Psychanalyse et idéologie

Film de Rudolf van den Berg

SÜSKIND

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Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte

Samuel Beckett • « L'Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object.

Samuel Beckett • “The Uspeakable one”
Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

Ø

Personne n'a le droit de rester silencieux s'il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l'âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s'adresse à l'idéologie qui, quand elle prend sa source dans l'ignorance délibérée, est l'antonyme de la réflexion, de la raison, de l'intelligence.

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Sortie, le 19 janvier 2012, du film de

Rudolf van den Berg

« SÜSKIND »


Pour l'annonce et des extraits du film, se reporter à l'adresse suivante

http://www.youtube.com/watch?v=sSCdD9lzGNY

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Chère Micheline

 

Nous regrettons beaucoup de ne pouvoir venir à Paris pour voir l'exposition « Sauver les enfants » qui, comme tu le sais, nous intéresse de très près. 

Ce même mois de janvier, on peut assister ici à la première du film « Süskind ». C'est l'histoire vraie d'un Juif d'Allemagne (Walter Süskind), qui a pris, en 1942, la lourde responsabilité de l'organisation du « Hollandsche Schouwburg » en Amsterdam. Le « Théâtre Hollandais » était en ce temps-là le centre de regroupement des Juifs avant leur déportation. Walter Süskind a usé de sa position pour faire échapper de nombreuses personnes, notamment beaucoup de bébés et d'enfants en bas âge, dont moi qui étais un petit garçon de deux ans (avec les enfants du livre « À la bonne adresse »).

Je t'envoie le “trailer”. Un film de fiction, bien qu'établi sur une histoire vraie, ne peut évidemment pas rendre compte de la vérité nue de la Shoah, mais je pense que ce film est capable de témoigner d'une toute petite part de ce qui s'est passé.

Nous sommes très heureux avec nos enfants et les huit petits-enfants et nous espérons te revoir bientôt.

Max et Maartje Arian

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Rudolf van den Berg réalise un drame de guerre de choc sur Walter Süskind

par

Steven Musch* et Max Arian

[in De Groene Amsterdamer] 

« Ce film n'était pas censé exister »

Rudolf van den Berg (1949) est un cinéaste Néerlandais de premier plan et souvent primé qui a réalisé des documentaires et des longs-métrages tels « De Avonden » (« Le Soir », en 1983) et « Tirza » (2010, à partir du livre d'Arnon Grunberg). L'identité juive est un thème récurrent dans nombre de ses films, ainsi dans « Bastille » (1984) et dans son premier film « La Place de l'étranger », documentaire dans lequel il interroge ce que signifie pour lui être Juif. Certains de ses films avaient pour sujet les conséquences de l'Holocauste après la Seconde Guerre Mondiale, il n'avait toutefois pas osé jusqu'à présent réaliser un film sur la Shoah. Il a pris ce risque avec Süskind, un film-choc.

Rudolf van den Berg - En effet, par une sorte de sentiment inexplicable, j'ai souvent fait des films et des documentaires sur les conséquences de l'Holocauste. Le thème de l'Holocauste me ronge et surtout son incompréhensibilité. J'ai passé ma vie à lire sur ce sujet, à en parler, à voir les films. C'est à tous les niveaux que mon identité juive et les séquelles de l'Holocauste jalonnent ma vie. Seulement je craignais que l'Holocauste soit quelque chose de trop difficile à réaliser.

 Depuis longtemps déjà j'aurais pu concrétiser le projet de tourner ce film sur Walter Süskind. L'idée est née il y a dix ans. J'étais alors à un point très difficile de ma carrière, après avoir réalisé un nombre raisonnable de films à succès. Mais j'avais bien conscience - j'étais réaliste - qu'un grand projet comme celui-ci m'était impossible à mettre en œuvre immédiatement.

Le drame de guerre Süskind se déroule pendant l'Occupation allemande aux Pays-Bas. La communauté juive d'Amsterdam, après avoir été regroupée dans le « Hollandsche Schouwburg » (« Théâtre hollandais », rebaptisé en 1941 Joodsche Schouwburg, Théâtre aux Juifs), est systématiquement expulsée vers les camps d'extermination. Walter Süskind, Juif Allemand, en tant que délégué du Conseil Juif CAL, est chargé de faire en sorte que les choses se passent le plus souplement possible. Süskind se met alors en danger, il se fait agent double auprès du responsable en chef des persécutions juives, le SS Aus der Fünten. Cela permettra à des centaines de personnes - surtout des enfants - d'être sauvées.

Van den Berg - Dans ce film, j'ai enfin pu exprimer mes sentiments de stupéfaction sur l'Holocauste. Si le sujet essentiel du film est la résistance juive aux Pays-Bas, j'ai néanmoins pensé qu'un film comme celui-ci devait également essayer d'être clair sur la mécanique raffinée mise en place par les nazis, leur approche diabolique, préalables à la destruction des Juifs. Non seulement cette histoire est émouvante et éprouvante, mais de plus, Walter Süskind mériterait une stèle à sa mémoire.

Süskind n'est pas un film “de plus” sur la Shoah. Avec Süskind, j’ai essayé de témoigner d'un processus qui a occupé ces dix dernières années de ma vie.

Rudolf van den Berg est l'un des plus grands réalisateurs néerlandais. Il a vécu pendant des années à Amsterdam - dans un vieux magasin proche de l'un des canaux.

Van den Berg - Pour gagner l'intérêt des financiers, des producteurs et des distributeurs, il est absolument nécessaire de résumer l'histoire de Süskind en quelques mots. Walter Süskind n'était pas un héros, il ressemblait à un homme sans grande originalité. Il n'est donc pas surprenant qu'à cette époque beaucoup l'aient considéré comme un traître.

