Psychanalyse et idéologie

Encore du nouveau... Heidegger... ?

Micheline Weinstein

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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  “The Uspeakable one”

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.  

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

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L'association ψ [Psi] LE TEMPS DU NON a pour but de favoriser la réflexion pluridisciplinaire par les différents moyens existant, la publication et la diffusion de matériaux écrits, graphiques, sonores, textes originaux, œuvres d'art, archives inédites, sur les thèmes en relation à la psychanalyse, l'histoire et l'idéologie.
ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

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© Micheline Weinstein  / 08 décembre 2013

 

 

Encore du nouveau… Heidegger… ?

 

 

De mémoire, celles et ceux, aînés, qui m’aimaient bien, jusqu’à ce qu’ils aient quitté ce monde, avec l’émotion due aux circonstances, comme si mon existence réelle était un miracle, m’ont appelée “gamine” (Le Lionnais, Stourdzé…) ou accueillie par “Voilà la petite née à Rothschild sous l’Occupation !” (Sara Halperyn…).

Depuis 1967, j’étais donc encore assez jeune, j’indique aux psychanalystes de toutes extraces, aux philosophes, intellectuels, historiens… rencontrés ou croisés - cela fait tout de même un peu de monde -, intéressés par la psychanalyse, plus particulièrement celles et ceux soucieux de s’occuper de la déportation des Juifs, cette révélation de Heidegger que, à titre exclusivement subjectif, j’ai toujours considéré comme un penseur sciemment obscurantiste.

Depuis 1967, cette révélation, je n’ai cessé de la transmettre par écrits, publications, en paroles, je l’ai, sans pour autant m’épuiser puisque je continue, répétée, encore très récemment.

Elle figure dans l’édition allemande de « Was ist Metaphysik ? » (1943, 1949, 1969, 1986) par Martin Heidegger.

La voici de nouveau, où son “Introduction” de 1949 est dédiée à Hans Carossa pour son 70e anniversaire, dédicace omise dans la traduction française, Carossa ayant présidé une fois la Chambre Internationale des Écrivains, créée et contrôlée par Goebbels, in “Questions I” :

 

S’il en était ainsi de l’Oubli de l’Être, ne serait-ce pas une raison suffisante pour qu’une Pensée qui pense l’Être soit prise d’Effroi, car rien d’autre ne lui est possible que soutenir dans l’Angoisse ce Destin de l’Être afin de porter d’abord la Pensée en présence de l’Oubli de l’Être ? Mais une Pensée en serait-elle capable tant l’Angoisse ainsi destinée n’est pour elle qu’un État d’Âme pénible ? Qu’a donc à faire le Destin Ontologique de cette Angoisse avec la Psychologie et la Psychanalyse ?

 

Et dans la langue, à l’intention des germanistes, qui sauront y mettre le son :

 

Wäre wenn es mit der Seinsvergessenheit so stünde, nicht Veranlassung genug, dass ein Denken, das an das Sein denkt, in den Schrecken gerät, demgemäss, es nichts anderes vermag, als dieses Geschick des Seins in der Angst aus zuhalten, um erst das Denken an die Seins vergessen heit zum Austrag zubringen ? Ob jedoch ein Denken dies vermöchte, solange ihm die so zugeschickte Angst nur eine gedrückte Stimmung wäre ? Was hat das Seins geschick dieser Angst mit Psychologie und Psychoanalyse zu tun ?

 

Depuis 1967, il en est de même, je suis stupéfaite que personne ne moufte devant les écarts de langage de Lacan - les lectrices et lecteurs apprécieront le style célinien - dont voici un nouvel exemple, extrait de son séminaire du 23 avril 1974, l’année où il injurie Anna Freud, la qualifiant de “chiure de mouche” :

 

[…] Moi, la Bible, ça me fout pas la trouille. Et je dirai même plus, j’ai pour ça une raison. C’est que y a des gens comme ça qui, qui en ont été formés, hein, les Juifs qu’on les appelle généralement. On peut pas dire qu’ils aient pas cogité sur le machin, la Bible. Je dirai même plus : tout prouve dans leur histoire (à Madame Gloria Gonzalès : donnez-moi un cigare), tout prouve dans leur histoire qu’ils ne se sont pas occupés de la nature, qu’ils ont talmudisé, comme on dit, c’te Bible. Eh bien, je dois reconnaître que ça leur a réussi. Et à quoi est-ce que je le touche ? Je le touche à ceci, oui, qu’ils ont vraiment bien contribué, quoi que ce ne soit pas le mien - le mien au sens de domaine de l’analyse - qu’ils ont vraiment contribué, avec une particulière astuce, au domaine de la science. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est pas eux qui l’ont inventée.

[…] si la science a réussi, a réussi, a réussi à surgir, il semble pas, d’ailleurs, que les Juifs y aient au départ mis beaucoup d’eux-mêmes. C’est après coup, dans la timbale une fois décrochée, qu’ils sont venus mettre leur grain de sel, hein, et qu’on s’est aperçu que, que c’est clair, enfin quoi, l’Einstein, à en remettre au grand machin de Newton, c’est lui qui tient le bon bout. Et puis, il est pas le seul, il y en a d’autres - que je vous nommerai à l’occasion, mais je peux pas parler de tous à la fois, parce qu’ils pullulent, et puis qu’ils sont pas dans tous les coins…

 

Mais il est vrai que la pensée française, sur ces sujets de la psychanalyse liée à la déportation des Juifs est véhiculée essentiellement par nos amis les hommes, dont parmi eux, ceux qui vouent une grande admiration à Hannah Arendt - et je partage le point de vue de Claude Lanzmann sur la dame - et évoquent Simone (Adolphine) Weill, avec un “W”, philosophe française (1909-1943) et quelques rares autres…

