Au plan de l’éthique,
qu’est-ce que le principe fondamental de la psychanalyse
? Ce principe, pour chacune, chacun, consiste
à dire la vérité. Qu’est-ce que l’invariance du concept de “vérité”
? Ne pas mentir, c’est tout de même simple
à comprendre, si ce l’est moins à
mettre en pratique.
Une remarque d’Élisabeth
Roudinesco m’a amenée à revoir le
qualificatif de négationniste et attribuer
aujourd’hui à Onfray celui de “dénégationniste”
ou, au choix, de “dénégateur”
de la psychanalyse.
P. S. Malgré mon absence de goût pour la polémique, j’ajouterai tout de même une petite remarque. Mohammed Yefsah, dans son article - cf. ci-dessous -, m’a semblé bien ingénu de croire sur parole un Onfray qui se prétend “libertaire sioniste”. Quand “on” bave sur Freud comme Onfray se délecte de le faire, “on” est anti-sémites. M. W.]
je
viens d’écouter les conférences
que Michel Onfray a consacrées dans son
Université Populaire à Sartre et
Beauvoir et qui ont été retransmises
sur France Culture.
Pour
correspondre à l’objectif de sa “contre-histoire
de la philosophie”, Onfray nous fournit
de la désinformation haineuse. Auteur ou
éditrice de huit ouvrages très documentés
sur Sartre et Beauvoir ayant paru entre 2001 et
2007 dans des maisons d’édition françaises,
vous me permettrez de dire que je sais de quoi
je parle. Onfray se sert d’ailleurs de certains
de mes livres pour en tirer des fragments et les
interpréter dans le sens de ses “thèses”,
alors que d’autres éléments
qui prouvent le contraire de ce qu’il prétend
sont sciemment omis. On a bien sûr le droit
de critiquer, mais avec honnêteté
intellectuelle en s’appuyant sur une information
correcte.
Cette
information correcte, les auditeurs et auditrices
de France Culture ont le droit de l’attendre.
Je suis proprement scandalisée que vous
prêtiez votre antenne à cette charlatanerie.
Avec
mes sentiments distingués
Ingrid
GALSTER
Professeur
des universités à la retraite
ø
• Article de Jonathan
Bouchet-Petersen
ALBERT CAMUS, L’HOMME DISPUTÉ
par Jonathan Bouchet-Petersen
Libération 13 août 2012
Micmac
Le philosophe Michel Onfray a été préféré
à l’historien Benjamin Stora pour
organiser l’expo aixoise de 2013 consacrée
à l’écrivain et à son
engagement algérien. Les dessous d’un
débat politico-littéraire.
Un historien en colère et un philosophe gêné
aux entournures. Le tout dans une municipalité
au rôle ambigu. Benjamin Stora,
spécialiste de la guerre d’Algérie,
et le médiatique Michel Onfray
sont au cœur d’une polémique
dont la ministre de la Culture, Aurélie
Filippetti,
ne peut que constater les dégâts.
Manque le cadre : Aix-en-Provence, ses 40
000 pieds-noirs, sa maire de la Droite populaire,
Maryse Joissains. Et le principal protagoniste : Albert Camus,
dont la fille Catherine
gère la mémoire depuis une trentaine
d’années.
Au cœur de ce « Patacaix »,
selon l’expression de l’écrivain
Pierre Assouline, une exposition consacrée
à Camus, prévue à Aix fin
2013. À l’occasion du centenaire
de la naissance du Prix Nobel et dans le cadre
de la manifestation Marseille-Provence capitale
européenne de la culture. Dernier épisode
de cet imbroglio à rallonge, l’annonce
officielle par la mairie aixoise, le 31 juillet,
que Michel Onfray en sera le commissaire. Sur
le papier, pas de quoi fouetter un chat, l’essayiste
ayant publié cette année chez Flammarion
L’Ordre libertaire. La vie philosophique
d’Albert Camus. Une « déclaration d’amour »
au Camus anarcho-libertaire et un succès
de librairie.
