Chronique
de Miguel Garroté
publiée par
Israël
Infos le 20 mars 2009
L’antisémitisme
“honorable”
Jean Amery (alias
Hans Mayer) a publié cet article le 25
juillet 1969 dans le journal Die Zeit.
Cet article est maintenant publié sur Primo
et il surprend tant par son actualité que
par le style de ce grand écrivain que fut
l’auteur de « Par delà le
crime et le châtiment ». Jean
Amery, un des plus grands écrivains autrichiens,
plus connu sous son vrai nom, Hans Mayer, est
né à Vienne le 31 octobre 1912.
Il fut opposant au régime nazi et rescapé
d’Auschwitz.
« Le phénomène
classique de l’antisémitisme revêt
un manteau neuf. L’ancien reste en place,
une forme de coexistence dirons-nous. Ce qui a
été reste et restera : le Juif au
nez crochu et aux jambes torses qui devant n’importe
quoi – que dis-je ? – qui devant tout
prend ses jambes à son cou. Et c’est
ainsi que le montrent les affiches et les tracts
de la propagande arabe, matériel auquel
doivent bien contribuer des hommes bruns autrefois
de langue maternelle allemande, dissimulés
aujourd’hui sous des noms arabes.
Quant
aux nouvelles représentations du Juif,
c’est juste après la guerre des six
jours qu’elles ont fait leur apparition
sur la scène où elles s’installent
peu à peu : c’est l’image de
l’oppresseur israélien qui, du pas
triomphant des légions romaines, s’empare
de la terre de palestiniens pacifiques.
L’anti-Israël,
l’anti-sionisme, dans la plus pure continuité
avec l’antisémitisme d’antan
: aucune contradiction entre l’oppresseur-légionnaire
au pas fier et le poltron aux jambes torses. Comme
ces images se ressemblent ! Ce qui est nouveau,
c’est la colonisation de la gauche par l’antisémitisme
sous le masque de l’anti-Israël.
Autrefois
c’était le socialisme des imbéciles.
Aujourd’hui, il s’agit d’en
faire une partie intégrante du socialisme,
si bien que tout socialiste se fait imbécile
de son plein gré. Le processus se donne
déjà à lire dans l’ouvrage
de Givet paru il y a déjà plus d’un
an chez Pauvert, La Gauche contre Israël.
Mais il suffit pour trouver des précédents
de lire par exemple l’un des reportages
paru dans le journal Konkret sous le titre "Le
troisième front" avec cet intertitre
: Israël est-il un état policier ?
Question bien évidemment purement rhétorique
puisque c’est ce qu’il est.
Et
le napalm sur les maisons de paisibles paysans
arabes, et les pogromes d’arabes dans les
rues de Jérusalem. Et on s’y connaît
! C’est comme au Vietnam ou comme ce fut
le cas en Algérie. Le trouillard aux jambes
torses se présente maintenant comme un
Goliath qui répand la terreur. Après
les partis communistes plus ou moins orthodoxes
de l’Occident et après les pays du
camp socialiste, pour qui, sur fond de l’antisémitisme
traditionnel des peuples slaves, l’anti-Israël
entre dans la stratégie et la tactique
d’une certaine constellation politique,
ce discours est devenu le discours de toute la
gauche. Les étoiles ne mentent pas ; les
Gomulka savent sur quoi ils peuvent tabler : C’est
de bonne guerre!
Et là-dessus, pas
un mot à retirer. Le pire, c’est
que la gauche intellectuelle, qui se veut libre
de tout appartenance au Parti, reprend l’image
à son compte. Pendant des années
– pour parler de l’Allemagne –
on a célébré les constructeurs
de digues israéliens et les vaillantes
jeunes filles en uniforme. Le sentiment de culpabilité
cédait la place à de la fausse monnaie.
Ça devait devenir ennuyeux. Une chance que pour
une fois le Juif n’ait pas été
brûlé mais qu’il apparaisse
comme un vainqueur viril, comme lanceur de napalm,
etc. Un soupir de soulagement traversa le pays.
Tout un chacun pouvait parler comme le Deutsche
National- und Soldatenzeitung ; et tout homme
ou femme de gauche de se trouver contraint à
suivre la routine du jargon de l’engagement.
Une chose est sûre : l’anti-Israël
comme l’antisionisme portent l’antisémitisme
comme la nuée porte l’orage.
Il
peut parler une langue crue dans laquelle l’état
d’Israël est « un état
criminel ». Il peut aussi mettre des gants
et évoquer une "tête de pont
de l’Impérialisme" pour s’en
prendre, avec l’intonation appropriée,
à la solidarité mal comprise qui,
à part quelques exceptions louables, lie
pratiquement tous les Juifs à cet état
minuscule ; et il peut encore s’indigner
de ce que, à Paris, le baron Rothschild
fasse supporter à la population française
l’aide à Israël comme un véritable
impôt.
L’antisémitisme
fait flèche de tout bois. L’infrastructure
émotionnelle est là, loin de se
limiter à la Pologne ou à la Hongrie.
L’antisémite "démystifie"
l’état pionnier en toute bonne conscience.
Il découvre que la création de cet
état a toujours eu l’appui du capitalisme,
sous la forme de la ploutocratie juive : mais
cela, il ne peut l’exprimer aussi clairement
; ce serait un véritable lapsus idéologique.
Pourtant - c’est l’or juif! – personne ne
va se tromper quant au bien fondé d’un
pays qui est né d’une mauvaise idée,
s’est établi là où
il ne fallait pas, et qui a mené une ou
plusieurs mauvaises guerres dont il est sorti
vainqueur.
Les malentendus deviennent des
vraisemblances. Je sais aussi bien que tout un
chacun qu’Israël a objectivement le
rôle malheureux de l’occupant. Je
ne cherche pas à justifier tout ce qu’ont
pu entreprendre les divers gouvernements israéliens.
Mes relations à ce pays que Thomas Mann
décrivait comme un "pays méditerranéen,
pas vraiment accueillant, désert de poussière
et de pierres ", sont pratiquement nulles
: je n’y suis jamais allé, je ne
parle pas sa langue, sa culture m’est dans
une très large mesure étrangère,
sa religion n’est pas la mienne. Et pourtant,
le maintien de cet état m’importe
bien plus que celui de n’importe quel autre.
[...]
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