©
Micheline Weinstein
2
mars 2006
Au
sujet du «
Narcissisme des petites différences »
Notes
de voyages / Retours d’Israël *
Assez régulièrement apparaissent
sur le site de notre association, de courts billets
où alors se glissent en passant des petites
pensées [1]
dans un texte, qui ont pour thèmes la solidarité,
la xénophobie, les concepts et représentations
auxquels ils sont reliés, les postures
et les propos qu’ils entraînent, et aussi
ce que j’appelle les “non-concepts”...
Bref, tout ce qui approche ce que Freud désigne
par le narcissisme des petites différences.
Ce phénomène, dont la caractéristique
est d’agir fortement sur la psyché, en
continu, dans tous les domaines de la vie des
relations humaines, se manifeste très tôt
dans l’enfance avec l’apparition du langage.
On
peut le distinguer du narcissisme pathologique,
état qui est très près de
l’autoérotisme et de la formation du fantasme,
et qui ne contemple que soi dans son miroir imaginaire.
À partir de quoi, pour qui en est affecté,
l’image de soi est celle d’un être humain
qui se représente psychiquement soi-même
sans égal possible, il est seul de son
espèce. Le narcissisme des petites
différences, lui, vise l’autre, et
seulement pour le détruire.
Je l’évoquais
encore récemment dans le compte-rendu [supra]
de la réunion de bureau de notre association.
____________________________________________________
*
26 Février 2006 • Texte publié
avant la date prévue du 2 mars 2006, compte-tenu
des réactions de la part de lecteurs, bienveillants
ou moins, auxquels j’avais soumis son “spécimen”,
ainsi que de la mascarade politico-médiatique
électorale incongrue organisée à
partir de l’assassinat crapuleux d’un jeune Juif
français, par une “bande de barbares”,
quand bien même cet acte aurait été
accompagné de slogans antisémites
tout à fait ordinaires et quotidiens.
1
- Pensée, Fleur qui désigne
l’homme par ce qui lui est propre.
ø
Pour la troisième fois sur un peu moins
d’un demi-siècle, j’étais en
Israël début octobre 2005.
Un tout premier séjour - à l’aube
du printemps de la vie -, avec une étape
de travail en kibboutz, date des années
cinquante.
J’en avais déjà ramené
l’impression d’un pays “jeuniste”
[2],
pour lequel la nécessité de
penser utilité, utilitaire, m’avaient
semblé logiques. Et si je ne m’y étais
pas sentie à l’aise, c’était
platement biographique, puisqu’en toute saison
la Mitteleuropa m’accompagne sur les routes
de l’errance. Certes, je l’avais rencontrée
en Israël, la Mitteleuropa qui, poussée
dehors, avait importé avec elle son
patrimoine culturel, intellectuel, scientifique,
artistique, mais qui après la guerre
n’avait plus le temps d’en attiser la flamme,
tant elle devait s’occuper de bâtir
matériellement un pays à même
d’assurer un avenir à ses enfants.
On divorçait peu en ces temps-là.
Ce tout jeune État m’était apparu
sans passé historique, chargé
de créer son histoire au présent
à partir de... rien.
2
- Substantif non encore en usage à l’époque.
1921
Les pionniers idéalistes, ayant fui l’antisémitisme
d’Europe Centrale, alors qu’ils construisaient
une petite usine aux environs de Haïfa Tous
étaient des intellectuels
ø
Je suis retournée en Israël aux environs
d’un demi-siècle plus tard. Dans le
récit de mon second séjour en Israël
de juin 2004, « Tu leur diras, quand tu
reviendras en France », écrit
fin septembre 2004 [infra
en anglais], je notais que les Israéliens
de toutes provenances, conditions et croyances m’avaient
semblé être des humains dotés
d’un inconscient. Ils pensaient, parlaient et agissaient
pour le meilleur, pour le pire et pour tout le reste.