Vraie raison
Le nom d’Onfray bruissait depuis fin juin et Benjamin
Stora a l’impression de s’être
fait « enfler ». De décembre
2009 au 25 avril 2012, c’est en effet l’historien
qui était en charge de cette exposition,
alors intitulée « L’étranger
qui nous ressemble »
et annoncée comme un des temps forts de
la manifestation culturelle. Avant de se faire
« virer comme un malpropre, » enrage-t-il encore, sans un mot d’explication
de Marseille-Provence 2013 (MP 2013) et surtout
de Catherine Camus. L’ayant droit assure
alors que Benjamin Stora ne lui a pas transmis
en temps et en heure la liste des documents nécessaires
pour l’exposition, et en prend prétexte
pour stopper le projet. « J’ai
lu le travail de Benjamin Stora, confie aujourd’hui
Michel Onfray. Ce que dit Catherine Camus est
faux, la vraie raison est d’ordre relationnel.
» Reste que Jean Iborra, directeur adjoint
des expositions de MP 2013, assure à l’historien
en colère qu’aucune expo Camus ne
verra finalement le jour dans le cadre de Marseille-Provence
capitale européenne de la culture. Frustré,
Stora prend acte et rappelle que « c’est
sur [son] nom que le projet a été
validé à l’Union européenne ».
Reconnaissant qu’il est « difficile
de travailler avec Catherine Camus, »
Stora est surtout convaincu d’avoir été
mis dehors au profit d’une personnalité
« qui passe à la télévision,
chez Ruquier, Ardisson et Denisot. » Et l’historien de poursuivre en
assumant sa subjectivité : « Pour
Catherine Camus, le livre d’Onfray est tombé
à pic. Ça fait du bruit dans le
sens de la guerre Camus-Sartre et Onfray passe
partout pour en parler. Entre Stora l’historien
triste et Onfray la machine médiatique… »
D’autant que, selon le commissaire écarté,
l’ayant droit rêvait dès 2009
pour le remplacer d’un profil plus vendeur,
idéalement Raphaël Enthoven ou Alain
Finkielkraut. Or, « dans ce dossier,
seules Catherine Camus et Marseille-Provence 2013
sont décisionnaires à parts égales », se désole la ministre Aurélie
Filippetti, qui n’a pas voix au chapitre
mais « regrette profondément » la mise à l’écart de Stora, « sur
le fond comme sur la forme ».
Après la remise, en octobre 2010, d’un
scénario de 70 pages à Catherine
Camus, l’historien n’avait en effet
pas signé de nouveau contrat. Il s’est
donc retrouvé « à poil »
le 25 avril dernier, quand l’abandon du
projet lui fut signifié unilatéralement.
« Ils m’ont fait signer un
papier disant que j’étais documentariste
et ils m’ont filé 1 500 euros pour
le travail effectué depuis la remise du
synopsis, » s’étrangle Stora.
Émeute
Remonté comme un coucou, il refuse toutefois
d’y voir une censure politique téléguidée,
même s’il n’a pas été
accueilli avec des fleurs par la mairie d’Aix.
Une ville qui compte de nombreux pieds-noirs d’extrême
droite, outrés du choix de Stora pour questionner
la relation entre Camus et l’Algérie.
« Tout le monde m’a dit qu’ils
étaient fous furieux, se souvient l’historien.
Aix, ce n’est pas que le festival de musique
classique, c’est aussi une ville qui a un
boulevard Bastien-Thiry [auteur de l’attentat du Petit-Clamart contre
de Gaulle en août 1962, ndlr] et qui
a fait citoyen d’honneur Jean-Pax Méfret,
un ultra de l’Algérie française. » Un proche du dossier se souvient d’une
scène révélatrice de ce climat
de défiance : « Dès
le départ, Maryse Joissains a déploré
auprès de Frédéric Mitterrand
[alors ministre de la Culture, ndlr] qu’un
proche du FLN ait été choisi pour
organiser l’exposition. Et Mitterrand avait
explosé de rire en disant que Stora avait
4 ans quand la guerre d’Algérie a
commencé et qu’il était tout,
sauf un proche du FLN. »
Mais, à la mairie d’Aix, Stora ou
pas, priorité fut surtout donnée
à ce que l’exposition se tienne bien.
