Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Françoise Dolto • Autour du Miroir

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable » 
Cité en exergue au « Jargon de l’authenticité » par T. W. Adorno • 1964 
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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Bertha Pappenheim 
Françoise Dolto • 1983

Autour du Miroir

[Françoise Dolto a écrit ce texte le 16 avril 1983 sur ma demande. Je l’ai lu lors de la conférence que j’ai faite le 26 mai 1983, pour l’Association de la formation médicale continue des médecins exerçant en groupe ou en équipe de Marseille-Nord, Aix-en-Provence et Étang de Berre (Groupes Balint. M. W.]

Archives personnelles

Je dis que lorsque Lacan croit que l’enfant - qu’il décrit dans une assomption jubilatoire - se réjouit de voir l’image de lui-même dans le miroir, et que cela le structure dans son unité, il se trompe. Cette expérience est une surprise toujours à effet d’étrangeté, parfois phobisante, morcelante. Cette première étape de jubilation, qu’on a pu observer en effet, est provoquée par l’espoir qu’un autre enfant est apparu magiquement présent dans son espace pour jouer avec lui. Dès qu’il s’aperçoit que ce n’est pas un être de chair et de compagnie, il est angoissé et ne s’en remet - en se reconnaissant assez mal d’ailleurs les premières fois, mais accepte de l’admettre, encore qu’il est déçu de se découvrir taille et aspect bébé, alors que jusque-là il s’imagine selon son désir tel un tutélaire ami -, il ne s’en remet qu’en apercevant dans ce même miroir l’image de sa mère ou de la personne tutélaire réflectée côte à côte dans cette surface, alors qu’il la perçoit, tactile, odorante, vivante et chaleureuse, et parlante à sa personne en les montrant tous deux, lui et elle, dans le miroir. Cette image est une révélation de l’apparence que l’enfant - et autrui - donne à voir aux autres dans le miroir, c’est-à-dire inversée ; le visage de ceux qu’on connaît est déformé toujours par cette inversion. Et surtout, cette image contredit l’image du corps qui n’est pas spéculaire et qui jusque-là était seule notion de soi avec les autres ou à leur recherche, en vue de communication. Quand l’image spéculaire prend grande importance, les images du corps qui sont garantes de l’unité du sujet-moi en relation se refoulent.L’investissement secondaire, positif ou négatif, de l’image de soi dans le miroir dépend de beaucoup d’autres expériences affectives relationnelles, qui font hériter cette image fétiche du sentiment de présence de ce qui est refoulé des relations érotisées aux autres et des autres à nous.

Ex - Un enfant précoce pour parler - 17 mois - se voit dans un miroir qui est contre un mur jusqu’au sol. Première fois : “Ah ! Bébé !” - alors que lui se nomme Titi - ; il va vers bébé, interloqué : “Bébé veut pas Titi”. Il essaie de lui tendre son jouet : “Bébé veut pas ballon” ; et sa mère l’entend : “Bébé ! Va jouer au ballon avec Titi”, - avec, prononcé très séparé selon son habitude quand il proposait un jeu à un autre enfant. Sa mère l’a alors initié à cette expérience étrange qui l’a fait se détourner de son image pour explorer le visage, le cou de sa mère, et toucher dans le miroir l’image de sa mère, et regarder lui l’enlaçant dans la glace. Suivi de : “Titi, pas bébé” ; puis fin de l’expérience, le miroir devenu sans intérêt pendant longtemps.

Autre observation : un jumeau univitellin, restéà la chambre pour la première fois, son frère parti à la maternelle. La mère l’entend geindre et supplier son frère de prendre le cheval à bascule qu’il approchait de la glace : “Maman, Untel - le nom de son frère - ne veut pas jouer avec moi !”

La mère m’a écrit cette observation ; très remuée d’avoir constaté que dans le miroir, son enfant ne voulait pas admettre que son image n’était pas son frère, en est resté rêveur 2 à 3 jours ; le frère, au retour, idem. Ni l’un ni l’autre ne "comprenait" ce que leur disait leur mère pour leur expliquer. Or, disait-elle, ce miroir d’armoire à glace avait toujours été là. Mes fils, pourtant intelligents, n’avaient pas compris que c’était leur image que reflétait ce miroir. A part cela, l’école maternelle depuis deux mois sans problème. En famille non plus.

Au lieu de soutenir le sujet, lien au corps désirant, l’image spéculaire apporte une perception altérée de soi, réduite à l’apparence en surface, donc morcelante de l’individu, "objet partiel" de l’espace et non plus sujet de son désir de rencontre d’un autre sujet par langage ou par médiation d’objets.

Après l’expérience du miroir, l’étape suivante n’est pas d’aimer sa propre image ; c’est de faire l’expérience des déformations de l’image par grimaces, pour le visage, postures pour le corps. C’est la recherche de se voir, non de face, mais de profil, de dos, par jeux de miroirs, enfin recherche de jouir des apparences de son propre corps masqué, grimé, déguisé - de se faire ainsi autre, pour le plaisir ou l’exercice de se faire peur ou rire -, se “surprendre” à défaut de pouvoir prendre.

L’étape du narcissisme secondaire du sujet aimant l’image de lui comme objet érotique pour ses pulsions scopiques implique d’éprouver douloureusement soit la solitude, soit la séduction dangereuse d’un autre et chercher à percevoir ce que cet autre peut trouver de plaisant en soi afin de se défendre de ce viol en se mettant soi désirant entre son corps objet et l’autre qui fait question. En quoi est-ce désirable par autrui ? Se subir, se voir et s’imaginer agir, séduire soi-même comme si on était l’autre, etc. Tous les jeux douloureux et déréalisants du narcissisme pathologique, jeux dangereux au service de pulsions partielles, olfactives, visuelles, auditives, tactiles, baresthésiques (sens de masses partielles et leur maîtrise). Dangers divers que frôlent toutes les adolescences trop solitaires.

Etre aussi un objet n’est pas facile pour un sujet. La difficulté ne vient pas seulement des autres, mais pour soi-même car le temps et l’espace n’ont pas le même sens pour le sujet du désir a-temporel et a-spatial et pour ce corps fonctionnel, mortel, qui en est le médiateur existentiel éphémère.

[...]

Cf. suite, Lettre 578, p. 751, in « Françoise Dolto • Une vie de correspndances / 1938-1988 », Gallimard, Paris, 2005

 

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