Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Guy Coq

Sortir de l'impasse démocratique

Avoir conscience de la cohérence d'une loi

ø

Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object.
Samuel Beckett • “The Uspeakable one”

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

Ø

Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

ø

© Guy Coq / 1er Février 2013

 

Sortir de l’impasse démocratique

 

Un véritable débat démocratique implique l’échange des arguments, le développement des positions diverses AVANT que soit posée la décision finale. Or dans cette affaire du « mariage pour tous » c’est d’emblée que le gouvernement a annoncé sa décision et sans même qu’il y ait eu un libre débat entre les parlementaires qui l’appuient. La décision étant annoncée, on nous a dit que le débat pouvait avoir lieu. C’est une telle situation qui justifie ceux qui accusent la gauche d’avoir refusé le débat.

Comment en est-on arrivé là ?

Il y a eu une erreur dans la pratique démocratique. En effet, euphorisés par la victoire présidentielle pourtant relativement étroite et par des sondages favorables, le Président et le Gouvernement ont estimé immédiatement que sur le principe du mariage pour tous, le peuple venait de se prononcer clairement. Du coup prévalut l’idée qu’il était temps de rédiger le projet de loi car le peuple avait parlé.

L’erreur porte sur l’esprit de la démocratie. On a cru qu’un scrutin politique gagné et des sondages favorables étaient suffisants pour marquer la volonté populaire. Quand on connaît les méthodes des sondeurs et la réponse quasi instantanée exigée par leurs questions, on constate que ce n’est pas un moyen sûr d’obtenir un avis raisonné et réfléchi. De plus le vote pour un candidat à la présidence ne signifie jamais l’approbation définitive à tous les projets qu’il énonce. S’il fallait qu’il en fût ainsi aucun candidat jamais n’obtiendrait une majorité. Au demeurant François Hollande lui-même a trié dans ses « engagements ».

Cette erreur a eu une conséquence grave sur la stratégie démocratique du gouvernement. Le regret est d’autant plus vif que cette bonne méthode a été appliquée antérieurement, notamment à propos de la loi sur la bioéthique. Elle consiste non pas à tout attendre d’un affrontement majorité opposition, mais à mettre en place des dispositions permettant de rechercher un consensus dépassant les limites de la majorité parlementaire. Cette méthode a été utilisée pour la loi bioéthique précisément parce que celle-ci touche à des enjeux éthiques et anthropologiques fondamentaux. Or qui peut nier que de tels enjeux sont présents dans le « mariage pour tous » ?

La question que peut se poser un citoyen sérieux est maintenant : à quoi peuvent bien servir ces semaines de débat, ces milliers d’amendements promis à l’inutilité puisque l’on a de plus refusé aux députés d’avoir une conscience et d’être libérés sur cette loi de la discipline de parti ?

Dans la confusion et la tension nerveuse que font monter les débats parlementaires, une voix raisonnable s’est élevée, celle du président du Comité national d’éthique, Jean-Claude Ameisen déclarant : « À titre personnel, je pense qu’il aurait été plus logique de réfléchir d’abord au sujet dans sa globalité. » (Déclaration dans La Croix 28 janvier). Et le Comité national d’éthique annonce en même temps qu’il peut envisager une réflexion de fond sur la procréation. Or ce sont bien ces problèmes globaux : procréation, droit des enfants, filiation, différence des sexes… qu’il serait en effet bien raisonnable d’approfondir avant de voter une loi qui les suppose résolus. Et, circonstance aggravante cette loi repousse les problèmes éthiques quelle pose à une loi ultérieure sur la famille et dont le contenu semble déjà fixé pour le gouvernement, du moins en ce qui concerne la PMA. Voilà donc un débat encore une fois conclu avant de commencer !

Peut-on encore espérer que, dans les deux camps qui s’affrontent dans l’hémicycle, il y aura assez d’élus pour imposer enfin un retour à la méthode de réflexion utilisée dans le débat de la loi bioéthique ?

En définitive, n’appartient-il pas maintenant au Président de la République d’arrêter le vain affrontement et d’élaborer une méthode pour la recherche d’un consensus durable, permettant aux élus de sortir d’un débat où ils perdent chaque jour un peu plus de crédit ? Est-ce vraiment perdre la face que de corriger une erreur de méthode ?

