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Le père Desbois,
le Pape, François Bayrou, Freud,
et autres notes de voyage...
La musique est l’art d’harmoniser
les sons
Définition
Au village sans prétention...
Georges Brassens
J’ai
vu Peter hier, 17 décembre 1976. Il a 28
ans.[…]
Quand
je lui demandai où il en était avec
les maths, s’il pouvait toujours en faire et s’il
en faisait, il dit,
-
Bien sûr, je peux, mais c’est inutile ;
personne ne me le demande, personne n’en a besoin.
Mira Rothenberg
Enfants au Yeux d’Émeraude
Un
collègue, qui intitule son courrier « Le mauvais coup porté au Père Desbois »,
me fait suivre celui qu’il a reçu de l’un
de ses correspondants, Chargé de Mission
auprès des Recherches et Études
Documentaires / Research Associate.
Il
s’agit d’extraits d’une émission diffusée
par France-Culture le 27 mai 2009. L’émission
en elle-même est régulière,
dénommée « La fabrique de
l’Histoire », par Emmanuel Laurentin, lequel a invité
historiens et journalistes à commenter
« Porteur de mémoires : sur les traces de
la Shoah par balles », par le
Père Patrick Desbois, Paris, Michel Lafon,
2007.
Je
lis les extraits, puis me procure l’émission
complète.
Je
dis alors au collègue qu’il faudrait tout
de même réagir publiquement.
Le
collègue, mais pas seulement lui, m’écrit
: “Laisse tomber, ce sont des c...”.
Ce
à quoi, je lui réponds : « Je suis d’accord quant aux (non-)réponses aux négationnistes,
crypto-négationnistes, journalistes, historiens
confirmés ou non et autres, je l’ai toujours
dit depuis 25 ans. S’indigner publiquement revient
à leur dérouler un tapis rouge.
Cependant, dire que ce sont des c... c’est presque
leur rendre hommage ! Cela signifierait, non seulement
les dédouaner de la responsabilité
de leurs propos, mais aussi, en ces temps d’élections
au Parlement Européen, prétendre
que le (vomitoire) candidat fièrement auto-proclamé
“Anti-Sioniste”est un c... ”
»
Des “gens”,
particulièrement dans les médias
et le “showbiz”, qualifient aussi
ce candidat d’humoriste, ce qui témoigne
d’une mécompréhension absolue de
la noblesse du sens du mot “humour”.
L’humour, que ces gens confondent, par ignorance
(délibérée ?), c’est devenu
classique, avec l’injure, la dérision,
la vulgarité, et autres épithètes
exhortant au mépris, à l’effacement,
à la non-existence de l’autre.
Je rappelle ici,
pour ce qui pourrait intéresser des psychanalystes,
les définitions de l’humour, par François
Perrier et par Freud,
Humour
•
Rien de plus désintéressé.
Ne va pas sans une critique libre de soi-même.
L’humour est aussi un dévoilement
de l’objet sous un autre jour, mais dans
une pudeur, une réserve, une contention
qui n’est pas celle du comique avec ses
effets de cirque, ses chutes répétées.
L’éthique de l’analyste est
de ce côté-là.
Ironie
• Toujours
un jugement qui fait toujours une victime.
François
Perrier
L’humour a non seulement quelque
chose de libérateur, proche en cela de
l’esprit et du comique, mais encore quelque
chose de magnifique et d’émouvant,
traits qui ne se retrouvent pas dans ces deux
autres modes, issus de l’activité
intellectuelle, d’acquisition d’un
surcroît de plaisir. Le magnifique tient
évidemment au triomphe du narcissisme,
à l’immunité du Moi victorieusement
affirmé. Le Moi se refuse à se laisser
entamer par les contraintes de la réalité,
à se laisser imposer la souffrance, il
résiste fermement aux atteintes des traumas
causés par le monde extérieur, dont
il montre, bien plus, qu’ils peuvent devenir
des agents d’un surcroît de plaisir.
Ce dernier trait est la qualité essentielle
de l’humour.” Der Witz...
Freud
Pour
avoir confirmation selon laquelle le candidat
“Anti-Sioniste” n’est pas un c...,
il suffit de se reporter, sur la toile, à
son rap de campagne, lequel terrorise les jeunes
Juifs d’associations laïques, par son incitation
à la haine raciale, à l’extermination,
d’une violence incroyable, que personne, aucune
institution, ne peuvent légalement interdire,
puisque le mot, la désignation de “Juif”,
sont minutieusement évités, ils
ne figurent pas dans le texte.
Revenons à la fin de mon courrier au collègue.
“Mais je ne suis pas d’accord sur un point : la production
d’une telle émission sur France-Culture.
À commencer par son titre :
« La Fabrique de l’Histoire »,
qui est abominable, et particulièrement
quand on l’associe à la Shoah.”
Qu’est-ce
qu’une fabrique ? Qu’est-ce que les historiens,
les journalistes, fabriquent dans leur fabrique
?
Fabrique • Établissement industriel ayant pour objet de transformer
les matières premières en produits
manufacturés susceptibles d’être
livrés au commerce.
