Freud au pasteur Pfister
La psychanalyse en soi n’est
ni pour ni contre la religion ; c’est l’instrument impartial qui peut servir au
clergé comme au monde laïc sous réserve qu’il soit utilisé exclusivement pour
libérer les gens de leur souffrance.
« J’assignerais aux pasteurs
un statut qui n’existe pas encore, celui de pasteurs d’âmes séculiers [allemand « weltliche Seelsorger » : celui qui se
soucie des âmes].
©
L’Auteur
Gardez-vous des idoles
Méditation
d’un prêtre catholique
Première parution le 26
janvier 2023 dans Chroniques ALETEIA
Si le
sel vient à s’affadir…
In memoriam Benoît XVI
Les
grandes idéologies qui ont ravagé le XXe siècle étaient fondées sur
la pensée d’un salut de l’homme par l’homme, soit par l’exaltation d’une race
prétendument supérieure, soit par la révolution qui, en renversant des
structures dominatrices, allait faire advenir la paix. National-socialisme
et marxisme étaient deux figures de l’antéchrist dans l’histoire et deux bêtes
de l’Apocalypse. Elles ont ravagé la terre et versé le sang des saints. Le
nazisme s’est levé contre la « mémoire vivante » de Dieu qu’est le peuple
juif et exaltait la violence païenne au mépris du Christ doux et humble. La
doctrine marxiste prétendait sauver l’homme indépendamment du secours de la
grâce, par les seules forces de l’histoire et la lutte des classes, et parvenir
à une société où règne enfin la justice. La révolution devait entraîner un
temps - censé être transitoire - de « dictature du prolétariat ». Les
dictateurs une fois au pouvoir l’ont évidemment gardé et ont exercé une
domination d’autant plus despotique qu’elle était animée par le ressentiment et
la soif de vengeance. Le communisme, qui bénéficie toujours d’une curieuse indulgence
de la bien-pensance médiatique et des « élites » culturelles, même si
nous sommes revenus des incantations sartriennes, a fait des millions de morts
et d’innombrables martyrs, tués en haine de la foi. L’athéisme érigé en système
politique a les mains couvertes du sang des hommes. Il
n’a aucune leçon à donner sur la prétendue « violence » des
religions, qui, concernant la révélation chrétienne, si elle a indéniablement
eu lieu dans l’histoire, n’a pu s’opérer qu’en contradiction radicale avec le
mystère du serviteur souffrant et du Messie crucifié.
Il
s’agissait d’idéologies de la rédemption contre l’unique Sauveur. Saint Jean
Paul II, qui les avait vécues dans sa chair, leur répondit dans sa première
encyclique, Redemptor hominis, où il redit que le Christ est l’unique
sauveur des hommes et qu’il n’y a pas d’autre Nom sous le Ciel par lequel nous
devons être sauvés. Nous sommes entrés au XXIe siècle dans une ère
où se lèvent de nouvelles idoles. Elles sont encore plus radicales car elles ne
s’opposent plus directement au Sauveur, mais elles consistent en une rupture
avec le Créateur. Au refus du Fils a succédé le refus du Père. Au refus d’être
sauvé a succédé le refus d’être créé. Nous nous voulons aujourd’hui notre
propre origine et notre propre fin, tel le Phénix s’auto-détruit et renaît par
lui-même de ses cendres. Nous nous
prétendons les créateurs de nous-mêmes dans l’illusion d’une liberté pure,
radicalement autonome de tout « donné » naturel et de toute
obéissance au réel. L’idéologie actuelle est celle d’une liberté qui refuse sa
limite et veut choisir absolument sa vie comme elle entend choisir sa mort. Il
ne s’agit pas de « devenir ce que nous sommes » en consentant à notre
origine sexuée, en acceptant d’être « qualifiés dans l’être » par
notre héritage et notre corps, mais de devenir absolument ce que nous voulons
être. Nous l’avons entendu dans une émission stupéfiante : « Je ne suis
pas un homme, je suis non binaire. Qu’est-ce qui vous fait dire que je suis un homme ? ».
