Psychanalyse et idéologie

Psi . le temps du non

Micheline Weinstein

Canevas / commentaires de « Résistances à la psychanalyse », lecture / traduction, notes

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • « L’Innommable »

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett • « The Unspeakable one »
Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.
Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil made somewhere. Neither the sex, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] • LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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 © Micheline Weinstein / Novembre-Décembre 2014-1er Janvier 2015

 

Cannevas pour un autoportrait

Commentaires de « Résistances à la psychanalyse »

Présentation

[Résumé des travaux, documents, références, passés, publiés ou/et placés sur notre site depuis 25 ans, et en cours de mise à jour… On peut y trouver également chaque nom de destinataire, cité ou évoqué ici, dans des textes et les intitulés « Lettre ouverte à… », datés]

27 novembre 2014

Reçu par mail le courrier suivant,

bonjour,

 

je ne sais pas si vous êtes toujours en recherche de travaux à relayer sur votre site, je viens de mettre sur [mon site] un texte sur le déni de réalité auquel j’ai envie de donner de l’audience. Si cela vous intéressait de le publier, je serais d’accord. Je le trouve en prise directe avec l’actualité... laquelle ne donne pas trop envie de rigoler...

Cordialement

Signature

auquel j’ai répondu brièvement, la vélocité électronique ne se prêtant guère, sauf impondérable, aux échanges épistolaires de fond. Je le complète aujourd’hui,

Chère ***,

 

J’ai lu votre texte, qui est un travail de réflexion sérieux et approfondi, selon votre approche des concepts philosophiques, ce pourquoi notre site vous a publiée à deux reprises en 2012.

Je dois toutefois vous préciser que, depuis près de 30 ans, nous ne sommes pas “en recherche de travaux à relayer” : les textes, les documents, se proposent d’eux-mêmes, nous laissant le loisir de les relayer.

Or, pour ce qu’il en est des travaux de la plupart des collègues, celles et ceux dont, dans ce même temps, j’ai suivi le cheminement, je ne les relaie aujourd’hui que rarement, ces collègues n’ayant jamais pris, ni la peine, ni la curiosité, de s’intéresser aux nôtres.

C’est ainsi que récemment, je n’ai pas été davantage surprise que notre petite troupe professionnelle de théâtre, non-juive, ne trouve que peu d’écho chez celles et ceux d’entre eux qui, dans les médias, dans les institutions publiques et privées, se sont faits les “spécialistes” de la Vernichtung - anéantissement - des Juifs, celles et ceux travaillant à divers titres auprès de l’aide à l’enfance, plus généralement psychanalystes, historiens, philosophes, éducateurs, qui sont parents, grands-parents, bientôt arrière-grands-parents, journalistes... Une majorité conséquente de spectateurs, en trois mois de représentations hebdomadaires de « À la bonne adresse », fut non-juive. L’infantile ne connaissant guère de limites, et le contenu n’étant manifestement pas une priorité, à notre proposition, il nous fut préalablement et élégamment répondu par certaines institutions susceptibles de présenter ce spectacle dans leurs auditoriums et bibliothèques : “Nous aussi, nous avons déjà nos propres activités culturelles” ; d’autres, responsables culturels dans les administrations françaises et étrangères : “Je n’ai pas le temps.”

Notre troupe de baladins s’est attachée à offrir un spectacle de qualité artistique saluée par tous des spectateurs, « Pour une pédagogie de la solidarité, à l’intention des petits, grands, et vieux enfants ».

N. B. Entendre “vieux enfants”, au cas où ce n’aurait pas été clair : adultes, seniors, vétérans…, 2 montages, dont l’un adapté aux plus petits âgés de 8 à 12 ans, ayant été réalisés.

 

Par contre Le GrandTOU fut consterné par l’absence d’intérêt, l’absence tout court, des non-spectateurs évoqués ci-dessus. Un aperçu de la qualité de cette Lecture/Spectacle se trouve à https://fr-fr.facebook.com/LeGrandtou

 

Enfin, chère***, je rédige actuellement un travail, le plus rigoureux que me le permettent mes moyens, intitulé « Résistances à la psychanalyse », locution qui, à mon sens, frôle la tautologie, et dont vous avez eu connaissance du début par courrier ou par notre site, ce qui exige une “mise en loge” de la pensée.

Bien à vous,

Micheline Weinstein

1er Décembre 2014

La traduction/interprétation d’extraits de quelques textes de Freud portant sur les « Résistances à la psychanalyse » est achevée. Aujourd’hui, par cohérence avec l’[mon] actualité, je commencerai ce canevas par les notes et commentaires 3 et 4 de ce travail. L’ensemble des notes et commentaires figure en fin de texte. Les intéressé/e/s éventuels pourront donc s’y reporter latéralement lors de la lecture des extraits, indépendamment de cet écrit.

3 Selon le « Witz » d’Einstein : Si la relativité se révèle juste, les Allemands diront que je suis Allemand, les Suisses que je suis citoyen suisse, et les Français que je suis un grand homme de science. Si la relativité se révèle fausse, les Français diront que je suis Suisse, les Suisses que je suis Allemand et les Allemands que je suis juif.” “Un grand homme de science” est d’une banalité qui ne mange pas de pain, concédons aux Allemands de ce temps-là leur absence d’hypocrisie !

4 Ostracisme envers Freud, ou attitude hostile d’un ensemble de personnes constituant une communauté envers ceux qui lui déplaisent = ici, sous couvert de “potins”, largement répandus, dans et par les médias, friands de salacités. Cf. ma lettre ouverte à Élisabeth Roudinesco, laquelle, pas plus que d’autres présumés collègues, n’ayant jamais daigné prendre connaissance de mes travaux, ni même jeter un œil, fût-il rapide, sur notre site où figurent les références et la plupart de mes publications depuis près de cinquante ans, et qui m’attribuait encore récemment l’âge de feue une célébrité lacanienne, si bien que j’aurais aujourd’hui 93 ans !

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/lettreroudi.html

[Une courte incise, au sujet de la célébrité évoquée, aujourd’hui partie visiter l’autre monde. Je l’ai côtoyée pendant plus de trente ans. Je concevais envers elle et son histoire personnelle, de même qu’envers chaque être humain rencontré, croisé, soit directement soit dans mes lectures, le respect et la solidarité dont j’essaie à ma mesure de témoigner. C’est pourquoi, je n’ai pas tu, étape après étape, ce que je pensais de ses propos et agissements qu’elle ne manquait pas de disséminer largement en public. Quand je l’ai écrit, ce fut exclusivement en ce que cela impliquait la psychanalyse et la déportation (cf. sur notre site). Toutefois - ce n’est un secret pour personne dans son vaste entourage -, avec le temps, sans que rien n’altère mon estime, au-delà de ses traits de génie qui me sidéraient, ces propos, ces agissements, ont fini par user la dilection que je lui portais. C’est ainsi que je l’ai directement informée que je n’aurais pas aimé être dans la même baraque qu’elle au camp et plus généralement, puisqu’une génération entière nous distinguait, être sa fille.]

Or, si je compte encore parmi les électrices, bien que l’intérêt pour la chose publique commence à fatiguer, je ne suis pas dans ma 94e année, mais appartient à celle d’une génération de personnes toujours en activité, dont les plus en vue de tous horizons.

De temps à autre, des idées saugrenues me traversent l’esprit. J’en ai collecté tout un chapelet. Ainsi ce “mariage pour tous”. Tout d’abord, sur cette appellation de “mariage”… mais laissons de côté la polémique. J’aurais plutôt préconisé le PACS généralisé pour le monde laïc et ce, dans les mairies où qu’elles se trouvent, et aurait conservé le substantif “mariage” à l’usage des croyants dans les lieux de cultes, ce qui eût évité les embrasements… Cependant et en annexe, oser avancer que la différence des sexes est une évidence, ne serait-ce que par la morphologie, laquelle joue considérablement sur les exigences pulsionnelles, expose à être taxée de “puritaine”, c’est-à-dire en clair, sectaire, prude, pourquoi pas psycho-rigide ? De “réac” par la gauche, de gauche par la droite, de “has been” pour une femme, dont l’âge la rend inutilisable par l’intellect, les goûts et éventuelles aptitudes humaines, puisqu’inutilisable sexuellement… ?

Je préconisais aussi, au su de mon expérience professionnelle de la fraternité, de remplacer la devise Liberté-Égalité-Fraternité par Liberté-Équité-Solidarité.

J’ai maintes fois entendu, tout au long de mon existence professionnelle, mais aussi très jeune, venant de mon analyste lors de mon appel téléphonique pour une première prise de rendez-vous sur coordonnées transmises par Françoise Dolto, éberluée, cette interrogation : “Qui êtes-vous ?”, et me fut transféré par de “chers et estimés collègues” (selon l’expression de Freud) particulièrement celles et ceux que nous avions publiés, deux cents environ, de même que d’institutions ou personnalités diverses, ceci : “Connais pas.”

Je bénéficie semblerait-il, auprès de qui me “connait” encore (?), de la réputation d’avoir tourné “à droite” : lire « Le Figaro », en diffuser largement, comme ceux d’autres journaux en général, les articles que j’estime remarquables (cf. en fin de texte), me vaudrait d’être soumise à une idéologie, autrement dit de n’être pas susceptible d’une indépendance d’appréciation. Non seulement je ne lis pas que « Le Figaro », loin s’en faut et suis abonnée par Internet à une demi-douzaine de quotidiens, hebdomadaires, mensuels mais, à l’écoute - ou si l’on “regarde”, comme on dit à la TV -, de la plupart des revues de presse, on conviendra que, quelles que soient les idéologies de leurs commentateurs, elles s’étayent, solidement et parfois non sans hypocrisie, du « Le Figaro », dans lequel par ailleurs il plaît aux politiques et aux intellectuels de tous bords d’être invités à faire connaître leur personnalité privée, à donner leur avis, à figurer avec photo.

Longtemps, je fus si fière des personnes bienveillantes qui m’avaient sauvée bébé, ainsi que celles du monde d’avant-hier, particulières, professionnelles, institutionnelles, des réseaux de clandestinité, puis après guerre, en 1954 seulement, grâce aux démarches tenaces durant des années, de Else Schonberg, celles de l’Office National des Anciens Combattants qui me fit Pupille de la Nation… …, et par dette envers elles, de m’être accrochée à la vie…

Il y eut, dans les décades qui suivirent la guerre, de nombreux suicides de déportés revenus, mais aussi de jeunes que j’ai connus, fils et filles de déportés non revenus, pour lesquels l’Histoire avaient rendu irréparable la perspective de continuer à vivre… Le suicide de ces jeunes est resté tabou, aussi bien auprès des “psys”.

Ce monde d’avant-hier, les rencontres décisives ultérieures qui m’ont façonnée, n’est plus. Les noms, un par un, sont autant d’offrandes gravées dans ma mémoire comme on dit.

Revenons au saugrenu. La féminisation des substantifs masculins, auteur-auteure par exemple, le maire-la maire (pourquoi pas, telle la duchesse, la mairesse ?) laisse dubitative. Incitera-t-elle à la disparition du sexisme ? Ajouter un “e” à auteur fera-t-il, sexués, d’une femme un homme et inversement ? Pourtant, si l’on en croît les Écritures, elles nous content qu’Ève fut extraite d’une côte d’Adam d’où, semblerait-il, l’origine ancestrale d’un vocabulaire issu du “genre”, avec en tête les injures, telles “con”, “connerie” - de coñil au Moyen-Âge, “petit lapin” (! cf. également à “chatte”) -, “putain”, “fils de pute”, “salope”, “pétasse”… … … ?

Qui suis-je ? Simplement quelqu’une qui, par héritage culturel à jamais insu, demeure coite devant le mépris délibéré pour le goût du savoir, ce vestige de la curiosité infantile.

Cela éclairerait-il le fait qu’une Ministre de la Culture estime secondaire le goût de lire chez soi ?

Slogans, anathèmes, sigles, qualificatifs offensants, fusent à l’envi, contre qui ne pense pas comme soi, n’agit pas comme soi, n’est pas un reflet de soi… médisances contre Freud, Françoise Dolto, pour n’évoquer que deux noms remarquables, par des intellectuels, parfois même psychanalystes et affidés, qui n’ont, excepté les “potins” destructeurs où l’on trouve ce qu’on y cherche avec fougue, tout simplement pas lu, encore moins étudié les textes, quoique, bravement, ils s’en défendent.

Récemment, j’ai demandé, par l’intermédiaire de l’un parmi ses amis, personnalité honnête bien que médiatique (que j’avais publiée), à rencontrer Michel Onfray, auquel j’avais écrit. Ni l’un ni l’autre ont daigné me répondre.

