Freud
« Les résistances à
(l'encontre de) la Psychanalyse »
Extraits • 1925
[...]
Un accueil particulièrement désagréable fut octroyé
à la psychanalyse, à laquelle l'auteur
avait commencé à donner corps près
d'une trentaine d'années auparavant, à
partir des découvertes de Joseph Breuer,
de Vienne, sur l'origine des symptômes névrotiques.
[...]
Après avoir été pendant une dizaine d'années
l'objet d'une non-reconnaissance absolue, voilà
qu'elle devint soudain le sujet d'un intérêt
unanime, déchaînant du même
coup une tempête de récusations indignées.
[...]
Sous quelles formes la résistance à la psychanalyse a-t-elle
trouvé à se manifester, nous ne
nous y attarderons pas ici.
[...]
Or, les expériences de Charcot aussi bien que les observations
cliniques de Breuer, nous apprirent que les symptômes
somatiques dans l'hystérie étaient
psychogènes, autrement dit, qu'ils étaient
des précipités (des dépôts)
de processus psychiques parvenus à leur
terme.
[...]
La psychanalyse s'appropria alors ce nouveau savoir et s'occupa de considérer
le problème de la nature de ces processus
psychiques qui donnaient suite à des séquelles
aussi insolites.
Mais en ce temps-là la voie prise par ces recherches n'allait pas
dans le sens de cette génération
de médecins. Les médecins avaient
été formés à ne respecter,
exclusivement, que les facteurs anatomiques, physiques
et chimiques.
Les médecins n'étant pas préparés à
tenir compte de ce qui concerne la psyché
n'ont alors montré à son égard
qu'indifférence ou aversion. Ils mettaient
visiblement en doute ceci, que les choses du psychisme
puissent relever d'une thérapeutique appartenant
au domaine d'une science rigoureuse.
En réaction démesurée contre une période triomphante
où la médecine était dominée
par ce que l'on appelait “Naturphilosophie”,
de telles abstractions, conçues à
partir de phénomènes manifestes
sur lesquels auraient pu s'arrimer la recherche
scientifique, leur semblèrent nébuleuses,
fantaisistes, mystiques, et ils en dénièrent
toute créance.
[...]
Il n'est donc pas étonnant qu'une telle approche de la psyché
n'ait pas été du goût des
médecins, ne les ait pas incités
à témoigner de la sympathie pour
la psychanalyse, qu'ils n'aient pas voulu s'engager
à réévaluer nombre de leurs
idées et à reconsidérer plus
d'une chose sous un angle différent.
Contre quoi, l'on aurait alors pu penser que cette toute nouvelle théorie
rencontrerait davantage d'attrait chez les philosophes.
[...]
Les philosophes n'étaient-ils pas, en effet, habitués à
accorder, selon leur explication du monde, une
importance primordiale aux concepts abstraits
- il est vrai que les mauvaises langues diraient
: à un discours fumeux - si bien qu'il
n'était guère pensable qu'ils soient
scandalisés par la voie que frayait la
psychanalyse, laquelle visait à élargir
le champ conceptuel de la psychologie.
Or voilà que se dressa, là aussi, une résistance.
L'idée que les philosophes se faisaient
de la psyché n'était pas celle de
la psychanalyse. Les philosophes, dans leur quasi
majorité, appellent psychique, exclusivement,
un phénomène de conscience de soi.
Pour eux, ce qui relève du domaine de la
psyché se limite au périmètre
de ce qui est conscient. De sorte que ce qui peut
procéder de l'appréhension des profondeurs
complexes de l'“âme” est ravalé
par eux à des données organiques
et à leurs processus parallèles
dans la psyché. Autrement dit plus explicitement,
la psyché n'a aucun autre contenu que le
phénomène de conscience de soi ;
de ce fait, la science de la psyché n'a
pas d'autre objet. Sur ce point, un béotien
ne pense pas autrement.
[...]
Ces motifs de discussions contribuent à rendre compte de l'accueil
réticent et réprobateur de l'analyse
dans les cercles savants. Pourtant cela ne suffit
pas à expliquer comment le déclenchement
d'indignation, de sarcasmes et de mépris,
ont pu en venir jusqu'à bafouer les règles
de la logique et de l'élégance dans
la polémique. De telles réactions
nous laissent pressentir que d'autres facteurs
qu'une résistance purement intellectuelle
sont intervenus, et que des forces émotionnelles
puissantes furent soulevées ; il est vrai
qu'il y a suffisamment de contenu à trouver
dans la théorie analytique, qui produise
un tel effet sur les passions humaines, et pas
seulement chez les hommes de science.
[...]
Enfin - et sous toutes réserves - l'auteur se permet de soulever
la question selon laquelle sa personnalité
en tant que Juif, qu'il n'a jamais songé
à dissimuler, n'a pas participé
à l'antipathie de son environnement à
l'encontre de la psychanalyse. Un tel argument
n'a que rarement été évoqué
à haute voix ; cependant - et c'est regrettable
- le
déroulement des choses nous ayant hélas
rendus assez circonspects, nous ne pouvons nous
empêcher de penser qu'une telle éventualité
demeure complètement anodine. Que le premier
représentant de la psychanalyse soit Juif
n'est peut-être pas dû à un
banal coup du sort. Se reconnaître en elle
nécessitait un degré suffisant de
tolérance, pour accepter de faire sien
le destin d'isolé dans l'opposition - destin
qui, plus que tout autre, est familier au Juif.
À suivre... OPA 1 bis et OPA
2...