À cette seule exception, face aux autres
populations, qu’ils étaient tous Juifs, ne
serait-ce que parce que l’histoire générale
des hommes les avait, déjà bien avant
la Chrétienté, désignés
et particularisés comme tels. En quoi, collectivement,
étaient-ils Juifs, c’est-à-dire des
humains pas comme les autres, je ne l’avais pas
remarqué. Sauf sur un point capital,
le respect, qui est presque une loi sacrée,
pour l’enfant. Mais les enfants grandissent,
puis deviennent adultes, et ici c’est d’eux seuls
dont il s’agit. L’État portait maintenant
des traces d’un début de culture et d’une
ébauche de patrimoine. Les divorces, familles
“recomposées” et autres avatars
relationnels avaient suivi...
ø
De ce troisième séjour d’octobre
2005, il fallut quatre mois pour en assimiler
l’après-coup et passer en 2006.
Récemment, en janvier 2006, s’est manifestée
là-bas une violence inhabituelle jusqu’alors,
exercée par la force publique, sa police
montée et ses matraques, lors de l’évacuation
du village qui jouxte Ramallah, bâti sur
un territoire occupé sauvagement par une
communauté juive religieuse. Les cavaliers
étaient représentés par la
troisième génération depuis
la création de l’État.
Mais comment éviter qu’advienne la violence,
après que l’on n’ait cessé de légitimer
l’intégrisme, l’obscurantisme dans les
implantations, pendant près de quarante
ans, ou/et de détourner les yeux pour ne
pas savoir qu’on en arriverait inéluctablement
à de telles pratiques ?
L’incident accentua mon impression de déjà
- trop - connu.
Pour ces Israéliens policiers, pendant
leur scolarité, avant l’armée, tous
avaient visité en groupe les lieux, institutions
et monuments de commémoration de la Shoah...
En 2004 et 2005, quand nous nous sommes croisés
sur le terrain, leur successeurs scolaires accomplissaient
leur “devoir de mémoire”, de
la bouffe dans une main, un soda dans l’autre...
ø
Entre 2004 et 2005, compte-tenu de l’instabilité
émotionnelle provoquée par la décision
de restituer des terres occupées, les opinions
politiques modérées s’étaient
un peu infléchies vers le centre droit.
L’accueil, là-bas, lors de ce second séjour
fut assez différent d’une année
sur l’autre. Il est possible que ce soit pour
des motifs relativement triviaux échangés
par correspondance pendant l’année.
ø
Ainsi, toujours escortée de mes interrogations
perplexes sur la solidarité, la xénophobie,
la psychanalyse, l’histoire... assise sur le
sable fin d’une plage magnifique et déserte,
à la frontière du Liban où
seul un aviso israélien cabotait dans
la lumière de la Méditerranée,
je songeais au passé, à la froidure,
à Arnold Zweig, à Maître
Arnold de Freud. Lors de l’arrivée du
nazisme, n’ayant nulle part où aller,
ni surtout où être reçu,
apparenté communiste, sans aucun argent
ni correspondant pour l’accueillir hors d’Allemagne,
Maître Arnold avait chu en 1933 sur le
Mont Carmel à Haïfa, ville de tous
les “melting-pot”, encore en construction.
Mais il n’y fut jamais reconnu ni accepté.
Il ne savait rien faire de ses mains, sauf écrire,
n’était plus tout jeune, de plus il perdait
la vue. On le tînt à l’écart,
à un point probablement douloureux puisque,
après guerre, en 1948, il revint en Europe
sous condition idéologique de l’Allemagne
de l’Est - tel Brecht chassé des U.S.A
par le Mccarthysme, et bien d’autres à
partir d’allégations très diverses
qui toutes relevaient de l’antisémitisme
et ayant toutes le narcissisme des petites
différences pour point commun.
Je songeais aux psychanalystes hollandais juifs,
lesquels avaient refusé l’asile à
leurs erratiques confrères et consœurs
viennois et berlinois en détresse lors
de cette même période d’instauration
du nazisme. Craignaient-ils la concurrence ?
[3]
Je songeais à ces remarquables “femmes
de l’ombre”, Muriel Gardiner, Dorothy
Burlingham, Ruth Mack Brunswick, Anna Freud,
Marie Bonaparte... , qui offrirent aux plus
chanceux parmi les psychanalystes et les politiques
d’atteindre l’Amérique où, d’ailleurs,
on ne leur rendit pas la vie facile.
Je songeais à ceux qui trouvèrent
refuge in-extremis n’importe où
dans le monde, dans les pays nordiques, en Amérique
du Sud, jusqu’en Asie du Sud-Est, passant par
l’Italie, la France, la Russie, la Suède,
l’Europe...