Walter Süskind (interprété par Jeroen Spitzenberger) doit faire face à des choix moraux très difficiles. À un moment du film il dit au résistant Piet (Tygo Gernand) - “Combien d'enfants vais-je pouvoir sauver ?” Piet - “Arrêtez de travailler pour les Allemands et pas un enfant ne s'en sortira.” Süskind - “Dans l'obscurité je vois tous ces visages devant moi, tant de gens que l'on déporte quand-même.” C’est le dilemme dans le film, si Süskind ne continue pas à travailler pour les Allemands, il ne pourra pas sauver les enfants, même s'il ne les sauve pas tous - ni quelques adultes.

Van den Berg - Tout en tournant Süskind, je me suis trouvé confronté, moi aussi, à un dilemme. Par exemple, je voulais que le film ne dévie pas de la vraie histoire. Mais dans le même temps, je voulais intéresser un large public. Certains aménagements étaient donc nécessaires. Pour que le film soit compréhensible, il fallait simplifier certaines choses.

Dans une scène, Walter Süskind est invité par le SS Aus der Fünten à une partouze dans un bordel, où des jeunes filles juives sont contraintes de travailler pour la SS. Süskind parle avec une prostituée, elle lui apprend ce qui se passe réellement pour les juifs que l'on expédie en masse au“transport”.

Van den Berg - Le bordel SS avec des filles juives a réellement existé. J'ai vérifié et revérifié. Ça, c’était quelque chose que je n'aurais jamais osé inventer.

[...]

Le danger avec un film comme celui-ci est la quetion-piège du “good guy” (brave type), Süskind, contre le “bad guy” (sale type), Aus der Fünten. Ce n'est pas si simple, car si l'on s'y laisse prendre, alors le film perd en profondeur. 

Ce Aus der Fünten est comme une “tache blanche, à l'encre sympathique” dans l'histoire. Les seules traces que Van den Berg a recueillies de lui sont qu'il fumait des cigares et buvait avec Süskind. Mais pourquoi il le faisait, Van den Berg l'ignore, ce qui ne justifie pas de donner un sens particulier au film. L'historien Presser a écrit que Aus der Fünten “détestait que l'on frappe des Juives dans la rue” .** Cela, Van den Berg l'a utilisé pour composer le personnage de Aus der Fünten.

Van den Berg - J'ai essayé de créer un contraste entre Aus der Fünten et Willy Lages (le SS à la cicatrice sur le visage). Lages dans le film est un intellectuel aristocratique, Aus der Fünten est une sorte de garçon de ferme isolée, qui est méprisé par Lages et cela l'oppresse [...] Alors, j'ai essayé de montrer pourquoi il est sensible aux charmes de Süskind. Dans le théâtre, ils écoutent la musique de Mahler et Aus der Fünten dit que sa mère était femme de ménage d'une famille juive, où l'on jouait Mahler. Je trouve cette réplique représentative, parce qu'il y a tout un monde derrière. Tout au long du film, Aus der Fünten reste très attaché à Walter Süskind et se sentira donc trahi, quand il apprendra que Süskind a joué un double jeu.

[...]

Ce film est en fait celui que j'ai voulu faire toute ma vie. Non par devoir moral, mais chaque fois que je réalise ce qui s'est passé il y a 70 ans, me vient à l'esprit : tu dois crier cela, personne ne doit l'ignorer.

Le réalisateur n'a pas lui-même vécu la guerre. Ses parents juifs ont pu se cacher pendant l'Occupation et ont survécu. C'est en 1949 seulement, bien après l'Occupation, qu'ils se sont rencontrés et c'est ainsi que Van den Berg est né à Rotterdam.

Van den Berg - Peut-être aussi ai-je fait inconsciemment Süskind pour savoir ce que mes parents ont traversé. C'était le plus important de toute ma vie. Non parce que mes parents m'ont bombardé d'histoires effrayantes. Au contraire, ma mère m’a surtout raconté des histoires drôles sur la clandestinité et s'est montrée la moins dramatique possible sur la guerre qui, pourtant, occupait une grande place dans notre famille. Il m'a toujours semblé que mes parents en ont retiré que vous ne pouvez faire confiance à personne.

Dans mes jeunes années, j'ai réalisé plusieurs documentaires et j'ai fait beaucoup de débats à ce propos. En mûrissant, j'ai acquis une sorte de sympathie pour la méfiance de mes parents envers le monde entier. Toutefois, mes arguments n'ont pas convaincu mon père. Mon père n'était pas religieux, mais il était quand même très très juif. Quand j'ai fait le documentaire controversé sur mon identité juive,  « La Place de l'étranger », nous avons coupé tout contact pendant un an et demi. Il a nommé ce documentaire tout simplement Jüdische Selbhass (haine du Juif en soi).

[...]

Je suis naturellement très heureux que sÜskind semble rencontrer un certain succès. Mais d'autre part je pense aussi : le film n'aurait pas dû être tant le sujet est insupportable. Cette chose dans l'histoire du monde et des hommes n'aurait pas dû arriver...

*   Steven Musch est un très jeune journaliste. Il est le petit-fils de Gerard Musch, l'un des chefs du réseau « Société Anonyme », dont le lecteur trouvera témoignage dans le livre de Bert Kok, « À la bonne adresse ».

** Note de M.W. • Je n'ai pas encore vu le film en entier, seulement des extraits. Était-ce un témoignage de compassion pour ces jeunes filles, de la part du SS Aus der Fünten, qui appréciait leurs appas au bordel ? Ou bien était-ce parce que la maltraitance se pratiquait publiquement et que cela le gênait ? Nous nous souvenons qu'à partir de la mise en œuvre concrète du plan d'extermination, les nazis ont tout fait pour camoufler et effacer les traces de leurs exactions... Ou encore les deux...

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ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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