Prétendre, avec suffisance, que l’on a lu tout Freud quand on était jeune, aux propos de l’auteur qui les profère (et les écrit), évoque l’adolescent qui aurait grappillé sur Internet un dictionnaire de philosophie pour y trouver sa voie, n’y aurait retenu que des clabauderies infâmes - on en trouve, râblées, des antisémites par exemple, chez Kant et Hegel -, des concepts, sans se soucier de leur signification, isolés de leur contexte.

Et puis ces gens traînent leur bave… balancent haros et exhalaisons les plus faisandés… amalgament allègrement la théorie de la libido et le vocabulaire de leurs propres fantasmes pornos.

Quant à répandre en toute ignorance délibérée, la délation contre Dolto, est-il nécessaire de rappeler que, pendant et après guerre, négligeant sa croyance religieuse, elle passa prendre lors de son repli en zone libre, pour l’emmener avec elle, la Juive Sophie Morgenstern. Sophie Morgenstern déclina l’offre et choisit de se suicider à Paris ; c’est aussi elle, Françoise Dolto, qui mit sa pratique au service des enfants de déportés juifs, dont je fus, ainsi que Georges Perec et combien de mômes restés anonymes ; oser qualifier Freud d’“imposteur” et pour faire bref, selon le calembour, Dolto de “Pétain en jupons”, ressemble à s’y méprendre à du Faurisson ou, actuellement, à de l’Aymeric Caron.

Voilà qui est et fait dommage. Onfray dit des choses fort justes quand il ne se mêle pas de se prendre pour un penseur universel apte à statuer sur des sujets qui lui sont totalement étrangers, comme lui sont étrangers les Juifs, l’itinéraire d’une psychanalyse personnelle dont il s’est gardé de s’engager.

10 décembre 2014

Ce devant quoi l’enfant cachée devenue adulte, aujourd’hui antidatée, persiste à demeurer sans défenses est très simple : émanations de personnes se réclamant de la psychanalyse à partir de ragots dont l’informatique abreuve, la méchanceté, l’avarice ou, si l’on préfère, torsion de l’économie libidinale fixée dans l’infantile, jalousie, rivalité, certains “ismes”, cynisme, snobisme... … … bref, autant d’une même pathologie, de maillons d’une seule et même chaîne.

Devant aussi cette manie qu’ont les intellectuels, pénétrés de lacanisme, d’écrire l’autre avec un grand A, comme pour attester de leur pieux respect envers autrui. Serait-ce un contresens, si l’on songe à l’agressivité, aux vœux de destruction, à l’intrinsèque ambivalence amour-haine inconscients… masqués par l’hypocrisie des bons sentiments ?

Peut-être ai-je mal assimilé chez Lacan son concept d’Autre, avec le grand A. Il m’apparaît néanmoins à l’opposé de la sublimation. Sans doute avais-je compris que l’Autre, avec son grand A, relève de l’abstrait, de l’ordre symbolique, du lieu de la parole, par extension de Dieu, des idéologies…

Plus récemment, j’ai trouvé ridicule la question d’interdire les feux de cheminée dans les appartements pour cause de pollution : pourquoi ne pas alors interdire les barbecues à la campagne pendant les week-ends, jours fériés, vacances…?

Plus largement, pourquoi ne pas interdire, établis sur le calendrier chrétien, les congés civils, les commémorations, la terminologie, les mœurs, leurs suites logiques ?

Enfin, la consommation effrénée, entonnées par les “communiquants” sous prétexte de “répondre à la demande” (de qui ?) me rendent anorexique. Pour exemples : coffret de 69 CD de Maria Callas, que la publicité, cynique (l’argent), dédaigneuse des goûts de mélomanes envers les interprètes, chefs d’orchestres, formations musicales, d’une pédagogie auprès d’auditeurs potentiels n’ayant pas eu la possibilité culturelle d’y accéder, bombarde en cette période de fêtes de fin d’année… ; orgies de boustifaille à vous flanquer la nausée, quand la faim, dont celle de millions d’enfants - l’avenir des peuples ! -, affiche son déshonneur de monde civilisé, avec ses mille vaches claquemurées dans une ferme-usine…, etc.

Il était une fois, voici presque quarante ans, un dialogue avec Françoise Dolto. Nous parlions du “narcissisme des petites différences”. Le flux aidant, j’évoquai le fait que nous vivions en France la plus longue période de son histoire sans guerre. Peut-être serait-ce une bombe à retardement ? “Détrompe-toi”, me répondit-elle, “la guerre couve partout, sous forme de terrorisme”.

L’infortune de notre association fut que ses meilleurs auteurs, non estampillés par la chose publique - donner à croire que l’énonciation de “classes sociales” avec leurs étanchéités respectives est désuète, quel leurre ! -, avaient plus d’un quart de siècle d’avance sur leur temps. La majorité des thèmes à la mode aujourd’hui étaient déjà travaillés et faisaient alors, dès 1986, l’objet d’une publication papier jusqu’à la mise en place de notre site Internet. Leurs titres, jusqu’en 2006, figurent à l’adresse suivante,

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/archives/Inventaire.html

Les textes intégraux sont disponibles sur demande.

Ils sont datés, j’en ai dit la cause.

Les documents ultérieurs sont directement publiés sur notre site.

Pour n’évoquer qu’un seul exemple : Sade, commenté par Lacan en 1963, graphes à l’appui. Comme Saïd Bellakdhar l’avait déjà fait pour le Grand Mufti de Jérusalem pendant la 2e G. M., pour la Dass…, accablé par le succès dont jouissait post-mortem (et jouit encore) ce marquis auprès des lacaniens et leurs disciples littéraires - Sade, rappelons-le trouva sa liberté et son talent littéraire en prison -, Saïd Bellakdhar, en 1993, écrivit un texte dûment documenté, qui ne laissait place à aucun doute sur la réalité incontestable, des crimes de Sade (et de Gilles de Rais).

De mon côté, en 1992, mon appréciation de Sade par Lacan fut publiée dans « Travaux 1967/1997 ».

Mes interrogations sur l’enseignement de Lacan, que je suivais en parallèle avec attention, ne parvinrent pas à trouver réponse. Qu’en était-il en effet d’une transmission de la psychanalyse qui semblait privilégier le sophisme, la mathématisation de la psychose et de la névrose, une théorie de la perversion élevée au faîte d’une éthique, le plagiat - [sic] exemple anodin, Lacan : “Je prends mon bien où je le trouve”, il ne s’en privait pas, c’est bien connu, depuis sa thèse en 1931 -, l’obscurantisme, l’éloge de la philosophie heidegerrienne, toutes incitations antagonistes à l’itinéraire de Freud qui aspirait (rêvait de ?) à ce que la psychanalyse, avec son vocabulaire propre, précis, soit reconnue en tant que science de l’esprit… … ? En regard de ce que j’avais perçu de l’épistémologie freudienne, les discours de Lacan laissaient planer un malaise, une impression d’“unheimlich”, d’étrange familiarité (traduction de François Perrier), qui commémorerait les temps infantiles de la nature humaine ? Quelles autorisations délivreraient-ils alors au déclenchement sauvage des instincts primitifs, à leur mise en acte ? Où étaient donc passés la prévalence de la parole, l’inconscient dont Lacan scandait qu’il était “structuré comme un langage”, formulation que Perrier qualifiait de tautologie (cf. nos éditions, in « Petit glossaire des concepts freudiens appliqués à la clinique selon François Perrier », la maîtrise des pulsions en vue d’accéder à des conduites civilisées ?

Alors, quels lendemains de tels discours sur la pratique analytique quotidienne auprès d’humains en mal d’être ? Quels lendemains pour la transmission d’un style linguistique savant, accessible aux seuls initiés, et qui, propagé par des personnages soucieux de frimer dans des médias, introduit des termes conceptuels auprès d’utilisateurs mal préparés, non curieux, lesquels les répètent ingénument sans en avoir vérifier ni le sens ni la teneur sur Internet ? Cela ne contribue-t-il pas, dans la vie courante, à produire un imbroglio dans lequel permutent alternativement la langue de la sphère privée et celle de l’exhibition publique ?

Freud et son entour fidèle étaient intransigeants - était-ce par tradition culturelle héritée ? -, venant des psychanalystes en tous cas, quant à la retenue nécessaire pour que ne soient pas livrées leur vie intime et ses dérisoires foutaises humaines à l’étal public. Autre chose étaient les réunions professionnelles entre analystes en exercice et candidats au métier d’analyste (cf. par exemple les « Minutes de la Société psychanalytique de Vienne »).

Sur la place publique, le privilège de l’indiscrétion était réservé, selon Freud, aux artistes, écrivains, aux œuvres de fiction qui pour notre plaisir émaillent le réel, fruits d’un imaginaire singulier qu’il est stupide de vouloir psychologiser, auxquels seuls incombait la liberté naturelle d’indiscrétion (ex. Schnitzler).

Autre chose est l’analyse de l’humain, fût-il artiste.

C’est tout simplement la raison pour laquelle Freud, puis ses légataires, s’opposaient (en vain) à la publication de la correspondance privée, nourricière de salacités. Ainsi les échanges on ne peut plus intimes entre hommes avec Ferenczi où nous lisons quelques fadaises de Freud sur les femmes, sans d’ailleurs épargner la sienne.

Quant aux fantaisies de Freud sur les identités de Shakespeare et de Moïse, je les ai évoquées dans plusieurs textes pour conclure que, comme le disait Charcot des hystériques, son Moïse n’empêche pas les Juifs, en tant qu’entité, d’exister (cf. Freud, « Le roman familial des névrosés »).

Pour ce qu’il en est de mes propres travaux, quelques-uns ont été puisés dans mon histoire de bébé-miracle sauvée de l’extermination. Mais seulement, ayant horreur - et en étant incapable - de parler de “Moi” en privé comme en public, dans le but, si cela se trouve, d’être utile aux orphelins de tous âges, de toutes provenances, aux mal foutus de la vie, ainsi qu’aux professionnels chargés de les aider à affronter la réalité.

Si je n’ai eu aucune difficulté avec les termes de “père” et “mère”, l’histoire a fait que je n’ai pas eu le temps d’apprendre à prononcer “papa”, “maman”.

Ces travaux isolent l’absence de construction du (petit) “moi”, l’absence d’identifications, l’absence d’apprentissage de la parole et du langage, de lallations, dans le foyer et à l’école (pas de classe maternelle) qui seront plus tard des entraves à la formation du “je” et à ce que l’on désigne par image de soi, l’absence de patrimoine biographique autant que matériel, de patrimoine tout court, à l’exception d’un seul, ma tête. Quant au patrimoine génétique, il reste inconnu.

Ces travaux ne sont que simples témoins de leur temps, et portent, entre autres, sur la singularité psychique de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler avec une certaine emphase les “un/e par un/e” de ces humains, qu’ils soient juifs ou non, nés avant, pendant, après la Seconde Guerre mondiale. Or, dans les ouvrages écrits, visuels, sonores, les colloques, produits au long de ce grand demi-siècle, j’ai surtout lu, vu, entendu, que la coutume est de les mettre en tas, en catégories, la plupart du temps à partir de grilles psychologiques formatées au préalable.

Excepté, devant une œuvre incontestable, témoignage singulier de l’un/e de ces “un/e par un/e”, celle par exemple de Georges Perec.

Mais être née en pleine guerre, entre trois générations, celles d’“avant”, et celle d’“après”, a-minima structurées, ne facilite ni la vie, ni d’être particulièrement considérée, pour une femme particulièrement. Je n’aurais pas dû, physiquement, être, puis penser, parler… Cet inconvénient m’a collé aux basques jusqu’à présent. Plutôt sociable, je me liais facilement, mais du plus loin que je me souvienne, il m’a toujours été signifié que je devais me taire. C’est Jacqueline Lévy-Geneste qui m’a dit un jour, devant ce qui m’était une énigme, “tu n’as pas encore réalisé que tu es un témoin”.

Alors n’est restée qu’une voie possible : écouter, étudier, lire, aimer les belles choses, les contempler… vivre en ascète, écrire pour… les archives du temps !

Un autre obstacle : si j’ai accepté d’être répertoriée comme survivante, je fus et reste inapte, cela me lève encore le cœur rien que de l’évoquer, à me définir en tant que victime. Je fus et reste donc inutilisable à la charité, la miséricorde et autres bons sentiments.

Le silence étant obligatoire dès la naissance - au risque d’un danger mortel pour l’entourage, si un bébé gazouillait, pleurait, braillait -, le rapport au monde extérieur s’est peu à peu formé par l’écoute, la musique, la lecture insatiable, l’étude… Ainsi suis-je plutôt douée en version, moins en thème. Outre les traductions, ce me fut utile dans mon métier.

