Micheline Weinstein • Une cause
perdue d’avance
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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte
Samuel Beckett • « L’Innommable »
Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964
It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object
Samuel Beckett • « The Unspeakable one »
Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964
ø
Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.
Bertha Pappenheim
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© Micheline Weinstein / 29 juin 2008
Une cause perdue d’avance...
[Suite de « L’affront fait à
Freud »]
Fidèles à notre
ligne éditoriale - cf. page d’accueil du
site - et avant d’y placer une rétrospective
1989-2008, en cours de relecture, des textes de
Guy Sizaret publiés par nos soins jusqu’alors,
lesquels concernent, chacun, le sort réservé
au langage et à sa transmission, voici
quelques réflexions, extraites de la correspondance
quotidienne.
Le dernier texte, «
Que sont les grammairiens devenus ? », de
juin 2008, vient d’être refusé par
la presse.
Mais tout d’abord, une précision.
Cette ligne éditoriale, à partir
du choix des publications, ne pratique pas la
censure. Cela signifie qu’entre les auteurs, si
nous ne pensons ni ne songeons, ni ne rêvons
pas d’une seule voix, nous apprécions les
échanges fructueux, en constante évolution,
à partir toutefois d’une préoccupation
commune, qui rejoint l’intitulé de notre
association, celle de ne pas laisser se nécroser
la psychanalyse, un “non” à la sclérose du savoir. Ce qui, à l’autre
extrémité de notre démarche,
est un “oui” à la
vie du langage, un “oui” au patrimoine
sans frontières, à la “Hoirie”
!
Par exemple, pour n’engager
que mon point de vue quant à la traduction
de concepts établis par Freud concernant
la clinique psychanalytique, voici ce que j’écrivais
à un collègue, il y a tout juste
un an, en juillet 2007,
[...] De même, je me souviens du
petit mot - qui doit encore dormir dans les archives
- que vous m’aviez adressé, à propos
de la traduction de l’“Autre”; le
“grand”, pour qualifier la Mère
Originaire Effarante, où je vous avais
en réponse indiqué qu’il portait
chez Freud une majuscule, reprise par Lacan. Et
aussi, à propos de ce que vous traduisez
par “attente croyante”, je vous avais
modestement glissé qu’il me semblait plus
proche de Freud de traduire le verbe “glauben”
allemand par “avoir confiance“, ce
qui aurait donné l’expression, “attente
confiante”, et non pas “attente croyante”,
de la part de l’analysant/e. Le verbe “croire”,
compte-tenu de la position de Freud par rapport
à la religion, me paraissait inadéquat.
[...]
Ainsi, pour peu que cela intéresse,
nous pouvons débattre nos points de vue
respectifs, les soumettre aux critiques, évitant
honnêtement de s’ériger en l’un ou
l’autre parangon détenteur d’une vérité
censée être “une et indivisible”.
Ce que j’intitule donc «
Une cause perdue d’avance », c’est l’abandon
total en France, à mesure que les freudiens
de la première et seconde générations
disparaissaient, de la fonction thérapeutique
de la psychanalyse, laquelle, ne nous y trompons
pas, n’a jamais été associée
au “miracle”, qui relèverait
de la “croyance”, mais reste solidement,
à l’usage, efficace.
J’ai attribué, peut-être à tort, cet abandon de la
fonction thérapeutique à ce “principe
de plaisir” qui sert servilement cette sangsue
souterraine qu’est la pulsion de mort, “principe
de plaisir” que j’ai renommé, “le
principe de flemme”. Autrement dit, l’adoption
d’une posture qui consiste à en faire le
moins possible afin d’économiser son énergie
et ainsi se maintenir a-minima en vie le
plus longtemps possible. L’effet pervers de cette
posture est qu’elle profite largement aux snobismes
littéraire et philosophique mondains, nettement
plus avantageux pour chaque “Moi”
médiatique, lequel s’adresse avec condescendance,
comme s’il ne faisait pas partie de cette espèce,
aux “gens”, eux, les autres, la plèbe...
Dans l’histoire des rapports
entre psychanalystes, ceux qui se réclament
de se comporter “comme tout le monde”,
à mesure que le temps passait, les noms
de psychanalystes ayant servi de références
quand cela était profitable, disparaissaient.
