Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Hakki Akil

Ambassadeur de Turquie en France

Faire le travail de mémoire ensemble

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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.  
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

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Faire le travail de mémoire ensemble

par

Hakki Akil

in Le Figaro du 23 avril 2015

 

En tant qu’ambassadeur de Turquie et citoyen turc qui croit fortement à l’amitié historique turco-arménienne, j’ai toujours espéré que l’année 2015 puisse constituer un nouveau départ entre les deux peuples qui ont vécu pendant un millénaire ensemble, en paix et en harmonie.

Pendant cette longue période de vie commune, Turcs et Arméniens ont partagé la même culture, la même musique, la même cuisine, le même sens de l’humour. Les citoyens d’origine arménienne de l’Empire ottoman ont beaucoup contribué à l’épanouissement de l’Empire dans plusieurs domaines tels que l’architecture, la musique, le théâtre, la vie politique ou la diplomatie. Hovsep Vartanyan et Artin Dadyan ont eu les plus grandes responsabilités dans l’administration ottomane, et la famille Balyan a contribué à l’architecture.

Le début du XXe siècle a été une période de grandes souffrances pour les populations de l’Empire ottoman. Les Arméniens sont parmi ceux qui ont le plus souffert. Nous partageons ces douleurs ainsi que celles de tous les peuples de l’Empire ottoman. En 2015, la question arménienne est au cœur de l’actualité. L’approfondissement des discussions entre intellectuels turcs d’opinions diverses, mais aussi les déclarations et propositions officielles faites ces dernières années par les plus hauts responsables politiques témoignent de l’ouverture de la Turquie face à la question arménienne.

Des intellectuels soutenant la thèse du génocide peuvent aujourd’hui publier leurs ouvrages et défendre leurs idées face à d’autres qui s’opposent à l’utilisation de ce terme en se basant sur sa définition juridique et sur la récente jurisprudence (décision Serbie/Croatie de la Cour internationale de justice et arrêt Perinçek de la Cour européenne des droits de l’homme). Aujourd’hui, un premier ministre turc peut exprimer ses condoléances et souhaiter que les Arméniens ainsi que les autres citoyens de l’Empire qui ont perdu leur vie dans les circonstances du début du XXe siècle reposent en paix, ou annoncer la tenue d’une cérémonie religieuse le 24 avril. Les commémorations des Arméniens en Turquie, en Arménie, en France et ailleurs dans le monde sont le reflet le plus naturel des souffrances vécues.

Ces commémorations ne doivent cependant pas être source d’incitation à la haine envers la Turquie ou les Turcs. Rechercher à cette occasion un parallélisme avec la Shoah est tout aussi inacceptable et injuste, puisque les motivations des dirigeants ottomans qui ont pris la décision de déporter les populations arméniennes de la frontière russe ne peuvent en aucun cas être comparées à celles des nazis. Il n’y a aucun intérêt à créer une animosité à partir de faits historiques datant d’il y a cent, deux cents ou trois cents ans. Nous devons au contraire en tirer des leçons et, dans ce cas précis, œuvrer pour préserver l’amitié vieille de plus d’un millénaire entre les Turcs et les Arméniens. Une animosité autour de cette question ne sera bénéfique ni pour les Arméniens ni pour les Turcs.

La définition juridique des souffrances que personne ne nie doit être laissée aux historiens et surtout aux juristes. Une lecture comparative des archives, à commencer par celles de Russie et d’Arménie, mais aussi les archives ottomanes, qui sont déjà totalement accessibles, est indispensable. La Turquie a lancé un appel pour la création d’une commission commune d’historiens pour que des historiens turcs, arméniens et internationaux puissent accéder à toutes les archives existantes afin d’aboutir à une compréhension juste de l’histoire. Cette commission ne doit bien sûr pas se limiter à des historiens reflétant les arguments d’une seule partie comme cela a apparemment été le cas pendant une récente conférence à Paris. Si la recherche de la réalité est souhaitée, il ne faut pas appliquer un terrorisme intellectuel à ceux qui n’ont pas la même opinion, comme en ont souffert, les historiens Bernard Lewis et Gilles Veinstein.

Les Français d’origine arménienne ainsi que les Français d’origine turque seront parmi les premiers bénéficiaires d’un tel travail de mémoire commun. Il est de la responsabilité de tous les acteurs publics de soutenir ces efforts, en proscrivant toute initiative incitant à la haine et en évitant autant que possible un face-à-face infructueux sur l’utilisation ou non d’un terme de droit très précisément défini en 1948 et qui n’a pas d’effet rétroactif. Éviter les tensions entre la communauté d’origine turque et la communauté d’origine arménienne en France doit être une priorité. Une nouvelle tension entre ces communautés est la dernière chose dont la France ait besoin. Comme François Hollande l’a dit aux Arméniens de France le 28 janvier, il est temps de briser les tabous et que les deux nations, Arménie et Turquie, inventent un nouveau départ.

ψ [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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