Michel Onfray est entré dans ce micmac
Entre-temps, Michel Onfray est entré dans ce
micmac. Au départ sans même le savoir.
Après la publication de son livre sur Camus
en janvier et sa participation à plusieurs
conférences dans les mois qui suivent.
Le 29 mai, celle qu’il a donnée à
la Cité du livre d’Aix rassemble
800 personnes dans une salle habituée à
en accueillir 300. « Onfray crée
l’émeute »
titre alors la Provence.
Ce succès local arrive aux oreilles de Catherine
Camus et de la mairie d’Aix, désireuse
de relancer le projet. « J’ai
ensuite été contacté début
juin par un responsable de Marseille-Provence
2013, raconte Michel Onfray, à qui j’ai
dit que j’étais d’accord pour
une exposition, à la seule condition que
celle-ci prépare la création d’un
musée pérenne. » Les deux parties font affaire. Pour l’exposition
qu’il entend intituler « Albert
Camus, un homme révolté »
Onfray a commencé à travailler avec
le plasticien et peintre Robert Combas.
Comble
Depuis, la polémique enfle. Onfray est accusé
de servir la soupe à ceux qui souhaitaient
se débarrasser de Stora et d’être
soutenu par l’extrême droite locale.
Roger Grenier, ami et compagnon de Camus au journal
Combat, a même repris la plume pour s’émouvoir
de sa nomination : « J’ai
suivi avec indignation mais sans surprise l’histoire
d’Aix, écrit le nonagénaire
à Stora […] Le comble c’est
que vous soyez remplacé par Michel Onfray
qui est un faiseur. » Benjamin Stora,
lui, assure ne pas en vouloir à Michel
Onfray mais lui demande de « prendre
ses responsabilités » en se
retirant, lui promettant que « l’affaire
ne fait que commencer ». Habitué des polémiques,
l’intéressé assume :
« Qu’on me juge sur la vérité
de mon travail, je ne me suis jamais déterminé
en fonction des risques d’instrumentalisation.
Mon seul objectif est qu’un musée
Camus voit le jour à Aix. » Et Stora de conclure : « Je
découvre tous les jours des gens qui en
veulent à Onfray et qui me disent de ne
pas lâcher, je crois qu’il ne mesure
pas bien dans quoi il s’est fourré. »
Onfray reste prudent
Le philosophe assure qu’il n’y a pas de
clivage idéologique avec Stora. Si l’on
met de côté les querelles aixoises,
deux questions demeurent. Le Camus de Michel Onfray
est-il le même que celui de Benjamin Stora ?
Et surtout, l’exposition du philosophe mettra-t-elle
en lumière les mêmes éléments
que celle de l’historien ? Sur la guerre
d’Algérie particulièrement,
son propos sera scruté à la loupe.
Remplaçant ou successeur
« On ne remplace par Benjamin Stora, on
lui succède »,
assure un Michel Onfray prudent, qui réfute
tout clivage idéologique avec son prédécesseur
et juge d’abord « injuste »
le sort fait à l’historien. « Mais
je vois bien qu’on tente de monter une absurde
opposition entre un Michel Onfray camusien, soutenu
par la droite, et un Benjamin Stora sartrien,
soutenu par la gauche. »
Or, le philosophe le martèle : « Sur
la guerre d’Algérie, il n’y
a pas l’épaisseur d’une feuille
de papier à cigarettes entre Stora et moi. »
Le rapport à une histoire folle, dingue, délirante
C’est d’autant plus probable que sur ce
sujet Onfray a adopté les positions messalistes
de Stora. « Messali Hadj
[leader du Mouvement national algérien,
concurrent du FLN pendant la guerre d’Algérie,
ndlr], je lui ai consacré ma thèse
en 1978, rappelle l’historien. C’était
un ami intime de Camus et Camus soutenait sa démarche.
