Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

C’était dans la ville du Nord du pays

Un conte moderne

par

Cherifa Kheddar

Ø

Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett • “The Unspeakable one”

Underlined in « Jargon of the Authenticity » by T. W. Adorno • 1964

Ø

Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point
ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

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© Cherifa Kheddar / Novembre 2010

C’était dans la ville du Nord du pays

Un conte moderne

par

Cherifa Kheddar 

Présidente de l’association « Djazairouna » des Familles Victimes du Terrorisme Islamiste 

Première publication sur le site MPCT [lien] le 04 novembre 2010

Il était une fois dans une ville du nord du pays, l’homme, la femme et l’enfant. Ils firent un cauchemar qui a bouleversé leur vie à jamais.

Il s’agit de l’obligation de changer d’habitude alimentaire, vestimentaire et comportementale sous peine de condamnation à mort placardée dans la mosquée du quartier.

L’homme, la femme et l’enfant s’exécutèrent, et changèrent de vie comme le voulait la toute nouvelle religion imposée par la terreur des illuminés de Dieu.

Un jour, l’homme, la femme et l’enfant entendirent parler de l’attentat à la bombe qui avait eu lieu dans un cimetière de la ville de l’ouest du pays, et qui avait fait des dizaines de victimes parmi les enfants.

Forts de l’appui d’un parti politique démocratique laïque, et de l’appui de l’occident bien pensant, l’homme, la femme et l’enfant justifièrent l’attentat en disant : “Vous savez les enfants victimes de cet attentat ne sont que des dommages collatéraux, à vrai dire, la bombe ne visait que les autorités. Les islamistes victimes des généraux savent ce qu’ils font, ils ne tuent pas gratuitement.”

Le jour suivant, une enseignante fut assassinée dans l’enceinte de l’école, en présence de ses élèves âgés entre 5 et 13 ans. L’homme, la femme et l’enfant dirent : “Vous savez : l’enseignante a refusé de porter le Foulard, donc les islamistes savent ce qu’il font, ils ne tuent pas gratuitement, ils n’assassinent que ceux qui le méritent.”

Le jour suivant, un directeur d’école primaire fut assassiné, l’homme, la femme et l’enfant justifièrent la sentence, et dirent que le directeur méritait d’être exécuté du moment qu’il avait refusé d’appliquer la Chariaa, qui interdit clairement la mixité dans les écoles.

Le jour suivant, un journaliste fut décapité en présence de ses parents et de ses enfants, l’homme la femme et l’enfant, approuvèrent une fois de plus la sentence des “justes”, puisqu’il s’agissait d’un Algérien athée.

Les victimes des autres jours aussi, méritaient d’être éventrées, décapitées, égorgées ou assassinées par armes à feu, parce qu’elles étaient proches de membres de corps constitués, ou étrangères ou non musulmanes.

Les jours qui suivirent, l’homme et la femme décidèrent de prouver leur loyauté envers les “justes”, ces illuminés de Dieu, et leur offrirent en guise de présent, l’enfant en mariage de jouissance.

L’enfant refusa cette situation et profitant d’un moment d’inattention fuit le maquis.

Que ne fut grande la colère des justes qui décidèrent de faire payer cet affront à l’homme à la femme et à l’enfant mécréants.

Dans une descente décidée par le tribunal du maquis, ils rendirent visite à l’homme, à la femme et à l’enfant.

L’homme et la femme supplièrent les “justes” de leur laisser la vie sauve et d’épargner l’enfant, seulement leurs suppliques restèrent sans écho du moment que le chef entendait bien exécuter la sentence. Décapiter les parents pour rendre licite le viol de leur enfant, qui en application de la chariaa ne pouvait être pris comme butin de guerre en l’absence de l’exécution de la sentence.

Avant l’exécution de la sentence, 10 secondes ont suffi à l’homme, à la femme et à l’enfant pour voir les images de dix années défiler dans leurs tête, dix ans à justifier l’injustifiable.