C’est pourquoi la musique m’est indissolublement liée au mélodieux nom de Muses, à l’“art d’harmoniser les sons”, de telle sorte que je suis incapable de désigner par musique toute espèce de brouhaha, surtout quand son rythme est à deux temps, boum-boum, indéfiniment assené sur la tête et dans les oreilles sur des instruments hors de prix, des sonos amplifiées de batterie qui rendent sourds !

Peut-être alors suis-je “réac” (et, en prime ces dernières années, “sioniste” !) ? Car rétive à ce qui exempte de penser, de se servir de ses mains autrement que pour tapoter convulsivement sur des ustensiles informatiques, à l’accélération frénétique qu’ils imposent  aux rythmes biologiques et, malgré leurs bienfaits manifestes, font artificiellement de nous des dyslexiques, dysorthographiques, maniaques, des sourds, rétive à la surabondance d’images qui vous éclatent à la figure, vous gavent à profusion de réel, à en perdre le sens de la métaphore.

Pauvre tête, seul patrimoine auquel je ne permets à personne, pas même un coiffeur, de toucher… et chaque fois que cela me revient à l’esprit, c’est avec une pensée solidaire pour la voix d’Antonin Artaud le décalé en 1947 lors de « Pour en finir avec le jugement de Dieu » : “Et c’est alors que j’ai tout fait éclater parce qu’à mon corps on ne touche jamais.”

Négligeons les séquelles physiques et physiologiques qui relèvent du privé, sans toutefois dispenser les humains de s’entrebalancer des noms d’oiseaux sur l’apparence générale, la catégorie sexuée, l’âge, la physionomie, la vêture, la race, la provenance et… passons.

Continuons de nous limiter aux séquelles générales, ineffaçables, telles une sorte de brumaille latente, qui se manifeste par intermittence, l’inaptitude au superficiel, aux objets encombrants, quelle que soit leur nature philosophique, matérielle, en tous genres ; aversion pour la violence, les hourvaris collectifs, les modes, le snobisme, le parler pour ne rien dire ; incompréhension des reliquats, à l’âge adulte, d’hostilités féroces fixées dans les abysses œdipiens, etc. Comme si l’humain continuait, malgré les progrès de l’éthique, de tirer jouissance de la haine intrinsèque à l’ambivalence infantile, bref, toutes agressions pulsionnelles du monde extérieur qu’une psychanalyse enseigne à maîtriser.

Mon analyse a commencé lorsque j’avais 7 ans, grâce à Jacqueline Lévy-Geneste, dont j’ai su plus tard que je fus son premier contrôle d’analyste avec Françoise Dolto, qui avait alors émis l’hypothèse que je sois une enfant, comme on disait à l’époque, “surdouée”, d’autant que les tests adaptés à mes âges successifs (TAT, Binet-Simon, Wechsler-Bellevue…) m’attribuaient un Q. I. de 150, propriété que je ne souhaite à personne tant elle rend la vie malcommode. Seulement, comme c’est de coutume chez les professionnels, au prétexte de ménager, de ne pas troubler les enfants en bas âge, Jacqueline ne me l’a pas répercutée (l’hypothèse), alors que cela m’aurait permis de faire face en connaissance de cause aux avatars de la vie. C’est Dolto qui, lorsque je suis allée la rencontrer directement, a levé, sans périphrases ni pléonasmes, mon incompréhension devant ce grand absent de mes centres d’intérêt, le “Moi”. Ce fut l’une des premières leçons que j’ai retenue pour exercer mon métier : dire, quel que soit son âge, ce que l’on pense à autrui.

C’est bien tard, après pas mal de décades, que j’ai pensé à demander copies du dossier de mon histoire infantile établi par l’OSE et, dans la foulée, de m’adresser aux Renseignements Généraux. Les documents des R. G. m’apprirent que la police française était venue me chercher bébé là où j’étais planquée, chez ma Jeanne et son concubin Paulo, rue Gasnier-Guy dans le XXe - elle n’existe plus - le 16 juillet 1942, pour m’emmener au Vel’ d’Hiv, j’avais 8 mois ; que mon père s’était engagé en 1940 dans les régiments étrangers, qu’après avoir été blessé par une bombe, il avait été interné une première fois à Drancy fin 1941 sous administration française, relâché en 1942 pour faits militaires - d’où mon statut très tardif de Pupille de la Nation -, re-interné à Drancy sous administration allemande parce que Juif en avril 1944 et expédié à Birkenau.

Entre temps, ma mère avait disparu du monde des vivants en mars 1942, dans le texte, “lors des arrestations massives d’Israélites par la police française, c’est-à-dire lors des premiers convois, j’avais 4 mois.

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Tania, ma mère (Source R. G.)  

La photo de mon père, Shlomo (prénom de naissance de Freud) figure déjà sur notre site.

Si bien que la chaîne des signifiants, via les noms propres, attisa ma curiosité.

D’après les Renseignements Généraux, n’a subsisté aucune trace de ma mère, excepté son lieu de naissance, Tiraspol, et les prénom et nom de mes grands-parents maternels. Grand-mère maternelle : Bloom (Fleur) Gingins, patronyme qui serait d’origine germanique. N’apparaît dans mes recherches qu’une seule référence au nom de Gingins et sa généalogie. Gingins une jolie localité située dans le canton de Vaud en Suisse, avec son château et son église du XIIe siècle (à vendre), son musée romand de la machine agricole depuis le XVIIIe siècle. La généalogie de la famille Gingins de la Sarraz mentionne une dame Stein ; grand-père maternel : Simon Fuxman, rien d’autre.

Grands-parents paternels : Génia Kreitchman et Mosché (Moïse) Weinstein. D’après mes recherches en Israël auprès de personnes qui les avaient connus en Russie au début du XXe siècle, mon grand-père, Moïse donc, aurait été, à Yalta et à Istanbul, Président du Joint - Joint Distribution Committee, fondé en 1914 pendant la 1re G. M, et longtemps, seule institution internationale juive laïque.

Mais ces nobles et rares documents épars sont beaucoup trop aléatoires pour permettre à une héritière de la déportation des Juifs de France, qui n’a pas eu le temps de bénéficier d’un imaginaire et dont le patrimoine mémoriel remonte seulement à 1941, de s’inventer un “roman familial”.

Ah, ce “Moi” recyclé en nos temps par des Ubu, boursouflé en “Moi/Je”, avec lequel ils entonnent chacun de leurs discours, sans s’inquiéter du “bien commun”, de la “chose publique” ! Ils font comme des mômes tout fats à leur stade narcissique, qui exigent d’être regardés et crus sur parole pour leurs incertains exploits futurs… !

Ah, ce “Moi” ! Quand le réel a frappé dès avant le berceau, l’imaginaire est invalidé, seule est accessible l’aptitude au symbolique. Les dégâts sont analogues chez les enfants, les femmes, les ados et adultes (en prison par ex.) abusés, violentés physiquement et moralement

Autre séquelle. Par certains aspects, je suis restée un peu “demeurée” et souffre d’incompréhension vraiment niaise devant la méchanceté. Mais uniquement grâce, non pas au Grand Autre, mais à tous les petits autres qui ont bien voulu l’apprécier et ainsi me le refléter… j’avais reçus en héritage de ne je sais où ni de qui, l’aptitude à développer une fonction culturelle qui fut une sauvegarde, celle de l’humour, lequel a limité les dommages internes et sociaux. Cette qualité, je n’en avais pas conscience, j’ai pu ainsi l’intégrer, l’accepter.

Une brève pause didactique (suis incurable pédagogue) pour préciser ce que je conçois par le déterminant “humour”, lequel doit se distinguer nettement des “calembour”, “dérision”, “sarcasme”… et autres passerelles, à mon sens abusives, vers l’insulte. Voici les deux définitions de l’humour qui m’accompagnent,

Freud • L’humour a non seulement quelque chose de libérateur, de proche en cela de l’esprit et du comique, mais de plus, quelque chose de magnifique et d’émouvant, traits qui ne se retrouvent pas dans ces deux derniers modes, lesquels sont des produits de l’activité intellectuelle, dans le but d’acquérir un surcroît de plaisir. Le magnifique tient évidemment au triomphe du narcissisme, à l’immunité du Moi victorieusement affirmé. Le Moi se refuse à se laisser entamer par les contraintes de la réalité, à se laisser imposer la souffrance, il résiste fermement aux atteintes des traumas causés par le monde extérieur, dont il montre de plus qu’ils peuvent devenir des agents d’un surcroît de plaisir. Ce dernier trait est la qualité essentielle de l’humour.

François Perrier • Rien de plus désintéressé. Ne va pas sans une critique libre de soi-même. L’humour est aussi un dévoilement de l’objet sous un autre jour, mais dans une pudeur, une réserve, une contention qui n’est pas celle du comique avec ses effets de cirque, ses chutes répétées. L’éthique de l’analyste est de ce côté-là.


Tandis que,

L’ironie est toujours un jugement qui fait toujours une victime [cf. « Petit glossaire… »]

Je reprends mon pensum biographique. À l’adolescence, je suis allée de moi-même, directement cette fois, à la rencontre de Françoise , puis j’ai travaillé à ses côtés (cf. sur notre site). Elle fut une amie et une préceptrice inaltérables pendant 40 ans, jusqu’à son départ en 1988. C’est à elle que j’ai demandé un nom d’analyste pour entreprendre une analyse personnelle. Mon Mémorial figure, avec des documents originaux et dans plusieurs textes, sur notre site.

Un incident de parcours, qui témoigne du respect dont témoignent réciproquement quelques de nos collègues : sans en être informée, j’eus la surprise de découvrir, lors de la publication en 2005 du deuxième tome de la correspondance de Françoise Dolto chez Gallimard, que sa lettre/texte manuscrite, qui m’était nommément dédiée en 1983 et que, puisqu’elle ne pouvait se déplacer, j’ai lue à Marseille en fin de ma conférence « De l’embryon à l’homme, la conquête du monde » devant les groupes Balint du sud de la France, était, dans une note de la responsable d’édition, qualifiée de “viatique”.

Cette lettre de Françoise Dolto, qui est une critique du “Stade du miroir” de Lacan [F. D. écrit en ouverture qu’“il se trompe”], n’a intéressé personne.

La lettre manuscrite et ma conférence firent d’abord l’objet d’une édition papier en 1983 puis d’une publication sur notre site dès 1989.

Pour mon contrôle, j’ai choisi celui que je considérais, outre Dolto, comme le meilleur clinicien que la France ait connu, François Perrier, et ai ainsi encouru la désapprobation verbale extrêmement, pour rester polie, déplaisante, de mon analyste, assise jusqu’à sa disgrâce, mais seulement à la gauche, du Maître (Lacan).

Qu’écrit Perrier de François Dolto (in « Petit glossaire… ») ?

C’est toujours à elle qu’on s’adresse quand on s’aperçoit que quelque chose du côté du corps n’a pas été théorisé. Il faudrait retravailler Dolto au-delà du Cas Dominique, au-delà de tout ça. Enfin, c’est toujours à elle qu’on s’adresse et on s’adresse en même temps à une femme. Si je voulais caractériser le style de Dolto dans ses thérapies et analyse d’enfants, je dirais qu’elle est toujours dans la métaphore. Ce qui permet en effet aux petits enfants, non pas d’avoir un corps pour remettre en jeu cette question, mais pour ne pas eus par leur corps.

 

N. B. En italiques, c’est moi qui souligne.

Née dans l’obligation de sépulcral silence, exclue de parole par le monde extérieur (“on”), j’étais sidérée à l’écoute d’interprétations d’analystes consternantes de sottise. Un exemple, la réponse agacée d’une collègue devant mon affliction après sortie inepte de mon analyste : “Laisse tomber !” Ce à quoi, quasiment commotionnée, j’ai répliqué : “Certainement pas, avec le prix - exorbitant - dont sont honorées ses séances, une analyse me coûte l’achat d’un appartement dans Paris !”

