Psychanalyse et idéologie

MichelineWeinstein • Un été dans Paris

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Micheline Weinstein / 5-6 septembre 2015

 

Un été dans Paris


1 • Qu’est-elle devenue ?
2 • Fin de l’été
3 • Rentrée
 

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1

 

Qu’est-elle devenue ?

 

Une nouvelle propriétaire enménage fin juin dans un quartier “bobof”.

L’immeuble est composé de 2 bâtiments en vis-à-vis.

L’appartement de la propriétaire donne sur une cour fermée.

L’été est très chaud cette année, toutes les fenêtres des résidents parisiens sont ouvertes, les bruits  se répercutent d’un bâtiment à l’autre, de jour comme de nuit, dont ceux d’un voisin du bâtiment face au sien, même étage, le 1er.

Entrent chez elle les conversations par Internet de ce voisin, haut-parleur actionné. Elle ne peut qu’entendre par le menu la teneur des échanges entre le voisin et ses correspondant-e-s.

Ces longues conversations se révèlent d’ordre privé, les correspondant-e-s exposent leurs problèmes de divorce, d’enfants, de parents, de partenaires, etc., bref leur mal-être.

Il lui semble alors comprendre que ces dialogues ne sont pas simplement amicaux, mais évoquent des consultations professionnelles. Elle se dit que le voisin, prolixe en interprétations, conseils, questions, etc., est un gourou, un parapsy, un coach…

Tout d’abord elle ne se manifeste qu’en produisant elle-même des bruits. Elle espère ainsi que le voisin réalisera l’incongruité des conversations publiques. En vain, ça perdure.

Le voisin s’absente vers la mi-juillet. Elle-même part en vacances le 2 août.

À son retour, le 18 août, silence en face, le voisin n’est pas là.

Revenu aux alentours des 22-24 août, les longs échanges téléphoniques, toutes fenêtres ouvertes, reprennent.

Elle attend qu’une causerie se termine, va frapper à la porte du voisin, se présente et lui indique, à titre informatif, qu’elle en entend la totalité, qui lui fait penser à des consultations professionnelles.

 

La scène

 

Lui – Je m’en fiche.

 

Elle – Ça ne me semble pas très déontologique.

 

Lui – Déontologique ? Je ne crois pas qu’il y ait un problème de déontologie, et puis vous ne connaissez pas mes patients, je travaille par Internet.

 

Elle – J’insiste sur la déontologie. Je pense que cela ne plairait pas trop à vos patients de savoir que leur vie privée est publiquement entendue. Personnellement, cela me gêne.

 

Lui – Ce n’est pas mon problème.

 

Elle – Ah bon ? Quel est votre métier ?

 

Lui – (silence)

 

Elle – Il s’avère que je connais un peu le domaine…

 

Lui – Quel domaine ?

 

Elle – La psychanalyse [Sa propre psychanalyse a duré un peu moins longtemps que celle de Fabrice Luchini, mais 20 ans tout de même].

 

Lui – (silence)

 

Elle – Le respect de la discrétion de la vie privée, cela ne vous importe pas ?

 

Lui – Non, je m’en fiche.

 

Elle – Et votre sono à fond à 23 heures ?

 

Lui – Je m’en fiche, ça fait 12 ans que je vis ici comme ça et je ne changerai pas. Je vous invite à vous calmer et à adapter votre mode de vie en conséquence, ainsi qu’à fermer vos fenêtres.

 

Elle – Donc vous ne changerez rien ?

 

Lui – Non.

 

Elle – Il y a pourtant des lois élémentaires qui régissent la vie en copropriété.

 

Lui – Vous n’avez qu’à appeler la police.

 

Elle – Je venais justement pour entretenir des relations de bon voisinage, mais si c’est le seul recours…

 

Lui – (silence)

 

Elle – Je suis sidérée.

 

(Elle sort)

 

Nouvelle dans l’immeuble, elle essaie de trouver le nom du voisin sur les boîtes à lettres mais n’y parvient pas.

Cependant les causeries “professionnelles” et la sono ont cessé.

À la faveur d’une affaire de plomberie, elle contacte la présidente de la copropriété, lui fait part de cet intermède, obtient ainsi le nom du voisin et apprend que d’autres personnes ont manifesté leur malaise.

À la suite de quoi, notre nouvelle arrivée tape le nom du voisin sur Internet, elle tombe sur l’intitulé :

 

C.*** Psychanalyste.

 

Dans Le Point du 3 septembre 2015, les intéressé-e-s pourront se reporter à un article intitulé « L’hypnotique François Roustang », fort élogieux. En 1977, nous étions nombreux à avoir lu Un destin si funeste.

Voilà qui a sans doute conforté Michel Onfray, ardent détracteur de Freud, auteur fréquent de l’hebdomadaire.

Le signataire de l’article, peut-être mal informé, commet quelques erreurs. De sa lecture d’Un destin si funeste, il relève un “réquisitoire contre la dévote « secte freudienne », dans lequel l’apostat reproche à Freud de dissocier psyché et corps […] au profit du seul langage […]”. Il cite également une amie journaliste de François Roustang qui aurait déclaré : “Ce qu’il [F. R.] propose révolutionne complètement la psychanalyse, car il refuse la causalité.”