Dieu
crée en séparant. Il sépare le jour et la nuit, le ciel et la terre, l’homme et
la femme, la distinction fondamentale entre l’humain, doué du souffle de Dieu
et d’une liberté spirituelle, et le monde animal, fondé sur l’instinct. Non une
séparation comme conflit, mais comme correspondance. Nous voici dans un temps d’extrême
confusion où la complémentarité de l’homme et de la femme, naturellement
ouverte à la vie, n’est plus reconnue comme une réalité qui pose une frontière
à notre volonté démesurée de puissance. Où, plus grave encore, la distinction
de l’homme et de l’animal apparaît comme fallacieuse chez certains
« influenceurs » minoritaires, mais incroyablement violents. Ceux-là
mêmes qui font obstruction à toute expression d’une contradiction, aux États-Unis
et de plus en plus en Europe, jusque dans ce temple du questionnement et du
débat d’idées que devrait constituer la recherche universitaire.
À
Nantes s’ouvre un festival « pour célébrer les masculinités
plurielles », à grand renfort d’écriture inclusive, où l’on voit non
seulement des silhouettes androgynes et asexuées, mais aussi des êtres
hybrides, mêlant le corps humain à des visages d’oiseau ou d’ours. « Laissez
une paroisse vingt ans sans prêtres. On y adorera les bêtes » disait le
saint curé d’Ars, comme pour signifier que l’homme ne peut tenir que par le
Haut et que sans une orientation de tout son être vers l’Amour invisible,
manifesté dans le visage de l’autre, et surtout du plus petit, il se perdra
dans l’abîme de son propre nombrilisme. Sans Dieu, l’homme s’efface comme une
trace de sable. Il faut même aller plus loin : là où Dieu perd son visage,
là où il n’est vénéré que comme un « Être suprême », un « grand
architecte » infiniment détaché de l’histoire, les hommes perdent aussi
leur visage. La révolution française vénérait « l’Être suprême » et
faisait rouler les têtes par milliers. Sans le Dieu d’amour manifesté dans le
Christ, le visage de l’homme se floute dans le magma incertain d’une liberté
devenue folle, qui, comme le bateau ivre de Rimbaud, n’est plus guidée par les
haleurs et descend les fleuves impassibles, au gré des courants dominants et
des groupes de pression les plus intimidants. « Si Dieu n’existe pas,
écrit Dostoïevski dans Les Démons, alors tout est ma volonté ».
« Ces
soi-disant sages sont devenus fous, dit l’apôtre aux Romains, ils ont échangé
la gloire du Dieu impérissable contre des idoles représentant l’être humain
périssable ou bien des volatiles, des quadrupèdes et des reptiles.
Voilà
pourquoi, à cause des convoitises de leurs cœurs, Dieu les a livrés à l’impureté,
de sorte qu’ils déshonorent eux-mêmes leur corps. » (Rm 1, 22-24)
« Ôtez
le surnaturel, disait Chesterton, il ne reste plus que ce qui n’est pas
naturel ». Les chrétiens devront être fidèles à la terre telle que jaillie
des mains de Dieu. Ceux qui croient au Ciel auront pour vocation de donner une
ancre au déracinement des hommes. L’Église en Occident devra résister avec une force
renouvelée à « une idéologie libérale radicale de type individualiste,
rationaliste, hédoniste » disait Benoît XVI à Peter Seewald. Il faut
relire son homélie de l’Épiphanie en 2013 où il dit aux évêques qu’il vient d’ordonner :
« L’agnosticisme aujourd’hui largement dominant a ses dogmes et est
extrêmement intolérant à l’égard de tout ce qui le met en question et met en
question ses critères. Par conséquent, le courage de contredire les
orientations dominantes est aujourd’hui particulièrement urgent pour un évêque.
