© Micheline Weinstein
Lectures - interprétation - traduction
Quelques fondamentaux à l’intention des
professeurs de psychanalyse
[Ces quelques fondamentaux s’adressent
particulièrement à la diligence d’universitaires, fussent-ils journalistes, médias
et médiatiques, tel le Professeur Onfray, sycophante
de Freud et de Françoise Dolto, de France Culture pour l’une de ses émissions inspirée
par Jung, « Les Racines du ciel », et alii…]
“Par la suite, je me suis alors refusé l’extrême
plaisir de lire les œuvres de Nietzsche, dans le but délibéré* de n’être gêné par aucune
sorte d’entrave anticipatrice dans l’élaboration de mes perceptions
psychanalytiques. Je devais donc être prêt - et je le suis aisément - à
renoncer à toute revendication de priorité dans de nombreuses circonstances où
les laborieuses investigations psychanalytiques ne peuvent que confirmer les
points de vue acquis par l’intuition du philosophe.” • Freud
* Je souligne
ø
Lettre
de Freud à Romain Rolland • Janvier 1936
Très
cher ami
Vous le
savez, mon travail scientifique s’était donné pour but d’étudier certains
phénomènes psychiques inhabituels, anormaux, pathologiques, c’est-à-dire de
témoigner des forces psychiques qui y sont à l’œuvre et d’en mettre à nu les
mécanismes actifs. Je l’ai d’abord tenté sur ma propre personne, puis sur d’autres,
enfin, par un audacieux empiétement, sur l’espèce humaine tout entière. L’une
de ces expériences que j’ai faite moi-même il y a de cela une génération - c’était
en 1904 - et que je n’avais jamais comprise depuis, m’est sans cesse revenue en
mémoire ces dernières années sans que j’en puisse déceler la raison. À la fin,
j’ai décidé d’analyser ce petit épisode et je vous communique le résultat de
mon étude.
Un trouble de mémoire sur l’Acropole
À cette époque, j’avais coutume de partir tous les ans avec mon frère cadet à la fin d’août ou au début de septembre pour un voyage de vacances qui durait plusieurs semaines et qui nous conduisait à Rome, dans une quelconque région d’Italie ou sur quelque côte de la Méditerranée.
[…] Nous décidâmes de partir de Trieste pour nous rendre à l’île de Corfou, où nous passerions nos quelques jours de congés.
L’après-midi de notre arrivée, quand je me trouvai sur l’Acropole et que j’embrassai le paysage du regard, il me vint subitement cette étrange idée : “Ainsi tout cela existe réellement comme nous l’avons appris à l’école !”
[…]
ø
Freud • Sur l’histoire du
mouvement analytique
Extrait
[Édition de 1924]
[…] L’objectif de chapitre [in Jones, vol. II] était
d’établir clairement les postulats et hypothèses de la psychanalyse, pour
démontrer que les théories d’Adler et de Jung lui étaient totalement
incompatibles, et pour en tirer la conclusion qu’elles ne mèneraient à rien,
sinon à une confusion générale si cette position contradictoire de points de
vue persistait à leur attribuer le même nom de Psychoanalyse*. Et, bien que l’opinion
largement répandue ait persévéré à prétendre qu’il y avait “3 écoles de
psychanalyse”, l’argumentaire de Freud finit par prévaloir. Adler, quant à ses
théories, ayant alors choisi l’appellation de Psychologie individuelle, à sa suite Jung, quant aux siennes,
adopta peu après celle de Psychologie
analytique. […]
Note
de l’éditeur
* Il
revient à Jung d’avoir francisé « Psychoanalyse » en
« Psychanalyse »
ø
La théorie du
refoulement est à présent le pilier d’angle sur lequel repose l’édifice de la psychanalyse,
pour ainsi dire sa pièce fondamentale, qui n’est elle-même rien d’autre que le
témoignage théorique d’une expérience qui peut se renouveler ad libitum, pour peu que l’on engage une
analyse auprès d’un névrosé sans le recours à l’hypnose. C’est alors que l’on
parvient à percevoir une résistance qui s’oppose au travail analytique et se
retranche derrière une défaillance de la mémoire, dans le but de le
contrecarrer. L’usage de l’hypnose est destiné à camoufler cette résistance ;
c’est l’unique raison pour laquelle l’histoire de la psychanalyse en tant que
telle ne commence qu’avec l’innovation de la technique du renoncement à l’hypnose.
