ψ = psi grec, résumé
de Ps ychanalyse
et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS
DU NON s'adresse à l'idéologie
qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance
délibérée,
est l'antonyme de la réflexion, de la raison,
de l'intelligence.
ø
© Micheline
Weinstein pour la traduction de l’allemand / 17 novembre 2013
Freud
« L’avenir d’une illusion »
Lettre à Romain Rolland
« Über eine Weltanschauung » • La philosophie
Les sœurs de Freud
[…]
Notre
science a une foule d’adversaires solides et davantage encore d’adversaires
déguisés, parmi ceux qui ne peuvent l’excuser d’avoir affaibli la force de la foi
religieuse en exposant celle-ci à un danger d’affaissement. On accuse la
science de ne nous avoir guère enseignés, d’avoir maintenu jusque là un défaut
d’intelligibilité. Or, on persiste à oublier de prendre en compte son extrême
jeunesse, à quel point sa naissance fut éprouvante, ainsi que l’infinitésimal
laps de temps écoulé depuis que l’intellect humain est suffisamment étayé pour
faire face au travail à accomplir.
[…]
Non, notre
science n’est pas une illusion. Mais, par ailleurs, ce serait une illusion de
croire que nous pourrions obtenir d’elle ce qu’elle ne peut nous offrir.
ø
Lettre de Freud à Romain Rolland, le 4 mars 1923
Cher Monsieur
C’est avec
grand plaisir que je garderai à jamais en mémoire cet échange de salut avec
vous. Car votre nom est lié pour nous à la plus précieuse parmi les belles
illusions, celle de l’universalité de l’amour chez tous les êtres humains.
Je
participe en effet d’une race [“espèce”, j’actualise] à laquelle les nations imputent leurs successives épidémies et à qui aujourd’hui
l’Autriche fait porter la responsabilité de la décomposition de l’Empire, et
l’Allemagne, la perte de la guerre. De telles épreuves érodent les illusions et
altèrent la tendance à y croire. De plus, une grande partie de ma vie de
travail (je suis de dix ans plus âgé que vous) fut occupée à dissoudre mes
propres illusions et celles du genre humain. Cependant, si cet espoir
d’universalité renonce à se réaliser, ne serait-ce qu’approximativement, si, au
cours de l’évolution nous n’apprenons pas à détourner nos semblables de nos
pulsions de destruction, si nous persistons à nous haïr les uns les autres à
cause de minimes disparités et à nous tuer pour d’insignifiants profits [cf. “bénéfices secondaires”], si nous ne
cessons d’exploiter les progrès majeurs effectués dans la maîtrise des forces
de la nature à seule fin de nous anéantir mutuellement, à quelle perspective
d’avenir devrons-nous nous attendre ? Il est vrai que nous avons les plus
grandes difficultés à assurer la perpétuation de notre
espèce dans le conflit qui oppose notre nature aux exigences que requiert la
civilisation.
Mes écrits
ne peuvent pas être ce que sont les vôtres : baume et consolation. Cependant,
s’il m’est permis de penser qu’ils ont éveillé votre intérêt, puis-je vous
adresser un petit livre qui n’est peut-être pas encore connu de vous - « Massenpsychologie und Ich-Analyse » [cf. l’expression
“Die Masse der Bevölkerung”, la masse de la
population] - publié en 1921. Non que je tienne cet écrit pour
particulièrement réussi, mais il ouvre la voie qui mène de l’analyse de
l’humain singulier à un meilleur entendement de la société.