Dernièrement j’ai donc écrit, nâvrée,
un petit courrier à un collègue,
intitulé “De la ponctuation”
dont voici un extrait,
Paris, le 16 juin 2008
Si j’ai bien compris, après un demi-siècle à exister
imbécilement dans ma lune freudienne, il
se passe dans le milieu analytique ce qui a cours
chez tous les humains “comme tout le monde”.
Quand, au mépris de toute personne qui n’est pas “Moi”,
qui que ce soit, au mépris de ce qu’elle
fait de sa vie, “on” ne la traite
pas, en termes couverts ou nosographiques, c’est-à-dire
plus ou moins hypocrites, de “déficitaire
mental”, au neutre, “on” tue
d’abord et puis “on” dit : “Tiens,
il/elle est mort/e !”, point d’exclamation
; à moins que, plus raffiné, ce
soit : “Il/elle est fini/e.”, point
; ou mieux encore : “Connais pas”,
ponctuation diverse... Cela est bien dommage. Dolto écrivait déjà à
Lacan à la fin des années cinquante
puis, trente ans après, au moment de la
dissolution de l’EFP, que les analystes se gardent
bien de dire franchement, bien en face, ce qu’ils
pensent, d’ailleurs ils se gardent tout simplement
de répondre quand une question leur est
adressée. “Répondre” dans son sens premier, étymologique
: s’engager. Et, pendant tout ce temps, tous ces discours sur la Shoah...
Les pouvoir publics n’ont
pas souhaité qu’il en soit autrement. En
leur temps, Lacan, Dolto, Perrier, pourtant bien
introduits dans de fameux lobbies politiques diversifiés,
n’ont jamais obtenu aucune aide par deux Ministres
de la Santé successifs, l’une à
droite, le deuxième à gauche, lesquels
ont ainsi refusé que soit reconnue la portée
de la clinique psychanalytique, via l’octroi
officiel de subventions à l’EFP, à
la création de la Maison Verte, au Quatrième
Groupe et probablement ailleurs aussi.
La clinique psychanalytique
au quotidien présente cette caractéristique
particulière qu’elle ne favorise pas le
narcissisme de l’analyste, bien au contraire elle
l’en prive durement. De telle sorte que l’analyste
doit souvent surmonter la tentation au découragement,
tant ce travail est long, ardu, et à tous
points de vues ingrat. L’analyste ne reçoit
bien souvent témoignage de la “réussite”
thérapeutique d’une analyse que des années,
voire des dizaines d’années après
son début, quand le temps, la patience,
ayant accompli leur œuvre, arrive, inattendu,
un signe de reconnaissance de la part de l’analysant/e,
de parents d’enfants devenus adultes, ou encore
quand l’un/e de leurs proches, de l’entourage,
s’adresse à l’un/e de nous pour entreprendre
une analyse ou lui confier son enfant.
Maintenant, pour faire bref,
juste des notes sur l’actualité.
Comme je l’ai précisé
auprès de mes correspondants, ce n’est
pas que je ne m’intéresse pas à
la politique, mais la politique est un métier,
je suis donc une béotienne en la matière
et n’aime pas me mêler de ce qui ne ressortit
pas à ce qui m’a été enseigné.
Par contre, ce qui m’intéresse,
ce sont les conséquences de l’utilisation
actuelle du langage, quelle que soit la discipline
ou la pratique courante, qui peu à peu
s’est traduite en termes et en qualificatifs approximatifs,
dont certains sont, soit, pour rester mesurée,
limitrophes de la vulgarité, soit montrent
la méconnaissance élémentaire
d’un sujet.
Il ne s’agit donc pas là
de se situer à gauche ou à droite,
pas plus que de prendre parti ou annoncer la couleur
de son bulletin de vote.
Côté vulgarité
: “on” dit, dans les médias,
du Président de la République qu’il
est “agité”, terme qui ressemble
à une qualification crypto-psychiatrique,
alors que la personne est peut-être tout
simplement “soupe au lait”, expression
ancienne, oubliée, mais si explicite, de
plus assez jolie, qui évite de présumer
abusivement, sans avoir pris un minimum de temps
pour baser ses dires sur des actes, d’intentions
malfaisantes.