Du fait que cette résistance coïncide avec une amnésie, un examen théorique approfondi
conduit alors inévitablement à la thèse d’une activité psychique inconsciente
spécifique de la psychanalyse. Toujours est-il que cette analyse se distingue nettement
des spéculations philosophiques sur l’inconscient. C’est pourquoi l’on peut
dire que la théorie psychanalytique s’efforce de rendre compte de deux faits
que l’expérience révèle de façon tout à fait inattendue et ostensible, lorsque
l’on essaie de faire remonter jusqu’à leur source les symptômes morbides qui
procèdent de la biographie d’un névrosé : le fait du transfert et celui de
la résistance. Toute orientation de recherche qui reconnaît ces deux faits et
les prend comme points de départ de son travail, peut être désignée par
psychanalyse, quand bien même elle aboutirait à des conclusions autres que
les miennes. Mais celui qui altère latéralement le problème en excluant ces
deux hypothèses, celui-là n’échappera probablement pas à l’accusation d’atteinte
à la propriété par tentative de contrefaçon [“Mimikry”, plagiat], s’il s’obstine à se qualifier de
psychanalyste.
[…] Le petit cercle
s’élargit bientôt, [...] Je pouvais être satisfait et
pensais avoir tout fait pour rendre accessible à d’autres ce que l’expérience m’avait
enseigné. Deux choses seulement témoignèrent d’un mauvais présage lesquelles, en
mon for intérieur, finirent par me détacher du cercle.
Je ne réussis ni à établir parmi ses membres la concorde amicale qui doit
régner chez les hommes engagés dans un travail partagé aussi ardu, ni à étouffer
les différends de priorité, auxquels les modalités d’un travail commun
offraient d’aussi substantielles opportunités.
[…] Je dois
maintenant évoquer deux mouvements transfuges, qui s’accomplirent au sein même
des affidés de la psychanalyse […]. La déception qu’ils m’ont causée aurait pu
être évitée, si l’on avait davantage respecté les processus qui se manifestent
régulièrement au cours d’un traitement analytique. Certes, j’entendais
parfaitement que, lors d’une approche rudimentaire de la psychanalyse, l’on puisse
prendre la fuite devant ses vérités gênantes, j’avais d’ailleurs toujours
maintenu que l’intellection de quiconque est enrayée par ses propres
refoulements (ou encore, par les résistances qui les étayent), de telle sorte
qu’il ne puisse aller au-delà de quelque limite dans sa relation à l’analyse.
Mais je ne m’étais pas attendu à ce que quelqu’un ayant acquis une certaine
profondeur dans sa compréhension de l’analyse puisse avec cela y renoncer et la
perdre.
[…] J’avais à
apprendre qu’à l’instar des patients en analyse, il peut en aller de même des
psychanalystes.
[…] Certes, je
savais déchiffrer le comportement de ces adversaires et m’étais déjà rendu
compte que la psychanalyse révèle ce qu’il y a de pire chez chaque humain.
[…] L’expérience
montre que, dans les controverses scientifiques, très peu d’humains seulement
sont aptes à rester courtois, encore moins objectifs, et ces polémiques ont de
tout temps produit sur moi une impression dissuasive.
[…] Qui plus est,
Jung se déclarait disposé à faire évoluer les relations amicales et à
abandonner en ma faveur des préjugés raciaux qu’il s’était permis jusqu’alors.
À cette époque, je ne pressentais pas combien un tel choix était plus que
malencontreux […], qu’il émanait d’un personnage inapte à supporter la
prééminence d’un autre, que de plus il n’était pas compétent pour incarner
lui-même l’autorité, et dont l’énergie ne s’investissait que dans la poursuite
de ses propres intérêts.
J’estimais
nécessaire la mise en place d’une structure officielle d’association, car je
craignais l’abus selon lequel, aussitôt vulgarisée, la psychanalyse serait
dévoyée. Il fallait qu’il y eût alors un secteur qualifié pour énoncer :
la psychanalyse n’a rien en commun avec de telles balivernes.