Et à ceux qui furent assassinés.
Je me disais que le nazisme, la “fracture
de l’histoire”, n’avaient eu aucun impact
sur le germe reproducteur du narcissisme
des petites différences, phénomène
qui, chez les humains, étaient demeuré
inchangé, en Israël comme ailleurs.
3
- Réaction que j’inclus dans les “motifs
triviaux” précités.
ø
En octobre 2005, c’était le nouvel an
israélien, les vacances. Les parents
“sabras” - ainsi nomme-t-on ceux
nés en Palestine avant la création
de l’État d’Israël -, de ma génération,
ayant vécu et s’étant rencontrés
au kibboutz et à l’armée, se réunissent
en famille et transmettent aux plus jeunes tradition,
coutumes et histoire. Certains parmi les plus
âgés occupent parfois leur retraite
à parcourir le monde, à la recherche
de traces, de noms propres, de lieux qu’ils
trouvent vidés de Juifs.
Étrangement, leurs enfants et petits-enfants
paraissent sans passé, comme si la question
que se posent tous les enfants depuis que l’inconscient
existe : “D’où est-ce que je viens
?”, ne les concernait pas.
Aujourd’hui, les ascendants de ces premiers
“sabras”, qui avaient afflué
d’Europe Centrale, d’Allemagne, d’Europe de
l’Est, des confins de partout... , ne sont plus
très nombreux.
J’ai aussi parlé avec des “non-sabras”,
non-nés en Israël, jeunes idéalistes
des débuts de l’État, dont la
famille avait fui l’Allemagne, l’Autriche, l’Europe
Centrale, eux-mêmes installés en
Israël quelquefois via la France, l’Amérique
du Sud, les confins de partout... ainsi qu’avec
ceux qu’Israël était allé
chercher, ces dernières décades,
en Éthiopie et en Russie...
Les kibboutzim, depuis plus de soixante ans,
se sont raréfiés et à part
peut-être ceux des sans-le-sou et, dans
un style presque contraire, ceux des religieux,
ce ne sont plus les kibboutzim d’antan, ils
ont été transformés en
sortes de coopératives à économie
mixte. Sur la durée, quand on l’a pu,
on les a quittés pour fonder une famille
privative et s’établir en ville. Les
générations suivantes font des
études et réussissent dans la
vie.
ø
J’ai donc séjourné au quotidien,
pendant et en dehors des fêtes, voilà
comment nous vivons. Et ce à quoi j’ai
été le plus sensible c’est à
l’indifférence culturelle pour
ce qui se passe à l’extérieur
des frontières et en émane, en
même temps qu’à l’impassibilité
pour qui n’est ni soi ni parmi “les siens”.
La tension entretenue par le climat de conflits
incessants ne m’a pas paru, en soi, une raison
suffisante à ce manque d’intérêt,
à l’absence de curiosité, au refus
de créer des liens avec le reste du monde.
Israël m’est apparu comme une sorte de
pays cadet - ainsi le dit-on d’un enfant - de
l’Amérique, par les goûts, les
coutumes, les mœurs, l’éducation,
la vie culturelle, artistique... Or, privée
des moyens considérables du modèle
américain, cette posture apparaît
comme assez bancale. M’est venue à l’esprit
l’expression de classe “nouveaux riches”
[4], qui
passent sans voir les gueux mendier, même
quand ils jouent fort agréablement du
violon classique dans les rues de Tel-Aviv,
la capitale-vitrine “branchée”.
Qui intitulent “La Philippine”,
du nom de l’archipel, la nurse non-juive recrutée
pour prendre soin des très vieux dépendants,
derniers rescapés de la Shoah. Appellation
déjà moins pire que “Bécassine”,
“Marie”, “La bonne”,
“L’employée de maison” ou
“La technicienne de surface”...
Israël ne se différencie en rien
de n’importe quelle civilisation occidentale,
à cela près que la question de
l’antisémitisme ne s’y pose pas, à
tel point qu’on a l’impression qu’Israël
a oublié que l’antisémitisme existe,
persiste, tel une morsure historique sans fin,
bien vivace, partout dans le monde.