Sur une l’autre rive des mêmes tendances politiques, “on”
s’ingénie, pour le discréditer,
altérant sciemment, tordant sciemment,
effaçant sciemment sa pensée et
ses certitudes - sur l’immigration pour ne prendre
qu’un exemple -, à décrire Olivier
Besancenot, qui est populaire, comme le “populiste
Le Pen de gauche”, ce qui, “on”
voudra bien me passer l’expression, est tout aussi,
intellectuellement, franchement “dégueulasse”.
Bref, l’époque semble infléchie vers des salmigondis langagiers,
qui n’ont aucun lien de parenté avec la
truculente langue verte.
Côté approximation
des connaissances : imposer aux élèves
René Char comme poète de référence
obligatoire, est-ce vraiment une excellente idée
? René Char oui, mais en tant qu’effigie
nationale, est-ce historiquement prudent, si l’on
se reporte aux témoignages du poète/écrivain
Gil Jouanard,
dont certains exposés ont été interdits de publication
lors de récents jubilés, mais aussi
si l’on se rappelle l’année 1973 des «
Annales d’Histoire Révisionniste »,
c’est-à-dire la proximité du grand
homme avec Heidegger, et l’emphase poétique
qui hélas a suivi.
Pourquoi également
reprendre sans cesse ce vieux Shmate, s’appuyant
sur une querelle de rabbins du Moyen-Âge,
ainsi que le commentait Marcel Stourdzé,
qui consiste, pour des raisons peut-être
diplomatiques, à vouloir prouver que l’on
n’est pas Juif, puisqu’une mère n’aurait
pas été de sang juif, ni
de religion juive ? Pourquoi se référer
à ces critères insensés qui
ont mené là où nous savons
et qui de plus, entretiennent un sexisme vieux
comme l’Antiquité parlante et pensante,
pérennisant ce soupçon que toute
femme aurait fricoté, ou serait susceptible
de le faire, avec du sperme non élu ? Les
Juifs authentiquement laïcs ont tout lieu,
encore aujourd’hui, de s’inquiéter d’une
“ukase” promulguée dans certaines
Écritures, avalée et assimilée
sans moufter comme irréfutable, laquelle
continue de nourrir le mépris envers la
femme, et infléchit les esprits, à
leur insu, vers l’intégrisme, le totalitarisme*.
Pour terminer sur une note
d’espoir, c’est-à-dire sur un rêve
qui deviendrait réalité, j’ai entendu
récemment, sur LCP [La Chaîne Parlementaire],
un entretien remarquable avec le Professeur Leroy-Beaulieu.
J’ai ainsi appris qu’aux États-Unis, il
est formellement interdit aux administrations,
de faire figurer la date de naissance des chercheurs
sur les formulaires de demande de subventions.
Autrement dit aux USA, il est interdit de jeter
l’esprit, la pensée, leurs réalisations,
sous prétexte qu’ils ont atteint la soixantaine.
En France, l’esprit, la recherche, et nombre d’autres
potentialités, bien vivaces, sont interdits
de subventions à partir de 60/65 ans, et
bien moins quand cela se rapporte aux salaires
et aux honoraires. D’où, l’exode des “cerveaux...
”
Hélas, cet interdit
d’âge limite ne s’applique pas aux USA et
ailleurs à la psychanalyse, non reconnue,
aujourd’hui comme hier, pour sa qualité
originale, authentique, à part entière,
de discipline indépendante.
*
En vérifiant l’orthographe de “shmate”
en ydish, je viens de tomber par hasard sur le
verbe “vayzn”. Le “w”
n’existe pas en ydish. À mon grand plaisir,
en admettant que les employés d’administrations
antisémites aient successivement inversé
phonétiquement les lettres [“vaynz”au
lieu de “vayzn“], comme ce fut couramment
le cas aussi pour les noms arabes, à partir
du moment où l’on nous a, les uns et les
autres, dotés d’un patronyme dit “propre”,
tous les “Vaynz... Waynz... Veins... Weins...”
quelque chose, seraient, non plus des “souffrants”
issus du verbe “weinen”, “pleurer”,
mais, ce qui n’exclut pas, des “voyants”,
puisque “vazn” signifie “rendre
visible” !
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ψ [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2015
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