Adler et Jung : deux mouvements transfuges
[Abfall signifie également : déchets, raclures…]
Adler
[…] l’on devrait savoir se dispenser de devenir ce que les
Anglais, avec leur élégant tact social nomment unfair, pour lequel les Allemands
ne disposent que d’un mot des plus cru [Gauner ? : escroc, fripouille… ?].
[…] Adler franchit
alors un pas, et c’est tout à son honneur, rompit tout lien avec la
psychanalyse et en isola sa théorie sous l’appellation d’« Individualpsychologie ». Il y a
suffisamment de place sur la terre de l’Éternel et il est tout à fait légitime
que chacun puisse caracoler sans entraves, mais il n’est pas souhaitable de
continuer à résider sous un même toit quand l’on ne s’entend plus et ne se
supporte plus.
[…] La théorie
adlérienne fut dès le début un “système”, ce que la psychanalyse se garda avec
soin de devenir.
[…] Dans cette affaire [du bénéfice secondaire que procure la maladie], le Moi joue alors
le rôle ridicule du stupide Auguste d’un cirque qui par ses gesticulations veut
convaincre les spectateurs que toutes les virevoltes de son carrousel n’obéissent
qu’à sa seule injonction. Mais seuls les plus jeunes parmi les spectateurs lui accordent leur crédit.
Jung
[Freud considère l’approche de Jung comme étant ad captandam benevolentiam, c’est-à-dire comme orientée à seule fin de gagner les faveurs de son auditoire]
S’aligner sur le
point de vue du plus grand nombre, se détourner d’une innovation ressentie
comme gênante, prétendre s’émanciper [au
prétexte d’une attitude paternaliste de Freud quant à la théorie de la
sexualité] par un acte immature, rend d’emblée invraisemblable la révision
de la psychanalyse par Jung. À terme, sur ce sujet, ce n’est pas l’âge de l’auteur
qui en décide, mais la nature de l’acte.
[…] La
modification de Jung […] se présente sous un aspect bizarrement volatile,
tantôt comme [sic] “une déviation
très édulcorée qui ne mérite pas les criailleries déclenchées autour d’elle”,
tantôt comme la perspective originale annonciatrice d’une nouvelle ère pour la
psychanalyse, voire d’une nouvelle vision du monde pour quiconque.
[…] Je suis de
nature volontiers prêt à concéder que chacun a le droit de penser et d’écrire
ce qu’il veut, mais il n’a pas le droit de le divulguer pour autre chose que du
bien-fondé dont il s’agit.
[…] Pour conclure, je
voudrais dire qu’avec sa “modification” de la psychanalyse, Jung a donné raison
au célèbre couteau de Lichtenberg. Il en a changé le manche et y a mis une
nouvelle lame ; puisque la même marque y est gravée, nous devrions alors tenir
cet outil pour authentique.
[…]
ø
Extraits
Freud • Autoportrait
[Édition de 1924 • J’ai préféré garder la traduction initiale,
explicite, du titre en français plutôt que celle, à mon sens pédante, adoptée
depuis 2003 par les traducteurs officiels • M. W.]
[…] À l’exception des résistances émotionnelles, lesquelles s’expliquaient aisément par la
théorie psychanalytique et ne nous troublaient pas le moins du monde, il me
semblait en l’occurrence que l’obstacle majeur à une entente entre nous se
trouvait lié à ceci que mes adversaires voyaient dans la psychanalyse un fruit
de ma fantaisie spéculative et ne voulaient pas prendre en considération le
long, patient travail exempt de toute partialité que j’avais investi dans son
élaboration. D’après eux, l’analyse n’avait aucun rapport avec l’exploration et
l’expérience, de telle sorte qu’ils s’estimaient habilités à la récuser sans
même l’avoir, eux-mêmes, expérimentée.
D’autres, qui se
sentaient moins irréfragables devant une telle conviction, reproduisaient le
classique stratagème de la résistance, celui de ne pas regarder dans le
microscope pour ne pas voir ce qu’ils avaient contesté.