À cela près également que
l’on y respecte l’enfant, et ce n’est pas rien.
Mais pour ce qu’il en est du pouvoir exorbitant
des religieux, de la xénophobie [5],
des ravages du narcissisme des petites différences,
de l’absence de solidarité interculturelle,
ils sont les mêmes où que l’on
se trouve.
C’est l’Amérique sans sa profusion matérialiste,
ne serait-ce qu’à cause du gouffre financier
que constitue l’entretien de l’armée
et des moyens de défense. C’est l’Amérique
à laquelle on s’identifie et vers laquelle
on tend. Mais c’est une Amérique encore
posée sur les décombres historiques
de tous les idéalismes, des illusions
ruinées, une “Little”
Amérique confrontée à la
guerre chronique.
4
- À partir de ce que l’on appelait autrefois
“La moyenne bourgeoisie” évidemment,
ce genre de question ne se pose nulle part dans
le monde pour les “plus démunis”
[sic], les anciens prolétaires et sous-prolétaires.
L’“élite”, quant à
elle, est la même qu’à peu près
partout, snob.
5-
Dont je ne suis pas exemptée,
l’analyse permettant, justement, de la reconnaître
en soi et de s’en méfier suffisamment
pour ne pas lui laisser la liberté d’agir.
ø
C’est là une identification ordinaire,
qui fait que s’agglutinent à pas feutrés
les masses autour d’une idéologie, autrement
dit d’un Surmoi collectif. Le Surmoi, se présente-t-il
comme démocrate, étouffe, contredit
la notion même d’inconscient. Le Surmoi
est l’incarnation du dictateur qui est toujours
un manipulateur. Mais si l’inconscient, par
essence, échappe à toute manipulation
psychique, il peut par contre être évacué,
arasé, drogué sous la contrainte.
Bien que le Surmoi, en tant qu’il se manifeste
par le langage - plus précisément
par une sémiotique [6]
-, dérive de l’inconscient, il semblerait
qu’il ne puisse être que collectif, puisqu’il
se construit à partir de modèles
collectifs, souvent pervers, sadiques, fétichistes
- parents, éducateurs, idéologies,
Dieu, totems, tabous... Mais cela n’implique
pas que l’inconscient, ses formations, ses fantasmes,
réminiscences, symptômes, l’organisation
de sa psyché pour chacun/e à partir
d’une histoire propre parmi des invariants humains,
le soient. L’Inconscient est un concept,
sur ce point seulement, on peut le dire collectivisable.
C’est pourquoi “L’inconscient collectif”
est une formule qui fonctionne comme un slogan
idéologique, de même que, pour
exemple, celle, impossible, contradictoire,
de “devoir de mémoire” et
autre “foule gagnée par la psychose”.
Le pouvoir, la force, écrasent les champs
du symbolique et de l’imaginaire, ne laissent
d’espace qu’à un réel violent,
tueur, au déchaînement du narcissisme
des petites différences...
L’Inconscient, en tant que concept,
a produit, avec le Surmoi, son pire
antagoniste.
6
- G. L. Universel. Sémiotique
- Science générale des modes
de production, de fonctionnement et de réception
des différents systèmes de signes
qui assurent et permettent une communication
entre individus et/ou collectivités d’individus.
ø
À l’image des États-Unis, Israël,
clos sur lui-même, est un pays ordonné
en strates [7],
dont les seuls chenaux de communication intérieurs
et extérieurs entre humains se matérialisent
par le commerce des biens de consommation. Cependant,
la population ne se mélange pas. Suite
ou non à un désir d’“Alya”,
on y reçoit volontiers, mais vraiment
sans aucune chaleur, ce et ceux qui rapportent
des devises - parmi eux les retraités
à l’aise, les richissimes donateurs/fondateurs
d’un monument, d’une institution, d’un musée
à leurs noms, les investisseurs, les
jeunes... recrues pour l’armée... les
forces vives.
L’autarcie relationnelle ne serait-elle que
l’expression d’une gêne, qui adhèrerait
à ce pays depuis soixante ans, devant
la dépendance nationale financière,
devant la pauvreté qui s’accroît,
la disparité des revenus, devant le ratage,
que l’on a du mal à reconnaître,
d’une idéologie que l’on avait rêvé
prodiguer le lait, le miel, la douceur de vivre
? Pourquoi tant d’intellectuels, d’artistes,
laïcs, n’y trouvant pas de place, cherchent-ils
encore aujourd’hui à quitter, souvent
sans grand succès, le pays ?