Ce jour là fort heureusement il n’y avait plus personne parmi les neutres pour justifier la sentence divine exécutée une fois de plus par les justes.

Le lendemain, un homme et une femme parmi tant d’autres ont pris la décision de dénoncer le crime des islamistes, et d’honorer la mémoire des victimes, toute confession et conscience confondues.

Ce courage leur a valu d’être condamnés à leur tour, mais que fut féconde leur position courageuse qui donna des idées aux habitants de la ville du nord du pays ! D’autres hommes et d’autres femmes ont pris leur courage à deux mains et ont crié haut et fort leur solidarité et leur soutien aux condamnés. Ils ont demandé aux autorités des armes pour honorer leur engagement, et être fidèles au serment qu’ils venaient de prononcer.

Le serment de vivre dignes ou de mourir debout en défendant tous ceux et toutes celles qui dorénavant osaient dire qu’ils préfèrent vivre d’abord le paradis de la vie avant de vivre le paradis du ciel.

Le serment d’anéantir le crime et d’éradiquer le mal qui rongeait les citoyens de cette ville du nord du pays.

Cette lutte s’est poursuivie des années durant, il y eut encore des assassinats, des enlèvements, des décapitations, des massacres, des viols et toutes sortes de crimes perpétrés par les sanguinaires au nom de la religion. Mais plus personne dans cette ville du nord du pays n’avait refait l’erreur de justifier les crimes, commis au nom de la foi de tout un chacun.

Quand bien même, et sous prétexte que le résultat des urnes n’a pas été respecté, l’Occident bien pensant, et le parti politique démocratique laïque, poursuivaient dans le déni du droit à la vie, et soutenaient que l’islamisme est un passage obligé pour la ville du nord du pays.

En effet, les enterrements de victimes drainaient une foule nombreuse, de toutes catégories de la population. Enfin les familles enterraient les proches dans la fierté d’être parents de victimes du terrorisme, non des proches de sanguinaires islamistes.

Comme à chaque enterrement la foule était de plus en plus nombreuse dans les cimetières, le nombre de victimes commença à baisser, et les actes perpétrés par les islamistes, à reculer, et la terreur a été vaincue.

C’est alors que l’on vit arriver des êtres tombés de nulle part afin de mettre tout en œuvre pour que les victimes qui avaient souffert, soient les égaux de leurs bourreaux devant la loi.

Dans la capitale comme dans la ville du nord du pays, toute plaque commémorative fut enlevée ou cassée, et ces êtres mirent en place la politique de l’oubli et de l’impunité. L’impunité accordée à des terroristes notoires, et la condamnation à la prison ferme des victimes qui osent par un écrit ou autre expression, cultiver la mémoire et revendiquer la vérité et la justice.

Au moment où grâce à la lutte de tant de femmes et d’hommes restés debout, le terrorisme avait été vaincu et l’islamisme n’avait plus droit de cité dans la ville du nord du pays, ces êtres venus du néant, profitant d’une période d’aisance financière se sont appropriés le bénéfice de la lutte des femmes et des hommes qui avaient cru et s’étaient battus pour des idées de tolérance et de modernité. Ces spoliateurs ont instauré une islamisation d’État qui a réduit les revendications de la société, à savoir l’émergence d’un état de droit, aux signes ostentatoires de la piété et la religiosité.

Pendant ce temps de récupération des luttes pour une citoyenneté effective, et d’instauration d’un discours réconciliateur, trompeur et hypocrite qui a ébranlé la conscience et la mémoire collective, d’autres femmes, et d’autres hommes de la ville du nord du pays se faisaient assassiner dans le silence et l’anonymat, crimes dissimulés par la concorde civile et la réconciliation nationale.

Cherifa Kheddar

Présidente de l’association Djazairouna

Sœur de deux victimes du terrorisme islamiste

Leila Kheddar et Mohamed Redha

Partenaire de l’Alliance Internationale Contre le Terrorisme

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cela ne va pas sans dire
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