[…] En Europe, au
cours des années 1911-1913 émergèrent deux mouvements transfuges de la
psychanalyse, initiés par deux personnes qui jusque-là avaient joué un rôle
appréciable dans la jeune science, ceux d’Adler et de Jung. Ces deux mouvements
se révélèrent fort alarmants et rallièrent rapidement un grand nombre de
zélateurs. Toutefois, leur force relevait, non d’un substrat en soi, mais de l’appât
qui leur était offert de se libérer des résultats jugés licencieux de la
psychanalyse, alors même que l’on ne déniait plus la pertinence de son matériau.
Jung s’essaya à une réinterprétation différente des faits analytiques en termes
abstraits, impersonnels et anhistoriques*, espérant
ainsi s’épargner la prise en compte de la sexualité infantile et du complexe d’Œdipe,
de même que de l’inappréciable analyse de l’enfance.
[…]
La critique traita
les deux hérétiques avec grande mansuétude. Devant cela, je n’aboutis qu’à obtenir tant d’Adler que
de Jung, qu’ils renoncent à nommer leurs théories « Psychanalyse ».
[…]
Quand une communauté
est fondée à partir d’une concordance sur des points cardinaux, il devient évident
que ceux qui ont déserté ce terrain commun s’en excluent d’eux-mêmes.
* Unpersönliche - Unhistorische. Rappelons que le préfixe “un-” chez Freud désigne la trace du
refoulé.
En
France : Janet
Quant à une intelligence des névroses, la
théorie du refoulement en devint sa pierre angulaire.
[…]
Cette divergence* me semble d’une portée suffisamment ample pour qu’elle mette un terme aux
commérages ressassés à l’envi, selon lesquels ce qui a valeur pour la
psychanalyse se réduirait à des idées empruntées à Janet. […] J’ai toujours
considéré Janet lui-même avec respect, […] Mais lorsqu’au cours du temps la psychanalyse devint en France objet
de débats, Janet se conduisit mal, et c’est à l’aide d’arguments abjects qu’il
fit montre d’une totale ignorance des faits. À mes yeux il n’y gagna qu’à se
mettre dans une situation délicate et à discréditer son propre travail, après
qu’il eut proclamé que, lorsqu’il qu’il avait parlé d’actes psychiques
« inconscients », il ne voulait rien dire par là, ce n’était rien de
plus qu’“une façon de parler”.
* Entre Janet et Freud. Cf. Jones in « La vie et l’œuvre de Sigmund Freud » cite une lettre
que Marie Bonaparte lui a adressée le 9 avril 1937. Voici extrait de ce
passage :
Édouard Pichon, un analyste français qui
était aussi le gendre de Janet, écrivit à Freud pour lui demander si son beau-père
pourrait venir le voir. Voici les commentaires que Freud fit à Marie
Bonaparte :
|
« Non, je ne verrai pas Janet. Je ne puis m’empêcher
de lui reprocher de s’être conduit injustement à l’égard de la psychanalyse
et aussi envers moi personnellement et de n’avoir jamais rien fait pour
réparer cela. Il fut assez bête pour dire que l’idée d’une étiologie sexuelle
des névroses ne pouvait germer que dans l’atmosphère d’une ville comme
Vienne. Puis lorsque les écrivains français répandirent la rumeur selon
laquelle j’aurais suivi ses conférences et lui aurais volé ses idées, il
aurait pu, d’un mot, mettre fin à de tels racontars puisqu’en fait je ne lui
ai jamais parlé ni n’ai entendu prononcer son nom pendant la période Charcot ;
il ne l’a jamais fait. Vous pouvez vous faire une idée de son niveau
scientifique d’après sa déclaration selon laquelle l’inconscient est une façon de parler [en français dans le texte]. Non, je ne le verrai
pas. J’ai d’abord pensé lui épargner cette impolitesse sous le prétexte que
je n’étais pas bien ou que je ne pouvais plus m’exprimer
en français, lui ne sachant sûrement pas un mot d’allemand. Mais j’ai décidé
de ne pas le faire. Je n’ai aucune raison de faire un sacrifice pour lui.
Honnêteté, seule chose possible ; impolitesse tout à fait acceptable. »
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