Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

Un peu de Heidegger...

à l'intention des psychanalystes français

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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object.
Samuel Beckett
• “The Unspeakable one”
Underlined in « Jargon of the Authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

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ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

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© Micheline Weinstein   / 30 mai 2011

Un peu de Heidegger...

à l'intention des psychanalystes français

Voici tout d'abord un courrier relatif à l'“affaire DSK”, adressé assez largement par mail le 26 mai 2011. À l'origine, il n'était pas destiné à figurer sur notre site.

L'énorme réseau DSK incluant des psychanalystes lacaniens et leurs vastes entours d'intellectuels célèbres associés à la politique et aux médias, et après longue, ennuyeuse et nauséeuse réflexion, j'y suis tout de même allée, à reculons, de ma contribution. Toutefois, pour rester cohérente avec les intitulés de notre association,

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le non de ψ [Psi]
Le temps du non Cela ne va pas sans dire, s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

cela m'a semblé inévitable.

Chers lecteurs et correspondants éventuels, cotisants, sympathisants.. .

 

À propos de l'“affaire DSK”, j'ai oublié de vous informer que j'avais signé, sans vous consulter, l'“Appel contre le sexisme” au nom de l'association entière.

Quelques points, dans cette affaire, me soucient : comment un homme aussi brillant intellectuellement, accepte-t-il que, pour prétendre à l'acquittement des faits présumés dont il est présumé accusé, l'on aille bassement fouiller dans la vie d'une femme qui n'a que son avocat pour la défendre ?

Est-ce cela le respect de la vie privée, de la dignité d'autrui, de l'équité ?

Quelle preuve de courage intellectuel, d'intégrité, de sens minimal de l'éthique, aux yeux du monde, de la part de cet homme !

Et, quels que soient les événements, les aléas au cours de la vie de cette femme, pêchés, repêchés, supposés, à coup d'argent, dans les culs de basse-fosse les plus sordides, serait-ce une raison juridique de justifier un présumé viol, si par la suite le viol est avéré ?

Il existe, mais cela n'est qu'une hypothèse personnelle prudente dont la véracité reste à prouver, une pathologie dont souffre nombre de sujets, qu'à quelques-uns l'on nomme, qui peut rendre brutal, voire sauvage, et qui n'a rien à voir avec un goût exacerbé pour les femmes, pas plus que pour le libertinage ou le plaisir... La femme n'existe pas en de tels cas, seulement à titre d'objet partiel pour obtenir, par tous les moyens disponibles, y compris fétiches, l'apaisement provisoire d'une intolérable injonction pulsionnelle.

 

M. W.

Tandis que ça dure, je consulte avec grand intérêt, entre autres activités, le livre qu'une amie vient de m'offrir,

Ernst Klee

Das Personen Lexicon zum dritten Reich

Wer war was vor und nach 1945

Ed. Kramer 2011[non-traduit]

ou

Le Dictionnaire des Personnages sous le Troisème Reich

Qui était quoi avant et après 1945

Naturellement, je me suis reportée en premier lieu au nom de Heidegger, dont j'explore la terminologie depuis 1967, date de la fameuse Proposition d'Octobre de Lacan, au séminaire duquel j'assistais. Avec la spontanéité de la jeunesse et sans même mesurer un instant les conséquences probables sur mon avenir professionnel, j'établissais alors un triptyque linguistique qui mettait en parallèles une étrange parenté de vocables [cf. dictionnaire à galimatias, selon Jankelevitch] entre Lacan, Heidegger, et ceux puisés dans des chapîtres bien particuliers de Mein Kampf. Et ce, dans le projet de démontrer que les penseurs et théoriciens français, pour la plupart sartriens, ravis par Heidegger, infléchissaient sérieusement le vocabulaire freudien vers celui d'une philosophie contestable, le gauchissaient gravement, ce qui ne manquerait pas d'exercer une influence plus que dommageable sur la théorie et la pratique de la psychanalyse en ce qu'elle vidait les concepts psychanalytiques de leur sens. 

Personne alors - et cela perdure solidement au grand profit des maisons d'éditions qui rééditent Heidegger à l'infini -, ne voulait entendre l'antipathie, la méfiance manifeste de Freud pour une certaine philosophie dont, dès Totem et Tabou, il comparait le discours à celui du délirant.

Mon triptyque fut établi, mon hypothèse ne s'est pas modifiée.

