© Micheline Weinstein /
    25 février 2015
    
  
     
  
  
  
  
     
  Lettre
  à un Âgé et aux siens
  
  
  
     
  
  Paris, le 25 février 2015
    
  
  
     
  
  Cher Âgé, puisque c’est ainsi
    que tu désignes “les tiens es-profession”
    
  
  
     
  
  J’ai apprécié
    ta réaction immédiate à l’article du Dr Robert Rozett, Un raz de marée
      antisémite, transmis par
        notre secrétariat. Et hélas n’ai pas été surprise que tu manifestes ta peur
        devant les ravages de ce raz de marée et la débâcle qu’il entraîne. Il est bien
        tard, mais la peur, pour qui ne mène pas une guerre aux idéologies et à ses
        langages, reste bien souvent mère de la pleutrerie. Il vous reste
        aujourd’hui, si tu/vous le pouvez, à faire preuve de courage.
        
  Ces temps-ci, on
    n’entend guère les “psychanalystes”. Apparemment ton association préfère le
    cinéma plutôt que l’étude, le savoir, la terminologie, l’exercice du métier
    dont vous vous réclamez.
  
  
  Un exemple :
    le vocable de “confession juive” qui, quoique des penseurs s’en alarment et
    alertent désespérément, bien sûr en vain, définit imperturbablement les Juifs.
    Globaliser les Juifs en une “confession”, une “communauté”, n’est-ce pas
    l’expression d’un mépris envers la liberté d’être de chacun ? Cela ne
    semble guère vous émouvoir.
  
  
  Un autre :
  “amalgame”, identité “antisémitisme-islamophobie”… si j’ai bien entendu, les
    exactions commises contre les lieux de cultes musulmans, aussi condamnables
    soient-elles, sont exclusivement matérielles ; les Juifs, outre les
    insultes, les agressions, la violence sauvage, on les tue.
  
  
  Le “nouvel
    antisémitisme”… peut-être… mais comme le déclarait avec sa superbe gouaille
    Arletty avant qu’on lui rase la tête pour fait d’amour collaborationniste avec
    une autorité nazie, « Qui, dans le monde entier, l’a laissé
    entrer ? » Certainement pas les musulmans eux-mêmes, certainement pas
    les Juifs.
  
  
  De notre côté,
    pour ne pas remonter plus avant, en 2002, et à l’intention des tiens/vôtres psychanalystes, entre les deux tours des présidentielles, nous avions haut et
    fort sonné le tocsin, dans un petit opuscule que nous avions publié, intitulé
  « Chronique d’un printemps 2002 », que vous aviez reçu alors par la
    poste (200 ex.).
  
  
  J’ai retraduit,
    parmi beaucoup d’autres extraits en 45 ans, la lettre de Freud à Einstein, prémonitoire
    de ce qui nous frappe.
  
  
  Aux antipodes de l’Allemagne et de l’Angleterre, qui assurent une
    formation soigneuse, disons classique, des psychanalystes praticiens, en
    clones de l’Amérique, après vous être prosternés plus d’un demi-siècle devant
    Lacan, déniant, zappant, écartant délibérément l’idéologie plus que
    contestable diffusée dans ses discours et ses écrits (de 1938 à 1974), ses
    calembours blessants sur la personne de Freud, vous vous êtes soumis avec délices
    et suffisance aux modes culturelles, au snobisme, à la cupidité, à l’esprit de
    caste… ; vous avez aplati, mis en pièces le vocabulaire, le nom propre de
    la psychanalyse, que vous avez, non seulement fourguée à la philosophie, histoire de vous dispenser de mettre la
      théorie de Freud et ses applications cliniques à l’épreuve (trop fatigant, pas
      rentable ?), mais de plus, à
        la satisfaction du grand public, vous l’avez réduite consciencieusement à un
        gadget. Avez-vous seulement relevé que l’on ne se réfère quasiment plus, dans
        les médias, dans le langage commun, la vox populi, au terme de
  “psychologie”, mais à celui de “psychanalyse” à tout bout de champ, en complète
        ignorance de la discipline ?
        
  Par ailleurs, les tiens, les vôtres, médecins, psychiatres, eux, imbus de leur
    dédain envers les psychanalystes dit “laïcs”, ne se sentent pas concernés,
    protégés qu’ils sont par leur homologation au Conseil de l’Ordre.
  
