Projection • B) Dans le sens psychanalytique,
opération par laquelle le sujet expulse
de soi et localise dans l'autre, personne ou chose,
des qualités, des sentiments, des désirs,
voire des « objets », qu'il méconnaît
ou refuse en lui. Il s'agit là d'une défense
d'origine très archaïque et qu'on
retrouve à l'œuvre particulièrement
dans la paranoïa mais aussi dans des modes
de pensée « normaux » comme
la superstition.
Vocabulaire de la Psychanalyse
Sous la direction de Daniel Lagache
J. Laplanche et J. B. Pontalis • PUF
Nous
ne reprendrons pas ici les décisions actuelles,
discutables dans les termes, positivement et négativement,
du Président de la République, au
sujet des sanctions prévues en cas de délinquances
violentes, mineures et majeures.
[Un point discutable : comment des parents qui ne parlent pas aisément
le français, peuvent-ils faire état
d'une quelconque autorité sur leurs enfants
nés dans la langue française ?]
Tenons-nous-en
à notre propos, puisque les commentaires
audio-visuels et de la presse, par des professionnels,
de personnalités républicaines inattaquables
- Robert Badinter, précisément sur
le projet saugrenu de suppression de la nationalité
-, permettent à chacun et à chacune
de réfléchir aux nombreux écueils
que font apparaître ces arbitrages, et ainsi
de prendre position.
Ce
qui nous préoccupe, c'est l'utilisation,
qui nous semble déraisonnable, littéralement
projetée, par certains locuteurs,
au moyen d'une dégringolade de slogans
indignés, et qui étrangement n'émanent
pas de sensibilités idéologiques
et politiques auxquelles nous nous attendrions.
Rabattre
ces décisions aux Lois raciales de Pétain
en 1940, ce qui revient à comparer Nicolas Sarkozy
à ce Maréchal, voilà qui
nous fait chavirer dans les eaux d'un marigot
renversé du sens.
Certes,
comme ne manque pas de le tonitruer le FN, Nicolas
Sarkozy, et combien en France, sont fils et filles,
petits-fils et petites-filles, voir arrières
petits-fils et filles, d'immigrés juifs,
demi ou quart de juifs, de convertis anciens ou
plus récents, de pourchassés d'Europe
de l'Est, d'Allemands communistes, sociaux-démocrates,
Juifs et non-Juifs, d'Italie, d'Espagne, d'Afrique
du Nord, de Tziganes, Roms, Gitans, d'Alsace,
de Lorraine, du Comtat-Venaissin, du Sud-Ouest,
de la Creuse et de partout, sédentaires
ou itinérants, ouvriers, paysans, notables,
intellectuels, artistes, de toutes conditions,
des plus riches aux plus pauvres, dont une carte
géographique parue dans la presse, dès
1936, nous montre crûment une certaine France
qui se propose et enjoint de les exclure, de les
bouter hors du pays. Qu'ont-elles à
voir, ces populations, avec la délinquance
?
Ce
sont ceux et celles-là, dont les parents
et eux-mêmes, des êtres humains simplement,
n'ayant aucune espèce d'affinité
avec la délinquance, mus par l'espoir de
se voir intégrés à la vie
civile, militaire ou religieuse, parmi lesquels
d'ailleurs nombre de résistants, qu'en
1940 les Lois raciales étiquetaient “criminels”.
Jusqu'aux bébés juifs, désignés
comme “terroristes”, pour justifier
leur déportation.
Depuis
un peu plus d'une trentaine d'années, progressivement
les conduites aussi bien que le vocabulaire, procèdent
par projection de concepts [i.e. représentation
psychique, générale et abstraite,
d'un “objet”de pensée, concret
ou abstrait], de signes, de sigles, appliqués
jusque-là à des événements,
des situations, des valeurs bien spécifiques, de la part de populations diverses en difficultés
réelles d'intégration. Ainsi emprunte-t-on
par exemple, pour n'en relever que quelques-uns,
les termes de “catastrophe” - Shoah
en hébreu -, de “nazis” appliqués
aux Israéliens, voire de “génocide”
qui implique - bien que ne figurant pas sur la
définition forgée en 1944 -, la
vivisection “scientifique”, pratiquée
sur des êtres humains parlant et pensant...
plus généralement, celui de [manque
de] “respect”, que l'on se voit rétorquer
avant même que notre bouche ait eu le temps
d'émettre un pacifique vocable... accompagné
d'insultes toutes catégories, parfois d'atteintes
physiques, préférentiellement et,
il faut bien le dire, lâchement, quand ce
n'est pas en “bandes”, projetées
elles aussi, sur des personnes supposées
vulnérables etc.
Ce
n'est pas tant le Président de la République
et les siens qui, vraiment mal inspirés,
ont cherché à siphonner les voix
de l'extrême-droite que, bien davantage,
les idéologues ci-dessus évoqués,
aux discours lénifiants, “bénis-oui-oui”
sociologiques, empêtrés dans leur
déni de prendre en compte la montée
d'une violence et d'une criminalité ayant
formé, là, maintenant, une poudrière
difficilement maîtrisable, qui ouvre au
FN une bien vaste perspective.
Il
suffit d'écouter ce qui se dit, dans la
rue, en privé, en public, dans tous les
“milieux”... Tout le monde en a marre.
Ce qu'il reste à trouver est : comment
endiguer cette hémorragie sans laisser
s'installer une répression indifférenciée,
sauvage et incontrôlable, appelée
de ses vœux par le FN.