Toutes ces composantes font d’Israël un
État occidental au Proche-Orient NORMAL,
une démocratie NORMALE, qui
abrite une population NORMALE - commetoutlemonde,
ni plus ni moins, ni même autrement, à
partir du moment où l’on ne nie pas,
où l’on ne bafoue pas son existence [8],
qui est un fait, et où Israël n’est
plus contraint à la guerre incessante
qui rend exsangue le budget de l’État.
Guerres successives dont il faut souligner au
passage qu’à aucun moment, pas une fois,
les Israéliens ne furent les instigateurs.
7
- J’insiste sur le fait que ces considérations
sont subjectives, elles n’engagent que mon point
de vue.
8
- La négation de la réalité,
comme la négation des chambres à
gaz, à pour nom générique
négationnisme.
ø
Le narcissisme des petites différences
y est le même que partout ailleurs, quelle
que soit la civilisation où il opère,
puisqu’il relève NORMALEMENT
de la structure de l’Œdipe, où l’enfant
mégalomane et sadique de tous les pays,
par ses identifications à l’adulte, s’applique
à éliminer un prochain qu’il considère
plus faible, jalouse ce qui n’a ou estime n’avoir
pas, ce qu’il n’est ou estime n’être pas,
veut assurer sa prééminence, sa
domination sur l’autre, l’asservir. Le narcissisme
des petites différences constitue
le moteur de la haine [9].
Il s’oppose à l’expression inventée
par les hommes du “droit à la différence”,
où la plupart du temps, on s’identifie
à la ressemblance, au même que
soi. Peut-être pourrait-on modifier légèrement
ce droit en le complétant par “droit
[inaliénable] aux petites différences”
?
9
- En ce qu’il serait issu, collectivement, de
ce qui est désigné généralement
au plan individuel par “invidia”
chez l’enfant.
Cf. Gaffiot, Invidia - 1
• malveillance, antipathie, hostilité,
haine. 2 • Jalousie,
envie.
ø
Traduisons provisoirement en langage courant
le concept de “Narcissisme des petites
différences” chez Freud, par
le terme d’“incompatibilité”.
Je ne retiendrai, parmi celles proposées,
que deux définitions puisées dans
Le Grand Usuel Larousse,
• Incompatibilité
- Biologie. Type de relation
entre deux lots chromosomiques de sexe opposé
qui ne peuvent pas s’unir par fécondation.
(L’incompatibilité est fréquente
entre deux espèces du même genre
et constante pour deux genres différents,
même voisins.)
• Incompatible - Mathématiques.
Se dit d’un système d’équations
dont l’ensemble des solutions est vide.
Voilà le résultat, “L’ensemble
des solutions est vide.”
Ajoutons que, parmi les petites différences,
nous pouvons inclure ce qui affecte le champ
de la “liberté d’expression”,
valeur démocratique fondamentale. Très
débattue en ce février 2006, elle
n’existe et ne concerne que le langage, son
organisation en un système cohérent
de communication pour les humains pensant et
parlant. C’est-à-dire par l’intelligence,
en opposition à la sauvagerie, aux “acting-out”,
individuels et collectifs.
Et essayons de tracer une ligne de partage entre
ce qui ressortit au juridique et ce qui regarde
la psychanalyse.
Si les “acting-out”, où la
médiation du langage et de l’entendement
sont ignorés, relèvent de la juridiction,
pour ne pas dire de la loi, il est peut-être
utile de distinguer loi juridique, celle de
la collectivité, et loi symbolique pour
chaque humain séparément. Toutes
deux ont ceci de commun qu’elles éveillent
chez chacun/e le désir infantile de la
transgresser.
Transgresser la loi juridique, conçue
et établie à leur mesure par des
humains pensants, gestionnaires de la vie de
la collectivité, est censé exposer
aux sanctions.