Il est évident que mon appréciation de Lacan, depuis 1967 - [en juin, lors de la guerre des six jours en Israël, je n’avais écrit qu’une phrase, “Qu’on rende leurs territoires aux Palestiniens et qu’on n’en parle plus”] - à partir de documents et de propos tenus à ses séminaires, à commencer par ses louanges à Jung et sa proximité avec Heidegger, dont j’étais alors occupée à établir, terme à terme, une analogie entre son Discours du Rectorat et quelques passages éclairants du Mein Kampf d’Hitler, n’a guère favorisé l’“empathie” (ah, l’empathie !) de mon environnement, pas plus que, dans l’une des fameuses corpos analytiques, l’autorisation d’exister… Je ne suis de loin pas la seule à avoir eu droit à la trappe. Ex. Une égérie de ce milieu me prévint que si je n’aimais pas Lacan, elle ferait tout pour me [sic] “descendre”, dont acte… Hélas, j’avais eu l’imprudence de lui confier que je ne haïssais pas Lacan puisque je ne l’aimais pas…

Corporation • Association de personnes exerçant le même métier, ou une branche de ce métier dotée de statuts définis, d’une hiérarchie, d’une police, de rites, de dévotions propres, avec en outre un ensemble de monopoles et de privilèges.

Pour conclure cette digression sur le thème de la psychanalyse, son histoire, son évolution théorique, sa pratique, bouleversées par la déportation des Juifs, je n’ai pas une fois été invitée, en tant que femme-fille de déportés non-revenus, juive couvée et née sous l’Occupation, psychanalyste, à témoigner par l’une ou l’autre des coteries, majeure ou mineure, psychanalytiques et/ou juives, “spécialistes de la Shoah” et, en leurs seins, ne figure nulle part, ni en tant qu’héritière de l’assassinat de toutes mes lignées, ni en tant que femme-psychanalyste. Seul, le nom de mon père est inscrit publiquement sur le mur du Mémorial de la Shoah.

 Par contre, avec mon sens probablement héréditaire de la solidarité j’ai, pendant plus de 30 ans, cotisé auprès de ces diverses institutions. Lassée de recevoir des courriers de demandes de dons sans aucun retour d’appréciation critique sur nos, mes, travaux, traductions, témoignages, spectacles, vidéos, archives, publications, documents originaux… dont, à l’usage, nous savons qu’on ne prend pas même la peine de les lire ni de les visionner, j’ai finir par couper les dons.

À une exception toute récente, la subvention délivrée sur mon nom à la Compagnie Le GrandTOU, par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, pour sa remarquable Lecture / Spectacle au Théâtre Essaïon à Paris.

En 1968, les slogans incitant à la libération débridée des pulsions m’ont désolée, en ce qu’ils présageaient la pulvérisation de l’édifice construit par Freud, la psychanalyse. En particulier la mise en pièces du concept de sublimation, autrement dit l’accès au symbolique. La sublimation selon Freud est cette part de la pulsion sexuelle qu’une psychanalyse individuelle permet à la psyché de diffracter, de sorte qu’elle s’investisse dans une activité de l’esprit plus élevée, c’est-à-dire non sexuelle, que ce soit dans l’art, un métier, un choix éthique, un style de vie… Freud estime que l’accès à la sublimation est une exigence de la société pour qu’elle soit civilisée.

Nous voilà bien loin des “potins”. Il est possible que Madame Roudinesco, “et psychanalyste”, dont j’ai relayé quelquefois des articles sur notre site, ait contribué aux difficultés de l’attardée dans le monde d’avant-hier à être ne serait-ce qu’identifiée par ses contemporains…

Revenons à Freud. Tout savoir de la vie sexuelle de Freud, de ses espoirs et déceptions, des causes réelles de dissensions transférentielles dans le mouvement analytique, avec et entre ses élèves, ses (parfois faux) amis, ses correspondants est parfaitement accessible… Dans sa volumineuse correspondance publiée, sans son autorisation ni celle de ses légataires, Freud évoque honnêtement l’évolution de sa sexualité. Ainsi, nous pouvons y lire les raisons pour lesquelles, par exemple, les potins jouissifs répandus sur une liaison avec sa belle-sœur ne sont que médisances d’ignorants délibérés. Il en est de même, par ailleurs, des potins destinés à faire plaisir aux mouvements homos, quant à une homosexualité effective d’Anna Freud, lesquels invalident grossièrement, sans la moindre critique digne d’être travaillée, la théorie de la bisexualité biologique originelle du “genre” humain, son évolution anatomique, laquelle différencie le physique de la fille et du garçon avec son incidence réelle sur leur psyché respective. L’humain est “aliéné par son anatomie en tant qu’il est de toutes façons repéré comme tel”, selon Perrier.

Quant aux dissensions et leurs motifs, ils se trouvent, soigneusement décrits, dans les œuvres complètes de Freud, pour n’en citer que trois, par Ferenczi, Schur, Bernfeld… De telle sorte qu’aujourd’hui, la SPP et ses antennes, reconnues d’utilité publique, assurant une formation théorique, technique et clinique - autrement dit thérapeutique -, serait seule habilitée à authentifier l’intitulé et la fonction du Psychanalyste, ce qui mettrait fin aux “autorisations de soi-même” prônées par Lacan, lesquelles permettent à tout un chacun, non professionnel, de s’auto-nommer “psychanalyste”, en même temps que d’utiliser le nom propre de Psychoanalyse, créé par Freud l’année de la mort de son père, sans aucune gêne ni considération pour son auteur. Bien que, comme dans toute société humaine, la SPP ne puisse hélas garantir la pratique et les conduites de ses anciens élèves, une fois authentifiés par l’institution.

La psychanalyse et sa terminologie, grâce à l’influence de la multinationale lacanienne (avec son staff de “Cartels”) auprès des médias, liée au pouvoir de l’argent et des coteries, analogues à toutes les autres, sont devenues en France un objet qui ne prétend à nul service, qui ne sert à rien ou dont la fonction est si futile qu’on devine bien que sa création n’a pas été dictée par un besoin, c’est-à-dire un gadget (CNRTL) pour qui n’est pas sensible à l’étymologie ou recherche du vrai.

Pourtant, la base d’une étude approfondie sur ce thème des coteries, intitulée Deux unités artificielles : Église et Armée, est accessible depuis 1921, dans la « Massenpsychologie und Ich-Analyse » - « Psychologie des masses et analyse du Moi/Je ».

Un exemple : après avoir recyclé, épuisé jusqu’à la trame, le terme de “paranoïa” à tout bout de champ, les médias, pour rendre compte du concept de clivage, se jettent, en toute ignorance délibérée, sur celui de “schizophrène”. Or, un système, les personnages qu’il anime, qu’il manipule, relèvent, non du morcellement dans la schizophrénie, mais du clivage chez le pervers.

Pourquoi, dès 1967, ai-je été stupéfiée du déni de la théorie freudienne, par les propos tenus, écrits, de Lacan, enrichis de calembours limites envers la personne de Freud, dont on dirait aujourd’hui que ses affidés les ont “zappés” (Faire disparaître quelqu’un ou quelque chose de son champ de vision, cesser de lui accorder le moindre intérêt) ? Les lectrices et lecteurs intéressés en trouveront les motifs sur notre site. Je n’en reproduirai ici que trois extraits,

1938

 

Le sublime hasard du génie n’explique peut-être pas seul que ce soit à Vienne - alors centre d’un État qui était le melting-pot des formes familiales les plus diverses, des plus archaïques aux plus évoluées, des derniers groupements agnatiques des paysans slaves aux formes les plus réduites du foyer petit-bourgeois et aux formes les plus décadentes du ménage instable, en passant par les paternalismes féodaux et mercantiles - qu’un fils du patriarcat juif ait imaginé le complexe d’Œdipe.

 

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/courrier/commentaire.html

 

[D’autres exemples, raillant Freud et certains concepts freudiens, notamment celui de la structure œdipienne, figurent dans ce commentaire de 1998.]

À la suite d’anthropologues, dont Claude Lévy-Strauss, l’existence de l’universalité de l’Œdipe selon Freud dans d’autres civilisations, fut contestée et l’est encore par certains auteurs, censés “l’avoir tout lu”. Félicitations ! À mon grand âge, j’estime devoir encore lire, relire et étudier Freud, ne serait-ce que pour mettre à jour ma faculté de réfléchir et ainsi de faire assez régulièrement le point sur le développement de mes propres hypothèses…

Freud a établi la structure œdipienne à partir de la mythologie grecque, plus précisément dans le théâtre de Sophocle. Or, le mythe selon Freud, ne représente que le support de la fonction du symbolique :

Les mythes sont des satisfactions symboliques dans lesquelles le regret de l’inceste s’épanche. Ils ne constituent pas la commémoration d’un événement. Freud

L’Œdipe et le symbolique ne concernent pas la psychose, Freud insiste sur ce point, ils appartiennent à la seule névrose.

Le sujet vaut d’être approfondi. L’Œdipe, soit “le désir de l’enfant de coucher avec sa mère” (Diderot), ses substituts si la mère manque ou si l’évolution de l’enfant est confiée à une tierce personne, serait-il donc étranger, encore actuellement, dans certaines populations africaines, chez des enfants dont le sevrage ne s’effectue qu’à l’âge de 4 ans ? Les conséquences de l’Œdipe sur la psyché de l’enfant seraient-elles d’un domaine radicalement étranger à la sexualité ?

Mais revenons à Lacan.

1967

 

Jacques Lacan

 

Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école

[J’ai mis l’essentiel à mon sens en italiques]

 

Avant d’être un problème à proposer à quelques cavillations analytiques, ma position de chef d’École est un résultat d’une relation entre analystes, qui depuis dix-sept ans s’impose à nous comme un scandale. Je souligne que je n’ai rien fait en produisant l’enseignement qui m’était confié dans un groupe, ni pour en tirer la lumière à moi, notamment par aucun appel au public, ni même pour trop souligner les arêtes qui auraient pu contrarier la rentrée dans la communauté, laquelle restait pendant ces années le seul souci véritable de ceux à qui m’avait réuni une précédente infortune (soit la sanction donnée par les soins de Mademoiselle Anna Freud à une sottise de manœuvre, commise elle même sous la consigne que je n’en sois pas averti). […]

C’est l’avènement, corrélatif de l’universalisation du sujet procédant de la science, du phénomène fondamental, dont le camp de concentration a montré l’éruption. Qui ne voit que le nazisme n’a eu ici que la valeur d’un réactif précurseur. La montée d’un monde organisé sur toutes les formes de ségrégation, voilà à quoi la psychanalyse s’est montrée plus sensible encore, en ne laissant pas un de ses membres reconnus aux camps d’extermination. Or c’est là le ressort de la ségrégation particulière où elle se soutient elle même, en tant que l’I.P.A. se présente dans cette extraterritorialité scientifique que nous avons accentuée, et qui en fait bien autre chose que les associations analogues en titre d’autres professions, proprement parlé, une assurance prise de trouver un accueil, une solidarité, contre la menace des camps s’étendant à l’un de ses secteurs. L’analyse se trouve ainsi protéger ses tenants, d’une réduction des devoirs impliqués dans le désir de l’analyste. Nous tenons ici à marquer l’horizon complexe, au sens propre du terme, sans lequel on ne saurait faire la situation de la psychanalyse. La solidarité des trois fonctions majeures que nous venons de tracer, trouve son point de concours dans l’existence des Juifs. Ce qui n’est pas pour étonner quand on sait l’importance de leur présence dans tout son mouvement.

 

1974

 

Intervention de Jacques Lacan au Congrès de Rome

 

Que la femme soit l’objet “a” de l’homme à l’occasion, ça ne veut pas dire du tout qu’elle, elle a du goût à l’être. Mais enfin ça arrive. Ça arrive qu’elle y ressemble naturellement. Il n’y a rien qui ressemble plus à une chiure de mouche qu’Anna Freud ! Ça doit lui servir !

3 décembre 2014

J’ai assisté aux séminaires de Lacan dès l’âge de 23 ans, je l’ai personnellement rencontré à trois reprises pour lui dire ce que je pensais.

Dans sa pratique - aux dires de ses analysant/e/s, de ses élèves et de leurs conduites -, une impression étrange est restée sans réponse depuis, du fait qu’il avait évacué de la psychanalyse les piliers fondamentaux, c’est-à-dire - a) l’analyse des rêves et - b) la sexualité, donc à sa suite l’évolution de la libido (cf. métapsychologie, coexistence de la pulsion sexuelle et de la pulsion du moi - Je, Ich en allemand -, voire leur opposition). Il est vrai que détricoter, décomposer ces deux phénomènes exige, de la part de l’analyste, une patience infinie bienveillante, un long compagnonnage de travail ardu avec l’analysant/e…

Cet abandon, mais c’est mon seul point de vue, ne fut pas pour rien dans les slogans débridés de 68 et de son après, qui délivra une sorte d’affidavit à nombre de psychanalystes pour lesquels la pratique psychanalytique n’avait plus rien de commun avec la psychanalyse de Freud.

