Psychanalyse et idéologie

Micheline Weinstein

Freud, Jung et Platon

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

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ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein / 26 juin 2015

La version papier complète est disponible par mail sur demande

 

1983

Freud, Jung et Platon

 

 

Freud, dans sa préface à la quatrième édition des Trois Essais sur la théorie de la sexualité, en 1920, signale en note un article de Max Nachmansohn paru cinq ans auparavant, en 1915, dans lInternationale Zeitschrift für ärtzliche Psychoanalyse : La Libido chez Freud et lÉros chez Platon • Une comparaison. Il s’y réfère lannée suivante dans la Psychologie des Masses au chapitre Suggestion et Libido.

La traduction de cette étude de Nachmansohn, est parue dans le Cahier n° 5 de la Documentation psychanalytique et a fait l’objet de cette communication fin décembre 1983 au cours du Séminaire de Solange Faladé.

 

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Fin juin 2015

 

À la lecture des sujets proposés au baccalauréat depuis qu’il y figure, je reste étonnée que Freud soit remisé dans la rubrique “philosophie”, quand bien même son œuvre parlerait à cette noble discipline. Si bien que les candidats au bac, sans la moindre incitation à lire Freud dans le texte, se font volontiers l’écho d’un enseignement apparenté, non à la philosophie, mais à la sociologie. De telle sorte que, bien qu’employant des locutions et noms savants dont il ne peuvent avoir la maîtrise, ils demeurent complètement étrangers aux concepts exigeants de ce qu’est la psychanalyse. Interrogeons-les sur la signification de “inconscient”, “psychanalyse”, “hystérie”, “analyse des rêves”, “transfert”, “formations de l’inconscient”, bref tous les termes propres au vocabulaire de la psychanalyse et à sa pratique ; réponses : ?

C’est pourquoi, en ces temps de lois et décrets relatifs à la vie privée, au collectif, en même temps qu’à l’avenir de la civilisation, il ne m’a pas semblé inutile d’exhumer ce court exposé de 1983.

La traduction de l’étude de Max Nachmansohn, La libido chez Freud et l’Éros chez Platon • Une comparaison, est disponible sur demande, d’autant qu’elle reste à ce jour le seul témoignage existant hors correspondance sur la rupture entre Freud et Jung. Sur les thèmes abordés ici par l’auteur, tels ceux d’“extension de la notion de libido”, de “bisexualité”, d’“homosexualité”, de “libido du moi”, de “libido d’objet”, de “sublimation”… … cf. pour qui n’a pas le temps de lire Freud dans le texte, le Vocabulaire de la psychanalyse par Laplanche et Pontalis.

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  Freud, dans la lettre du 18 février 1915, écrit à Abraham qu’il vient de recevoir, adressé par les bons soins de Pfister, un article d’“un Dr. Nachmansohn de Zurich”. Abraham, dans sa réponse, glisse à Freud : “Je songe souvent que la guerre nous épargne de pénibles débats avec les Suisses. Après cela, nous poursuivrons des voies divergentes”. L’article de Nachmansohn est publié dans l’Internationale Zeitschrift, tandis que Freud annonce à Abraham qu’il destine à cette revue quatre des cinq essais récemment terminés. Il s’agit de Pulsions et vicissitudes des pulsions, Le Refoulement, L’Inconscient, Compléments métapsychologiques à la théorie du rêve. Le cinquième, Deuil et Mélancolie, Freud déclare alors qu’il le garde pour lui.

La guerre mondiale porte un coup retentissant, en effet, c’est la première. Pour Freud, une guerre est déjà finie, elle a apposé la barre de la rupture avec Jung. À lire attentivement la correspondance des deux hommes, nous reconnaîtrons que Jung, qui transforma l’appellationPsychoanalyse en Psychanalyse”, a respecté la règle du tout dire, du moins par écrit et, de plus en plus, se définit comme un homme “normal”, pas névrosé. Si bien que dans la lettre qui scelle la rupture, Freud remarque : “celui qui, en se conduisant anormalement, crie sans arrêt qu’il est normal, éveille le soupçon qu’il lui manque l’intuition de sa maladie. Je vous propose donc que nous rompions tout à fait nos relations privées” (3 janvier 1913). Ce même 3 janvier, de son côté, Jung écrit à Freud qu’il exige de lui le droit à l’égalité ; de plus il lui offre amicalement son assistance et sa compétence psychanalytiques, afin de le guérir de son “morceau de névrose” selon la propre ·expression de Freud.

