Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein • Quelques fondamentaux à l’intention des professeurs de psychanalyse

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein

Lectures - interprétation - traduction

 

Quelques fondamentaux à l’intention des professeurs de psychanalyse

 

 

[Ces quelques fondamentaux s’adressent particulièrement à la diligence d’universitaires, fussent-ils journalistes, médias et médiatiques, tel le Professeur Onfray, sycophante de Freud et de Françoise Dolto, de France Culture pour l’une de ses émissions inspirée par Jung, « Les Racines du ciel », et alii…]

 

“Par la suite, je me suis alors refusé l’extrême plaisir de lire les œuvres de Nietzsche, dans le but délibéré* de n’être gêné par aucune sorte d’entrave anticipatrice dans l’élaboration de mes perceptions psychanalytiques. Je devais donc être prêt - et je le suis aisément - à renoncer à toute revendication de priorité dans de nombreuses circonstances où les laborieuses investigations psychanalytiques ne peuvent que confirmer les points de vue acquis par l’intuition du philosophe.” • Freud

 

 

* Je souligne

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Lettre de Freud à Romain Rolland • Janvier 1936

 

Très cher ami

 

Vous le savez, mon travail scientifique s’était donné pour but d’étudier certains phénomènes psychiques inhabituels, anormaux, pathologiques, c’est-à-dire de témoigner des forces psychiques qui y sont à l’œuvre et d’en mettre à nu les mécanismes actifs. Je l’ai d’abord tenté sur ma propre personne, puis sur d’autres, enfin, par un audacieux empiétement, sur l’espèce humaine tout entière. L’une de ces expériences que j’ai faite moi-même il y a de cela une génération - c’était en 1904 - et que je n’avais jamais comprise depuis, m’est sans cesse revenue en mémoire ces dernières années sans que j’en puisse déceler la raison. À la fin, j’ai décidé d’analyser ce petit épisode et je vous communique le résultat de mon étude.

 

Un trouble de mémoire sur l’Acropole

 

À cette époque, j’avais coutume de partir tous les ans avec mon frère cadet à la fin d’août ou au début de septembre pour un voyage de vacances qui durait plusieurs semaines et qui nous conduisait à Rome, dans une quelconque région d’Italie ou sur quelque côte de la Méditerranée.

[…] Nous décidâmes de partir de Trieste pour nous rendre à l’île de Corfou, où nous passerions nos quelques jours de congés.

L’après-midi de notre arrivée, quand je me trouvai sur l’Acropole et que j’embrassai le paysage du regard, il me vint subitement cette étrange idée : “Ainsi tout cela existe réellement comme nous l’avons appris à l’école !”

[…]

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Freud • Sur l’histoire du mouvement analytique

Extrait

[Édition de 1924]

 

[…] L’objectif de chapitre [in Jones, vol. II] était d’établir clairement les postulats et hypothèses de la psychanalyse, pour démontrer que les théories d’Adler et de Jung lui étaient totalement incompatibles, et pour en tirer la conclusion qu’elles ne mèneraient à rien, sinon à une confusion générale si cette position contradictoire de points de vue persistait à leur attribuer le même nom de Psychoanalyse*. Et, bien que l’opinion largement répandue ait persévéré à prétendre qu’il y avait “3 écoles de psychanalyse”, l’argumentaire de Freud finit par prévaloir. Adler, quant à ses théories, ayant alors choisi l’appellation de Psychologie individuelle, à sa suite Jung, quant aux siennes, adopta peu après celle de Psychologie analytique. […]

 Note de l’éditeur

* Il revient à Jung d’avoir francisé « Psychoanalyse » en « Psychanalyse »

