout
en les soignant.
On aurait pu rêver,
comme le laisse entendre cette description, à
une possible entente entre familles et thérapeutes.
D’autant qu’à partir
des années 1980, on identifia des autismes
et non plus une entité unique : celui des
enfants mutiques, celui des petits génies
surdoués, celui enfin des enfants qui peuvent
parler, tout en adoptant des attitudes énigmatiques.
Une approche multiple, la meilleure à ce
jour, semblait s’imposer : psychothérapie
psychanalytique, technique éducative et,
dans des cas graves d’auto-mutilation, Packing, enveloppement de l’enfant dans des linges mouillés.
Il n’en
fut rien puisque l’alliance s’était
déjà en partie rompue du fait de
l’évolution
de la psychiatrie mondiale vers une classification
exclusivement comportementale et biologique (le
fameux Manuel Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ou DSM), d’où
est désormais évacuée l’idée
de subjectivité. Aussi bien cette classification
fait-elle entrer l’autisme dans la catégorie
d’un trouble envahissant du développement
(TED) tellement élargi qu’un enfant
sur cent cinquante en serait atteint. Cette progression
a été dénoncée en
2006 par le biologiste Jean-Claude Ameisen dans
un excellent rapport destiné à l’Inserm
(que l’on trouve sur Internet) qui montre
qu’après avoir rangé l’autisme
dans les psychoses, on intègre désormais
tous les troubles infantiles graves dans un vaste
ensemble biologico-génético-neurologique
aux contours cliniques flous.
À l’évidence,
cette évolution est liée au changement
des critères diagnostiques beaucoup plus
qu’à une « épidémie
», ce qui, dans le contexte d’un rejet
idéologique du freudisme, a été
catastrophique pour l’approche psychanalytique
de l’autisme. Lassés d’être
interrogés sur leur statut de bon ou de
mauvais géniteur, les parents se sont tournés
vers des techniques de conditionnement visant
à démutiser l’enfant. Aussi
bien celui-ci est-il « récompensé »
à chaque progrès et « puni »
par une sanction à chaque recul.
Mais il n’est
pas certain qu’une telle approche soit la
panacée même si elle s’est
imposée dans le monde anglophone. Car si
l’on considère l’autisme comme
un trouble neurologique, détaché
de tout environnement, on risque d’oublier
de traiter les souffrances psychiques des parents
et des enfants, de dresser les familles contre
Freud - lequel n’a jamais parlé d’autisme
- et de laisser croire que la maladie serait également
génétique, ce qui n’a pas
été prouvé. En juillet 2005,
la société InteraGen a d’ailleurs
donné un faux espoir aux familles en prétendant
lancer sur le marché un test génétique
de diagnostic précoce de l’autisme,
escroquerie dénoncée par les généticiens
sérieux (Bertrand Jordan, Autisme. Le
gène introuvable. De la science au business,
Seuil, 2012). Récemment, un neurobiologiste
français, François Gonon, a en outre
montré que la psychiatrie biologique, fondée
sur le DSM, avec ses classifications démentes, était
critiquée aux Etats-Unis au moment même
où elle s’impose en France (« La
psychiatrie biologique : une bulle spéculative »,
Esprit, nov.
2011).
La guerre à
laquelle on assiste aujourd’hui est désolante
puisque des praticiens éminents, comme
Pierre Delion, professeur de pédopsychiatrie
de réputation mondiale (CHU de Lille),
partisan d’une approche multiple et du Packing, soutenu d’ailleurs par Martine Aubry et de nombreux
parents, est devenu, comme d’autres cliniciens
respectables, la principale cible d’une
campagne de calomnies orchestrée par les
adeptes d’un antifreudisme radical.
Quant aux psychanalystes,
qui reçoivent par la poste, en guise de
cartes de vœux, des photographies de crocodiles,
ne sont-ils pas menacés, à force
de propos déplacés, de devenir les
ennemis d’eux-mêmes et de leur discipline
?