  
  Âgé, tu es une
    figure de proue des mœurs de la “modernité”. Récemment encore - et ce
    n’est pas la première fois - tu publies un livre sans citer ni tes sources ni
    leurs antécédents.
    
  
  Voilà donc ce que
    je t’ai répondu.
  
  
  
     
  
  2 février 2015
    
  
  
     
  
Âgé
    
  
  
     
  
  Cela
    t’aurait vraiment été insupportable de mentionner que notre association avait
    publié une première fois ton livre « Rêver de réparer l’histoire » en
    1995, dont d’ailleurs j’ai réécrit bien des passages illisibles ?
  
  
  À
    ton avis, la mesquinerie est-elle compatible avec la psychanalyse ?
    
  
  Micheline W.
    
  
  
     
  
  12 février 2015
    
  
  
     
  
  Âgé
    
  
  
     
  
  Je
    viens seulement de trouver ton message téléphonique sur mon cellulaire, dont je
    ne me sers que hors chez moi.
  
  
  Ainsi,
    tu ne peux t’empêcher de me menacer, ce dont tu es coutumier. Aurais-je déjà
    une seule fois manifesté depuis plus de 30 ans la moindre intention d’engager
    une procédure à ton encontre ?
  
  
  Comme
    on dit, il n’est pas dans ma nature de manger de ce pain-là.
  
  
  J’ai
    simplement, et effectivement à plusieurs reprises, espéré une certaine élégance
    de ta part, ne serait-ce que par égard pour le travail que j’ai effectué.
  
  
  Quelle
    hargne, Âgé ! Ainsi : “Arrête,
      sinon ça va chauffer dur !” ? Décidément, à toi et beaucoup des tiens, j’ai essayé pendant 30 ans de parler normalement pour, en réponse, ne
    rencontrer qu’une savante surdité, le vide abyssal du mépris de la parole
    d’autrui.
  
  
  Cesserez-vous
    un jour de vous dédouaner bassement de vos mesquineries en vous débarrassant de
    l’existence de qui vous chiffonne l’autolâtrie à coups d’injures diagnostiques
    ?
  
  
  Tu
    continues délibérément de refuser de
    m’entendre.
  
  
  Je
    dis ce que je pense et l’inverse.
  
  
  Plutôt
    que chaparder les adresses, emprunter sans vergogne les idées d’autrui, pérorer,
  écrire (mal), tel le chantre de sujets dont tu ne prends pas la peine d’en
    approfondir le sens et la portée, si tu avais consenti à considérer a-minima mes travaux, dans lesquels
    depuis 45 ans je présente mon point de vue, plus précisément sur l’intrication
    psychanalyse/déportation, tu saurais qu’il est hors de propos que je cède sur
    ma liberté de dire et de penser.
  
  
  Cela
    me coûte assez cher et tu le sais,
    puisque tu n’as cessé de contribuer généreusement à ce que ma parole soit
    empêchée. Remarque, tu n’es pas le seul, la chose a commencé en 1979, à la
    publication au Seuil, d’« Histoire de Louise », préfacé par Françoise
    Dolto…
  
  
  Quoi
    de plus facile en effet de ne pas respecter la parole d’une femme qui, par le
    hasard de son histoire personnelle, n’a eu d’autre choix que de se faire témoin
    de son temps ?
  
  
  Tu
    incarnes, à mes yeux, l’exemple parfait, de cette sacro-sainte “fraternité”,
    l’un des trois emblèmes de la République, laquelle fraternité a oublié qu’elle
    fut, depuis plus de 2000 ans, initiée par le meurtre d’Abel par Caïn. C’est
    pourquoi d’ailleurs j’aurais préféré que la République adopte la “solidarité”
    plutôt que la “fraternité”.
  Mais j’allais oublier le mot d'ordre à la mode : “empathie” !
    
  Du peuple français devant la tuerie de la supérette casher ?
  Dans
    le cosmos psychanalytique, nous venons de deux planètes opposées…
  
  
  Si
    la singularité t’avait intéressé, juste par goût du savoir, tu aurais apprécié,
    non mon parcours personnel, mais les quelques extraits ci-dessous par lesquels j’ai
  été enseignée.
  
