Février
2009
Une
Infirmière témoigne
Je suis assez catastrophée
en ce moment, car dans aucun média, aucune
presse, même dans les discours des politiques,
personne ne parle de ce qui se passe du côté
de l’hôpital public... Et pourtant, moi
qui le vis de l’intérieur, je vous garantis
qu’il y a de quoi sauter au plafond.
Tout ce
qui va suivre est un peu compliqué, peut-être,
mais nécessaire pour vous expliquer ce
qui se passe sur le terrain.
Je suis infirmière
dans un service de Médecine adulte (Médecine
interne et thérapeutique, pavillon 5, hôpital
Bellevue en province) avec une capacité
d’accueil de 21 patients, dont 95 % sont mutés
directement des urgences. Autrement dit, pour
la plupart, ils ne sont pas encore très
stabilisés sur le plan médical et
ont donc besoin d’une surveillance étroite
et efficace de la part des infirmiers et aide-soignants.
Les femmes de ménage (ASH) ont elles aussi
un rôle important, car au détour
d’un couloir ou pendant qu’elles nettoient une
chambre, elles peuvent être les premiers
signaux d’alarme d’un patient en détresse.
Sans parler de leur travail primordial pour assurer
l’hygiène des services, rôle majeur
dans la lutte des infections nosocomiales.
Nos
équipes s’organisent ainsi : (les équipes
de jour et de nuit sont indépendantes,
je ne travaille que le jour matin-soir),
• 2 infirmières
+ 2 aide-soignantes + 1 ASH le matin
•
2 infirmières + 2 aide-soignantes + 1 ASH
le soir
• 1 infirmière + 1 aide-soignante
la nuit
Ceci est ce qu’on appelle
le service minimum, autrement dit, c’est le minimum
réglementaire pour assurer la sécurité
des patients. Or il faut savoir que nous n’avons
jamais de personnel en plus et que la tendance
actuelle est de nous faire tourner en sous-effectif
de manière presque systématique
les soirs et les week-end, soit un seul infirmier
pour 21 patients.
Depuis 2 mois, une de mes
collègues infirmières a démissionné
et n’est pas remplacée, une autre est en
arrêt de travail qui risque d’être
prolongé et n’est pas non plus remplacée.
Nous ne sommes donc plus que 6 infirmiers au lieu
de 8 à assurer un roulement sur 4 semaines,
jours de semaine, week-end et fériés
compris. Alors nous effectuons 1 puis 2 puis 3
week-end supplémentaires (nous en travaillons
déjà 2 sur 4 habituellement) et
ainsi de suite pour que le service tourne, avec
des jours de repos qui sautent et des alternances
de rythme incessantes. Si bien qu’il devient impossible
de prévoir quoi que ce soit en dehors de
la vie au CHU, sous peine de devoir annuler au
dernier moment pour cause : boulot!
Samedi
dernier, une autre collègue s’est arrêtée
et, étant la seule infirmière du
soir, il n’y avait donc personne pour prendre
la relève du matin... C’est un infirmier
des urgences qui a été détaché
de son service pour venir dans le nôtre,
qui a assuré les soins de nos 21 patients,
alors qu’il ne les connaissait pas, et qui a dû
faire face en plus à une situation d’urgence
vitale de l’un d’eux...
Une des ASH est arrêtée
depuis 1 an en étant remplacée de
manière très ponctuelle, obligeant
les 3 ASH restantes du service à se partager
un roulement sur 4 semaines, jours de semaine,
week-end et fériés compris. Leur
tâche est de nettoyer à elles seules,
tous les jours, la totalité des 16 chambres
du service de fond en comble (vitres, mobilier,
murs, WC), les bureaux médicaux, les pièces
de vie (office, douche, WC, couloirs), la salle
de soins...
Il faut savoir que le CHU d’ici
est en pleine réorganisation, puisqu’un
gros complexe est en fin de construction à
l’hôpital Nord, promettant parait-il des
technologies de pointe, des locaux modernes et
surtout des soins efficaces et de qualité...
Alors
expliquez-moi comment être à la hauteur
de ces exigences quand le personnel est déjà
largement en sous-effectif ? L’hôpital refuse
d’embaucher, car déficit budgétaire,
mais préfère faire appel à
l’intérim, qui coûte plus cher que
des contractuels...
Hier, j’étais normalement
en “repos” et j’ai passé une
bonne partie de ma journée à démarcher
la Médecine du Travail, les syndicats et
à parler avec notre chef de service, pour
essayer de trouver des solutions pour que notre
direction nous entende...
Nous sommes par chance
soutenus par notre chef de service, qui connaît
la valeur de notre travail et sait que nous ne
protestons pas pour rien. Il nous connaît
suffisamment pour lui même remuer ciel et
terre pour qu’on s’occupe du sort des soignants
à l’hôpital. Il nous soutient parce
que lui-même est très inquiet de
la situation et voit notre gouvernement asphyxier
le service public hospitalier. Or lui a choisi
de travailler au CHU par foi en ce service public
et dans le respect du serment d’ Hippocrate.
e
dors très mal et pour être honnête
je pense au boulot constamment. J’ai peur que
le stress me fasse oublier un soin, que la pression
m’empêche de prendre le temps avec un patient
déprimé, que la fatigue me fasse
faire un mauvais calcul de dose, administrer un
produit au mauvais patient... J’ai peur que ce
métier que j’aime me transforme en assassin,
involontairement, parce qu’on aura laissé
la situation se dégrader. Parce que nous
sommes tous responsables : je suis l’infirmière
d’aujourd’hui mais nous sommes tous les patients
de demain. VOUS pouvez être au bout de ma
seringue, ou votre mari, votre enfant, votre proche.
Je
vis l’insécurité dans mon travail,
alors que je le maîtrise pourtant. Mais
je suis humaine avant tout.
Vous serez ceux
qui pâtirez du manque de soignants dans
les services : je n’aurai pas pu prendre le temps
de vous donner des nouvelles du patient que vous
aimez, je n’aurai pas pu gérer 2 situations
d’urgence à la fois... Faut-il attendre
qu’il y ait des morts pour réagir et prendre
conscience de ce qui se passe dans les hôpitaux
?
Aujourd’hui, j’ai besoin
de vous. Merci de bien vouloir transférer
ce mail de manière la plus large possible,
pour informer le plus de monde possible. Si vous
connaissez des personnes du monde hospitalier,
journalistique, politique ou autre, n’hésitez
pas à les solliciter.
Il faut se mobiliser
en masse pour être plus efficace, moi toute
seule, je n’intéresse personne.
Merci pour votre attention.
ø