Il serait hors-sujet de revenir ici sur l’histoire de l’élaboration et de l’évolution des concepts freudiens, des écueils rencontrés, des dissidences, des drames inhérents à toute découverte in statu nascendi (ex. la bombe atomique).

Remarquons simplement que celui ou celle qui refuse la causalité, autrement dit une “relation constante et nécessaire entre deux phénomènes [CNRTL]”, ne saurait se référer à ce que Freud a nommé psychanalyse.

Déjà en 1977, l’expression “secte freudienne” avait paru malencontreuse car si secte il y avait, elle était lacanienne, ce pourquoi François Roustang - et ses motifs nous échappent - l’avait attribuée à Freud plutôt qu’à Lacan dont il s’était affranchi. De même substituait-il le maintien du transfert chez Lacan, qui en usait avec force séduction, à la non perpétuité du transfert chez Freud (cf. un ex., Correspondance Freud / Jung).  

38 ans ont passé depuis la première édition d’Un destin si funeste, l’ouvrage fut réédité tel quel en poche en 2009. Puisque la correspondance de Lacan, s’il y a, n’est pas accessible, il se peut que François Roustang se soit un moment attardé sur la transcription initiale par la sténotypiste des séminaires d’icelui, dans lesquels affleurent, parsemés, des propos vipérins envers Freud et quelques autres, perçus comme rivaux par le maître. Mais manifestement, François Roustang n’a pas estimé instructif d’étudier avec attention la volumineuse correspondance de Freud, les témoignages de ses élèves, de ses amis, édités dans un intervalle de 32 ans. Aurait-il préféré la lecture des contempteurs de Freud, que l’honnêteté intellectuelle impose pour garantir la liberté de développer une pensée singulière ?

L’auteur de l’article attribue à F. Roustang la traduction de unheimlich par étrange familiarité, qui est celle, dans la première édition française, de Anne Berman ; François Perrier, lui, traduit unheimlich par inquiétante familiarité, qu’il définit comme étant “toujours rapport à l’identique et au même” ; Freud, dans cet écrit, précise que le un- de unheimlich atteste du refoulé ; une traduction possible serait aussi familié refoulé... en ce que les manifestations névrotiques du refoulement produisent chez le sujet une impression inquiétante d’étrangeté.

Quant au vocable de “secte” appliqué à l’entourage de Freud, voici ce qu’énonçait le promoteur de la psychanalyse en 1930,

 

“Aussi, je renonce à prendre le risque de m’ériger en prophète face à mes semblables, et m’incline devant leur reproche selon lequel je ne suis pas à même de leur apporter quelque réconfort, puisque c’est cela que tous requièrent, des plus sauvages révolutionnaires aux plus fervents religieux.” 

 

À noter incidemment que Freud n’occupait pas son temps à ériger en théorie le goût de dénigrer quiconque.

 

2

 

Fin de l’été

 

À la suite de deux récents courriers que nous avons largement transmis :

 

rediffusion sur France Culture le 29 août 2015 de l’entretien entre Alain Finkielkraut et Marceline Loridan-Ivens, intitulé Auschwitz pour mémoire, au sujet du livre de Marceline Et tu n’es pas revenu ;

 

chronique de Luc Ferry dans Le Figaro « Opinions » du 2 septembre 2015, intitulé L’édu
cation doit précéder l’enseignement,

 

nous avons reçu plusieurs demandes de désinscription de notre liste de correspondants.

Alain Finkielkraut et Luc Ferry sont considérés comme des citoyens de droite.

Voici la réponse que j’ai adressée à l’une de ces correspondants par mail :

 

Nous remercions Mme L*** d’avoir programmé « À la bonne adresse » le jour d’une cérémonie officielle au Mémorial, garantie qu’il n’y aurait personne à la représentation de la Lecture-Spectacle à la Mairie.

Ce fut fort élégant.

Quant à la chronique ci-dessous, elle fait sans doute l’objet d’une des nombreuses ukases politiques actuelles, dont celle de n’avoir pas le droit de faire état de ce que l’on pense, sans ostracisme, ainsi qu’en témoignent nos travaux et documents sur le site, auxquels Mme L*** (chargée des Culture, Mémoire, Égalité femmes-hommes, Lutte contre les discriminations ! ?), comme bien d’autres, ne s’intéresse pas, ce qui est son droit incontestable.

Pour ma part, je n’ai cessé d’écrire et de répéter depuis des lunes un point de vue sur l’éducation et l’enseignement identique à celui de Luc Ferry. Sur d’autres thèmes, je ne me rallie pas à l’ensemble de sa pensée, pas plus qu’à celui de son ami Onfray, d’où ma phrase d’avertissement préalable à la diffusion du texte de Ferry,

 

Que l’on apprécie ou moins l’auteur, ci-dessous une chronique sensée.

 

Bref, quant à l’idéologie, la diversité des auteurs que nous diffusons n’augure en rien nos intentions de vote lors des élections.

Là-dessus, souhaitons à Mme L*** une bonne continuation.

Micheline Weinstein

 

Nous supprimâmes aussitôt l’adresse de la dame qui, ne l’ayant pas compris, me retourna une réponse tant enfantine que j’en épargne ici la copie.*

 

* Quelle était la définition d’“andouille” par Rabelais ? : “qui n’a point d’oreilles”.

 

3

 

La rentrée

 

M. W.

6 septembre 2015

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2015