Voilà comment j’ai rencontré
Camus il y a trente-cinq ans et qu’il ne
m’a plus quitté. » Stora avait prévu d’exhumer
une correspondance méconnue entre Camus
et son ami Yves Dechezelles, l’avocat de
Messali Hadj. Mais s’il place en Algérie
les racines de l’universalisme de Camus,
Stora précise qu’il n’avait
pas en tête une « exposition
engagée »
et que la guerre n’en aurait représenté
qu’un sixième. Reste que pour lui,
« Camus, c’est Le Premier
Homme,
c’est le rapport à une histoire folle,
dingue, délirante. Sinon c’est quoi ?
Un homme engagé abstraitement contre Sartre
et le stalinisme ? Ce Camus, moi je ne le
connais pas ».
Itinéraire anarcho-libertaire
En droite ligne avec son livre, Michel Onfray compte,
lui, utiliser comme fil rouge l’itinéraire
anarcho-libertaire de l’écrivain,
qui est aussi le sien. « Camus était,
avant tout, cela, du début à la
fin de sa vie, assure-t-il. Il n’était
pas le social-démocrate à fibre
libertaire dépeint par Olivier Todd. Encore
moins l’écrivain des petits Blancs
et du colonialisme ou le philosophe pour classe
terminale décrit par certains. » Et le philosophe de fustiger « le
discours sartrien reprenant le vieux truc du socialisme
autoritaire qui fait du socialisme libertaire
une idéologie bourgeoise ». Stora ne le contredira pas.
Benjamin Stora ç’aurait été
remarquable
Au ministère de la Culture, Aurélie Filippetti
a clairement choisi son camp : « La
vraie belle exposition Camus aurait été
l’éclairage de Benjamin Stora, qui
est à la fois un admirateur de Camus et
le meilleur spécialiste de la guerre d’Algérie.
Il partage en plus les mêmes paysages que
ceux de Camus, le même paysage mental en
tout cas. Ça aurait été remarquable. » Un événement que la ministre
aurait inauguré « avec plaisir ». Et sans incriminer Michel Onfray, elle
a décidé que son ministère
ne donnera ni son logo ni un euro, « même
via Marseille-Provence 2013 » qui reçoit de l’argent de
l’État, précise Filippetti.
ø
Libération
26 août 2012
• Michel Onfray a-t-il toujours sa place sur France
Culture ?
Par MICHEL VIGNARD, professeur de philosophie, écrivain, critique au magazine Art press, producteur délégué à France Culture
Habitude et audience aidant, depuis dix ans France
Culture programme dans sa grille d’été, qui s’est achevée ce week-end, les
conférences de l’université populaire de Caen. Michel Onfray s’y est taillé un
franc succès en exhumant des figures mineures de la pensée et en contestant
l’institution qui les avait oubliées ou enterrées pendant des siècles. Le
problème est que, n’ayant jamais fait pour son compte œuvre scientifique,
jamais porté au jour un seul de ces penseurs, jamais traduit ou édité leurs
livres, il doit se contenter d’en parler à partir des travaux irremplaçables de
ces universitaires qu’il fustige tant par ailleurs. Passons sur la
contradiction ou l’imposture, comme on voudra dire, et venons-en à son style
tout droit sorti de la Troisième République des lettres. Une
bonne dose de biographie dans l’esprit de Gustave Lanson, de l’aimable
paraphrase, ça ne mange pas de pain et ça apprend toujours quelque chose, des
citations répétées pour permettre aux auditeurs d’en identifier l’importance et
les noter sans faute. Une parole magistrale, des applaudissements en fin de
cours, pas de quoi renverser la table.