Outre la rédaction de mes propres travaux, dont des traductions, j’ai écrit réflexions et commentaires des dires et théories de Lacan sur 30 ans, dans un livre publié par notre association en 1987, parfaitement dédaigné par mes contemporains d’hier et d’aujourd’hui, que j’augmente depuis 27 ans. Pour comprendre les “mathèmes” (?) et autres supports scientifiques de Lacan, j’ai travaillé les mathématiques, la physique, la cybernétique et tout ce qui plaira, avec François Le Lionnais. Et aussi les algorithmes, chers à Lacan, bien utiles aujourd’hui en annexe pour comprendre le nouveau programme d’enseignement légiféré par la Ministre de l’Éducation nationale ! Des algorithmes pour analyser l’inconscient ? Par sigles, formules mathématiques, calculs, sans oublier l’apport original du Maître : les “nœuds” (j’épargne ici ma remarque plutôt rabelaisienne, non audible par les enfants et décentes oreilles, à propos d’iceux lors d’un colloque) ?

Côté transmission, la pratique psychanalytique, depuis la mort des derniers authentiques freudiens, s’est peu souciée de pédagogie, ne s’est guère attardée sur l’enseignement primaire qui, depuis près d’un demi-siècle, a privilégié les méthodes globales, c’est-à-dire la captation d’ensembles, les images, les sigles, habituant les jeunes générations à une mésestime pour la grammaire, dont la connaissance minimale permet de savoir à qui et à quoi l’on s’adresse…

Avec l’avènement de l’informatique et de son usage, par simple dérision devant ce que j’appelle des “pilleurs de troncs”, je date consciencieusement mes travaux depuis leur début, en 1967, ainsi que ceux de tous les auteurs de notre site.

L’on voudra bien m’excuser de ne m’être pas mariée, mon rythme singulier n’ayant pas permis d’administrer une maisonnée, ni au plan privé, de satisfaire aux besoins réguliers d’un partenaire. Ce à quoi j’aurai occupé ma vie ne m’en aura pas laissé le temps. Si bien que je suis littéralement invivable au sein d’un collectif.

Par contre, au cours de mon exercice professionnel et à mon insu, possiblement par la grâce d’une troisième oreille, mon contre-transfert échelonné a produit à ce jour 48 nouveau-nés, pour la plus grande part non-juifs. Les plus anciens sont aujourd’hui parents de jeunes adultes. Sans doute cet insu désirait-il réparer l’assassinat des enfants, avec ou sans identité, et les déjà ou à venir mères dans les chambres à gaz.

Ce que Freud analyse en tant que narcissisme des petites différences témoigne de la pérennité de l’ancrage, dans le collectif, de la structure œdipienne chez l’humain individuel, de sa nature laquelle, par définition et quelles que soient les tentatives d’en théoriser une refondation radicale, ne change pas, à moins de croire en une métempsychose, non plus des âmes, mais des corps. La base du narcissisme des petites différences, à partir des pulsions inhérentes, s’inscrit d’abord dans la structure de la famille : plus on est proche, plus se fantasment, et souvent se manifestent, voire se mettent en actes et en paroles, jalousies, rivalités, vœux meurtriers…, fixés dans l’infantile, lesquels perdurent tout au long de la vie, engendrent les guerres, internes et externes… Lesquelles familles font alors bloc quand il s’agit de vouer quelqu’un aux gémonies…

Il n’est manifestement pas facile aux humains de renoncer à satisfaire leur prédisposition à l’agressivité ; ils ne s’en portent pas mieux pour autant. Il faut se garder de traiter par le mépris [le déni ?] la prédominance de sphères culturelles restreintes, lesquelles ouvrent la voie à la satisfaction de la pulsion d’agression envers toute personne qui lui est extérieure. Il est toujours possible d’unir les uns les autres, par des liens d’amour, une considérable masse de personnes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour recevoir les coups de boutoir de l’agressivité. Je me suis occupé jadis de ce phénomène, selon lequel ce sont précisément les communautés adjacentes et même apparentées qui en décousent et se ridiculisent réciproquement ; par exemple Espagnols et Portugais, Allemands du Nord et du Sud, Anglais et Écossais, etc. Je l’ai désigné par « Narcissisme des petites différences », nom qui ne contribue guère à l’éclairer. Nous pouvons cependant considérer cela comme une satisfaction pratique et relativement inoffensive du penchant à l’agression, grâce à laquelle la cohésion de la communauté est rendue plus facile à ses membres.

 

[N. B. M. W. Ajoutons, autres exemples, tels nombre de Sépharades envers les Ashkenases, de déportées revenues, dont l’une fût-elle psychanalyste, envers les filles de déportés, des institutions et personnalités entre elles, des enfants de déportés entre eux.]

 

Bref, tout le monde se comporte comme il est de coutume dans la plupart des familles.

Quant à nombre de psychanalystes, en groupes fermés ou individuellement, ils ne se distinguent guère, qui privilégient leur Moi/Je, leur place prioritaire dans le social, leur mode de vie personnel, toisent leurs contemporains, fussent-ils collègues, avec condescendance comme ils le font envers des présumés malades, sont, identifiés à leur maître à agir et à ses adeptes, pédants, parangons de la litote, avares pathologiques (par exemple, un tic, emprunté à Lacan : oublier de se munir de sa carte bleue ou de son chéquier lors de sorties communes au restaurant)…

Sont-ils analysés ces gens-là, qui n’écoutent qu’eux-mêmes par le filtre de la voix de leurs maîtres, lesquels font fonction de grand A, pour lesquels il n’y a pas de petit autre ? Comment peuvent-ils écouter, transmettre quelque chose d’une éthique à leurs analysantes et analysants, lesquels à leur tour, un/e par un/e, devenus analystes ou non, pour celles et ceux ayant simplement réussi à façonner leur vie selon leurs qualités personnelles, insuffleront à leur entour le désir d’une conduite civilisée, sur laquelle repose l’œuvre de Freud ?

Y aurait-il un regain de tant de violences, de sauvagerie, dans les discours et dans les actes, si la dite illusoire “communauté” psychanalytique s’était souciée d’acquitter sa dette envers Freud pour, au moins, essayer d’apporter son écot à un projet de civilisation ?

Ah ! Le “devoir de mémoire” (!) expression baroque, admettons inadéquate, d’un Primo Levi au retour du camp, encore utopiste. La mémoire, cette qualité exclusivement individuelle qui ne saurait s’enseigner, participe-t-elle d’un devoir ? Ou s’entretient, se cultive-t-elle ? Autre est la transmission de l’histoire, en famille, à l’école, dans les homes d’enfants, qui laisse à chacun/e de montrer ou non ses réactions émotives. Ainsi, c’est au nom du “devoir de mémoire” plutôt que de l’histoire que l’on érige en dur des « Mémoriaux », appose des plaques commémoratives, organise des colloques, produit des films… ; si l’on considère que la mémoire appartient à la psyché collective… nous assistons alors, navrés, à la vanité de cette espérance.

Quoique vous disiez, pensiez, agissiez, tentiez, rien ne sert à rien, “ça” insiste, “ça” persiste.

Prenons pour exemple l’antisémitisme. L’antisémitisme, au même titre que la jalousie irrépressible et l’avarice, est à mon sens comparable à une pathologie grave, inguérissable, indéracinable. Vous dites, même en passant, que vous connaissez bien, d’expérience vécue, l’antisémitisme : vous êtes grossièrement traitée, surtout si vous êtes femme, par la vox populi, de “paranoïaque”, sans d’ailleurs que les locuteurs aient la moindre idée de ce que signifie, au plan clinique, une paranoïa, excepté nombre de spécialistes de la psyché, lesquels se joignent sans aucune gêne au vocabulaire de cette vox populi, qu’ils ont eux-mêmes enseignée en le répandant dans les médias.

Car la vox populi abrite en son sein des “zélites” pensantes, intellectuelles, professionnelles, de toutes appartenances. Aussi bien juives, celles dont on déplore une “haine de soi”, autre expression approximative. Plutôt que “haine de soi” je traduis Judenhasspar “haine de sa ou ses lignée/s”, au su, à l’éprouvé, au vécu, de plus de 2 000 ans d’histoire des Juifs, par besoin harassé de se faire accepter, convertir, d’en finir de porter ce poids maudit, qui les stigmatise.

Freud se reconnaissait Juif, sans la moindre concession. On attendait qu’un jour, il développe son assertion. Or, jusqu’en 1939 à Londres, l’on fut déçu. Il n’y a rien à expliciter, ni par l’historiographie, ni par la sociologie, pas plus que par une biographie, personnelle ou autorisée, puisque, tout simplement, d’origine, “ça s’est trouvé comme ça”.

8-9 décembre 2014

Cet état second est le contraire du narcissisme car il suppose à la fois un oubli de soi-même et une très forte concentration, afin d’être réceptif au moindre détail. Cela suppose aussi une certaine solitude. Elle n’est pas un repli sur soi-même, mais elle permet d’atteindre à un degré d’attention et d’hyper lucidité vis-à-vis du monde extérieur pour le transposer dans un roman.

Patrick Modiano, Stockholm, 7 décembre 2014

Que trois des sœurs de Freud, mentionnées dans des ouvrages d’auteurs français, négationnistes, tièdes ou de bonne foi, aient été assassinées par les nazis, de même que la dislocation effroyable d’un monde jusque-là perçu comme civilisé, avec ses conséquences sur la psyché individuelle et son extension en héritage sur le collectif, ne semblent guère avoir ému la psychanalyse française “spécialiste” de la déportation des Juifs.

Si j’ai dit et redit, écrit et réécrit, qu’une quantité raisonnable d’intitulés psychanalystes se réclamant de Lacan n’ont pas été analysés, c’est que je l’ai croisée de l’intérieur, approchée, écoutée, vue agir, et en ai côtoyé quelques-un/e/s dans le privé. Plusieurs, sur un ton badin, l’on déclaré ouvertement, ornant leur propos de cette boutade, fruit de leur expérience : “Les théories lacaniennes sont inapplicables au plan thérapeutique.”

D’où la question : qu’en est-il de leur pratique thérapeutique que, contrairement aux potins d’arrière-boutiques, Freud n’avait cessé de ciseler jusqu’en 1937, deux ans avant sa mort (cf. ci-joint, « Résistances à la psychanalyse », extraits de Constructions dans l’analyse) ?

Nous avons toutes et tous fait le triste constat, quand la jeunesse et la maturité nous ont lâchés, mais parfois aussi après un choc émotif d’une grande violence, de l’évanouissement de ce qui constitue la pérennité du désir, de l’enthousiasme, des illusions perdues d’avance… et, cela arrive quelquefois, de la mémoire, pour peu que l’enveloppe charnelle survive trop longtemps grâce aux progrès de la médecine. L’amenuisement, voire la disparition biologique de la sexualité, dont la perspective terrifie tant d’hommes (cf. « Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable », de Romain Gary), peut alors laisser place à une partielle ou totale indifférence. Freud, en témoigne qui, dans les dernières années de sa vie, note sa lassitude pour la pratique thérapeutique individuelle, ne s’attardant qu’à peine, dans sa correspondance privée, sur les conséquences physiologiques du cancer qui l’émiette, sur la douleur physique qui entrave sa pensée, sur la surdité qui l’isole, sur la déchéance du corps…

Pour en revenir à nos contemporains lacaniens et à leur pratique, évidée de son noyau à composite d’origine et dont Freud a patiemment construit le fondement d’un ensemble structuré de la psyché, nommément le rêve et la sexualité infantile, en 1953 déjà, au cours des furieuses guerres intestines et assassines entre personnes et institutions, Rudoph Loewenstein en exil définitif aux U.S.A. écrivait à Marie Bonaparte le 22 février 1953,

Ce que vous me dites de Lacan est navrant. Il a toujours présenté pour moi une source de conflit, d’une part son manque de qualités de caractère, d’autre part, sa valeur intellectuelle que j’estime hautement, non sans désaccord violent, cependant le malheur est que quoi que nous soyons convenus qu’il continuerait son analyse après son élection, il n’est pas revenu. On ne triche pas sur un point aussi important impunément (ceci entre nous). J’espère bien que ses poulains analysés à la va-vite, c’est-à-dire pas analysés du tout ne seront pas admis.”

Réponse de Marie Bonaparte,

Il me semble [que les scissionnaires] ne peuvent être agréés par l’Internationale jusqu’à ce qu’on voie quelle technique de formation des candidats ils emploient. C’est-à-dire que la question ne devrait se poser que dans deux ans et pas à Londres ; car le lacanisme risque de s’étendre : loi du moindre effort (c’est Marie qui souligne). Je trouve fâcheux que Lagache ait suivi ce fou… 

En annexe, il serait intéressant de se reporter à la lettre assez malveillante pour ses contemporains que Lacan, ne doutant aucunement de sa célébrité future dans l’histoire de la psychanalyse et n’ayant aucune idée des appréciations de Loewenstein et Marie Bonaparte, écrivit, en égal, à son “cher Loew” le 14 juillet 1953.