  
  Ils sont issus du « Petit glossaire des
    concepts freudiens appliqués à la
      clinique selon François Perrier », que j’ai publié en 2000, et que vous avez
        reçu par la poste à l’époque. Mais ce ne sont pas les seuls. Avec celui de
        François Perrier, les noms et travaux des psychanalystes garants de ma
        formation figurent sur notre site.
  
  Le volume entier du « Petit glossaire… » (70
    pages), relu et augmenté depuis, avec notes et références, est toujours
    disponible sur demande.
  
  
  
     
  
  Micheline W. 
    
  
  
     
  
  Extraits du
    
  
  Petit glossaire des concepts freudiens
    
  
  appliqués à la clinique selon François
    Perrier
    
  
  Établi par Micheline Weinstein
    
  
  Éd. ψ [Psi] • Le temps du non / Octobre 2000, 70 pp.
    
  
  
     
  
  Autre 
  
     
  
  N’est personne. 
  
     
  
  Clinicien 
    
  
  
     
  
  Nous sommes cliniciens très proches de Freud lorsque, par principe, il
    se récuse devant les sollicitations de la philosophie et les pièges du cogito.
  
     
  
  Écoles
  
     
  
  Appareils à conditionner des “moi” analytiques solides, à partir d’un
    portrait-robot inexpressif qui sert d’icône ou d’alter ego, soit à ceux qui ont
    besoin de sécurité, soit à ceux qui, prétendant entrer dans un club fermé, en
    adoptent d’abord les bonnes manières.
    
  
     
  
  Praxis 
    
  
  
     
  
  Speed and beauty ? C’est, à
    notre sens, un des registres exigibles de référence pour l’aujourd’hui et le
    demain de la praxis freudienne en sa poétique. Il faut que ça boite, que ça
    achoppe dans l’espace d’énonciation qu’est la psychanalyse, pour que celle-ci
    se fonde comme chant d’espérance en champ de transubjectalité. Ceci en deçà de
    toute prétention à la transcendance, mais pour la mobilisation vivifiante de
    l’inconscient.
  
     
  
  Psychanalyse
    
  
  
     
  
  Subversion virtuelle de toute science établie et définitivement
    inscriptible. N’est pas situable dans le même registre que celui où parlent le
    savoir et les discours sur la psychanalyse. Le champ freudien, l’espace
    analytique, comme d’aucuns appellent le terrain de la cure, n’est donc pas, à
    notre sens, cernable ou topologisable par le crayon d’une psychologie de
    l’intersubjectivité. Nous le définissons comme transubjectal, au nom des
    considérations précédentes. L’analyste, quels que soient ses capitaux culturels
    et ses modes d’empathie, voire ses manières d’être, doit rester à l’abri de ce
    qui serait une intelligence de l’autre. In vivo, in situ, le projet freudien recoupe avec un stylet de l’exigible style
      d’une interprétation, toute théorie de la connaissance.
  
  
     
  
  Psychanalyse (objet de la)
    
  
  
     
  
  L’inconscient. Voir à Objet.
  
     
  
  Psychanalyste 
    
  
  
     
  
  Doit “souffrir de réminiscences...” Est le support du phantasme de
    l’autre. Récipiendaire, apte à recevoir le dictionnaire propre à chacun que
    constitue le savoir de la névrose. Est toujours en position troisième entre la
    relativité du savoir et la chute des anges de la vérité. En outre, s’il
    soutient comme il le peut cette assez difficile partie, il suscite en son
    interlocuteur, ou interlocutrice, le réveil des premières positions dépressives
    et des haines indicibles de l’âge pré-verbal. Il est ainsi, dans le mouvement
    pulsionnel des corridas de la libido, toujours menacé de mise à mort ; et il doit en survivre, sans tuer en l’autre le
    meurtrier qu’il n’est pas. Il doit se laisser inventer répétitivement pour que
    l’hors-je de son écoute soit au service des enjeux de l’autre.
  
     
  
  Répétition (Automatisme de)
    
  
  
     
  
  Se répète lui-même. Dont la plus-value se trouve dans ce que l’on
    appelle les bénéfices secondaires de la névrose. Système solipsiste, fermé,
    autarcique.
  