Les femmes n’eurent guère meilleure providence au cours de l’histoire de la psychanalyse en France. En témoignent ces deux extraits de lettres de Max Eitingon à Freud, au sujet d’Eugénie Sokolnicka, première femme psychanalyste en France dès 1916 :

 

Paris, le 26 octobre 1922

 

Sokolnicka n’a eu ici [en France] qu’un succès superficiel et vraisemblablement éphémère. C’est une femme intelligente, il est vrai que vous la connaissez bien. Mais sensible, capricieuse et sans endurance ; ce qui est d’ailleurs le pire : elle est seule ici, sans aucun soutien masculin et médical et sans perspective de voir venir bientôt prêter secours à elle-même et à l’analyse. Il me paraît tout à fait invraisemblable que cela puisse, dans une période prévisible, se produire sur la terre française, les Juifs polonais et russes implantés ici deviennent très français aussi dans leur mentalité.

Puis-je exprimer une idée : en France, la psychanalyse doit se frayer ses chemins, il faudrait envoyer l’un des analystes que vous avez formés, un médecin absolument et sans doute pas un Anglais non plus, mais un Suisse. Il faudrait pouvoir parler avec les Français.

[…]

 

Le 3 décembre 1922

 

Certains préjugés contre Sokolnicka, qui prennent leurs racines principales dans le narcissisme des hommes français, devraient s’atténuer si elle parvient dans sa collaboration avec eux, à acquérir l’autorité avec tact.

J’ai en outre incité le plus actif, le Dr Laforgue, à faire une analyse auprès de Sokolnicka. Si elle parvient à le faire persister longtemps dans cette idée, nous aurons une fois de plus gagné quelque chose. Par ailleurs, Laforgue va et doit apporter cette couverture médicale sans laquelle nous n’avancerons pas ici.

 

Eugénie Sokolnicka est ridiculisée par Gide dans Les Faux-Monnayeurs en 1926. La même année se créée la SPP, sous la présidence de la Princesse Marie Bonaparte qui, avec Eugénie Sokolnicka et Laforgue, en sont les fondateurs. Eugénie Sokolnicka en sera évincée en 1929, ces messieurs préférant sans doute se prosterner devant les titres, fortune et gotha de “notre chère Princesse”, plutôt qu’apprécier le travail considérable d’une juive polonaise à l’accent prononcé et au nom, comme on dit encore aujourd’hui dans les médias, avec l’élégance qui les caractérise, “imprononçable”.

Eugénie Sokolnicka se suicide en 1934, à l’âge de 50 ans.

Étrangère, Juive, non-médecin, écartée grossièrement de la “Communauté”, avait-elle encore seulement de quoi vivre… et une raison de vivre… ?

 

En France, la seule femme non-juive qui manifestera sa reconnaissance à une femme psychanalyste juive installée à Paris, sera, en 1939 et 1940 (je souligne), Françoise Dolto.

Dans la première édition, de « Psychanalyse et Pédiatrie » chez Amédée Legrand, datée de 1940, préfacée pour “Mademoiselle Françoise Marette” par Édouard Pichon, dont la première de couverture est ainsi libellée :

 

Docteur Françoise Marette

 

Psychanalyse et pÉdiatrie

Le complexe de castration

 Études générales • Cas cliniques

 

Dans sa thèse, Françoise Dolto rend hommage à Freud à plusieurs reprises et d’abord :

 

On ne sait pas assez que Freud, loin d’être un philosophe aux vues originales et révolutionnaires, était un homme de laboratoire. Il s’était formé à la discipline rigoureuse des expériences scientifiques et de l’exploration à l’œil du microscope. Avec une objectivité rare, que cette première à développer, Freud s’est appliqué à l’étude des phénomènes psychologiques. Ses théories élaborées à partir des observations de Charcot, puis de Bernheim [F. D. n’avait pas encore connaissance de Breuer], n’étaient à ses yeux qu’hypothèses de travail aussi longtemps que la suite de ses études cliniques n’en avait point apporté confirmation. C’est la raison pour laquelle on assiste à l’évolution de ses conceptions théoriques, au fur à mesure de la parution de ses travaux. Devant les problèmes nouveaux dont il ne trouvait pas l’explication avec le jeu des postulats, il se remettait à l’étude jusqu’à en trouver une solution temporairement satisfaisante, quitte à discuter encore, selon que la thérapeutique corollaire, appliquée à des cas semblables, confirmerait ou infirmerait la justesse de ses vues.

 

Ensuite au long de son témoignage essentiellement clinique, Françoise Dolto revient sur sa dette envers Sophie Morgenstern. De nouveau, en 1987, elle l’intitule ainsi :

 

Ma reconnaissance à Sophie Morgenstern

 

J’ai vu Sophie Morgenstern pour la dernière fois à la veille de l’entrée des Allemands à Paris en juin 1940. Elle avait près de quatre-vingts ans. Je voulais la décider à partir avec moi en voiture ; on évacuait Paris et tous ses hôpitaux. Elle n’avait apparemment aucune raison de rester ; toute sa famille d’Autriche et de Pologne avait disparu depuis 1934, victime du nazisme, et Laure son unique fille, très aimée, agrégée de Lettres, était morte quelques années auparavant des suites d’une opération chirurgicale pour des calculs biliaires, opération encore dangereuse à l’époque. Pourtant elle refusa ; elle me dit vouloir rester chez elle. Je la quittai alors avec beaucoup de peine de n’avoir pu la convaincre de venir avec moi dans une famille amie qui m’attendait dans le Midi et du Nord. À mon retour en septembre de la même année, j’appris que Sophie Morgenstern s’était suicidée le lendemain de l’arrivée d’Hitler dans Paris.

 

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2013