Psychanalyse et idéologie

Gardez-vous des idoles

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

Il faut une infinie patience pour attendre toujours ce qui n'arrive jamais

Infinite patience is required to those always waiting for what never happens

Pierre Dac

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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Freud au pasteur Pfister

 

La psychanalyse en soi n’est ni pour ni contre la religion ; c’est l’instrument impartial qui peut servir au clergé comme au monde laïc sous réserve qu’il soit utilisé exclusivement pour libérer les gens de leur souffrance. 

« J’assignerais aux pasteurs un statut qui n’existe pas encore, celui de pasteurs d’âmes séculiers [allemand « weltliche Seelsorger  » : celui qui se soucie des âmes].

© L’Auteur

 

 

Gardez-vous des idoles

 

Méditation d’un prêtre catholique

 

Première parution le 26 janvier 2023 dans Chroniques ALETEIA

 

 

Si le sel vient à s’affadir…

 

In memoriam Benoît XVI

 

Les grandes idéologies qui ont ravagé le XXe siècle étaient fondées sur la pensée d’un salut de l’homme par l’homme, soit par l’exaltation d’une race prétendument supérieure, soit par la révolution qui, en renversant des structures dominatrices, allait faire advenir la paix. National-socialisme et marxisme étaient deux figures de l’antéchrist dans l’histoire et deux bêtes de l’Apocalypse. Elles ont ravagé la terre et versé le sang des saints. Le nazisme s’est levé contre la « mémoire vivante » de Dieu qu’est le peuple juif et exaltait la violence païenne au mépris du Christ doux et humble. La doctrine marxiste prétendait sauver l’homme indépendamment du secours de la grâce, par les seules forces de l’histoire et la lutte des classes, et parvenir à une société où règne enfin la justice. La révolution devait entraîner un temps - censé être transitoire - de « dictature du prolétariat ». Les dictateurs une fois au pouvoir l’ont évidemment gardé et ont exercé une domination d’autant plus despotique qu’elle était animée par le ressentiment et la soif de vengeance. Le communisme, qui bénéficie toujours d’une curieuse indulgence de la bien-pensance médiatique et des « élites » culturelles, même si nous sommes revenus des incantations sartriennes, a fait des millions de morts et d’innombrables martyrs, tués en haine de la foi. L’athéisme érigé en système politique a les mains couvertes du sang des hommes. Il n’a aucune leçon à donner sur la prétendue « violence » des religions, qui, concernant la révélation chrétienne, si elle a indéniablement eu lieu dans l’histoire, n’a pu s’opérer qu’en contradiction radicale avec le mystère du serviteur souffrant et du Messie crucifié.

 

Il s’agissait d’idéologies de la rédemption contre l’unique Sauveur. Saint Jean Paul II, qui les avait vécues dans sa chair, leur répondit dans sa première encyclique, Redemptor hominis, où il redit que le Christ est l’unique sauveur des hommes et qu’il n’y a pas d’autre Nom sous le Ciel par lequel nous devons être sauvés. Nous sommes entrés au XXIe siècle dans une ère où se lèvent de nouvelles idoles. Elles sont encore plus radicales car elles ne s’opposent plus directement au Sauveur, mais elles consistent en une rupture avec le Créateur. Au refus du Fils a succédé le refus du Père. Au refus d’être sauvé a succédé le refus d’être créé. Nous nous voulons aujourd’hui notre propre origine et notre propre fin, tel le Phénix s’auto-détruit et renaît par lui-même de ses cendres.  Nous nous prétendons les créateurs de nous-mêmes dans l’illusion d’une liberté pure, radicalement autonome de tout « donné » naturel et de toute obéissance au réel. L’idéologie actuelle est celle d’une liberté qui refuse sa limite et veut choisir absolument sa vie comme elle entend choisir sa mort. Il ne s’agit pas de « devenir ce que nous sommes » en consentant à notre origine sexuée, en acceptant d’être « qualifiés dans l’être » par notre héritage et notre corps, mais de devenir absolument ce que nous voulons être. Nous l’avons entendu dans une émission stupéfiante : « Je ne suis pas un homme, je suis non binaire. Qu’est-ce qui vous fait dire que je suis un homme ? ».