Grand Usuel Larousse
Pourquoi pas un terme davantage bisexué que “fabrique”, les “brandebourgs” par exemple ?
Cela
ne nous évoque-t-il, durement, rien ?
Quels
étaient donc l’objet, le but, de cette
émission ?
L’objet,
nous le connaissons, il était clairement
exprimé : de la part des invités,
une supposée “médiatisation”
excessive du Père Desbois, lequel ne serait
ni historien ni journaliste et ne “roulerait”
que pour sa propre gloire.
Le
but est tout aussi clair, il suffit d’écouter
l’émission : démolir le Père
Desbois, invalider son œuvre, à coups,
notamment, de comptabilités répétées,
pratique privilégiée des négationnistes...
Il
faut reconnaître en passant que ce genre
de conduites intellectuelles a été
largement favorisé depuis que Madame Veil,
autorité écoutée, admirée
et suivie par la plupart des médias, n’a
cessé d’affirmer très publiquement,
qu’en matière de Shoah si j’ose dire, puisque
l’on parle de “fabrique”, il fallait
s’en remettre exclusivement aux historiens. Ce
qui sous-entend assez bruyamment que la parole
des témoins - excepté la sienne
et celle des siens ! -, déportés
et héritiers directs de la déportation
des Juifs, n’est pas valide.
L’une
parmi les diverses raisons avancées assez
publiquement étant que ces sujets humains,
parlant et pensant, traumatisés par la
Shoah et ses conséquences, sont suspectés
de mentir, de n’avoir pas possession de leurs
esprits, voire d’être paranoïaques,
et autres désignations nosographiques dont
on ne maîtrise pas le sens.
Ce
mépris de la parole de vérité
de chaque être humain, quelle que soit sa
condition, passée, présente et à
venir, donne la nausée...
Ainsi,
semblerait-il, l’interdit absolu de parler porterait implicitement depuis, sur chaque témoin
de son temps,
sur chaque citoyen, sur chaque citoyenne, de la
roture jusqu’aux cimes de l’intellect, non autorisés
par les instances investies du pouvoir de statuer
et d’influencer.
Contre
quoi, l’on continue de s’insurger, de s’indigner,
contre Staline et ses apparentés !
L’œuvre
du Père Desbois, outre le fait qu’elle
est parfaitement documentée, est d’autant
plus considérable qu’elle émane
d’un prêtre catholique, ce que les Juifs
espéraient depuis les 60 ans où
on les laisse se confronter à leur propre
histoire ! On les renvoie poliment à leur
“Communauté” pour s’en débrouiller,
ce qui est une autre façon de les confiner
dans un ghetto intellectuel, idéologique,
contre quoi, il est loisible par la suite, une
fois qu’ils sont bien sériés, de
les taxer de “refus de se mélanger,
de s’assimiler... ” etc. Pour peu que certains
résistent sans faiblir, il devient alors
impossible de répandre la diffamation selon
laquelle “ils se sont laissés emmener
comme des moutons” et... l’antisémitisme,
l’antijudaïsme, redoublent...
Mais
voilà que le Père Desbois, je cite
: “Directeur du Service National des Évêques
de France pour les relations avec le Judaïsme
et Président de l’association Yahad-In
Unum, créée en 2004 à l’initiative
du Cardinal Jean-Marie Lustiger avec le Cardinal
Philippe Barbarin, Archevêque de Lyon, le
Cardinal Jean-Pierre Ricard, Archevêque
de Bordeaux et le Rabbin Israël Singer, Président
du Directoire du Congrès Juif Mondial”,
a de surcroît été choisi pour
accompagner le Pape Benoît XVI au Moyen-Orient.
La
question n’est pas d’être en accord ou en
désaccord, cela va de soi, avec certains
propos tenus par Benoît XVI, bien que pondérés
par la suite. Le Pape n’est en effet pas le populaire
Jean-Paul II. C’est un intellectuel, un théologien,
un remarquable théoricien, dont le style
est, tels les philosophes, les penseurs, religieux,
laïques ou éclairés qui l’ont
précédé, typiquement allemand,
exempt de ce qui pourrait s’apparenter
à de la sentimentalité, à
du “pathos”.
Et
cela ne plaît pas.
Tout
comme “on aime les Juifs à la seule
condition qu’ils soient victimes”, on aime
les Papes qui remuent les foules, les faisant
verser des larmes d’hypocrites compassions...
Son
enrôlement forcé
dans la Waffen SS ? Revenir sur cette étape
de sa vie avec une insistance regrettable, ne
permet-il pas de se dédouaner, en France
tout au moins, dont le style est plus passif,
plus “soft”, de certaines conduites
pendant l’Occupation, ne serait-ce que celle des
engagés volontaires au STO ?
Continuons
maintenant à respirer, bien obligés,
l’air du temps, lequel est linguistiquement, de
par les algarades et foires d’empoignes politiques,
publiquement empesté par la pratique vulgaire
du mépris et de l’injure.