Cordialement
votre
Freud
ø
« Nouveau cycle de conférences d’introduction à la psychanalyse »
Über eine Weltanschauung
La philosophie
[…]
La philosophie n’est pas l’antithèse de la science, elle procède selon le même modèle, emprunte partiellement aux mêmes méthodes, mais elle s’en écarte dans la mesure où elle s’accroche à l’illusion de pouvoir fournir une vision du monde cohérente et sans lacune, laquelle en vient pourtant à s’effondrer à chaque nouvelle avancée de notre savoir. Si bien qu’elle s’égare systématiquement en surévaluant la portée épistémologique de nos opérations logiques, et de plus, en validant d’autres théories de la connaissance dont les sources sont aléatoires, celle de l’intuition par exemple. De telle sorte qu’assez souvent, l’on admet que la moquerie du poète (H. Heine) n’est pas sans fondement, lorsqu’il dit du philosophe :
Avec ses bonnets de nuit
et des lambeaux de sa robe de chambre
Il bouche les trous de l’édifice du monde.
In « De retour », LVIII
ø
Les sœurs de Freud
in
Max Schur
La mort dans
la vie de Freud
[N. B. Aux lectrices et lecteurs
intéressés • J’ai été enchantée de recevoir les excellentes
impressions de correspondants à mes envois d’extraits de Freud. Ces
extraits et bien d’autres figurent depuis 1987 dans mon livre intitulé «
Travaux 1967-1987 », diffusé également en 1987 auprès de psychanalystes alors
abonnés, en 200 exemplaires. Ci-dessous, pour les personnes amatrices de calomnies
envers Freud, répandues largement dans le public par des auteurs philosophes,
un petit extrait au sujet des sœurs de Freud. Dans
mon livre précité, l’on trouvera aussi, au cas où cela intéresserait, des
extraits d’écrits de Françoise Dolto, dont celui où elle se démarque de Lacan
au sujet du « Stade du miroir ». Ce texte figure aussi sur notre site
ainsi que la plupart des travaux de notre association et les miens. Micheline Weinstein]
Bien que cela
n’ait pas de rapport avec le sujet de mon livre, peut-être est-ce le moment
d’évoquer 1’« épisode du Dr Sauerwald », car il se peut que le sort
de Freud en ait dépendu. Après l’Anschluss,
chaque entreprise eut son «
Nazi-Kommissar ». C’était souvent un ancien employé ou quelqu’un qui
connaissait bien l’affaire ou l’industrie en question. Le fait que Sauerwald,
docteur en chimie, soit devenu le commissaire du Psychoanalytischer Verlag est une de ces malices du destin. Au
début, il se conduisit comme la « vraie brute » qu’il était censé être, il
était plein de haine et de mépris. Il critiquait sévèrement les Drs Hartmann
et Sterba - qui n’étaient pas Juifs - de s’être mêlés à des « jüdische Schweinereien [obscénités
juives, de “schwein”, “porc”] ». Mais
petit à petit les choses changèrent. Comme son « travail » l’ennuyait, il se
mit à lire les œuvres de Freud, par curiosité d’abord, puis par intérêt pour
des travaux qui l’impressionnaient. Ce fut ensuite la personnalité même de
Freud qui le frappa. Grâce à ce changement, il devint extrêmement utile ; il
usa de l’influence considérable qu’il avait auprès des nazis pour faciliter
l’émigration de Freud, de sa famille et de son entourage immédiat. Il agit en
collaboration constante avec le Dr Indra, l’avocat « nazi » de Freud
(qui n’était nazi que de nom). Vers la fin, nous apprîmes que Sauerwald avait
effectivement découvert le document prouvant que Freud avait de l’argent à
l’étranger mais qu’il l’avait caché, risquant ainsi sa propre sécurité. Un jour
que les gens de la Gestapo s’étaient montrés assez irrespectueux à l’égard de
Freud, il s’en excusa auprès d’Anna en lui disant : « Que pouvez-vous espérer ? Ces Prussiens ne savent pas qui est Freud » (le vieil antagonisme entre Prussiens et Autrichiens ne s’était jamais
complètement effacé. Il est comparable à celui qui opposait Yankees et
Confédérés). Plus tard, il surveilla personnellement l’emballage des affaires
de Freud, notamment de ses livres et de sa collection d’objets d’art. Après le départ
de Freud, il s’occupa de ses sœurs âgées et leur rendit souvent visite (ce
n’est qu’après qu’il eût été incorporé dans l’armée allemande que celles-ci
furent envoyées dans des camps d’extermination).