 

Dieu crée en séparant. Il sépare le jour et la nuit, le ciel et la terre, l’homme et la femme, la distinction fondamentale entre l’humain, doué du souffle de Dieu et d’une liberté spirituelle, et le monde animal, fondé sur l’instinct. Non une séparation comme conflit, mais comme correspondance. Nous voici dans un temps d’extrême confusion où la complémentarité de l’homme et de la femme, naturellement ouverte à la vie, n’est plus reconnue comme une réalité qui pose une frontière à notre volonté démesurée de puissance. Où, plus grave encore, la distinction de l’homme et de l’animal apparaît comme fallacieuse chez certains « influenceurs » minoritaires, mais incroyablement violents. Ceux-là mêmes qui font obstruction à toute expression d’une contradiction, aux États-Unis et de plus en plus en Europe, jusque dans ce temple du questionnement et du débat d’idées que devrait constituer la recherche universitaire.

 

À Nantes s’ouvre un festival « pour célébrer les masculinités plurielles », à grand renfort d’écriture inclusive, où l’on voit non seulement des silhouettes androgynes et asexuées, mais aussi des êtres hybrides, mêlant le corps humain à des visages d’oiseau ou d’ours. « Laissez une paroisse vingt ans sans prêtres. On y adorera les bêtes » disait le saint curé d’Ars, comme pour signifier que l’homme ne peut tenir que par le Haut et que sans une orientation de tout son être vers l’Amour invisible, manifesté dans le visage de l’autre, et surtout du plus petit, il se perdra dans l’abîme de son propre nombrilisme. Sans Dieu, l’homme s’efface comme une trace de sable. Il faut même aller plus loin : là où Dieu perd son visage, là où il n’est vénéré que comme un « Être suprême », un « grand architecte » infiniment détaché de l’histoire, les hommes perdent aussi leur visage. La révolution française vénérait « l’Être suprême » et faisait rouler les têtes par milliers. Sans le Dieu d’amour manifesté dans le Christ, le visage de l’homme se floute dans le magma incertain d’une liberté devenue folle, qui, comme le bateau ivre de Rimbaud, n’est plus guidée par les haleurs et descend les fleuves impassibles, au gré des courants dominants et des groupes de pression les plus intimidants. « Si Dieu n’existe pas, écrit Dostoïevski dans Les Démons, alors tout est ma volonté ».

« Ces soi-disant sages sont devenus fous, dit l’apôtre aux Romains, ils ont échangé la gloire du Dieu impérissable contre des idoles représentant l’être humain périssable ou bien des volatiles, des quadrupèdes et des reptiles.

Voilà pourquoi, à cause des convoitises de leurs cœurs, Dieu les a livrés à l’impureté, de sorte qu’ils déshonorent eux-mêmes leur corps. » (Rm 1, 22-24)

 

« Ôtez le surnaturel, disait Chesterton, il ne reste plus que ce qui n’est pas naturel ». Les chrétiens devront être fidèles à la terre telle que jaillie des mains de Dieu. Ceux qui croient au Ciel auront pour vocation de donner une ancre au déracinement des hommes. L’Église en Occident devra résister avec une force renouvelée à « une idéologie libérale radicale de type individualiste, rationaliste, hédoniste » disait Benoît XVI à Peter Seewald. Il faut relire son homélie de l’Épiphanie en 2013 où il dit aux évêques qu’il vient d’ordonner : « L’agnosticisme aujourd’hui largement dominant a ses dogmes et est extrêmement intolérant à l’égard de tout ce qui le met en question et met en question ses critères. Par conséquent, le courage de contredire les orientations dominantes est aujourd’hui particulièrement urgent pour un évêque. Il doit être valeureux. Et cette vaillance ou ce courage ne consiste pas à frapper avec violence, à être agressif, mais à se laisser frapper et à tenir tête aux critères des opinions dominantes. »

 