Il n’en va pas de même depuis le séminaire sur Freud
diffusé la saison 2010-2011. Changement d’orientation, Michel Onfray ne
ressuscite plus, il enterre. Sa thèse principale consiste à faire de la
psychanalyse la science de Freud en personne, accusant sans répit vingt-cinq
séances durant l’auteur de l’Interprétation du rêve d’avoir
capté à son profit la substance et la gloire de la psychanalyse, sans compter
les griefs annexes de terrorisme ou d’adultère. Un livre paru à la même époque, Rêver avec Freud, signé par Andreas Mayer et la regrettée Lydia
Marinelli (Aubier, 2009), fait la litière de cette thèse. Dans ce volume,
sous-titré l’Histoire collective de l’Interprétation du rêve, les
auteurs, comparant les huit éditions du texte, de 1899 à 1930, montrent «une
interactivité permanente entre l’auteur Sigmund Freud et son public de
disciples, de critiques, de collègues et de patients». Ainsi
est mis un grand bémol à «l’image héroïque de l’auto-analyse» complaisamment véhiculée depuis la biographie d’Ernest Jones, et reprise sans
distance par Michel Onfray. Ce seul exemple suffit à mettre en évidence tout à
la fois l’approche vieillotte, la bibliographie datée et le manichéisme de
l’apôtre de Caen. Mais notre redresseur de torts ne s’en est pas tenu là, un
nouveau cap semble avoir été franchi avec la saison qui s’achève, consacrée aux
«réfractaires», George Politzer, Paul Nizan ou encore Albert Camus. Il exhibe
face à eux des figures académiques qui concentrent ses foudres. Ainsi, se
réfugiant derrière la parole de Politzer, il n’hésite pas à parler de «Bergson
comme source du fascisme». Qui, reprenant le discours raciste de Hegel sur
l’homme noir, aurait la mauvaise idée de s’effacer derrière l’autorité du
philosophe de Iéna. Ne pas dire qu’un philosophe aussi a des opinions, et ne
pas leur appliquer la critique qu’elles exigent est un péché contre l’esprit.
Et quel est le sens de cette contre-philosophie «de classe» qui cite cette fois
l’autorité de Bourdieu pour faire pencher la balance du côté du prolétaire
Camus au détriment du bourgeois Sartre ? Et on ne parlera pas du flou
systématique sur la chronologie, qui n’est pas sans valeur en histoire, ni de
quelques erreurs factuelles comme à propos de Heidegger, qui n’a pas consacré
sa thèse de doctorat à Jean Scot Erigène mais bien à Jean Duns Scot, le
«docteur subtil ».
L’ultime séance hebdomadaire du séminaire est
consacrée aux questions de la salle, c’est la goutte qui fait déborder le vase.
Rien pour contredire, discuter, relativiser, préciser. Partout et toujours la
même révérence envers la parole du maître, c’est ce qui fait dire que la
philosophie est trahie. Et avec elle la mission d’une chaîne comme France
Culture. Au fil des saisons, l’université populaire de Caen s’est transformée
en grand-messe et le philosophe, plus soucieux de bien et de mal que de vérité,
a pris les travers fâcheux d’un gourou. Les époques en crise en quête de
valeurs plébiscitent le simplisme, c’est regrettable mais guère surprenant.
Mais comment accepter que chaque été une antenne publique ouvre à Michel
Onfray, sans contrepartie aucune, pareille tribune officielle ? Au nom du
public et de l’esprit, de toute évidence, cela ne peut plus se prolonger sans
débat.
Dans le quotidien algérien, La Nouvelle
République,
<http://www.lnr-dz.com/index.php?page=details&id=16800> , le 22
août 2012
Par Mohammed Yefsah
L’imposture Onfray
<http://www.lnr-dz.com/index.php?page=details&id=16800>
L’entreprise néocoloniale de Michel Onfray a
démarré sa machine en Algérie. Dans l’entretien qu’il a accordé au quotidien El
Watan du 10 août 2012, il récidive par la mauvaise foi, le mensonger et une
connaissance approximative de l’Histoire de l’Algérie. Sa haine de Jean Paul
Sartre est à la taille de sa fascination pour les puissants. Onfray est
libertaire1 seulement dans sa proclamation. Il est l’expression du moult du
néolibéralisme, pour lequel l’émancipation des peuples anciennement colonisés,
est une défaite à surmonter. La coqueluche des médias force la lecture des
œuvres de Albert Camus pour en faire un homme qui ne fut pas pour la
colonisation. Onfray fait d’ailleurs dans l’esprit camusien par sa posture
d’apparence ni pour la colonisation, ni contre la colonisation.