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La théorie du refoulement est à présent le pilier d’angle sur lequel repose l’édifice de la psychanalyse, pour ainsi dire sa pièce fondamentale, qui n’est elle-même rien d’autre que le témoignage théorique d’une expérience qui peut se renouveler ad libitum, pour peu que l’on engage une analyse auprès d’un névrosé sans le recours à l’hypnose. C’est alors que l’on parvient à percevoir une résistance qui s’oppose au travail analytique et se retranche derrière une défaillance de la mémoire, dans le but de le contrecarrer. L’usage de l’hypnose est destiné à camoufler cette résistance ; c’est l’unique raison pour laquelle l’histoire de la psychanalyse en tant que telle ne commence qu’avec l’innovation de la technique du renoncement à l’hypnose. Du fait que cette résistance coïncide avec une amnésie, un examen théorique approfondi conduit alors inévitablement à la thèse d’une activité psychique inconsciente spécifique de la psychanalyse. Toujours est-il que cette analyse se distingue nettement des spéculations philosophiques sur l’inconscient. C’est pourquoi l’on peut dire que la théorie psychanalytique s’efforce de rendre compte de deux faits que l’expérience révèle de façon tout à fait inattendue et ostensible, lorsque l’on essaie de faire remonter jusqu’à leur source les symptômes morbides qui procèdent de la biographie d’un névrosé : le fait du transfert et celui de la résistance. Toute orientation de recherche qui reconnaît ces deux faits et les prend comme points de départ de son travail, peut être désignée par psychanalyse, quand bien même elle aboutirait à des conclusions autres que les miennes. Mais celui qui altère latéralement le problème en excluant ces deux hypothèses, celui-là n’échappera probablement pas à l’accusation d’atteinte à la propriété par tentative de contrefaçon [“Mimikry”, plagiat], s’il s’obstine à se qualifier de psychanalyste.   

[…] Le petit cercle s’élargit bientôt, [...] Je pouvais être satisfait et pensais avoir tout fait pour rendre accessible à d’autres ce que l’expérience m’avait enseigné. Deux choses seulement témoignèrent d’un mauvais présage lesquelles, en mon for intérieur, finirent par me détacher du cercle. Je ne réussis ni à établir parmi ses membres la concorde amicale qui doit régner chez les hommes engagés dans un travail partagé aussi ardu, ni à étouffer les différends de priorité, auxquels les modalités d’un travail commun offraient d’aussi substantielles opportunités.

[…] Je dois maintenant évoquer deux mouvements transfuges, qui s’accomplirent au sein même des affidés de la psychanalyse […]. La déception qu’ils m’ont causée aurait pu être évitée, si l’on avait davantage respecté les processus qui se manifestent régulièrement au cours d’un traitement analytique. Certes, j’entendais parfaitement que, lors d’une approche rudimentaire de la psychanalyse, l’on puisse prendre la fuite devant ses vérités gênantes, j’avais d’ailleurs toujours maintenu que l’intellection de quiconque est enrayée par ses propres refoulements (ou encore, par les résistances qui les étayent), de telle sorte qu’il ne puisse aller au-delà de quelque limite dans sa relation à l’analyse. Mais je ne m’étais pas attendu à ce que quelqu’un ayant acquis une certaine profondeur dans sa compréhension de l’analyse puisse avec cela y renoncer et la perdre.

[…] J’avais à apprendre qu’à l’instar des patients en analyse, il peut en aller de même des psychanalystes.

[…] Certes, je savais déchiffrer le comportement de ces adversaires et m’étais déjà rendu compte que la psychanalyse révèle ce qu’il y a de pire chez chaque humain.

[…] L’expérience montre que, dans les controverses scientifiques, très peu d’humains seulement sont aptes à rester courtois, encore moins objectifs, et ces polémiques ont de tout temps produit sur moi une impression dissuasive.

[…] Qui plus est, Jung se déclarait disposé à faire évoluer les relations amicales et à abandonner en ma faveur des préjugés raciaux qu’il s’était permis jusqu’alors. À cette époque, je ne pressentais pas combien un tel choix était plus que malencontreux […], qu’il émanait d’un personnage inapte à supporter la prééminence d’un autre, que de plus il n’était pas compétent pour incarner lui-même l’autorité, et dont l’énergie ne s’investissait que dans la poursuite de ses propres intérêts.

J’estimais nécessaire la mise en place d’une structure officielle d’association, car je craignais l’abus selon lequel, aussitôt vulgarisée, la psychanalyse serait dévoyée. Il fallait qu’il y eût alors un secteur qualifié pour énoncer : la psychanalyse n’a rien en commun avec de telles balivernes. 