 

ø

 

Avoir conscience de la cohérence d’une loi

 

Fin 2012, il y avait eu une ouverture du Président Hollande sur le droit des maires à une forme d’objection de conscience dans le cas de mariages homos. On se souvient que quelques jours plus tard le Président rentrait dans les clous.

 Ensuite, une question analogue fut posée au sein du groupe socialiste, à l’Assemblée. Il s’agissait du débat sur l’extension de la P.M.A. comme droit ouvert aux couples homosexuels, dans le cadre du mariage pour tous. Voulant imposer la discipline de groupe lors du vote, le président du groupe socialiste n’obtint que 126 voix sur 296 membres du groupe majoritairement absents ! 61 députés votèrent pour la liberté de conscience du parlementaire.

En fait, « mariage pour tous », adoption, filiation, extension de la P.M.A. font problème aussi dans la gauche, ce sont des sujets dont les implications anthropologiques sont immenses et encore mal mesurées. La contradiction est dans toutes les familles politiques. Pour de tels problèmes, à défaut de convoquer directement le corps électoral pour un référendum, ne devrait-on pas adopter le principe d’une suspension exceptionnelle de la discipline de parti ? Chaque député devrait ainsi être amené à prendre position en conscience, en assumant ce choix directement en dialogue avec les électeurs de sa circonscription. Car dans notre système, le député n’est pas seulement membre d’un parti, il représente directement une circonscription. Les électeurs l’ont élu, lui. Il a l’obligation d’un dialogue avec eux. Mieux que les sondages, des élus attachés à leur circonscription sont en mesure de représenter vraiment le peuple.

Sauront-ils être assez forts auprès des directions des partis pour obtenir le droit de voter en conscience ? Ou bien sauront-ils violer une discipline illégitime ? Ou même, compte tenu des problèmes considérables qu’implique cette loi sur le « mariage pour tous », sauront-ils imposer une prise en compte dans un débat mieux organisé, toutes les conséquences de ce bouleversement du mariage républicain ?

Une des leçons à tirer de la discussion sur l’amendement socialiste, aura été une clarification des enjeux véritables du « mariage pour tous ». L’amendement a un effet de révélateur sur le sens même du « mariage pour tous ». Ce qui a pu rendre légitime d’ajouter la P.M.A., c’est que la loi se justifie comme stricte application du principe d’égalité. Elle se fonde exclusivement sur le principe que faire une différence entre un couple hétéro et un couple homo est une entorse grave à l’égalité. C’est pourquoi on a d’emblée exclu l’idée d’un PACS amélioré. C’eût été légitimer une différence en droit entre les couples homos et les autres, donc mettre en cause le principe d’égalité.

Une conclusion s’impose immédiatement : le refus d’une extension de la P.M.A. aux couples homos est contraire au principe même qui fonde le projet de loi. C’est le principe du « mariage pour tous » qui valide d’avance cette extension, et pas seulement aux couples de lesbiennes.

Ceux qui refusent cette extension tout en se disant prêts à voter la loi Taubira sont dans la contradiction. Leur accord avec la loi implique le consentement au principe qui gouverne la loi… ce qui rend pratiquement infondé leur refus d’une extension de la P.M.A. À partir du moment où, en droit, on gomme l’inévitable différence entre un couple homme/femme et un couple homo, au nom d’une prétendue égalité, on a tout cédé sur les principes à ceux qui prétendent établir un « mariage pour tous ».

Pour ceux qui refusent l’extension de la P.M.A., la seule position logique et cohérente serait de refuser le « mariage pour tous » et d’y opposer un projet de loi améliorant le pacs.

Quant à l’idée de repousser la prise de position sur l’extension de la P.M.A. à une discussion ultérieure de la loi bioéthique et donc pour l’instant de voter quand même le projet du gouvernement tel qu’il est, elle affaiblit à l’avance le débat sur la bioéthique. Celui-ci sera hypothéqué par la légitimité du principe fondamental validé par la loi. Ce principe dit que l’égalité implique la disparition en droit du rôle fondateur de la différence des sexes. C’est en définitive un vote sur ce rôle fondateur auquel contraint la loi Taubira.

Espérons que cela pose vraiment un problème de conscience à des représentants dont la fonction de représentation n’est pas sans limites.

 

Guy Coq

Philosophe

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2013