Outre ses attaques répétées contre Sartre et les
intellectuels français qui défendirent l’émancipation du peuple algérien,
notamment dans son dernier livre, « L’ordre libertaire: la vie
philosophique d’Albert Camus », Onfray arrive au summum de la
bêtise en accusant Edouard Saïd d’une « lecture raciale et raciste » des
œuvres de Albert Camus. Attaque-t-il par ricochet la cause palestinienne ?
Il n’ y a aucun doute. D’une pierre deux coups. En tout cas, il n’a jamais
caché son sionisme. Onfray n’hésite aucunement a défendre le journaliste Éric
Zemmour, pourtant condamné par la Justice française pour propos racistes, en
lui témoignant respect lors d’une mission télé (Émission On n’est pas
couché ce soir, du 17mars 2012, de Laurent Ruquier). Edouard Saïd,
universitaire palestino-américain, qui n’a aucune relation avec le pouvoir
algérien, a seulement fait analyse de l’œuvre, sans tirer de jugements sur
l’homme. Onfray n’a rien à envier aux curés de l’inquisition. Pour lui, aucun
algérien n’a compris Camus et les sartiens2 au bûcher.
Pour Onfray, les intellectuels algériens qui
critiquent Camus n’ont pas, à coup sûr et forcement, lu les œuvres du
romancier. Ils sont mêmes de « prétendus intellectuels », qui
devraient « se libérer de l’esclavage mental », à la
solde du pouvoir. Si Onfray ne le sait pas, il est temps de lui apprendre que
Camus est enseigné en Algérie, que le régime n’a jamais interdit aucun de ses
livres et aucune déclaration officielle n’a été prononcée à son encontre. Un
nombre incalculable de mémoires, de thèses universitaires et d’études
comparatives en littérature lui ont été consacrés, diverses et divergentes de
point de vues. Il devrait savoir que parmi les intellectuels qui critiquent
Camus, certains sont mêmes opposants au régime algérien. Il oublie que Yasmina
Khadra, défenseur de Camus, est un représentant officiel d’une institution
algérienne. Il oublie aussi que ses positions peuvent être lues dans les
colonnes d’un journal algérien, alors qu’en France aucun des intellectuels
algériens attaqués n’est sollicité pour exprimer son opinion.
Onfray s’improvise ensuite historien pour livrer sa
lecture du mouvement national. « Depuis le 8 mai 1945 et la répression
de Sétif et Guelma, il est même prouvé que les militants de l’indépendance
nationale ont souhaité tout s’interdire qui soit du côté de la paix, de la
négociation, de la diplomatie, de l’intelligence, de la raison. Je vous
rappelle à cet effet que ce sont les Algériens qui ont choisi la voie de la
violence et sont à l’origine du plus grand nombre de morts du côté...
algérien ! ». La conquête coloniale n’est pas en soi, dans
son essence même, de la violence. Onfray ne donne pas de preuves. Sa parole est
l’évangile. Onfray, ignorant de l’histoire de l’Algérie, s’imagine ce pays
comme un havre de paix avant le massacre de mai 1945.
Il ne connaît pas l’existence – il ne veut pas le
savoir, lui qui aime tant lire et réfléchir, contrairement aux intellectuels
algériens ! – des enfumades (pratique qui consiste a brûler des villages
entiers ou des populations qui fuient dans des grottes), les multiples formes
de violence, la torture et les massacres avant même mai 1945. Il ne peut
comprendre la radicalisation de la lutte de libération nationale. Onfray ignore
aussi que le FLN n’a pas cru à la victoire militaire, mais plutôt à une
victoire politique, qui nécessite un sacrifice à la mesure de la violence
coloniale. Il a fallu attendre plusieurs années pour qu’enfin la France
reconnaisse la qualité de belligérant au FLN et négocie avec lui. Le comble des
propos mensongers d’Onfray, c’est sa comptabilité macabre qui considère que le
FLN a fait plus de victimes côté algérien que la répression coloniale.