Pour la psychanalyse, le désir de transgression
est un phénomène normal - pourtoutlemonde
- chez l’enfant, il appartient à sa psyché
perverse-polymorphe. Quand, au cours de l’évolution
de l’enfant, une pulsion sexuelle, avec sa dérivée
qui est la représentation que s’en fait
sa psyché, se fixe sur une satisfaction
perverse, la transgression par mépris
de toute loi peut fonctionner automatiquement
à la fois dans l’analytique et le juridique,
selon qu’il y a “acting” sur la
scène publique ou pas. Il arrive, assez
fréquemment, que le public et le privé
se mêlent. D’un point de vue seulement
analytique, chez Molière, quand Sganarelle
lance à Don Juan : “Qui n’a
point de loi vit en bête brute”,
nous réalisons combien “la fixation
à un stade infantile” de Don Juan
en a fait un être dépourvu d’éthique
minimale. Que s’est-il passé ? Nous ne
le saurons pas, cela ne se confie sur aucune
autre scène que privée. La vie
de Don Juan ne sera qu’une suite de fuites en
arrière, de piétinements, et le
patrimoine qu’il amasse, un comptage. Aucune
place, dans sa vie, pour le rêve, pas
d’avenir. Une dérobade perpétuelle
qui ne cessera, avec sa chute dans le néant,
que par la main du Surmoi que représente
la Statue de Pierre. Don Juan n’est jamais pris
en défaut, au plan légal, sur
la scène publique. Mais dans le privé,
dans le réel, dénué de
symbolique, tout lui est permis selon son seul
plaisir, “Viva la libertad”. Il
attaque, une à une, la personne au cœur
de son être - les femmes, chaque autre
de toutes conditions, son père... Mais
un jour, essoufflé de vivre sans limite
au mépris de l’existence de l’autre,
dont il profite comme d’un objet, réel
ou de fantasme, qu’il injurie, abuse, veut avilir,
ne sachant plus comment donner un sens à
sa vie ni trouver sa propre fin, il n’a d’autre
alternative que de provoquer un Commandeur,
qui n’est en fait qu’un fantasme surmoïque,
puisque le Surmoi se situe dans lechamp de l’imaginaire.
(Une parenthèse, pour
ne pas éluder le champ de l’imaginaire
: l’imaginaire est particulièrement pauvre
et répétitif chez ces gens-là.)
Quelle est la fonction de la loi symbolique
? Elle seule permet de sublimer ses pulsions,
selon un processus qui ouvrira sur une éthique
destinée à faire évoluer
la civilisation.
J’ai relevé trois exceptions - sans doute
parmi d’autres - où le concept de loi
de toute nature est sans effet : chez le “kamikaze”,
pour qui le suicide ne représente symboliquement
rien, n’a aucune valeur, puisqu’il fonctionne,
non en être pensant, mais en tant qu’objet
manipulé, en tant qu’arme détenue
par un pouvoir totalitaire. Chez le suicidaire
qui nous jette au visage que vivre pour lui
fait plus mal que la douleur physique. Chez
le fou.
ø
Voyons maintenant ce que ditFreud du narcissisme
des petites différences.
Le Tabou de la virginité
• 1918
Dans les expressions qui se différencient
peu de la terminologie usuelle de la psychanalyse,
Crawley met l’accent sur le fait que chaque
individu s’isole des autres par un “taboo
of personal isolation”, et que ce
sont justement les petites différences
à l’intérieur même de ressemblances
communes qui créent des impressions d’hostilité
et d’étrangeté entre eux [10].
Il serait intéressant de prolonger cette
idée en faisant dériver, de ce
“Narcissisme des petites différences”,
l’hostilité qui, dans toute relation
humaine, l’emporte à l’évidence
largement sur le sens de la solidarité
et sur l’injonction d’amour universel entre
les humains.
10
- Crawley :The mystic rose, a study of primitive
marriage, London 1902.
ø
Psychologie
de Masse • 1921
La psychanalyse met clairement
en évidence ceci qu’une relation émotionnelle
de longue durée entre deux personnes
[...] [11] contient
un résidu d’instinct de rejet, d’hostilité,
qui n’échappent à l’intuition
que par suite du refoulement.
[...]
Ce pourquoi une telle sensibilité est
allée se porter justement sur ce point
particulier de la différenciation, nous
ne le savons pas ; il est cependant indéniable
que dans la façon qu’ont les humains
de se conduire, se manifeste une disposition
à la haine, une agressivité d’origine
inconnue, à laquelle on pourrait attribuer
la qualité d’élémentaire
[12].
