Psychanalyse et idéologie

P. Luc de Bellescize • Vous êtes la lumière du monde

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

Il faut une infinie patience pour attendre toujours ce qui n'arrive jamais

Infinite patience is required to those always waiting for what never happens

Pierre Dac

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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De : psychanalyse-et-ideologie04@orange.fr

Date :14 février 2023

Objet : Lumière du monde

 

Texte complet en pièce jointe PDF

 

« Vous êtes la lumière du monde »

[Les lectrices, lecteurs, vidéastes intéressés pourront se reporter aussi au documentaire de Yona Dureau, en français et anglais, Chrétiens dans un monde de l’Islam,  

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/media/ChretiensFr35min24.mp4

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/media/ChretiensFr60min30.mp4

En avril 2002, je fus confrontée à une situation de crise, celle vécue par les Chrétiens d’Orient dans les territoires palestiniens, situation de tension et d’oppression qui culmina avec la prise d’otages de l’Église de la Nativité. - Yona Dureau

La Basilique de la Nativité à Bethléem abrite les Chrétiens de l’Église orthodoxe grecque, de l’Église orthodoxe arménienne et de l’Ordre franciscain.

Lorsque j’ai rencontré Yona Dureau en 2005, le documentaire « Chrétiens dans un monde de l’Islam », qu’elle avait tourné sur le vif en 2002 dans des conditions difficiles décrites par elle ci-dessous, n’avait toujours pas trouvé de diffuseur. Notre bouquet d’adresses était alors étoffé, c’est ainsi que je lui ai proposé de le rendre public. Nous l’avons édité d’urgence sur notre site, après en avoir numérisé la cassette magnétoscope.

La construction de ce film est indissociable du texte de Yona, « Le document, utopie du documentaire • Réflexions sur l’expérience d’un premier film », placé sur notre site depuis 2005 à l’adresse suivante,

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/utopdoc.html

Ce film, prémonitoire de la tragédie que les Chrétiens d’Orient comme de toute obédience subissent de nos jours, malgré mon insistance auprès de leurs représentants, ne reçut aucun écho du monde occidental. MW]

 

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© P. Luc de Bellescize

 

 P. Luc de Bellescize+

SVP

Dimanche 5 février 2023

5e dim. TO, A. Mt 5, 13-16 : « Vous êtes la lumière du monde ».

 

Chers frères et soeurs,

 

Quelques jours avant sa mort, je suis allé voir Jean Vanier avec l’archevêque. Il était à la maison Jeanne Garnier, en soins palliatifs, qui sont l’unique chemin digne de la fin de l’homme et du caractère sacré de sa vie : soulager la souffrance physique et morale, éviter les traitements disproportionnés, ne jamais donner la mort mais consentir à notre finitude. Tant de fois, comme prêtre, nous nous rendons au chevet des mourants, recueillir une dernière parole, un sourire, un regard, recevoir une ultime confession avant le grand passage. Devant l’homme qui meurt les gestes les plus humbles revêtent une signification plus profonde, plus incarnée, comme si la fin du chemin donnait une réalité plus intense à toutes choses. Il y a près des mourants un surcroît de vie, une densité de présence réelle. On humecte des lèvres trop sèches, on présente un peu de compote dans une petite cuillère, on entend le rire tranquillisant d’une infirmière antillaise pour qui rien n’est si dramatique qu’il faille perdre sa joie, on serre une main fragile, on redresse un oreiller. L’amour descend dans l’humilité du quotidien. On donne de la vie aux jours quand on ne peut plus donner de jours à la vie. On donne du sel à la terre quand elle s’en va vers le ciel, et chaque instant qui passe revêt une saveur particulière, une couleur plus éclatante.

Au soir de la vie les corps s’abaissent et les âmes s’élèvent… On voit parfois l’âme qui affleure dans la transparence d’un corps fragile comme une lumière bienheureuse à travers les ombres. Il ne faut pas voler aux hommes le mystère de leur mort. Elle n’appartient à personne, pas même à celui qui meurt. Ma vie ne m’appartient pas comme une chose dont je puis disposer à ma guise. Je porte en moi d’autres vies, tout un tissu de relations qui m’ont façonné. Mon coeur bat au rythme d’autres coeurs. Mon corps ressemble à d’autre corps. L’homme est ce fragile coquillage que l’on porte à son oreille et dans lequel on entend bruisser la mer immense. « Dans notre vie comme dans notre mort nous appartenons au Seigneur » dit l’apôtre (Rm 14, 8). Prions et agissons pour que les hommes meurent dans la dignité. La dignité d’une vie que nul ne leur prend pour qu’ils aient la grâce de la remettre entre les mains de Dieu, de préparer leur coeur au grand passage. « Ma vie, nul ne la prend, dit le Seigneur, mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). « J'aimerais pouvoir recueillir toute ma vie au creux de mes mains, avoir le temps de l'élever vers Dieu et de la Lui donner comme mon humble offrande d'homme » écrivait Guy de Larigaudie dans Etoile au grand large. J’aime aussi ce beau poème de Rainer-Maria Rilke sur la mort :

« O Seigneur donne à chacun sa propre mort Sa mort qui vienne de sa propre vie Où il connut amour, sens et détresse Car nous ne sommes que l’écorce et la feuille. La grande mort, que chacun porte en lui, Là est le fruit autour de qui tout gravite. »