« Camus n’a pas à se justifier de choisir
ses sujets de romans » dit-il. C’est le seul crédit qui peut être
accordé au philosophe du confort. Quoi qu’il recourt au mêmes œuvres pour
justifier ses positions. L’absence des indigènes dans l’œuvre de Camus donne
une idée de son ignorance de l’univers indigène. Camus est l’écrivain des
« pieds-noirs », comme le pensent d’ailleurs Kateb Yacine, Mouloud
Mammeri et autres écrivains algériens qui l’ont côtoyé et lu ses œuvres. Ces
dernières donnent un aperçu de ce monde qui adore le soleil, mais déteste
croiser l’arabe dans la rue ou sur la plage.
Meursault, personnage de L’Étranger,
allongé sur le sable doré d’une plage algéroise, tire cinq balles sur l’arabe
qui lui cache le soleil. Dans La Peste,
intrigue qui se déroule à Oran, le personnage du médecin préfère parler des
rats que des indigènes, périphériques et insignifiants. Il coupe court à la
question du journaliste, qui n’insiste pas. C’est certainement de la
littérature. Or Michel Onfray, philosophe de son état, peut comprendre
l’imaginaire et les symboliques d’une œuvre littéraire, à l’image d’un
Nietzsche qui a beaucoup appris d’un Dostoïevski. Il est ridicule de demander à
un écrivain la présence d’une thématique ou d’un personnage. Cependant, une
absence peut avoir une signification. Les arabes sont absents des œuvres de
Camus et lorsqu’ils sont présents fugacement, ils dérangent, agacent,
déclenchent la haine. En ce sens, Albert Camus, à l’image des œuvres de tout
autres écrivains de talent, peut nous apprendre beaucoup sur l’Algérie
coloniale, sur l’état d’esprit d’une époque, à l’exemple des œuvres de Balzac
qui offrent une importante connaissance sur la France des XIXe siècle, de Voyage
au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline sur les affres de la
guerre, de A la recherche du temps perdu de
Marcel Proust sur la décadence de l’aristocratie, de Germinal de
Émile Zola sur l’atroce condition ouvrière, etc.
Dans Chroniques algériennes, Camus
développe un discours humaniste sur la Kabylie, en demandant l’amélioration de
la condition des indigènes. Il estime que la France n’a rien à gagner en
opprimant les indigènes. Il veut gagner leurs cœurs. Mais son récit est digne
des ethnologues qui ont participé à la mission coloniale. Il évoque l’utilité
de l’école, la libération de la femme, la différence entre les arabes et les
kabyles et implicitement la mission civilisationnelle que pourrait apporter la
France. Il n’est jamais question d’une remise en cause du système colonial.
Albert Camus, qui refusât la violence des deux
côtés, quand il fut question de l’Algérie en sachant que les adversaires
n’étaient pas à armes égales, comme dans toute situation coloniale, ne fut pas
toujours contre les armes. Il fut pour la résistance armée contre le nazisme et
s’engagea avec les républicains lors de la guerre civile espagnole. En évoquant
donc l’attachement à la paix par Camus, il faudrait aller jusqu’au bout du
raisonnement. Sartre eut au moins le mérite d’avoir été constant.
Le voyage en Algérie d’Onfray lui fait rencontrer
l’esprit de Camus et le bon Dieu. Athée en France, il semble découvrir les
vertus du « christianisme africain ». Syndrome des pionniers
lors de la découverte de l’Amérique ! Céline, Balzac, Camus, de grands
talents, ont toute leur place dans le champs littéraire algérien ou d’ailleurs.
Mais Camus le politique a droit au regard critique et sans concession à la
lumière de l’Histoire. Quant à Michel Onfray, qui se veut de gauche en France
mais est de droite en Algérie, à l’image de son « capitalisme
libertaire », mariage forcé de conceptions irrémédiablement
opposées, il devrait nous expliquer, lui le grand savant, comment le peuple
aurait pu se libérer sans la lutte.