Un jour de 1939,
le Dr Sauerwald fit son apparition à Londres ; personne ne savait
pourquoi il était là. Peut-être était-il en mission officielle ou bien
faisait-il de l’espionnage. Il alla voir Alexander (le frère cadet de Freud)
pour prendre des nouvelles de Freud. Alexander lui demanda de but en blanc la
raison de cette attitude, si contraire au comportement général d’un nazi.
Sauerwald lui raconta cette stupéfiante histoire : la police viennoise l’avait
engagé comme expert en explosifs. Mais il fabriquait lui-même des explosifs
pour le compte des organisations secrètes nazies en Autriche. C’est ainsi
qu’après chaque explosion il recevait pour les examiner les explosifs dont il
était le fabricant ! Il s’était ainsi acquis la réputation de faire des
analyses techniques rapides et précises.
Lorsque Alexander
Freud lui demanda comment il pouvait concilier sa Weltanschauung [idéologie] nazie avec sa considération pour Freud
et sa famille, il s’expliqua par une rationalisation typique chez les « bons »
nazis : « Le Führer qui, naturellement,
est le mieux placé pour en juger, s’aperçoit que le Vaterland [patrie] est en état de siège. Du fait de leurs
penchants internationalistes et de leur tendance à l’individualisme, les Juifs
ne peuvent pas constituer un élément sûr de la population. Ils doivent donc
être éliminés. C’est peut-être déplorable, mais la fin justifie les moyens.
Cela ne veut pas dire cependant qu’un individu n’ait pas le droit d’alléger les
épreuves d’un autre individu dans certains cas bien choisis. »
Jones raconte
que Sauerwald avait étudié la chimie avec le professeur Herzig, l’un des vieux
amis de Freud, et qu’il accordait à Freud le respect qu’il avait conçu pour son
vieux professeur. Cela n’explique pas en soi le changement d’attitude de
Sauerwald et son intention de plus en plus évidente de se rendre utile. J’ai
toujours pensé qu’il faisait partie de ces gens devenus nazis « par conviction
», qui, peu à peu, ont développé des sentiments de culpabilité et ont essayé de
composer avec leur conscience en se conduisant « décemment » chaque fois que
les circonstances le permettaient. Mis à part l’impression produite par Freud
lui-même, ce facteur a pu jouer un rôle.
Pendant la
guerre Sauerwald fut blessé et contracta la tuberculose. Il fut jugé par le
gouvernement autrichien comme criminel de guerre. Marie Bonaparte et Anna Freud
ont signé des déclarations en sa faveur qui ont facilité son acquittement.
Cela fait part
de ces curieux incidents où le « hasard » a peut-être sauvé Freud et tous ceux
qui l’entouraient, y compris ma famille et moi-même.
Les sœurs de Freud (suite...)
In
Peter Gay
Freud • Une vie
19 mars 1938
Freud souleva d’autres
difficultés. Comme le télégraphie Wiley, le 19 mars
1938, secrétaire d’État, il veut partir avec toute sa famille, y compris ses
gendres et sa belle-sœur, ainsi que son médecin personnel et la famille dudit
médecin soit seize personnes. Ce qui est - répond télégraphiquement Bullitt à Wiley - “absolument au-delà des moyens à ma disposition”, et il
pense que même Marie Bonaparte ne sera pas en mesure de financer la caravane de
Freud. Il offre dix mille dollars, mais “ne peux (je répète, ne peux) dépasser cette somme”. Wiley répond que “Freud projette aller Angleterre. Stop.
Précise unique question visa sortie.” De plus, les choses s’arrangeaient et les
secours s’organisaient. “Arrivée Princesse”, rapporte Wiley à Bullitt, et “aussi Mrs Burlington [Burlingham]”. L’épineuse question d’argent devint
secondaire ; il s’agissait maintenant de faire obtenir à Freud l’autorisation
de sortie.