Lors des Rencontres de Munich, en novembre 1912, Freud a été saisi par un évanouissement, en présence de Jung, dans la salle du Park-Hôtel. De cet incident, il rend compte à Jones, le 8 décembre 1912, en ces termes : “Il m’est impossible d’oublier qu’il y a six et quatre ans, j’ai éprouvé des symptômes très semblables, encore que moins intenses, dans la même salle du Park-Hôtel. Ce fut lors d’une maladie de Fliess que je me rendis pour la première fois à Munich et cette ville me paraît très liée à mes relations avec l’homme en question. Il y a au fond de cette affaire, un problème homosexuel non résolu”. Nous nous rappelons qu’après la rupture avec Fliess (sa première grande guerre), Freud écrivait à Ferenczi en 1910 : “Depuis laffaire Fliess [...] une partie de l’investissement homosexuel a disparu. J’ai réussi là où le paranoïaque échoue”. Freud parle donc à Jung de “morceau de névrose”, prenant soin de ne pas lui en dire plus à ce sujet, instruit d’une confession que lui a faite Jung en 1907 où il apparait que sa vénération pour Freud “a le caractère d’un engouement passionné « religieux » qui, quoiqu’il ne me causa aucun autre désagrément, est toutefois répugnant et ridicule pour moi à cause de son irréfutable consonance érotique. Ce sentiment abominable provient qu’étant petit garçon, j’ai succombé à l’attentat homosexuel d’un homme que j’avais auparavant vénéré”. Jung, à la réception de la lettre de rupture de Freud, répond qu’il “se plie à votre désir de rompre la relation personnelle, car je n’impose jamais mon amitié  […]”.

Si la discordance théorique de fond portant sur la sexualité infantile et de ce fait sur le terme libido, n’a pas sérieusement affecté depuis 1906 la discussion entre eux, bien que Jung ait déclaré à Jones en 1912 qu’il élargissait ce concept “qui avait maintenant vieilli” (Conférences américaines), elle éclate au sujet de l’interdiction de l’inceste dont Jung dit être “arrivé à des conclusions qui font apparaître l’inceste essentiellement comme un problème de fantasmes, la morale originelle n’étant qu’une cérémonie d’expiation et substitut d’interdiction... ” (27 avril 1912). Un peu plus loin, il s’étonne de l’existence d’un attachement érotique à la mère qui, à l’époque de la puberté des garçons n’est plus qu’“une femme aux chairs pendantes... ”. On sourit, si l’on a à l’esprit la remarque de Freud, dans la Psychologie des Masses, au chapitre L’Identification, concernant la genèse de l’homosexualité masculine. Il n’y a pas place ici pour développer le rapport haine-amour dont témoignent certains des lapsus de Jung, lequel fait dire à ce dernier qu’il a dévoilé “le truc” (en français dans le texte) de Freud, consistant à rendre ses proches fils-esclaves”. Ce ne sera pas la seule admonestation sauvage, non analysée, de Jung, qui semblerait, à le lire, ne guère connaître l’humour - encore moins celui, décapant, de Freud en réponse aux interrogations indiscrètes de Jung - ni sa divulgation de potins non vérifiables à caractère aussi bien privé que professionnel. “Le truc” pour Jung est le temps du transfert, dont il dresse, puisant parfois chez Schreber des accents passionnés, son réquisitoire. Jung, en ce temps-là de son trajet établit que le but de l’analyse est de “comprendre le transfert”.

La tentative par Freud de maintenir la relation exclusivement sur le terrain de la “communauté de travail” échoue. La poudrière saute, puisque Freud a osé douter de la “bonne foi” de Jung. La séparation est entérinée par la démission de Jung, le 27 octobre 1913, d’abord de sa charge de rédacteur du Jahrbuch, puis de l’Association Psychanalytique Internationale, le 20 avril 1914. Au cours de cette même année - Abraham a remplacé Jung à la rédaction du Jahrbuch - Freud publiera dans cette revue Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique et Pour introduire au concept de narcissisme. Le 17 mai 1914, il conclut dans une lettre à Jones : “Il se peut que nous surestimions Jung et ses actes pour les temps à venir. Vis-à-vis du public, il ne se trouve pas dans une situation favorable quand il s’agit de moi : voir son passé. Mais dans l’ensemble, mon jugement se rapproche du vôtre. Je ne m’attends pas à un succès immédiat, mais à une lutte incessante. Celui qui promettra à l’humanité de la délivrer de l’embarrassante sujétion sexuelle, quelque sottise qu’il choisisse de dire, sera considécomme un héros”.

Dans Deuil et mélancolie, Freud nous rend sensibles au fait que le processus du deuil et celui de la sublimation sont noués. Mais qu’il faut pour cela s’émanciper des identifications. Jung alla, par la force de Freud, où il devait aller. Ce n’était pas du côté de la psychanalyse, bien qu’un certain principe de plaisir l’ait toutefois entraîné à en tirer profit.

Meir (le fils du consolateur)-Simon Nachmansohn, né en Russie en 1887, fut dénommé Maximilien, Max, à l’âge de 7 ans à Dantzig, car le prénom Meir ne figurait pas sur les listes des noms de baptême. Que le Russe ait été sa langue d’origine, que sa formation à, selon Freud, “l’obscure philosophie hégélienne”, nous éclaireraient peut-être sur son maniement compact de la langue allemande. D’après la notice bibliographique trouvée à la B. N., il a présenté sa thèse de Doctorat en Philosophie en 1914 à la Faculté de Philosophie de l’Université de Berne. Cette thèse : Contribution à la psychologie de l’expérience mystique, sera éditée en 1916 à Dantzig. Nous ne connaissons rien encore des aventures qui, à cette époque, le domicilient à Jaffa, en Palestine.