[Juste, en passant, une petite interrogation. Les responsables politiques,
qu’ils soient ou non encore de la première
fraîcheur, parlent-ils de leurs propres
parents, de leurs collatéraux, de ceux
et celles qu’ils estiment, en les désignant
par “personnes âgées”,
comme s’il s’agissait d’une catégorie pathologique
?
Une désagréable
indexation verbale a été, depuis
une vingtaine d’années, esquivée,
celle de “démence sénile”
à laquelle s’est substituée l’effrayante
“maladie d’Alzheimer”, qui signifie
exactement la même chose, Freud le mentionnait
déjà en son temps. À savoir
la détérioration des capacités
psychiques et intellectuelles précédant,
parfois de beaucoup, la dégradation physique
et physiologique.
Il n’y a pas si longtemps encore, quand quelqu’un disait “mes vieux”,
c’était une expression tendre pour évoquer
ceux et celles qu’il aimait...
Ainsi a-t-on vu se mettre en place, à l’image d’un ghetto, des
sous-ministères, où des sujets pensant
et parlant, aussi affaiblis soient-ils, sont désignés,
en l’absence de toute forme de respect, non pour
leurs qualités d’être humains, mais
à la loupe des atteintes et de l’usure
du temps, entendus comme des tares.]
Alors,
les injures... Les premières fois où
j’ai - exclusivement en tant que témoin
de mon temps, c’est-à-dire à l’aune
de ce que j’ai vu et perçu - entendu dire
dans toutes les formes de médias, de façon
répétée, que François
Bayrou, lui aussi, ne roulait que “pour
lui et pour sa propre gloire”, c’était,
par la bouche de Simone Veil, qui annonçait
ainsi son ralliement à Nicolas Sarkozy,
pendant la campagne pour l’élection présidentielle
de 2007.
Cette
affirmation, reprise par la droite comme par la
gauche, n’a pas cessé depuis, elle s’est
au contraire renforcée après la
publication du livre de François Bayrou,
« Abus de pouvoir ».
Tout
comme pour Benoît XVI un peu plus haut,
la question n’est pas de savoir pour qui l’on
votera ou non en tant que citoyen ou citoyenne.
La question, préoccupante, est : qu’est-ce
que ce style public qui se répand, envahit,
peu civilisé, fait d’interprétations
sauvages, auxquels empruntent les discours politiques
depuis les prémisses du changement de présidence
et auquel d’ailleurs François Bayrou répond
dans son livre : “Je ne mange pas de
ce pain-là”.
“On”
dit aussi, pour le discréditer - et ces
pratiques sont moches - que François Bayrou
n’a pas de programme. Ce qui est faux. Simplement,
plutôt qu’égrener des solutions attrayantes
et affirmatives aux problèmes en tant de
points successifs, il pose les problèmes les uns après les autres,
les décrits, de sorte que les lignes d’un
programme de gouvernement se dessinent assez clairement
pour peu que l’on prenne la peine de penser, non
pas avec “affect”, mais au moyen des
outils de la logique.
Mais
c’est là, pour nous, citoyens et citoyennes
de base, que la pensée trouve sa limite,
le reste est affaire de professionnels de la politique.
Bien
sûr, le dernier discours de Martine Aubry
était solide. Seulement il est arrivé
trop tard, nous n’y “croyons” plus,
tandis que le PS continue de se vider de ses “débauchés
volontaires”, les uns après les autres,
jusque dans les rangs de la Mairie de Paris, pour
se rallier à l’UMP, une vraie hémorragie...
François
Bayrou est catholique dans le privé, républicain
dans le public, défenseur résolu
de la laïcité, ainsi que de la séparation
non négociable de la vie privée
et de la vie publique. Il manifeste un amour et
un respect de la langue, du langage lequel, faut-il
le rappeler, est porteur de sens - les mots
ont un sens - et, en cela, de l’avenir de la civilisation,
qu’il souhaite humaniste.
Qu’est-ce
que l’humanisme, dans sa définition accessible
à tous ?
Humanisme • Philosophie qui place l’homme et les valeurs humains au-dessus
de toutes les autres valeurs.
Grand Universel Larousse
François
Bayrou a ceci de particulier qu’il n'est pas, semblerait-il, insensible à la psychanalysea.
D’où
a-t-on sorti qu’il ne parle que de “Moi
et Moi et MoiJe” ? Par contre, il parle
assez souvent de “citoyens” plutôt
que “des gens” (people
en anglais... ).
La
psychanalyse nous enseigne, non seulement qu’“il
n’y a ni bien ni mal pour l’insconscient”
(Dolto), mais que chacun, chacune, parle en son
nom propre et a ce droit légitime, sans
oukases extérieures, si tel est son désir,
de transmettre librement son savoir et son expérience,
quels qu’il soient, à qui veut bien les
recevoir.
S’il
y a, semblerait-il, dans le discours de François
Bayrou, l’expression d’un désir, ce n’est
certainement pas celle du désir d’un “MoiJe”
du “Maître”, plutôt celle
d’un “Père”. À chacun,
à chacune, d’apprécier si cela lui
convient ou pas.
À suivre
« Quelques destins de psychanalystes femmes
dans l’histoire de la psychanalyse »
ø