Je dois dire que Jean Vanier m’avait paru lumineux de Dieu, comme rempli de sa Présence. Je ne savais rien alors de sa responsabilité personnelle dans le délire maléfique du Père Thomas. Il m’avait dit : « Si Jésus veut que je parte, je pars. S’il veut que je reste, je reste ». Dieu seul sonde les reins et les coeurs, même s’il y a un grave devoir à reconnaître l’objectivité du mal et à prendre soin des personnes victimes d’un système pervers. J’avais passé six mois dans une communauté de l’Arche en Irlande, auprès de ceux qui portent un handicap mental. Je n’idolâtrais pas Jean Vanier, mais j’avais pour lui estime et reconnaissance. Il ne faut pas idolâtrer les hommes, encore moins les choses ou les causes. Mais la tendance à l’idolâtrie est profondément inscrite dans nos coeurs blessés. Quand l’homme perd le sens de Dieu, il livre alors toute sa vie pour des combats, des lobbies ou des choses, il se met à poursuivre des chimères et des rêves pleins de vent pour tenter de combler, en vain, la soif éternelle qui habite son coeur. Et quand un chrétien perd de vue qu’au Christ seul revient la gloire, il risque alors d’idolâtrer tel fondateur ou tel pasteur charismatique, de réveiller ses failles cachées et de nourrir ses fêlures narcissiques. « Petits enfants, gardez-vous des idoles » dit saint Jean à la fin de sa lettre (I Jn 5, 21). Je pense que nous avons là un examen de conscience à faire. Cela n’enlève rien à la responsabilité personnelle de ceux qui font le mal et détournent les âmes sous le masque de la piété, ni ne dédouane l’Église de ses propres aveuglements. Mais nous façonnons aussi, pour une part, nos propres idoles… L’idole est une fausse lumière qui capte le regard et l’enferme. L’icône est la seule vraie lumière qui conduit vers le Père. Pour moi Jean Vanier était une icône, comme pour beaucoup. Je sais maintenant qu’il a gravement trahi l’Évangile. Je me refuse pourtant à croire que toute son oeuvre se réduit à sa part d’ombre et de turpitudes. Nul n’est totalement monstrueux. « Souviens-toi, disait le Père Jacques Sevin, que dans l’être le plus disgracié comme le plus obscur luit une étincelle divine qui mérite notre amour ».

Je voudrais vous confier combien il est difficile d’être prêtre aujourd’hui et de garder toujours notre joie. Priez pour vos prêtres, aidez-les à devenir toujours davantage conscients de leur appel, de la beauté de leur mystère. Sans prêtres pas d’Eucharistie, par de pardon donné dans le sacrement de la réconciliation. Mais nous portons la splendeur du sacerdoce dans des vases si fragiles. Il y a bien sûr des scandales qu’il faut dévoiler pour en guérir et reconnaître ceux qui ont été blessés, comme le délire satanique des frères Philippe ou la scandaleuse affaire Rupnik, qui souille l’Église en plus haut lieu... Mais il faut savoir aussi jeter un voile pudique sur la faute de nos frères quand elles ne relèvent que d’une faiblesse et ne pas détruire l’entière réputation d’un homme pour finalement peu de choses. Il faut donc demander la clarté du discernement. La lumière de la vérité n’est pas la transparence absolue sur toutes choses, mais le discernement progressif entre ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire, à qui l’on doit le dire et à qui l’on doit le taire.

J’ai été ordonné prêtre il y a 13 ans, j’ai l’impression de vivre aujourd’hui dans un autre monde, dans une Église qui a perdu une part de sa clarté, de sa lumière et de son sel. Une Église qui semble douter d’elle-même et du trésor qu’elle porte en elle, avec de nombreux pasteurs et même des évêques et des cardinaux qui, particulièrement dans les diocèses les plus riches d’Occident, comme des loups déguisés en brebis, cherchent à aligner l’Église sur l’esprit du monde et à l’inféoder servilement aux lobbies dominants. La révélation incessante de scandales blesse notre coeur. « Le visage si sale de ton Église nous effraie » disait le cardinal Ratzinger lors du chemin de croix du Colisée, alors que saint Jean Paul II vivait ses derniers jours. De nombreux fidèles se sentent désorientés, de simples prêtres humiliés dans le combat joyeux et douloureux parfois de leur célibat consacré. Et pourtant, je voudrais vous redire, et je m’adresse aussi cette parole, moi qui me sens toujours capable du pire : n’ayons pas peur. Le Seigneur veille sur nous. N’oublions pas notre joie, la saveur que donne le sel de la foi.

Le sel permettait de conserver les aliments. Il est le signe de ce qui demeure et lutte contre la corruption. Il faut nous attacher à ce qui demeure quand tant de choses passent... L’esprit d’adoration, l’écoute de la Parole de Dieu, le confession fréquente, la sainte communion, l’amour de la Vierge. Voilà les piliers de l’Église. Sans le coeur qui bat le corps est mort. Trop de congrès dans les séminaires, de sessions dans les universités catholiques, de plans pastoraux ne sont que vanité des vanités, brassage narcissique de mondanités phraseuses, enflure démesurée du Moi. C’est dans mon coeur que se joue le grand combat pour la purification de l’Église, comme dans le vôtre. Non pas d’abord dans la réforme de la Curie ou dans des modifications structurelles - parfois nécessaires évidemment - mais dans l’intimité d’une âme qui se tourne résolument vers le Christ, la vraie lumière qui illumine tout homme en venant dans le monde. N’oublions pas cette bienheureuse lumière au milieu de nos ombres. « Jésus, lumière intérieure, comme le chantent les frères de Taizé, ne laisse pas mes ténèbres me parler » … Ne laisse aucune ténèbre me parler. Car « la ténèbre n’est pas ténèbre devant toi et la nuit comme le jour est lumière ».

Amen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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