Commença un subtil ballet télégraphique dans la stratosphère diplomatique. Jones
mobilisa ses amis. Sir Samuel Hoare, ministre de
l’Intérieur, et Earl De La Warr, garde des Sceaux,
pour qu’ils procurent à Freud et à sa fille des permis de séjour, ce qui était
loin d’être évident, ou même facile ; mais les alliés de Jones au gouvernement
promirent leur aide. Cependant, les dirigeants de l’Autriche nazie n’en avaient
pas encore fini avec la famille Freud. Le 22 mars, Wiley télégraphie à son secrétaire d’État, “à l’intention de Bullitt”,
que von Stein, le puissant “conseiller allemand” à
Vienne, envisage la question “du départ de Freud avec Himler (sic)”. “J’ai souligné qu’en raison
de son âge et de sa mauvaise santé, Freud exigeait des égards particuliers à la
frontière.” Mais à deux heures de l’après-midi, Wiley télégraphie aux mêmes : “Anna Freud arrêtée”.
Juin 1938
Quatre sœurs de Freud sont
restées à Vienne. Freud leur a laissé cent soixante mille shillings - soit plus
de vingt mille dollars, une somme considérable. Pourtant, dans cette Autriche
soumise au brutal régime nazi, l’incertitude règne, et on ignore ce qu’il
adviendra de cet argent, encore moins ce qu’il adviendra des quatre vieilles
dames.
Freud à Marie Bonaparte, 12 novembre 1938, Briefe, p. 471
Durant
quelques mois du moins, les sœurs de Freud reçurent la mensualité qu’il leur
avait assuré. Voir Freud à Anna Freud, 3 août 1938,
Freud Collection, LC.
[...] “Ces derniers événements
affreux en Allemagne, écrit [Freud] à Marie Bonaparte, aggravent le problème de
savoir que faire pour les quatre vieilles femmes âgées de soixante-quinze à
quatre-vingts ans”, ses sœurs restées à Vienne. Et il lui demande si elle peut
les faire venir en France. Marie Bonaparte s’y emploie énergiquement, mais la
bureaucratie, et l’époque tout entière, jouent contre elle.
23 août 1939
Rosa Graf à Elsa Reiss, s. d. (23 août 1939),
Freud Collection, B2, LC
Plus tard dans le mois, ses
sœurs apprennent à Vienne que le “cher vieil homme ” ne va pas bien. “On dit
qu’Anna, confie sa tante Rosa Graf dans une lettre, fait des choses
extraordinaires pour aider son père.” Écrivant une semaine avant que n’éclate
la guerre, elle rapporte que les visas français, malgré la “haute influence” du
bon ami de son frère, à Paris, ne sont pas encore arrivés.
In
Elisabeth
Young-Bruehl
Anna Freud
Mars
1946
Anna Freud à Katá Lévy, 8 mars 1946
Anna
Freud avait en sa possession une lettre sur le sort de ses tantes adressée par
le Israel Kultursgemeinde Wien au Dr Robert Pfeiffer de Vienne, datée du 10 décembre 1953.
La nouvelle de la mort d’Eva
parvient à Londres juste avant la lettre de la Croix-Rouge concernant les
quatre sœurs aînées de Freud. « Nous
avons eu les premières nouvelles au sujet des tantes, et elles n’auraient pas
pu être pires », écrit Anna à Katá Levy en mars
1946. À ce qu’on sait, cette terrible lettre de la Croix-Rouge disait que les
sœurs de Freud avaient toutes été victimes des nazis en 1942, Marie dans le
camp de Theresienstadt, Dolfi,
Rosa et Pauline dans ceux où elles avaient été transférées après Theresienstadt. (Ce n’est que des années plus tard qu’on
retrouvera des documents précisant que Rosa est morte à Auschwitz et ses deux
sœurs à Treblinka.) La nouvelle consterne la famille et les proches.