Trente-deux ans plus tard, en 1985, sur le même sujet, voici ce qu’écrivait François Perrier dans ses « Voyages extraordinaires en Translacanie »,

On a vu errer, dans les milieux analytiques, des gens complètement dévastés, acculés à se refabriquer un narcissisme d’emprunt, ficelé avec les concepts lacaniens ; à se faire une vie libidinale d’emprunt, de type pervers, dans la recherche de l’excitation ou du donjuanisme, et qui se sont complètement exilés d’eux-mêmes.

[…]

De fait, l’enjeu de [la Passe] se trouvait, du côté de Lacan, au service de sa formidable volonté de scruter les secrets de l’analyse et d’aller plus loin que Freud dans l’élaboration de la doctrine. Dans cette logique, les élèves devaient nourrir la pensée du maître et la revigorer par leur apport : la Passe permettait de filtrer ce matériel, et fonctionnait comme une banque de sang pour un laboratoire extrêmement sophistiqué, indifférent à l’identité des donneurs. [...]

Telle était l’économie de cette circulation de discours : elle alimentait la passion épistémologique de Lacan mobilisait la naïve ardeur des disciples, - et aussi la froide ambition des élèves. Par ailleurs, et réciproquement, il devenait possible de “voir” (sic) comment le discours de Lacan avait été digéré par ses patients - et par les patients de ses patients - et comment il était “restitué”. [...]

Certains, dans leur analyse, soutenaient à leur insu cette jouissance-là, et ils fournirent à l’examen la “matière la plus louable”, leur propre langue abjurée en faveur de Sa parole. [...]

Ainsi l’institution dressée autour de Lacan avait-elle transformé ce travail démesuré en système de sélection ou de fixation des élèves à des fins politiques, sur des critères d’orthodoxie et de mimétisme pratique. Il s’agissait de constituer un corps de serviteurs de la doctrine, et non plus une élite d’audacieux chercheurs. [...]

Les membres du jury s’en rendaient compte, mais ils n’avaient pas la force de se soustraire à cette complicité. La jouissance du secret partagé, l’attente du pouvoir, la peur de contrarier Lacan, la dépossession de toute référence extérieure et le désespoir dont ils étaient imprégnés leur fournissaient assez d’arguments en forme de rationalisations pour qu’ils soutinssent le cynisme exigé d’eux. Ils animaient donc ce scénario tout entier ordonné à des jouissances de voir, de savoir et de pouvoir, qui procura, au dire de certains des “juges”, la révélation la moins avouable de toutes parmi les multiples secrets qui cimentaient ce pouvoir : nombre de candidats démontraient qu’il n’y avait pas eu d’analyse. Pas plus d’ouverture de l’inconscient que d’effets psychiques de la cure. Aucune chance de bénéfice thérapeutique, mais une vocation à l’endoctrinement qu’il suffisait ensuite de théoriser comme analyse postfreudienne. C’est pourquoi, peut-être, Lacan a parlé d’échec de la Passe : sa matière n’était pas louable. [...]

Bien sûr, d’autres vous diraient que cette épreuve leur a fait vivre des moments privilégiés, qu’elle les a relancés dans l’analyse, qu’elle a fondé des amitiés. D’autres vont réfléchissant et théorisant sur de futures institutions où cette Passe garderait son rôle de formation et de sélection. Leur nostalgie de ce partage indique peut-être la consistance du lien qui les voua au projet de Lacan. Plus il y avait d’amour et de désir d’être aimé dans cette démarche, plus un “passeur” risquait de donner sa vie, réellement, à son insu, ou symboliquement, en renonçant à lui-même, parce que ce scénario permettait d’aller jusqu’au bout d’une tendance masochiste, dont l’issue était la destruction de soi en offrande à l’Autre.

20 décembre 2014

      Courrier adressé à la SPP et à faire suivre à l’intéressé non nommé.

  Chère A.

Il restait une coquille (corrigée). A., pouvez-vous imprimer cette lettre à la SPP et l’envoyer par la poste au Dr A. L. de ma part : pas d’adresse mail sur ses coordonnées.

Je ne l’ai pas nommé sur le courrier à la SPP, ce n’est pas mon style, mais tiens à ce qu’il soit tenu au courant.

W.

 

Objet : FW: À SPP

Date : mercredi 20 décembre 2014 12:25

De : fr <sitassoc@orange.fr>

À : SPP/Copie à l’intéressé

 

À SPP

J’ai été très surprise qu’une jeune femme, amenée à consulter, pour la seconde fois, un psychiatre (que je ne connais pas) de son arrondissement parisien, pour un problème sérieux de harcèlement dans une entreprise internationale, me communique le résultat des deux entretiens qu’elle eut avec lui.

Se réclamant de son habilitation de psychanalyste relevant de la SPP, il se serait permis, non seulement une légèreté de ton, mais de lui poser des questions plus qu’indiscrètes sur son analyse et son analyste. Contre quoi, il occupa sa consultation à dénigrer et démolir le travail et la personne de l’analyste auquel je l’avais adressée, à vouloir savoir de quelle école il dépendait, à expliquer par le menu à cette jeune femme ce qu’était une “véritable analyse” - pratique ancienne bien connue chez des collègues de tous bords pour récupérer des analysants à leurs profits, au pluriel. Mais ce, s’en tenant exclusivement au dispositif palpable, nombre de séances hebdomadaires et durée des séances. Quant à ses honoraires, ils sont d’un psychiatre avec dépassement, peu remboursés si l’on n’a pas les moyens de bénéficier d’une mutuelle onéreuse.

S’étant fait fermement rabrouer par cette jeune femme qui, je le répète, consultait un psychiatre et non un psychanalyste, elle est repartie sans avoir obtenu d’attestation de consultation (bien qu’incident désagréable, il n’est pas dramatique, je lui ai passé les coordonnées d’un psychiatre qui a toute ma confiance).

Il n’aurait pas été difficile pour ce docteur A. L., entre la première et la seconde consultation, de se reporter par Internet aux nom et travaux du site de son analyste : 40 pages sur Google.

Toutefois, il semblerait que j’aie surestimé l’éthique de certains professionnels issus de la SPP, que je ne rends en rien responsable des agissements de ses membres.

 

Micheline Weinstein

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/

26 décembre 2014

 Les “post-it” d’apostilles innombrables s’amoncèlent sur mon bureau en un tas dodu, il est temps que j’en termine. J’entreprendrai dorénavant de revenir sur, améliorer, mettre à jour, l’ensemble des mes travaux depuis 1967. Oui, je sais, cela diffuse un petit air de testament, lequel vaudra une guigne avec cet alexandrin que j’emprunte à Racine, Acte III, Scène dernière d’Esther, dont je remplace le sujet d’un tout autre contexte*. Il me semble être une épitaphe, simple, superbe, universelle : Elle n’a fait que passer, elle n’était déjà plus.

* Énoncé par une femme du chœur dans le texte de Racine au sujet d’Aman : “Il n’a fait que passer, il n’était déjà plus” (d’après le Psaume XXXVII, verset 36, Bible Osti).

Ainsi, je bouclerai aujourd’hui cette séquence sur ce que j’ai essayé de transmettre des « Résistances à la psychanalyse ».

Les lectrices et lecteurs intéressés trouveront en pièce jointe les notes de la traduction/interprétation d’extraits de Freud.

M. W. 1er janvier 2015

16 janvier 2015

 

Extrait du compte-rendu de la Lecture / Spectacle

« À la bonne adresse » au Théâtre Essaïon

à l’intention de la

Fondation pour la Mémoire de la Shoah

 

[…]

Bilan globalement plus que positif quant aux retours très chaleureux et encourageants des spectateurs, émus… Cf. Les nombreux commentaires des spectateurs, dont 6 exemples de lettres, choisies par le professeur, parmi celles reçues des élèves des 3 classes de 3e du collège de Bobigny, également ci-joints,

et sur

https://fr-fr.facebook.com/LeGrandtou

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/letteleves.html

 

Cette Lecture / Spectacle, programmée selon les disponibilités de l’Essaïon, est hélas tombée au pire moment, qui perdure, de l’actualité.

Si bien que la fréquentation certainement due à un concours de circonstances a été loin de la hauteur de nos espérances - fêtes juives de la mi-septembre jusqu’à début octobre, rentrée théâtrale, vacances scolaires, manifestations et mouvements sociaux répétés, et surtout pour notre tristesse, intérêt plus que réservé des institutions et médias quant aux contenu et message du spectacle…

Nous remercions la Fondation pour la Mémoire de la Shoah de son soutien financier pour la réalisation des représentations de la Lecture / Spectacle « À la bonne adresse » au Théâtre Essaïon, et, par avance, pour le versement du solde restant dû.

Veuillez recevoir, Mesdames, Monsieur, l’assurance de notre entière considération.

[…] 

Micheline Weinstein

Vice-P. de l’association Le GrandTOU

 

Rassemblement du 11 janvier 2015

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/rass_11_01_15.html

 

18 janvier 2015

 

Si je reste, sans restriction, solidaire de Charlie, je ne me suis pas jointe au rassemblement national du 11 janvier 2015.

S’associer à une célébration où défilaient au premier rang des chefs d’État les représentants de la Turquie, du Hamas et autres antisémites, au prétexte d’antisionisme, n’était pas envisageable.  Encore moins aux accolades chaleureuses à iceux dispensées.

Dès le lendemain, nous avons pu lire et entendre leurs déclarations antisémites, dont appels au meurtre des Juifs et assister, via les médias, à leurs actes.

À la lecture du « Canevas pour un autoportrait », on aura compris qu’“adhérer, quels que soient les cas de figure, m’a été de tous temps incompatible. Ma conception de la liberté de penser et de dire ce que je pense est in-adhérable, an-adhérente, il me faut réfléchir d’abord.

 

Ce rassemblement national traduisait-il le nouvel engouement pour l’usage du concept d’“empathie” ?

 

Nous avons déjà perçu que le lien réciproque entre les individus conglutinés en une masse est de même nature que l’identification qui prend sa source dans une communauté affective importante, et nous pouvons présumer que cette communauté réside dans le type de lien qui rattache au meneur. Un autre indice nous porte à dire que nous sommes bien loin d’avoir épuisé le problème de l’identification et que nous nous trouvons devant ce processus appelé “intuition” [Einfühlung = identification, intuition, empathie] par la psychologie, qui occupe la plus grande part de notre perception de ce qu’il y a d’étranger à notre moi chez l’autre.

Freud

Psychologie de masse et analyse du moi

 

m. w.

ø

Résistances à la psychanalyse

privées, publiques, didactiques…

ou

De la dénégation, une autre « théologie de la substitution »1

[Les lectrices et lecteurs intéressés pourront, s’ils le souhaitent, trouver ici quelques extraits de ma lecture - à distinguer de traduction - des Résistances à la psychanalyse, à partir de trois écrits de Freud en allemand2.

Déconcertée par le sort dévolu à la théorie freudienne et à son auteur, lequel continue, depuis un demi-siècle, de faire l’objet d’un ostracisme vulgaire en France3. De mon côté, je l’apparente à un négationnisme, en ce qu’il a réussi à annuler la discipline en tant que science, fût-elle humaine - si l’on excepte de nos jours auprès de la SPP4. Il m’est en effet apparu qu’après un siècle écoulé, ces résistances étaient restées fixées au stade infantile propre au « Complexe d’Œdipe » du monde d’avant-hier.

Les réflexions, commentaires, notes, arguments plus étoffés… figurent dans une apostille annexe, disjointe de ce travail, laissant à la lectrice ou au lecteur éventuels la liberté de s’y reporter ou non.]

ø

Freud

Il est possible que nombre d’entre nous aient du mal à renoncer à la croyance qu’il existe, inhérente à l’humain, une pulsion de perfectionnement qui a porté de nos jours son esprit à ce haut niveau de performance et de sublimation éthique, dont on pourrait espérer que son évolution obtienne qu’il accède au surhomme. Seulement, je ne crois pas en une telle pulsion intrinsèque et ne vois aucun moyen de cultiver cette apaisante illusion.

[…]

La pulsion refoulée ne cesse jamais de chercher à obtenir entière satisfaction, qui ne serait que la répétition d’une expérience de satisfaction initiale.