En
votant pour Strauss-Kahn ? qui, s'il est “de
gauche”, alors nous voulons bien être
pendus, comme on dit. Qui, avec son appétit
de l'argent, rendrait antisémites les mieux
intentionnés, qui, tout bon économiste
soit-il, au plan de l'éthique, pour employer
un grand mot, n'a vraiment rien d'un Mendès-France.
Tous
les 6 / 7 ans environ, je relis tranquillement,
et en ce moment-même, les deux tomes de
« L'histoire
de l'antisémitisme » de
Léon Poliakov, tout comme je lis Freud,
mais quotidiennement. Des choses nous échappent
toujours. Par exemple, toutes ces années,
j'avais laissé passer Louis XVI, qui préparait,
je cite un extrait de Poliakov, “un édit
pour améliorer la condition des Juifs,
après avoir réformé celle
des protestants, [lequel] édit spécifiait”,
« ... qu'il répugne aux sentiments que nous étendons
sur tous nos sujets, de laisser subsister à
l'égard d'aucun d'eux une imposition qui
semble avilir l'humanité. »
Louis
XVI n'a, comme nous savons, eu ni le temps, ni
la possibilité de contrer le Parlement
de Paris, opposé à cet édit,
“estimant qu'il était”,
« infiniment dangereux par ses conséquences parce qu'il comporterait
la reconnaissance publique que les Juifs ont un
droit d'habitation dans le royaume. »
« L'histoire de l'antisémitisme », commence par une analyse de fond de chacune
des 3 religions monothéistes, leurs interactions,
leurs influences, et puis, pays par pays, région
par région. Poliakov décrit sous
tous ses aspects l'évolution spécifique
de la destinée éternellement itinérante
des Juifs parmi leurs semblables humains au cours
des siècles, mais aussi les conversions,
les inimitiés intestines séculaires,
notamment entre sépharades et ashkenases,
entre les courants religieux, voire sectaires
et progressivement, grâce principalement
aux « Lumières »,
les courants de plus en plus, selon la conception
de l'époque, “libéraux”,
il met à nu l'apparition des « Juifs
de Cour », celle des Juifs antisémites,
le peu de considération et la condescendance
que les parvenus portaient - et continuent de
porter - à leurs contemporains moins chanceux,
autrement dit aux populations confinées
dans la misère du stethl
ou du ghetto, où qu'ils se trouvent, les
places auxquelles, malgré l'évolution
des idées et des mœurs, on assignait
répétitivement les Juifs, leur espoir
sans cesse écroulé d'assimilation,
d'intégration... et ce, jusqu'à
la Shoah.
Il
est surprenant que «
L'histoire de l'antisémitisme »
de Poliakov ne soit pas enseignée
avant toute chose à partir du secondaire
et que les historiens, les intellectuels, les
éditeurs, les penseurs de tous horizons,
laïques et religieux et intermédiaires,
les psychanalystes - Poliakov tient le plus grand
compte de la théorie freudienne -, Juifs
et non-Juifs, ne commencent pas leurs réflexions,
leurs analyses sur, en général,
la xénophobie, par cette étude magistrale.
Car,
au terme de cette lecture, l'on se dit honnêtement
que rien, depuis la fin de la guerre, depuis la
création de l'État d'Israël,
pas même depuis 1967, n'a véritablement
bougé dans l'esprit humain. Si bien que,
pour apprécier les quelques centaines d'auteurs,
non-Juifs mais aussi Juifs le plus souvent convertis,
qui, au cours des siècles, ont marqué
l'histoire de leur géniale empreinte -
par exemple, Voltaire, mentor spirituel de Céline
pour ce qu'il en est de leurs obscènes
éructations antisémites -, il est
absolument obligatoire et sain, pour ne pas désespérer,
de cliver, de laisser volontairement de côté,
dans leurs œuvres,“la question juive”.*
[Pour
qui est intéressé, à propos
de l'État d'Israël qui, notons-le
au passage, est un exemple de démocratie,
bien qu'il soit devenu dans l'ensemble un État
comme les autres, on peut lire dans « Marianne
» de cette semaine, deux “billets”
limpides. L'un, de Guy Konopnicki, intitulé
« La France collante », qui espérait,
“...oublier à l'étranger
les comédies grotesques du pouvoir... ”
; l'autre de Élie Barnavi, «
Du kibboutz et de “l'hypothèse communiste”
qui, “contrainte, se noie dans le sang
; libre, elle se heurte à la nature humaine.”
»
Dans
un domaine plus limité, celui de la psychanalyse,
le livre de Poliakov, nous amène par ailleurs,
à la lumière des informations historiques
complémentaires qu'il nous offre, à
analyser autrement le travail, jalonné
de doutes et de spéculations, auquel Freud
tenait tant, celui sur son « Moïse...
», avec sa nécessité de mettre
en scène deux Moïse, l'un Juif, l'autre
Égyptien.
Pour
les kabbalistes, “initiés”
et autres alchimistes - mais Freud en avait-il
connaissance ? -, le problème est simplifié,
Moïse était un scribe Égyptien,
fils de la princesse royale, connu sous le nom
de Hosarsiph - ? je n'ai pas trouvé trace
de la signification exacte de ce prénom
ni dans quelle langue -, devenu après son
crime, guide des Hébreux, des “bannis”.
Mais
revenons sur terre où nous attend un autre,
petit, livre précieux, qui nous décrit
en 1929 la provenance possible de la famille paternelle
galicienne de Freud, d'une terre d'atroce misère
et de pogroms, là-bas, dans la Pologne,
Le Juif Errant est arrivé
par
Albert Londres
Arléa 2010
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