11
- À l’exception, écrit Freud,
de la relation mère-fils.
12 - Freud renvoie dans ce passage à
Pour introduire au concept de narcissisme.
De notre côté, nous continuons
de ne pas savoir si la haine, en tant que représentation
d’un concept linguistique, est une pulsion primaire,
innée, aussi nous la situons encore prudemment
un peu plus tard, lors de la formation des identifications
de l’enfant à l’adulte.
ø
Das Unbehagen
in der Kultur • 1930
Il n’est manifestement
pas facile aux humains de renoncer à
leur penchant pour l’agression ; ils ne s’en
sentent pas mieux pour autant. Le cercle culturel
restreint présente l’avantage inestimable
d’offrir une issue à la pulsion agressive,
en lui permettant d’ouvrir les hostilités
contre ceux qui ne lui appartiennent pas. Il
est toujours possible d’unir par les liens de
l’amour une assez grande masse d’hommes, aussi
longtemps qu’il en reste suffisamment à
l’extérieur sur qui diriger la pulsion
d’agression. Je me suis déjà occupé
du phénomène, où justement
des communautés voisines, apparentées
ou/et proches géographiquement, se font
en permanence la guerre et se bafouent mutuellement.
Ainsi les Espagnols et les Portugais, les Allemands
du Sud et ceux du Nord, les Anglais et les Ecossais
etc.[13] J’ai donné
à ce phénomène le nom de
« Narcissisme des petites différences
», ce qui contribue peu à
le rendre clair. On y reconnaît toutefois
une satisfaction aisément acquise et
relativement inoffensive de la disposition agressive,
qui facilite la cohésion entre les membres
d’une même communauté. Les Juifs,
dispersés parmi tous les horizons ont,
dans cette perspective, rendu un service inestimable
aux civilisations qui les hébergeaient
; malheureusement, tous les massacres de Juifs
au Moyen Âge n’ont pas suffi pour donner
une forme plus paisible et plus sûre aux
confrères Chrétiens. Après
que l’Apôtre Paul eut fait de l’amour
entre humains le fondement universel de sa communauté
chrétienne, s’ensuivit, inévitable,
l’intolérance la plus extrême de
la Chrétienté contre ceux qui
n’y étaient pas affiliés ; intolérance
religieuse demeurée étrangère
aux Romains, dont la vie de l’État, en
tant que chose publique, n’était pas
fondée sur l’amour, encore que pour eux,
la religion relevait de l’État et l’État
s’en trouvait infiltré de religion. Ce
ne fut pas l’effet d’un hasard fortuit si le
rêve d’une suprématie germanique
mondiale s’en remit à l’antisémitisme
et si le communisme, avec son intention d’instaurer
en Russie une nouvelle civilisation, a trouvé
son étai dans la persécution des
bourgeois. On se demande cependant avec inquiétude
ce que les Soviets mettront en œuvre, une
fois tous les bourgeois exterminés.
13
- Un peu plus loin, “ ...les Ariens
contre les Sémites, les Blancs contre
ceux qui ne le sont pas... ”, ajoutons
à l’infini... les Palestiniens contre
les Israéliens... les “beaux”
contre les “laids” et les “normaux”
contre les “anormaux” surtout quand
c’est selon le modèle physique et psychique
grotesque d’Hitler qui en définit les
cotes, les jeunes contre les vieux, les chiites
contre les sunites, les ashenazes contre les
sépharades, ce qui appartient à
la conservation de l’espèce mais dont
l’humain n’est pas responsable contre ce qui
lui revient, intellectuellement, en propre...
bref, nous assistons en continu au perfectionnement
de l’eugénisme. Dans le Moïse...
, Freud revient sur ce qu’il a observé
du narcissisme des petites différences
au sujet de l’antisémitisme, et
le développe dans Pourquoi la guerre
? [supra].
ø
C’est sur ce sujet du narcissisme des petites
différences que je propose de reprendre
les réunions de travail cette année.
M. W.
2 mars 200
© ψ [Psi] •
LE TEMPS DU
NON 2006 cela ne va
pas sans dire
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