Bien que tout cela fût écrit et réécrit, dit et redit au fil du temps, si j'insiste encore aujourd'hui, c'est que des responsables pédagogiques aux plus hauts niveaux ont entretenu une méconnaissance délibérée de l'œuvre de Freud, de telle sorte que deux générations ont été enseignées et continuent de l'être dans le culte exclusif des théories lacaniennes, voire celui de Lacan soi-même. La psychanalyse freudienne s'est ainsi vue ravalée à une philosophie obscurantiste, qui affecte jusqu'aux traductions de l'œuvre de Freud, voire à une vulgarisation médiatique, qui oscille en permanence entre le snobisme et la quincaillerie, incitant de béotiens locuteurs, candidats ou non à l'analyse, adversaires ou pas, à donner sans ciller des leçons de psychanalyse aux professionnels.

Sur ce sujet, pas très nouveau cependant, puisque du temps de Freud la résistance à la psychanalyse était déjà solidement mobilisée, on peut lire l'extrait de sa 32e Conférence à l'adresse suivante,

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/livres/freudlumieres.html

J'ai donc - cela va sans dire ! - été peu invitée à m'exprimer publiquement. Cependant, en 1991, lors du 1er Colloque de Psychanalyse Actuelle, avec constance et pensant que les opinions philosophiques de Heidegger intéresseraient, j'ai présenté quelques passages prélevés dans son œuvre.

• L'un, sur la psychanalyse, qui date d'après-guerre, alors qu'Heidegger était encore interdit d'enseignement en Allemagne. Dans son Introduction de 1949 à « Qu'est-ce que la Métaphysique ? », dédiée à Hans Carossa pour son 70e anniversaire, dédicace omise dans la traduction française puisque Carossa présida une fois la Chambre Internationale des Écrivains, créée et contrôlée par Goebbels, voici ce que l'on peut lire, in “Questions I” :

S'il en était ainsi de l'Oubli de l'Être, ne serait-ce pas une raison suffisante pour qu'une Pensée qui pense l'Être soit prise d'Effroi, car rien d'autre ne lui est possible que soutenir dans l'Angoisse ce Destin de l'Être afin de porter d'abord la Pensée en présence de l'Oubli de l'Être ? Mais une Pensée en serait-elle capable tant l'Angoisse ainsi destinée n'est pour elle qu'un État d'Âme pénible ? Qu'à donc à faire le Destin Ontologique de cette Angoisse avec la Psychologie et la Psychanalyse ?

Je me rappelle, j'avais demandé à Jean-Pierre Faye, invité d'honneur de ce Colloque, de lire le passage dans la langue allemande heidegerrienne, dont les germanistes retrouveront aisément le timbre,

Wäre wenn es mit der Seinsvergessenheit so stünde, nicht Veranlassung genug, dass ein Denken, das an das Sein denkt, in den Schrecken gerät, demgemäss, es nichts anderes vermag, als dieses Geschick des Seins in der Angst aus zuhalten, um erst das Denken an die Seins vergessen heit zum Austrag zu bringen ? Ob jedoch ein Denken dies vermöchte, solange ihm die so zugeschickte Angst nur eine gedrückte Stimmung wäre ? Was hat das Seins geschick dieser Angst mit Psychologie und Psychoanalyse zu tun ?

Personne n'a moufté. Ce que je n'avais toujours pas compris alors, faut-il être niaise, après tout de même des décades de fréquentation d'écoles et de leurs colloques, c'est que ces manifestations n'étaient que de simples pince-fesses mondains dont le prétexte était de ressasser et de citer les trouvailles de Lacan. Personne n'écoutait, n'étant pas là pour ça. Si bien que, lorsque par hasard, je fus conviée à intervenir, mes exposés ne furent pas reproduits dans les publications ultérieures, excepté lorsque, à deux reprises, notre association se chargea de les éditer.

Un deuxième passage, extrait de l'œuvre heidegerrienne, concerne son point de vue sur la science. En mai 1933, Heidegger déclarait solennellement, comme s'il dévoilait une sorte de haine sourde envers Freud,

Pour les Grecs la science n’est pas un “Bien Culturel”, mais le centre intrinsèque de l’Être-là national populaire tout entier. La science n’est pas non plus pour eux le pur moyen de rendre conscient l’inconscient, mais c’est la force qui, s’en emparant, maintient affûté le Da-sein tout entier.