Bibliographie complémentaire
Elisabeth Roudinesco, HISTOIRE DE LA PSYCHANALYSE EN FRANCE • JACQUES LACAN,
La Pochotèque,
Paris 2010
Elisabeth Roudinesco, NOTE DE LECTURE ET COMMENTAIRE DU « LIVRE NOIR DE LA PSYCHANALYSE »
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/noteslectroudin.html
Sur l’autisme
Henri Rey-Flaud, LES ENFANTS DE L’INDICIBLE PEUR • NOUVEAU REGARD SUR L’AUTISME, Aubier, 2010
Nina Sutton, BRUNO BETTELHEIM • UNE VIE, Stock, 1996
Mira Rothenberg, ENFANTSAUX YEUX D’ÉMERAUDE • Histoires de mômes prodigieux
Audio • http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/media/M_Rothenberg_enfants.html
Mira Rothenberg, « BLUEBERRY »
Audio • http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/media/ITVMiraRothenberg.html
Mira Rothenberg, LES ENFANTS DÉPLACÉS • UNE INTRODUCTION
Texte •
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/enfantsdeplaces.html
Micheline Weinstein • 2003 • IL Y A 24 ANS... « DES ENFANTS AU REGARD DE PIERRE », Le Seuil, 1979
http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/mirarothenberg.html
ø
Documents associés
L'autisme au cœur de l'humain
Approche psychanalytique
Sous la présidence de
Élisabeth Roudinesco
XXIIIe Colloque, organisé par Anny Combrichon,
de la Société Internationale d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse
Samedi 27 Novembre 2010
Villa Gillet
25 rue Chazière 69004 Lyon
Matin
9 h 00 Accueil
9 h 15 Ouverture : Anny Combrichon
9 h 30 La
bataille actuelle de l’autisme à la lueur de l’histoire
Discutants Annick Huber
Jean-Jacques
Ritz
11 h « Hello Mrs Tustin »
présentation du film interview par
Marie
Allione
Discutants Françoise Crozat
Anny
Combrichon
13 h – 14 h 30 : Déjeuner Villa Gillet
Après Midi
14 h 30 La réticence
énigmatique de l’enfant autiste Henri Rey-Flaud
Discutants Élisabeth
Roudinesco
Francis
Dumont
Emmanuel Suchet
16 h 00 « La
créativité » Charles Juliet, Anne Costantini, Claude Burgelin
17 h 00 Clôture : Jean-Jacques Ritz
Argument
Au cours de l’histoire, l’autisme,
tour à tour désigné comme
« maladie » génétique,
neurobiologique, handicap ou symptôme, demeure
une énigme. Ces enfants, beaux, intelligents,
doués, « dans leur monde »,
restent au bord de l’humain, au plus près
de l’abîme, et n’en émergent
qu’au prix de grands efforts.
La bataille actuelle des approches conceptuelles
et thérapeutiques s’exacerbe. Ainsi
la nouvelle nomenclature psychiatrique (DSM) a-t-elle
évacué ce trouble profond de la
communication cerné en 1943 par le psychiatre
américain Leo Kanner, au profit de « signes »
fragmentés sans cohérence.
De même, les dispositifs en place dans
le champ social, éducatif, thérapeutique,
favorisent-il les méthodes comportementalistes,
cognitivistes remises en question par les thérapeutes
américains eux-mêmes, après
des décennies d’expérimentation
et d’évaluation.
La psychanalyse persiste et signe, de découvertes
en butées théoriques, à interroger
cette souffrance des familles, des enfants, dominés,
terrorisés par l’afflux de sensations
primitives, internes et externes, les empêchant
de tisser des liens avec leur entourage, d’accéder
au langage, bloqués dans une position entre
conservation et perte de substance – qu’en
est-il d’un être humain, doué
de parole, situé dans un « non
agir », faisant l’économie
du symbolique ?
Le chemin à parcourir, hors des repères
conceptuels habituels, pour atteindre ces continents
reculés, ces enclaves psychiques, est d’une
difficulté insondable. Tenter de ramener
à l’humain, à l’existence
ce qui n’a pu s’y inscrire dès
le début de la vie, afin qu’un sujet
advienne, depuis le chaos à son activité
créatrice intrinsèque, est le moindre
des respects que nous devons à ces enfants,
dans ce long cheminement partagé au cœur
de la nuit, avec eux.
ø
« Une » du Monde des livres, 18 avril 2008
Élisabeth Roudinesco
Les enfants de l’autre monde
Dans un essai magistral, le psychanalyste Henri Rey-Flaud décrit
l’expérience des enfants autistes.
Contre le “gavage pharmacologique”,
il plaide pour l’accompagnement et l’écoute.
Henri Rey-Flaud, L’enfant qui s’est arrêté
au seuil du langage. Comprendre l’autisme, Aubier, 425 p. 23
Psychanalyste, professeur des Universités,
auteur de plusieurs livres érudits, Henri
Rey-Flaud a réussi, dans ce nouvel ouvrage,
un véritable tour de force. Au terme d’une
enquête lumineusement rédigée,
il est parvenu à décrire le monde
énigmatique des enfants autistes, un monde
de souffrance, de silence et de rituels insolites,
dont la présence nous touche, tant il nous
rappelle celui ancestral du règne animal
dont nous sommes issus, ou encore celui archaïque
de notre naissance, cette césure qui nous
fait passer de la vie utérine à
la vie sociale.
Ainsi Rey-Flaud fait-il entrer le lecteur
dans la demeure de ces “enfants de l’autre
monde”, dont le destin se fige vers l’âge
de 2 ans et qui semblent s’être arrêtés
au seuil du langage, comme pétrifiés
à l’intérieur d’une
coquille effrayante et protectrice.
Ils s’expriment avec des gestes et
des cris, parfois même avec des mots, tout
en s’agrippant à des objets défectueux.
A l’inverse de nous, ils se bouchent le
nez pour ne pas entendre et les oreilles pour
ne pas voir. Ces enfants – environ quatre
sur mille, et en majorité des garçons
- ne sont tolérés ni à
l’école, ni dans les lieux publics.