     
  
  Répétition (principe analytique de)
    
  
  
     
  
  Peut avoir des effets variables, imprévus, voire paradoxaux, selon la
    structure de celui qui s’engage dans l’analyse. Toute praxis freudienne étant subversion de la clinique, et tenant compte
    qu’il n’existe pas de cas purs, c’est en schématisant à l’extrême que l’on dira
    que l’hystérique pourra s’engager,
    sans trop d’angoisse, dans l’aventure de son désir sexué. Chez l’obsessionnel, la même stabilité, perçue
    comme un défi en écho, ne fera que renforcer les défenses du moi. Le pervers vient chez l’analyste acheter,
    sans économie, le répétitif de la fonction épistémique pour mieux négocier
    ailleurs les répétitions tarifées et anonymes de la jouissance. Pour le psychotique, l’instauration de la
    situation analytique [répétition] peut avoir pour fonction de révéler un délire
    latent. L’érotomane, dans sa
    vindication passionnelle*, veut tuer, en son interlocuteur, non désirant,
    la régularité ressentie comme prétention de permanence impavide défiant la détresse haineuse du
    devoir-exister-sans-dieu-d’amour.
  
     
  
  * Vindication • A - Revendication, réclamation ;  B - Rancune, esprit de vengeance.
    
  
  
     
  
  Science (la psychanalyse comme)
  
     
  
  Le réel de la science est lié à l’abolition
    des sujets désirants. On peut donc dire que toute science, et toute
  épistémologie des sciences, tendent à exclure le désir du champ qui lui est
    propre, pour mieux déterminer son objet. Il s’ensuit, pour la psychanalyse, une
    double vocation contradictoire : d’une part, fournir aux sciences une démarche
  épistémologique nouvelle qui ferait, à la limite de la psychanalyse, la science
    de la science ; d’autre part, ne pouvoir s’identifier elle-même à cette
    démarche scientifique sans récuser son propre objet, puisque cet objet est le
    désir inconscient du sujet. On retrouve la preuve de cette constante et
    permanente contradiction dans la concurrence qui persiste entre la théorisation
    psychanalytique et l’empirique de sa pratique. D’un côté, la psychanalyse peut
    tendre à une écriture désubjectivée, dont la rigueur logique donnerait à la
    découverte freudienne ses lettres de noblesse au royaume de la science. Mais
    d’autre part, la psychanalyse est mise en acte méthodologique d’un processus
    relationnel qui tend à réinventer chaque
      fois, toujours singulièrement, la découverte freudienne, entre deux sujets
    qui cherchent à la “retrouver” pour la résolution d’une organisation
    conflictuelle et névrotique. C’est une
      situation unique dans l’histoire des sciences conjecturales de l’homme. Il n’y
      a pas un sujet et un objet en son champ propre, il y a deux sujets ;
      c’est-à-dire deux réalités psychiques se soumettant, l’une envers l’autre, à
      une série de règles, pour une re-spécification singulière des concepts d’un
      savoir métaphorique toujours caduc. Il y a, en psychanalyse, deux savoirs
    toujours mis en question pour la vérité d’un seul, à partir du contrat noué
    entre deux sujets, asymétriquement liés par des règles opératoires qu’ils se
    sont données comme prise en considération des concepts et hypothèses de la
    découverte freudienne. La science peut devenir dieu suprême, horreur dernière
    et fascinante, surmoi implacable du freudien, pour une jouissance létale qui
    est anti-libido et assassinat d’Éros.
  
     
  
  Silence 
    
  
  
     
  
  Pouvoir le plus terroriste qui soit.
  
     
  
  Sublimation
  
     
  
  À ne pas confondre avec idéalisation. Autre du non-soi. Inséparable de
    désérotisation. La sublimation nous ramène aussi bien à la fonction analytique
    qu’à l’amour et à la création artistique, où il s’agit que la pulsion ne soit pas assumée au nom du sujet qui en est porteur mais
      au nom d’un autre manquant pour un autre virtuel. La sublimation est un des points de butée de la théorie freudienne pour
        autant que c’est exactement la question du désir de l’analyste. 
  
     
  
  Surmoi collectif
    
  
  
     
  
  Les analystes n’en sont pas encore venus à se passer du mythe du tiers
    médiateur ; figure du surmoi collectif, dépositaire du savoir-qui-fait-loi. De
    ce mythe, il ont besoin pour la bonne conscience de leur ambition, laquelle, à
    la limite, identifierait le plus savant des dépositaires à cet Agresseur du
    désir.