Car “Esprit” [Geist] n’est ni vaine perspicacité ni jeu gratuit du Witz, ni travail d’analyse formelle ni même logique du monde, mais esprit est originellement analogique à libre décision pour l’Essence de l’Être. Et le monde spirituel d’un peuple n’est pas la superstructure d’une culture, pas plus que l’arsenal des valeurs et de connaissance applicables, mais il est la puissance la plus profonde de ses forces garantes de terre et de sang, en tant que puissance intrinsèque d’É-motion et puissance de bouleversement le plus vaste de son Da-sein.

• Troisième passage, quand le Penseur de Todtnauberg, en 1933, annonce tout aussi solennellement la future condition de l'Être [-là] et de l'Étant, dans son Discours du Rectorat,

La Révolution Nationale-Socialiste apporte le Bouleversement complet de notre Da-sein Allemand.

• Le quatrième passage est assez divertissant où, dans son entretien avec le journal Der Spiegel, et ce en 1966, Heidegger expose brièvement ses considérations sur l'originalité de la pensée française,

Je pense à la parenté spéciale, intrinsèque, de la langue allemande avec la langue des Grecs et la pensée de ceux-ci. Les Français me le prouvent encore sans cesse aujourd'hui. Dès qu'ils se mettent à penser, ils parlent allemand, ils assurent qu'ils ne parviendraient pas à passer par leur langue.

Je me rappelle encore le tollé conjugé au haro, par les philosophes et les lacaniens, lors de la sortie en français, du livre, qu'ils n'ont pas lu, de Victor Farias, Heidegger et le nazisme, Paris, Verdier, 1987. Pas plus qu'ils n'ont lu Georges-Arthur Goldschmidt, Adorno [Le jargon de l'authenticité], Jankelevitch, Jean-Pierre Faye, Klemperer...

Enfin, pour terminer ce florilège, voici l'itinéraire intellectuel décrit par Ernst Klee dans « Das Personen... », lequel cite, au fur à mesure de l'entrée en scène alphabétique des personnages, toutes ses références. Le lecteur appréciera le court extrait de la lettre, après-guerre de Heidegger à Marcuse,

Heidegger, Martin. Philosophe.

 

* 26.9.1889 Meßkirch dans le Bade. 1928 Professeur titulaire à  Fribourg. Mai 1933 NSDAP Extrait de la demande d'admission de Heidegger au NSDAP : « Je suis Allemand de souche, exempt d'ancêtres de race juive ou de couleur … Je jure obéissance inconditionnelle au Führer ». 7.5.1933 Recteur. Le 3.11.1933 Appel aux étudiants allemands : « Que thèses et “idées” ne soient en aucun cas les règles de votre Être. Seul le Führer, et lui seul, est la Réalité allemande d’aujourd’hui et de demain et sa Loi. » Allocution lors de la Profession de foi des Professeurs des Universités et Écoles Supérieures à Adolf Hitler et à l’État National-Socialiste le 11.11.1933 à Leipzig : « Le courage initial de s'épanouir ou au contraire de se briser dans l'affrontement avec l’Étant [l'existence], c'est cela le moteur intrinsèque du questionnement sur un Savoir raciste. » Fin 1933 Dénonciation de son collègue göttingois Baumgarten dans une lettre à l’ensemble du Corps enseignant : « Après que Baumgarten eût échoué auprès de moi, il se tourna fébrilement vers celui qui, auparavant, avait enseigné dans un établissement de Göttingen, le désormais congédié de ce lieu, le Juif Fränkel [Eduard Fraenkel] .... Dans l'état actuel des choses, j’estime que son admission dans la SA, de même que dans le Corps enseignant sont impensables. » En 1933/34, fait enquêter la Gestapo contre le chimiste Hermann Staudinger suspecté entres autres admonestations, d’avoir trahi en livrant des secrets de procédés de fabrication aux pays ennemis. Le 23.4.1934, démissionne de son poste de Recteur. Mai 1934 Membre co-fondateur du Comité pour la philosophie du droit Académie pour la Jurisprudence allemande [Akademie für Deutsches Recht], fondée par Hans Frank. 1947-1950 Interdit d’enseignement. Amitié avec Eugen Fischer, idéologue de la race avant et après 1945. Dans une lettre du 20.1.1948 à Herbert Marcuse, Heidegger compare la solution finale avec l’expulsion des Allemands de l’Est (« remplacer “Juifs” par “Allemands de l’Est” »). 20.5.1976 à Fribourg.

Paix à son âme...

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ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2015