 

Adler et Jung : deux mouvements transfuges

[Abfall signifie également : déchets, raclures…]

 

Adler

 

[…] l’on devrait savoir se dispenser de devenir ce que les Anglais, avec leur élégant tact social nomment unfair, pour lequel les Allemands ne disposent que d’un mot des plus cru [Gauner ? : escroc, fripouille… ?].

[…] Adler franchit alors un pas, et c’est tout à son honneur, rompit tout lien avec la psychanalyse et en isola sa théorie sous l’appellation d’« Individualpsychologie ». Il y a suffisamment de place sur la terre de l’Éternel et il est tout à fait légitime que chacun puisse caracoler sans entraves, mais il n’est pas souhaitable de continuer à résider sous un même toit quand l’on ne s’entend plus et ne se supporte plus.

[…] La théorie adlérienne fut dès le début un “système”, ce que la psychanalyse se garda avec soin de devenir.

[…]  Dans cette affaire [du bénéfice secondaire que procure la maladie], le Moi joue alors le rôle ridicule du stupide Auguste d’un cirque qui par ses gesticulations veut convaincre les spectateurs que toutes les virevoltes de son carrousel n’obéissent qu’à sa seule injonction. Mais seuls les plus jeunes parmi les spectateurs lui accordent leur crédit.

 

Jung

  [Freud considère l’approche de Jung comme étant ad captandam benevolentiam, c’est-à-dire comme orientée à seule fin de gagner les faveurs de son auditoire]

 

S’aligner sur le point de vue du plus grand nombre, se détourner d’une innovation ressentie comme gênante, prétendre s’émanciper [au prétexte d’une attitude paternaliste de Freud quant à la théorie de la sexualité] par un acte immature, rend d’emblée invraisemblable la révision de la psychanalyse par Jung. À terme, sur ce sujet, ce n’est pas l’âge de l’auteur qui en décide, mais la nature de l’acte.

[…] La modification de Jung […] se présente sous un aspect bizarrement volatile, tantôt comme [sic] “une déviation très édulcorée qui ne mérite pas les criailleries déclenchées autour d’elle”, tantôt comme la perspective originale annonciatrice d’une nouvelle ère pour la psychanalyse, voire d’une nouvelle vision du monde pour quiconque.

[…] Je suis de nature volontiers prêt à concéder que chacun a le droit de penser et d’écrire ce qu’il veut, mais il n’a pas le droit de le divulguer pour autre chose que du bien-fondé dont il s’agit.

[…] Pour conclure, je voudrais dire qu’avec sa “modification” de la psychanalyse, Jung a donné raison au célèbre couteau de Lichtenberg. Il en a changé le manche et y a mis une nouvelle lame ; puisque la même marque y est gravée, nous devrions alors tenir cet outil pour authentique.

[…]

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Extraits

Freud • Autoportrait

 

[Édition de 1924 • J’ai préféré garder la traduction initiale, explicite, du titre en français plutôt que celle, à mon sens pédante, adoptée depuis 2003 par les traducteurs officiels • M. W.]

 

[…] À l’exception des résistances émotionnelles, lesquelles s’expliquaient aisément par la théorie psychanalytique et ne nous troublaient pas le moins du monde, il me semblait en l’occurrence que l’obstacle majeur à une entente entre nous se trouvait lié à ceci que mes adversaires voyaient dans la psychanalyse un fruit de ma fantaisie spéculative et ne voulaient pas prendre en considération le long, patient travail exempt de toute partialité que j’avais investi dans son élaboration. D’après eux, l’analyse n’avait aucun rapport avec l’exploration et l’expérience, de telle sorte qu’ils s’estimaient habilités à la récuser sans même l’avoir, eux-mêmes, expérimentée.

D’autres, qui se sentaient moins irréfragables devant une telle conviction, reproduisaient le classique stratagème de la résistance, celui de ne pas regarder dans le microscope pour ne pas voir ce qu’ils avaient contesté.