Freud • Au-delà du principe de plaisir

ø

Sur l’histoire du mouvement analytique • 1914

[Plus d’un siècle après la désignation par Freud du nom propre « Psychoanalyse »5, la copule “et” entre les termes “résistances” et “psychanalyse” pourrait s’apparenter à une tautologie6… Par ailleurs, J.-B. Pontalis, dans sa préface à « Sur l’histoire du mouvement… » évoque ainsi Ferenczi :]

 

  « Pathologie des associations » - [Ferenczi] sait, qu’il s’agisse de groupements politiques, sociaux ou scientifiques, qu’y règne la “mégalomanie puérile, la vanité, le respect des formules creuses, l’obéissance aveugle et l’intérêt personnel”. Il souligne, sans mâcher ses mots, l’analogie entre tout groupe humain et la famille : ici comme là, amour et haine pour le père, qu’on est prêt à évincer, à anéantir, à enterrer […] ; rivalité et jalousie entre les frères ; tentatives de tous ordres pour obtenir les faveurs du père. […] Ferenczi pressent même que, dans les sociétés psychanalytiques, les choses n’iront pas mieux, tout au contraire : les passions, transferts et identifications aidant, risquent fort d’y être exacerbées, les conflits plus violents…

[…]

C’est ainsi que, le temps passant, je me suis délibérément refusé le plaisir sans égal de lire les œuvres de Nietzsche, ne voulant être entravé d’aucune façon par quelque idée préconçue pour élaborer ce que la psychanalyse m’avait enseigné. Pour ce faire, je devais être disposé - et je le suis sans difficulté - à renoncer à toute revendication de priorité dans les cas fréquents où la laborieuse investigation psychanalytique ne peut que ratifier les points de vue acquis intuitivement par les philosophes.

La théorie du refoulement est donc le pilier d’angle sur lequel repose l’édifice de la psychanalyse, autrement dit son principe fondamental, qui n’est en soi rien d’autre que la formulation théorique d’une expérience reproductible à volonté, laquelle agit auprès d’un névrosé sans que l’on ait recours à l’hypnose. C’est alors que se manifeste une résistance qui s’insurge devant le travail analytique, alléguant, pour lui faire échec, une perte de mémoire. Et c’est vraisemblablement cette résistance que camoufle l’usage de l’hypnose ; c’est pourquoi, ce n’est qu’après l’innovation technique du renoncement à l’hypnose que commence véritablement l’histoire de la psychanalyse en tant que telle. Reconnaître théoriquement la spécificité selon laquelle cette résistance coïncide avec une amnésie, mène alors inéluctablement à l’hypothèse d’une activité psychique inconsciente, laquelle est spécifique à la psychanalyse et qui, pour le moins, se différencie nettement des spéculations philosophiques sur l’inconscient. Ainsi, l’on peut dire de la théorie psychanalytique qu’elle vise à rendre intelligible deux processus qui se manifestent de façon singulière et inattendue chez un névrosé, pour faire remonter à leur source les symptômes morbides émanant de son historique personnel : le fait du transfert et celui de la résistance. Tout axe de recherche qui reconnaît ces deux faits et les admet comme base de son travail est en droit de se nommer psychanalyse, même s’il aboutit à d’autres résultats que les miens. Mais il sera malavisé pour celui qui aborde le problème par d’autres voies et déroge à ces deux conditions préalables, s’il persiste après cela à se nommer psychanalyste, de se soustraire au blâme de détournement de la propriété par “mimicry” [mimétisme].

[…]

Ce que j’avais de sensibilité personnelle s’émoussa à mon avantage au cours de ces années. Toutefois, si l’amertume me fut épargnée, ce fut grâce à un contexte qui ne privilégie pas toujours les promoteurs7 esseulés. Ceux-ci sont généralement taraudés par le besoin d’élucider les causes de l’indifférence ou du rejet qui émanent de leurs contemporains, et qu’ils perçoivent comme une lourde résistance à la solidité de leur propre conviction. Je n’avais pas besoin de cela, puisque la théorie psychanalytique me permettait de concevoir cette posture de l’environnement comme une conséquence inévitable des hypothèses fondamentales de l’analyse. S’il était exact que les interrelations que j’avais découvertes étaient maintenues à l’écart du conscient chez les névrosés par des résistances affectives internes, alors ces résistances apparaissaient à l’identique chez les bien portants, dès que quelqu’un d’extérieur les amenait à prendre connaissance de ce qui était refoulé.

ø

Les résistances à la psychanalyse • 19258

Aujourd’hui pas plus qu’hier, je n’ai l’intention de donner en exemple préséance à ma personne, surtout pas comme modèle, encore moins comme Vénérable Freud

[Extrait de sa lettre du 10 mai 1909 à Oskar Pfister, en exergue de l’introduction de Ilse Grubrich-Simitis à Selbstdarstellung, Sigmund Freud Lebensgeschichte und die Anfänge der Psychoanalyse]

Quand le nourrisson dans les bras de sa nurse se détourne en hurlant à la vue d’un visage étranger, quand le pratiquant célèbre chaque laps de temps par une prière et salue d’une bénédiction les prémices de l’année, de même, quand le paysan refuse d’acheter une faux sous prétexte qu’elle ne porte pas la marque de fabrique habituelle de ses parents, il semble alors logique, devant ces situations d’une diversité au premier coup d’œil évidente, d’attribuer à chacune d’entre elles des causes distinctes.

C’est ainsi que nous avons tort de ne pas prendre en compte ce qu’elles ont de commun. Dans chaque cas, se manifeste un déplaisir (une aversion ?9) de même nature : chez l’enfant, il se formule de façon rudimentaire ; chez le pratiquant, il se manifeste par un apaisement factice ; pour le paysan, il sert de prétexte à sa décision. Or, la source de cette aversion témoigne de la dépense d’énergie psychique qu’exige ce qui est nouveau pour la vie de l’esprit, à laquelle s’associe une intranquillité intellectuelle qui développe une attente chargée d’angoisse. La réaction psychique devant ce qui est nouveau en tant que tel devrait nous inciter à faire l’analyse de la chose, car dans certains contextes moins sommaires, l’on peut observer un mode d’être opposé, c’est-à-dire le désir de se jeter sur tout ce qui est inédit, tout simplement parce que c’est nouveau.

Dans le domaine des sciences, il ne devrait y avoir aucune place pour la peur de l’inédit.

La science, dans son insuffisance et sa perpétuelle incomplétude, exige d’espérer son salut dans de nouvelles découvertes et une nouvelle herméneutique10. Afin de n’être pas stupidement déçue, elle a avantage à s’armer de scepticisme et à n’entériner ce qui se présente comme nouveau qu’après l’avoir d’abord sérieusement mis à l’épreuve. Il arrive incidemment que ce scepticisme mette en évidence deux caractéristiques inattendues. Il se dresse violemment contre ce qui est nouveau, tout en ménageant avec grand respect ce qui est déjà reconnu et tenu pour vrai, et ainsi se contente, sans la moindre investigation préalable, de le récuser11. C’est alors que, ce faisant, ce scepticisme se révèle comme n’étant qu’un prolongement de cette réaction de défense contre ce qui est nouveau, obscurantiste, primitive, afin de la maintenir. C’est bien connu : combien de fois, dans l’histoire de la recherche scientifique, est-il arrivé que la nouveauté se heurte à une résistance opiniâtre et intense, dont le cours des choses a montré par la suite qu’elle était sans aucun fondement, alors que cette nouveauté recelait une valeur de première importance. Ce qui provoquait la résistance était, dans l’ensemble, dû à certains facteurs propres à la nouveauté en soi, alors que par ailleurs, des facteurs latéraux essayaient d’agir de concert pour rendre possible l’ouverture d’une brèche dans la réaction primitive.

La psychanalyse, que l’auteur avait entrepris de développer à partir des découvertes de Joseph Breuer, presque 30 ans auparavant à Vienne, sur l’origine des symptômes névrotiques, se heurta à un accueil particulièrement désagréable. On ne peut contester son caractère de nouveauté, bien qu’elle ait exploité quantité de matériaux déjà largement connus se référant à l’enseignement du grand neuropathologiste Charcot, ainsi que des indices propres au domaine des phénomènes hypnotiques. Visant à créer une méthode nouvelle et efficace de traitement des affections névrotiques, la portée de la psychanalyse fut, à l’origine, exclusivement thérapeutique. Mais des interactions que l’on n’avait tout d’abord pas décelées lui permirent de dépasser de loin son objectif initial. Elle put enfin faire valoir qu’elle avait procuré une base nouvelle à notre conception de la vie psychique et prendre ainsi une place éminente dans tous les domaines d’un savoir fondé sur la psychologie. Après avoir été complètement dédaignée toute une décade, elle devint subitement l’objet d’un intérêt général des mieux partagés - et déchaîna une tempête de récusations horrifiées.

[…]

Dans l’immédiat, nous laisserons de côté les formes sous lesquelles la résistance à la psychanalyse trouva à se manifester.

[…]

Ici, notre intérêt sera axé uniquement sur ce qui motive la résistance à la psychanalyse, en tenant particulièrement compte de sa nature composite et des liaisons possibles entre ses éléments disparates.

[…]

Que quelqu’un réussisse à isoler et à mettre en évidence la ou les substances éventuelles relatives aux névroses, serait alors une découverte qui n’aurait pas à craindre l’opposition de la part des médecins. Jusqu’à présent toutefois, la voie n’est pas encore ouverte. Pour l’instant, seule la formation des symptômes est appréhendée qui, par exemple dans le cas de l’hystérie, se présente comme un combiné de désordres somatiques et psychiques. Or, les expériences de Charcot, de même que les observations cliniques de Breuer, nous ont appris que les symptômes somatiques sont psychogènes, c’est-à-dire qu’ils sont un précipité de processus psychiques parvenus à échéance.

[…]

Les médecins avaient été formés à ne privilégier exclusivement que les facteurs anatomiques, somatiques et chimiques. Ils n’étaient pas préparés à prendre en considération ce qui relève du psychisme, si bien qu’ils ne manifestèrent devant la psychanalyse qu’indifférence et aversion.

[…]

Les psychiatres eux-mêmes, pourtant assujettis en permanence à l’examen des phénomènes psychiques les plus insolites et les plus étranges, ne témoignèrent d’aucune attention à l’analyse des éléments qui les composaient, pas plus qu’à chercher à déceler leur cohérence.

[…]

Au cours de cette époque de matérialisme ou mieux, de mécanisme12, la médecine réalisa des progrès remarquables, mais témoigna par ailleurs de son étroitesse de vues devant ce qu’il y a de fondamental et de plus grave dans les problèmes de la vie.

[…]

Par contre, on aurait pu s’attendre à ce que la nouvelle théorie ait une chance de rencontrer l’approbation des philosophes, eux qui étaient rompus à établir des concepts abstraits - les mauvaises langues diraient : des mots nébuleux - au faîte de leur explication du monde ; il ne s’avérait donc guère possible pour eux d’être choqués par la psychanalyse, laquelle frayait une voie à l’extension du champ de la psychologie. Or là, on se heurta à un obstacle supplémentaire. Le psychique des philosophes n’était pas celui de la psychanalyse. Dans leur écrasante majorité, les philosophes désignent le psychique par ce qui ressort exclusivement d’un phénomène conscient. Pour eux, le périmètre de la sphère du conscient est en adéquation avec celui du psychique. Par ailleurs, d’autres données relevant de l’“esprit” [« Seele »], si difficiles à déceler, sont ravalées par eux au rang de théories organiques ou de processus parallèles au psychisme. Ou, strictement parlant, pour eux, l’esprit n’a d’autre substance que le phénomène du conscient, la science de l’esprit, la psychologie, n’ayant donc pas d’autre objet. Sur ce point, le non-instruit [Laie, ou inexpérimenté]13 ne pense pas autrement.

Que dira alors le philosophe devant une théorie pour laquelle, comme l’affirme au contraire la psychanalyse, le psychique en soi est inconscient, tandis que la cognition - le conscient - est une simple qualité qui peut ou ne peut pas compléter un acte psychique isolé, et qui, si elle fait défaut, ne l’altérera en rien. Cela va de soi, le philosophe dira que juxtaposer les deux termes, psychique et inconscient, est un non-sens, une contradictio in adjecto14, et négligera de reconnaître que, par ce jugement, il ne fait que répéter sa propre définition - peut-être limitée - de ce qui relève du psychique. Cette conviction est rendue facile aux philosophes, en tant qu’elle est étrangère au matériel dont l’investigation astreignit les analystes à tenir pour vrai les actes psychiques inconscients.