Il doit être valeureux. Et cette vaillance ou ce courage ne consiste pas à
frapper avec violence, à être agressif, mais à se laisser frapper et à tenir
tête aux critères des opinions dominantes. »
Sans
doute faut-il le rappeler aux promoteurs du « chemin synodal » en
Allemagne, pays natal de Benoît XVI, qui jusque dans son testament exhorte ses
compatriotes à tenir fermes dans la foi... Il écrit dans un livre à paraître,
comme son dernier témoignage, que le monde occidental, « avec sa
manipulation radicale de l’homme et la déformation des sexes par l’idéologie du
genre, s’oppose tout particulièrement au christianisme. Cette prétention
dictatoriale à avoir toujours raison par une apparente rationalité exige l’abandon
de l’anthropologie chrétienne et du style de vie jugé “primitif” qui en découle
». Les prêtres, évêques et même cardinaux allemands qui prêchent devant le drapeau arc en ciel déployé devant l’autel ou l’érigent
sur les églises croient sans doute manifester la sollicitude de l’Église et son
accueil inconditionnel. Si nous ne pouvons qu’adopter la bienveillance du bon
Pasteur pour tout homme en ce monde, quelle que soit sa situation de vie, nous
ne pouvons sans parjurer le logos de la raison et la sagesse de la
Révélation renoncer à transmettre, en son temps, le plan de Dieu sur l’homme et
l’appel du Christ à la conversion. Aimer tout homme dans sa situation
particulière, c’est lui indiquer le chemin de la montagne sainte et s’efforcer
humblement de le monter avec lui comme un pauvre frère, entre chutes et
relèvements, ombres et lumières, avec la certitude que rien n’est jamais perdu
pour Dieu. Les seuls regards qui nous aiment sont ceux qui nous espèrent et qui
attendent davantage de nous. Aimer l’homme, c’est le croire digne d’une vie
sainte. Il est donc légitime de se demander si le « chemin » de la
richissime Église allemande - et plus généralement des pays où l’Église se plie
aux injonctions les plus libérales, au mépris du petit reste d’une jeunesse
fervente et fidèle – n’est pas simplement asservi à un agenda
progressiste et soumis à des groupes de pression qui, sous prétexte de réformer
l’Église, contribuent à accélérer son anémie spirituelle et la chute déjà
spectaculaire de ses vocations. Il est salutaire de se demander s’ils n’égarent
pas les âmes dans une extrême confusion doctrinale et morale à force de vouloir
plaire à l’esprit du monde. « Si le sel vient à s’affadir, avec quoi le
salera-t-on ? On le jette dehors et les gens le piétinent » (Mt 5,
13).
L’heure
est à l’humble courage de chaque jour et à la surnaturelle espérance. Il
restera toujours l’Esprit de Dieu, par qui nos péchés sont pardonnés. Il
restera, après avoir rejeté le Rédempteur pour l’illusion d’un salut
intramondain, après s’être voulu son propre créateur dans la démesure d’un
orgueil qui récuse toute limite, à ne pas refuser la miséricorde infinie.
Certains seront persécutés, du moins médiatiquement, pour leur fidélité à la
foi qui nous vient des apôtres. De courageux pasteurs et fidèles seront moqués
et humiliés, y compris dans l’Église. C’est par leur persévérance qu’ils
pourront témoigner de l’infinie bonté de Celui qui est « le chemin, la
vérité et la vie » (Jn 14, 6). « A Dieu qui se révèle, dit la
constitution de Vatican II Dei Verbum, est due « l’obéissance de la
foi » (Rm 16, 26). » Le seul chemin synodal est le chemin du Christ
et l’écoute attentive de sa Parole telle qu’elle nous est transmise et telle qu’elle
rayonne au milieu des hommes. Dieu seul demeure au sein d’un monde qui change
sans cesse, qu’il nous faut aimer et rejoindre sans pactiser avec ses ombres. Ce
combat se joue dans les profondeurs de nos cœurs. Le Christ est avec nous pour
toujours, l’Agneau immolé et le lion de Juda. Lui seul demeure fidèle dans la
bienveillance de son exigence infinie, qui nous veut « saints car il est
saint » (Lv 11, 45).
* Note
[M. W. - Ajout sur l’actualité des genres. La psychanalyse n’est pas appelée résoudre la question de l’homosexualité. Selon Freud, elle relève de l’hypothèse d’une bisexualité constitutionnelle de l’être humain. Bien que prohibée par défense chez nombre d’êtres humains, le plus souvent à tendance paranoïde, leur homosexualité latente soit niée, rejetée avec véhémence, elle n’est « pas une honte, un vice ou une tare, elle ne peut pas être considérée comme une maladie, nous la considérons comme une variation sexuelle, due à une certaine orientation du développement sexuel », écrit-il à une mère chagrinée par celle de son fils. Pour sa part, Freud privilégie ce qui était alors désigné par sublimation, c’est-à-dire la maîtrise des pulsions dans le but de leur substituer une finalité plus élevée de même intensité, plutôt que la mise acte physique, laquelle ressortit si demande du divan psychanalytique. Selon François Perrier, la sublimation est inséparable de la désérotisation, ramène aussi bien à la fonction analytique qu’à l’amour, à la création artistique, intellective, agnostique, déiste, religieuse, scientifique… … …]