© P. Denis Dupont-Fauville / 29 juin 2011
Avec l'autorisation
de l'auteur
et de
http://www.paris.catholique.fr/-Cinema-.html
Pater
De quoi parle Pater
? Il y a un président qui dialogue avec
son premier ministre, vient le chercher, le forme,
l’estime et le révèle à
lui-même. Il y a aussi un réalisateur
qui cherche à mettre à nu un acteur,
le filme, l’aide à habiter son personnage
au point de pouvoir se dire à travers celui-ci.
Surprise : ces deux couples n’en font qu’un,
et ce n’est pas le moindre prodige de cette
œuvre, tournée avec un minimum de
moyens (deux appartements, deux acteurs, quelques
figurants, une voiture et trois caméras),
que d’engendrer une problématique
d’une telle complexité, puisque les
deux protagonistes endossent tour à tour
chacun de leurs rôles respectifs, laissant
le spectateur se débattre avec ses propres
intuitions pour pouvoir les situer, à tout
moment, l’un par rapport à l’autre.
Mais ne voir dans
le film que deux intrigues entrelacées,
même en une dialectique à la frontière
complexe, serait encore passer à côté
de son propos principal. Car Alain Cavalier dynamite
sciemment, de l’intérieur, chacune
de ces situations. Le premier ministre ne tarde
pas à rivaliser avec le président
jusqu’à entrer en concurrence avec
lui et à le battre électoralement,
sans toutefois remporter la victoire finale :
au terme, aucun des deux n’est plus ni président
ni premier ministre. Quant au réalisateur,
il se met lui-même en scène en soulignant
complaisamment l’artifice de sa mise et
le changement de son apparence, tandis que l’acteur
est le premier, d’emblée, à
tenir et à manier la caméra par
laquelle nous entrons dans la problématique
du film.
En réalité,
l’une et l’autre dialectique supposent
un troisième terme. Les changements de
mains de la caméra comme les multiples
scènes où le discours est adressé
hors champ ou directement à l’objectif,
même à travers l’artifice d’un
miroir, l’expriment assez. Les échanges
si personnels qui se construisent entre Cavalier
et Lindon ne peuvent exister en l’absence
d’un spectateur. Ce qui se construit devant
nous n’est ni simplement un échange
ni un jeu de rôles… mais un film.
Ce film où
s’entremêlent toutes les trames, où
tous les discours renvoient les uns aux autres,
ne prétend qu’un instant nous mener
vers un dénouement. En réalité,
il s’agit moins d’atteindre un but
que d’arriver à exprimer quelque
chose qui dès le début cherche à
se dire, que d’articuler visuellement et
mentalement ce qui à l’origine constitue
la condition de possibilité du dialogue.
Qu’est-ce qui donne à chacun des
protagonistes non seulement d’exister comme
tel, mais de permettre à celui qui lui
fait face de s’exprimer ? Comment le regard
suscite-t-il la parole, comment la parole rend-elle
possible la diversité des points de vue
?
Poser la question
en ces termes permet d’approcher la question
contenue dans le titre. Il n’est effectivement
question que de paternité : celle de l’homme
politique qui forme un héritier capable
de songer à le tuer, celle du metteur en
scène qui crée un personnage susceptible
d’exister par lui-même, celle du cinéaste
qui manipule le spectateur jusqu’à
lui faire conquérir son autonomie à
l’égard des discours qui l’ont
d’abord submergé. Paternité
jamais accomplie pourtant, puisqu’à
la fin, tandis que l’auteur s’interroge
sur son propre père, le président
reprend la main, le metteur en scène ressaisit
la caméra et le spectateur se retrouve
livré à lui-même. Tout au
long du parcours, néanmoins, ce même
spectateur aura peut-être accompagné
Vincent Lindon, sous l’œil amusé
d’Alain Cavalier, pour consentir avec lui
à se regarder sans fards.
La psychanalyse,
on l’aura compris, n’est jamais loin
; la manipulation non plus, affichée ou
assumée. Du dialogue bobo avec un propriétaire
jusqu’au pique-nique en forêt avec
gardes du corps et rétroviseur transformé
en cintre, beaucoup de scènes seraient
à citer. Mais peut-être est-ce le
premier plan qui, à lui seul, résume
le mieux ce qui fait à la fois le plaisir
et la difficulté de ce film hors norme.
Tandis que la caméra tenue par Lindon lui-même,
sous les ordres de Cavalier, fait grandir notre
appétit dans le spectacle voluptueux des
plats offerts à notre contemplation, le
dialogue avec le réalisateur souligne que
nous sommes suspendus au bon plaisir de celui-ci,
visible par la seule entremise de ses mains. Mains
qui agencent le festin qui nous est promis, voix
qui commande l’homme qui nous le rend visible,
énigme d’une donation dont nous ne
pouvons savoir à l’avance jusqu’où
elle nous mènera.
P. Denis Dupont-Fauville
29 juin 2011