Sans doute faut-il le rappeler aux promoteurs du « chemin synodal » en Allemagne, pays natal de Benoît XVI, qui jusque dans son testament exhorte ses compatriotes à tenir fermes dans la foi... Il écrit dans un livre à paraître, comme son dernier témoignage, que le monde occidental, « avec sa manipulation radicale de l’homme et la déformation des sexes par l’idéologie du genre, s’oppose tout particulièrement au christianisme. Cette prétention dictatoriale à avoir toujours raison par une apparente rationalité exige l’abandon de l’anthropologie chrétienne et du style de vie jugé “primitif” qui en découle ». Les prêtres, évêques et même cardinaux allemands qui prêchent devant le drapeau arc en ciel déployé devant l’autel ou l’érigent sur les églises croient sans doute manifester la sollicitude de l’Église et son accueil inconditionnel. Si nous ne pouvons qu’adopter la bienveillance du bon Pasteur pour tout homme en ce monde, quelle que soit sa situation de vie, nous ne pouvons sans parjurer le logos de la raison et la sagesse de la Révélation renoncer à transmettre, en son temps, le plan de Dieu sur l’homme et l’appel du Christ à la conversion. Aimer tout homme dans sa situation particulière, c’est lui indiquer le chemin de la montagne sainte et s’efforcer humblement de le monter avec lui comme un pauvre frère, entre chutes et relèvements, ombres et lumières, avec la certitude que rien n’est jamais perdu pour Dieu. Les seuls regards qui nous aiment sont ceux qui nous espèrent et qui attendent davantage de nous. Aimer l’homme, c’est le croire digne d’une vie sainte. Il est donc légitime de se demander si le « chemin » de la richissime Église allemande - et plus généralement des pays où l’Église se plie aux injonctions les plus libérales, au mépris du petit reste d’une jeunesse fervente et fidèle – n’est pas simplement asservi à un agenda progressiste et soumis à des groupes de pression qui, sous prétexte de réformer l’Église, contribuent à accélérer son anémie spirituelle et la chute déjà spectaculaire de ses vocations. Il est salutaire de se demander s’ils n’égarent pas les âmes dans une extrême confusion doctrinale et morale à force de vouloir plaire à l’esprit du monde. « Si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? On le jette dehors et les gens le piétinent » (Mt 5, 13).

 

L’heure est à l’humble courage de chaque jour et à la surnaturelle espérance. Il restera toujours l’Esprit de Dieu, par qui nos péchés sont pardonnés. Il restera, après avoir rejeté le Rédempteur pour l’illusion d’un salut intramondain, après s’être voulu son propre créateur dans la démesure d’un orgueil qui récuse toute limite, à ne pas refuser la miséricorde infinie. Certains seront persécutés, du moins médiatiquement, pour leur fidélité à la foi qui nous vient des apôtres. De courageux pasteurs et fidèles seront moqués et humiliés, y compris dans l’Église. C’est par leur persévérance qu’ils pourront témoigner de l’infinie bonté de Celui qui est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). « A Dieu qui se révèle, dit la constitution de Vatican II Dei Verbum, est due « l’obéissance de la foi » (Rm 16, 26). » Le seul chemin synodal est le chemin du Christ et l’écoute attentive de sa Parole telle qu’elle nous est transmise et telle qu’elle rayonne au milieu des hommes. Dieu seul demeure au sein d’un monde qui change sans cesse, qu’il nous faut aimer et rejoindre sans pactiser avec ses ombres. Ce combat se joue dans les profondeurs de nos cœurs. Le Christ est avec nous pour toujours, l’Agneau immolé et le lion de Juda. Lui seul demeure fidèle dans la bienveillance de son exigence infinie, qui nous veut « saints car il est saint » (Lv 11, 45).

 

* Note

 

[M. W. - Ajout sur l’actualité des genres. La psychanalyse n’est pas appelée résoudre la question de l’homosexualité. Selon Freud, elle relève de l’hypothèse d’une bisexualité constitutionnelle de l’être humain. Bien que prohibée par défense chez nombre d’êtres humains, le plus souvent à tendance paranoïde, leur homosexualité latente soit niée, rejetée avec véhémence, elle n’est « pas une honte, un vice ou une tare, elle ne peut pas être considérée comme une maladie, nous la considérons comme une variation sexuelle, due à une certaine orientation du développement sexuel », écrit-il à une mère chagrinée par celle de son fils.  Pour sa part, Freud privilégie ce qui était alors désigné par sublimation, c’est-à-dire la maîtrise des pulsions dans le but de leur substituer une finalité plus élevée de même intensité, plutôt que la mise acte physique, laquelle ressortit si demande du divan psychanalytique. Selon François Perrier, la sublimation est inséparable de la désérotisation, ramène aussi bien à la fonction analytique qu’à l’amour, à la création artistique, intellective, agnostique, déiste, religieuse, scientifique… … …]

 

 

 

 

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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