Ils font peur, ils sont violents ou repliés
sur eux-mêmes, ils ont l’air d’accomplir
des tâches incohérentes et ont donc
besoin d’être pris en charge en permanence
par leurs parents et par des équipes de
thérapeutes et d’éducateurs
qui les font vivre à leur rythme, tout
en les soignant. Cette prise en charge de longue
durée coûte cher et c’est pourquoi,
en France, comme l’a souligné le
pédopsychiatre Pierre Delion, les responsables
de la santé mentale les abandonnent, soucieux
qu’ils sont d’une rationalisation
inhumaine et peu efficace de la question générale
de l’enfance en détresse.
Récemment, le documentaire réalisé
par Sandrine Bonnaire sur sa sœur (Elle
s’appelait Sabine)
a montré à quel point l’administration
excessive de psychotropes pouvait être néfaste
pour ces enfants, ce qui n’a pas empêché
nombre de psychiatres, adeptes du gavage pharmacologique
de soutenir le contraire. Pire encore et malgré
les mises en garde de Jean-Claude Ameisen, membre
du comité d’éthique de l’Inserm,
d’autres chercheurs continuent à
soutenir que l’autisme relèverait
d’une causalité génétique
unique, décelable scientifiquement, prenant
ainsi le risque de préconiser le rejet
des autres approches et de semer le trouble
dans l’esprit des familles.
On sait bien que pour être utilisé,
un test génétique doit apporter
une réponse sans faille. Or, avec l’autisme
- comme d’ailleurs avec bien d’autres
anomalies dont les causalités sont multiples
-, un test génétique n’indique
rien d’autre qu’une vague potentialité.
Et encore ! En l’interprétant de façon
aveugle, on risque d’enfermer tout individu
dans une prédétermination qui ne
serait plus un diagnostic mais une sorte d’enfermement
eugéniste : le miracle ne viendrait plus
de Lourdes mais du gène érigé
en savoir absolu par une science sans conscience.
Loin de tout réductionnisme, et toujours
au plus près de la réalité
vécue, Henri Rey-Flaud expose également
avec clarté l’ensemble des théories,
pratiques, approches cliniques et hypothèses
étiologiques qui ont été
avancées depuis le début du XXe
siècle pour expliquer, comprendre et traiter
l’énigme de ces êtres si proches
de nous par leur imaginaire et si éloignés
pourtant de notre manière de le conceptualiser.
C’est en 1907 que le psychiatre suisse
Eugen Bleuler (1857-1939) invente le terme, à
partir de celui d’auto-érotisme,
pour désigner un repli sur soi de nature
psychotique et une absence de tout contact pouvant
aller jusqu’au mutisme. En 1943, le pédiatre
autrichien Leo Kanner (1894-1981) transforme l’approche
en sortant l’autisme infantile précoce
du domaine des psychoses. Il émigrera aux
Etats-Unis et poursuivra ses travaux. Mais,
en 1944, un autre pédiatre viennois, Hans
Asperger (1906-1980), qui avait lui-même
été atteint dans son enfance, décrit
“l’autisme de haut niveau”, caractérisé par une
absence d’altération du langage et
une capacité de mémorisation inhabituelle.
En témoigne l’inoubliable Raymond
Babbit, interprété par Dustin Hoffman
dans Rain Man, le film de Barry Lewinson (1988).
C’est donc au cœur de l’ancien
empire austro-hongrois, détruit par le
nazisme, que furent définies les deux formes
principales d’autisme encore constatées
aujourd’hui. Et c’est Bruno Bettelheim
(1903-1990), psychanalyste juif autrichien, déporté
à Dachau puis à Buchenwald,
qui sera le premier à inventer un traitement
spécifique de l’autisme en devenant,
en 1944, le directeur de l’Ecole orthogénique
de Chicago.
Comparant cet état à une situation
extrême, semblable à l’enfermement
concentrationnaire, et favorisé par le
désir destructeur des mères, il
sera accusé à tort, après
sa mort, d’avoir fait de son école
un goulag. À vrai dire, il ne mérite
ni légende dorée, ni légende
noire, d’autant que, de nos jours, ceux
qui le contestent en prétendant s’appuyer
sur la génétique ou sur un traitement
comportemental n’apportent aucune solution
ni à la genèse, ni à l’énigme
de l’autisme. Ils se contentent de le définir
comme un « trouble envahissant du développement » (TED), afin de le faire entrer dans des modèles
prétendument « évalués
».
Retraçant les grandes étapes
du traitement des autistes, Rey-Flaud rend hommage
à l’école psychanalytique
anglaise dont les représentants, de Frances
Tustin (1913-1994) à Donald Meltzer, ont
une influence mondiale considérable, beaucoup
plus d’ailleurs que Bettelheim. Et il montre
que si une rigueur théorique est nécessaire,
les théories ne servent à rien si
elles ne s’accompagnent pas, dans la pratique
du thérapeute, d’une écoute
permettant à l’enfant de passer d’un
chaos primordial à un univers de langage,
seule manière pour lui d’entrer en
contact avec le monde des autres humains.
Disons-le sans détour, ce livre, qui,
sans jamais molester les familles, se lit comme
une déclaration d’amour envers les
autistes, deviendra un classique.
ø
|
ψ
[Psi] LE
TEMPS DU NON cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2012 |
|
|
|
|