Cet article : La libido chez Freud et l’Éros chez Platon • Une comparaison, est son premier écrit publié et ce, par l’Internationale Zeitschrift. C’est le seul document de consistance qui témoigne du conflit théorique radical entre Jung et Freud. Ne nous sont parvenus en effet jusque là que les critiques de Ferenczi, Abraham et Jones, relatives aux ouvrages de Jung et à l’importance des Trois Essais.

Max Nachmansohn devint ensuite médecin-psychiatre et les titres de nombreuses de ses productions ultérieures indiquent son intérêt pour la psychanalyse. Freud, dans sa lettre à Abraham (op. cit.), parle de “nouvelle recrue”, ou nouvelle force vive pour la psychanalyse, mais nous ne trouvons trace, ni dans les Minutes, ni dans d’autres documents consultés, de Nachmansohn comme membre de l’Association.

Son article comprend deux chapitres. Le premier chapitre s’ouvre sur “l’extension de la notion de libido”, à partir de l’expérience clinique accréditée par Freud. L’érotique et l’être humain sont inhérents. Au cours du développement de l’enfant s’ensuivra la faculté du langage à s’organiser.

Pour Freud, le nourrisson jouit sexuellement de prendre le sein, à défaut de suçoter.

Pour Jung, il s’agit du plaisir de la nourriture.

Du suçotement à la masturbation, Jung admet le rapport de non analogie avec “la satisfaction de la faim” ; la masturbation n’est, pour Jung, qu’une “continuation des habitudes infantiles”. Le suçotement, il en convient, témoigne d’une activité sexuelle antérieure. Dans ce même temps, il refuse de reconnaître l’existence de manifestations de la sexualité infantile. Il n’en démordra pas, sur le mode de la dénégation, jusqu’à l’élaboration de sa propre “extension” du concept de libido en énergie psychique.

Puis, Nachmansohn met particulièrement en évidence les contradictions de Jung sur l’existence de zones érogènes, sur celle d’une disposition polymorphe-perverse de l’enfant, sur le terme libido, clairement défini par Freud.

Nachmansohn qui a beaucoup lu, de Darwin aux philosophes contemporains, et tout spécialement Freud, depuis les Études sur l’hystérie, passant par l’Esquisse, la Morale sexuelle civilisée etc., jusqu’aux Trois Essais de 1910, s’oppose à “l’interprétation de Jung et de Pfister, texte de Freud à l’appui. Il souligne notamment la relation entre bisexualité - ou sexualité “à l’état de non-développement [...] qui pourra, tout à fait par hasard, se tourner vers les deux sexes”. Puis il introduit son propos quant à l’amour et la pulsion amoureuse, annonçant avec soin sa comparaison entre deux théories, celle de Freud et celle de Platon. Ainsi l’Éros platonicien peut être comparé à la libido chez Freud en ce qu’ils s’originent tous deux dans la pulsion, qui ne se caractérise que d’elle-même, et être ce qui, dans un premier temps, assure la conservation de l’homme aussi bien que celle de l’espèce, de “tout ce qu’il y a de vivant dans la nature”. Pulsion qui chez Platon se manifeste sous la forme de poussées successives. La pulsion gravira progressivement, au cours de l’évolution, les quatre degrés (sensuel - spirituel - philosophique - mystique) permettant ainsi l’accès à ce qui est fixé comme but : la sublimation.

Nachmansohn s’interroge également sur les motifs qui ont poussé Freud à instaurer le terme libido, mais nous ne le chicanerons pas, car si l’on se tourne vers le début du siècle, quand furent rédigés les Trois Essais, ce terme de libido y est présenté comme une “notion” témoignant de la tendance conservatrice à satisfaire au plaisir d’apaiser la moindre tension. C’est alors que la nouvelle acception de ce concept rencontre une résistance extérieure tout à fait cohérente avec la résistance ordinaire à la psychanalyse. Enfin, à l’époque, l’Au-delà du principe de plaisir, qui inaugure l’hypothèse de l’existence de la pulsion de mort, n’est pas encore écrit.

Freud a bien souvent emprunté à Platon, notamment dans la 31e de ses Nouvelles Conférences (cf. Wo es war, soll ich werden), la métaphore du cavalier et de sa monture pour rendre perceptible quelque-chose de la “relation du moi avec le ça”. Dans le sixième chapitre de l’Au-delà, il illustre l’hypothèse de l’existence d’une pulsion de mort en se référant à la fable d’Aristophane. Dans la Psychologie des Masses, au chapitre Suggestion et Libido, il pose comme nécessaire le fait qu’il n’y a pas à céder sur l’emploi du terme libido, choisi par lui, différent de celui - distingué, cultivé - d’Éros chez Platon pour attester de cette vérité : la libido est d’origine sexuelle.

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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