[…] En Europe, au cours des années 1911-1913 émergèrent deux mouvements transfuges de la psychanalyse, initiés par deux personnes qui jusque-là avaient joué un rôle appréciable dans la jeune science, ceux d’Adler et de Jung. Ces deux mouvements se révélèrent fort alarmants et rallièrent rapidement un grand nombre de zélateurs. Toutefois, leur force relevait, non d’un substrat en soi, mais de l’appât qui leur était offert de se libérer des résultats jugés licencieux de la psychanalyse, alors même que l’on ne déniait plus la pertinence de son matériau. Jung s’essaya à une réinterprétation différente des faits analytiques en termes abstraits, impersonnels et anhistoriques*, espérant ainsi s’épargner la prise en compte de la sexualité infantile et du complexe d’Œdipe, de même que de l’inappréciable analyse de l’enfance.

[…]

La critique traita les deux hérétiques avec grande mansuétude. Devant cela, je n’aboutis qu’à obtenir tant d’Adler que de Jung, qu’ils renoncent à nommer leurs théories « Psychanalyse ».

[…]

Quand une communauté est fondée à partir d’une concordance sur des points cardinaux, il devient évident que ceux qui ont déserté ce terrain commun s’en excluent d’eux-mêmes.

 

* Unpersönliche - Unhistorische. Rappelons que le préfixe “un-” chez Freud désigne la trace du refoulé.

 

En France : Janet

 

Quant à une intelligence des névroses, la théorie du refoulement en devint sa pierre angulaire.

[…]

Cette divergence* me semble d’une portée suffisamment ample pour qu’elle mette un terme aux commérages ressassés à l’envi, selon lesquels ce qui a valeur pour la psychanalyse se réduirait à des idées empruntées à Janet. […] J’ai toujours considéré Janet lui-même avec respect, […] Mais lorsqu’au cours du temps la psychanalyse devint en France objet de débats, Janet se conduisit mal, et c’est à l’aide d’arguments abjects qu’il fit montre d’une totale ignorance des faits. À mes yeux il n’y gagna qu’à se mettre dans une situation délicate et à discréditer son propre travail, après qu’il eut proclamé que, lorsqu’il qu’il avait parlé d’actes psychiques « inconscients », il ne voulait rien dire par là, ce n’était rien de plus qu’“une façon de parler”.

 

* Entre Janet et Freud. Cf. Jones in « La vie et l’œuvre de Sigmund Freud » cite une lettre que Marie Bonaparte lui a adressée le 9 avril 1937. Voici extrait de ce passage :

 

Édouard Pichon, un analyste français qui était aussi le gendre de Janet, écrivit à Freud pour lui demander si son beau-père pourrait venir le voir. Voici les commentaires que Freud fit à Marie Bonaparte :

« Non, je ne verrai pas Janet. Je ne puis m’empêcher de lui reprocher de s’être conduit injustement à l’égard de la psychanalyse et aussi envers moi personnellement et de n’avoir jamais rien fait pour réparer cela. Il fut assez bête pour dire que l’idée d’une étiologie sexuelle des névroses ne pouvait germer que dans l’atmosphère d’une ville comme Vienne. Puis lorsque les écrivains français répandirent la rumeur selon laquelle j’aurais suivi ses conférences et lui aurais volé ses idées, il aurait pu, d’un mot, mettre fin à de tels racontars puisqu’en fait je ne lui ai jamais parlé ni n’ai entendu prononcer son nom pendant la période Charcot ; il ne l’a jamais fait. Vous pouvez vous faire une idée de son niveau scientifique d’après sa déclaration selon laquelle l’inconscient est une façon de parler [en français dans le texte]. Non, je ne le verrai pas. J’ai d’abord pensé lui épargner cette impolitesse sous le prétexte que je n’étais pas bien ou que je ne pouvais plus m’exprimer en français, lui ne sachant sûrement pas un mot d’allemand. Mais j’ai décidé de ne pas le faire. Je n’ai aucune raison de faire un sacrifice pour lui. Honnêteté, seule chose possible ; impolitesse tout à fait acceptable. »

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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