[…]

Si, encore une fois, nous jetons un œil sur les résistances à la psychanalyse décrites ici, nous pouvons dire que seule une minorité d’entre elles s’apparente à celles qui s’élèvent habituellement contre la plupart des innovations scientifiques de la plus haute importance. La majorité d’entre elles sont dues à ceci, que le contenu de leur théorie choque d’intenses émotions humaines.

[…]

Seules également, des difficultés extérieures contribuèrent à renforcer les résistances à la psychanalyse. Il n’est pas facile d’accéder à un jugement autonome sur l’analyse, si l’on ne l’a pas expérimentée sur soi-même ou encore pratiquée auprès de quelqu’un d’autre, ce qui ne peut se faire si l’on n’a pas acquis au préalable une technique bien définie et très délicate, alors que, jusqu’à présent, la conjoncture ne favorisait pas l’accès à l’apprentissage de la psychanalyse et de sa technique.

[…]

Pour conclure, l’auteur peut, sous toutes réserves, se demander si sa singularité de Juif, qui n’a jamais songé à dissimuler sa judéité, n’a pas contribué à l’antipathie de l’environnement envers la psychanalyse. Un tel argument ne fut que rarement énoncé de vive voix. Nous sommes hélas devenus si défiants que nous ne pouvons éviter d’envisager que ce facteur soit totalement resté sans effet. Ce ne fut peut-être pas tout à fait un hasard si le premier porte-parole de la psychanalyse fut un Juif. Faire reconnaître la psychanalyse exigeait d’être assurément prêt à accepter la solitude dans l’adversité, destin qui, plus que tout autre, est familier à un Juif.

ø

Nouvelle série de conférences pour un accès à la psychanalyse • 1933

[…] la résistance est pour nous l’indice le plus sûr d’un conflit. Ici, une force tente de traduire quelque chose, tandis qu’une autre, ne le tolérant pas, se dresse contre ce signal. Ce qui aboutit au rêve manifeste, lequel peut alors résumer toutes les décisions dans lesquelles ce combat entre les deux efforts s’est condensé. Or, jusqu’à un certain point, l’une des deux forces peut être parvenue à faire passer ce qu’elle signifiait, tandis qu’en un autre point, l’instance intolérante a réussi à effacer parfaitement le message énoncé ou à lui substituer quelque chose qui n’en révèle plus la moindre trace. Pour ce qui concerne la formation du rêve, les cas les plus fréquents et les plus caractéristiques sont ceux dans lesquels le conflit s’est résolu par un compromis, de telle sorte que l’instance visant à informer a, certes, pu exprimer ce qu’elle signifiait, mais non pas de la façon dont elle le voulait - c’est-à-dire seulement acceptable, défigurée, rendue méconnaissable. Si donc, au cours de notre analyse du rêve, le rêve ne restitue pas fidèlement le langage15 [ou texte] du rêve, sans recourir à un nécessaire travail d’analyse pour combler la faille qui divise les deux forces, c’est alors le succès de l’instance réfractaire, inhibitrice, restrictive, que nous avons déduite de notre perception de la résistance. Aussi longtemps que nous avons étudié le rêve comme un phénomène isolé, indépendant des formations psychiques qui lui sont apparentées, nous avons nommé cette instance le Censeur du rêve.

Vous savez de longue date que la censure n’est pas une modalité propre à la vie du rêve. Que le conflit, entre deux instances psychiques que nous désignons - approximativement - par “conscient” et par “refoulé inconscient”, domine incontestablement toute notre vie psychique, et que la résistance à l’analyse du rêve, marqueur de la censure dans le rêve, n’est rien d’autre que la résistance due au refoulement, qui écarte l’une de l’autre ces deux instances. Vous savez également que du conflit entre ces deux instances procèdent, sous certaines conditions, d’autres entités psychiques qui, comme dans le rêve, résultent de compromis, et vous n’attendrez pas de moi que je me répète pour vous exposer tout ce que nous savons des formations de tels compromis, puisque cela figure dans l’Introduction à la théorie des névroses16.

[…]

Vous le savez parfaitement, nous l’avons souligné dès le tout début, l’être humain tombe malade d’un conflit entre les exigences de la vie pulsionnelle et la résistance qui, en son for intérieur, se dresse contre elles.

[…]

En 1921, dans une étude sur la psychologie de masse, j’ai cherché à développer la distinction entre Moi et Surmoi. J’ai abouti à une formule telle que : une masse psychologique est formée d’un groupe d’individus qui ont absorbé la même personne dans leur Surmoi et où, sur le socle de cette communauté, chacun a identifié son Moi à celui des autres.

[…]

Comme vous le savez, toute la théorie psychanalytique est à proprement parler construite à partir de l’observation de la résistance que nous oppose l’analysant dès lors que nous essayons de lui rendre conscient son inconscient. Le signal évident de la résistance est que ce qui lui vient à l’esprit tombe en panne ou s’écarte largement du thème abordé. Il peut arriver qu’il reconnaisse subjectivement la résistance, en ce que, quand il se rapproche du thème, il l’éprouve comme une sensation pénible. Mais ce dernier indice peut faire défaut. Nous disons alors au patient que sa façon d’être laisse supposer qu’il se trouve alors en état de résistance, ce à quoi il répond qu’il ignore tout de cela, il est simplement conscient que ce qui lui vient à l’esprit est comme entravé. Ce qui signifie que nous avions vu juste ; dans ce cas, la résistance était donc, elle aussi, inconsciente, tout aussi inconsciente que le refoulé que nous avons travaillé à exhumer. La question aurait dû être soulevée depuis longtemps : de quel sous-ensemble de la vie psychique émanait-elle ? La réponse sera vite à la portée du débutant en psychanalyse : il s’agira, bien sûr, de la résistance de l’inconscient. Réponse ambiguë, inutilisable ! Si avec cela on s’imagine qu’elle émane de l’inconscient, il nous faut alors dire : certainement pas ! Au refoulé, nous devons plutôt attribuer une forte impulsion, un puissant désir de se frayer un passage vers le conscient. La résistance ne peut être qu’une manifestation du Moi, chez qui le refoulement a, en son temps, été accompli, et qu’il tient désormais à maintenir. D’ailleurs, de tout temps, nous l’avons toujours conçu ainsi. Depuis que nous en sommes venus à admettre une instance spécifique dans le Moi, instance qui est le Surmoi, lequel représente les exigences restrictives et répulsives, nous pouvons dire que le refoulement est l’œuvre de ce Surmoi, qui agit de lui-même ou par l’intermédiaire du Moi inféodé à ses ordres17. Si alors se présente le cas où, dans l’analyse, la résistance n’affleure pas à la conscience de l’analysant, cela signifie, soit que le Surmoi et le Moi, dans des situations sévères, peuvent agir inconsciemment, soit - et ce serait encore plus marquant - que la quote-part de chacun des deux, le Surmoi et le Moi, est inconsciente. Dans les deux cas, nous devons reconnaître - réalité peu réjouissante - que (Sur)moi et conscient d’un côté, refoulé et inconscient de l’autre, sont loin de coïncider.

 

Post-scriptum • 1935

à

Autoportrait • 1925

[…] Qu’il me soit permit ici de conclure mes informations autobiographiques. En d’autres termes, sur ce qui concerne ma vie personnelle, mes luttes, mes déceptions et mes succès, le public n’a aucun droit d’en apprendre davantage.

ø

Constructions dans l’analyse • 1937

Un homme de science éminent, que j’ai toujours tenu en haute estime en ce qu’il a manifesté sont respect pour la psychanalyse à un moment où la plupart des autres ne s’y sentaient pas obligés, a tout de même eu une fois des paroles aussi offensantes qu’injustes sur notre technique analytique. Il prétendait que lorsque nous exposons nos interprétations à un patient, nous agissons contre lui, selon le principe tristement célèbre : Heads I win, tails you lose18.

[…]

Comme on le sait, l’objectif du travail analytique est d’amener le patient à débloquer les refoulements, en place dès son plus jeune âge - refoulement étant entendu dans son sens le plus large19 -, pour leur substituer des réactions qui correspondraient à un état de maturité psychique. […] Nous savons que ses symptômes et inhibitions existantes sont les conséquences de tels refoulements, donc des substituts de ce qui a été oublié.

[…]

Quel est donc le travail de l’analyste ? Il doit, à partir des indices échappés à l’oubli, deviner ou, plus précisément, construire. Comment, quand et dans quels termes l’analyste transmet-il sa construction à l’analysant, les arguments qui l’accompagnent, c’est cela qui instaure la jonction entre les deux composantes du travail analytique, entre sa partie et celle de l’analysant.

[…]

Que, dans les études sur la technique analytique, nous entendions si peu parler de “constructions”, tient à ce que, au lieu de construction, on parle d’interprétations et de leur impact. Or, je pense que construction est de loin l’appellation adéquate. Interprétation relève de ceci, que l’on ne traite qu’un élément isolé du matériel, une incidence, un lapsus, etc. Alors qu’une construction consiste à présenter à l’analysant un fragment oublié de ses antécédents… […]

On a évidemment considérablement exagéré le danger d’égarer le patient par la suggestion, en lui “bourrant le crâne” avec des choses auxquelles on croît soi-même, et qu’il ne devrait pas tolérer. Il faudrait que l’analyste se soit comporté d’une façon franchement incorrecte pour qu’il ait pu rencontrer un tel accident de parcours ; c’est alors qu’il devrait, avant toute chose, se sentir coupable de ne pas avoir laissé au patient la possibilité de parler librement20.

[…]

Il est exact que nous ne souscrivons pas au “non” de l’analysant, qui ne nous satisfait pas pleinement, de même que nous considérons aussi peu son “oui” comme plausible ; quel que soit le cas, nous accuser de transformer son énoncé en le réinterprétant comme une affirmation est tout à fait immérité. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples et ne nous facilitent guère notre conclusion.

Le “oui” net de l’analysant est équivoque. Cela peut en effet indiquer qu’il admet le bien-fondé de la construction entendue, mais peut être aussi bien vide de sens, voire même ce que nous appellerions “hypocrite”, dans la mesure où cela conforte sa résistance en ce que, de surcroît, par une telle approbation, cette résistance maintient la vérité sous silence. Ce “oui” ne vaut que s’il est suivi d’une validation indirecte, à condition que le patient produise, dans l’instant qui suit son “oui”, des souvenirs21 originaux, qui étayent et parachèvent la construction […].

Le “non” de l’analysant est tout aussi équivoque et, de fait, encore moins exploitable que le “oui”. Il ne témoigne qu’exceptionnellement d’une récusation justifiée ; la plupart du temps, il s’agit de la manifestation d’une résistance causée par le contenu de la construction proposée, mais peut aussi émaner d’un autre facteur inhérent à la complexité de la situation analytique22.

[…]

Je vais terminer cette communication succincte par quelques remarques susceptibles d’offrir de plus larges perspectives. J’ai été frappé, dans plusieurs analyses, par ceci que la transmission d’une construction indiscutablement exacte suscitait chez les analysants un phénomène inattendu et au premier abord indéchiffrable. […] La “poussée” ascendante produite par le refoulé, avivée par la construction explicite, avait cherché à frayer, à d’importantes traces mnésiques, un chemin jusqu’au conscient ; une résistance avait réussi, non pas certes à enrayer le mouvement, mais à le déplacer vers des objets adjacents, subalternes.

[…]

[Les] souvenirs auraient pu être qualifiés d’hallucinations si la croyance en leur bien-fondé ne s’était ajoutée à leur limpidité. C’est alors que l’analogie prit tout son sens quand mon attention fut, dans un autre contexte, lequel n’était assurément pas psychotique, attirée par l’émergence épisodique de véritables hallucinations. Après réflexion, j’en vins à penser ceci : le caractère générique de l’hallucination n’a peut-être pas encore été suffisamment examiné en tant que reflux d’une chose advenue en un temps reculé, laquelle fut ensuite oubliée - quelque chose que l’enfant a vu ou entendu alors qu’il ne maîtrisait pas encore le langage, et qui s’impose alors au conscient, mais défiguré et décalé sous l’effet de forces qui résistent à ce reflux. Ainsi, en fonction du rapport étroit de l’hallucination avec certaines formes de psychoses, notre ligne de pensée s’est alors développée. Il est fort possible que les formations délirantes, où sont presque toujours enchâssées ces hallucinations, ne soient pas aussi autonomes que nous voulons communément l’admettre quant à la poussée ascendante qu’opère l’inconscient et le retour du refoulé. En règle générale, dans le mécanisme d’une formation délirante, nous ne mettons l’accent que sur deux facteurs, d’une part celui de fuir le monde réel, avec les causes de cet évitement, et de l’autre, l’influence qu’exerce, sur le contenu du délire, le vœu qu’un désir se réalise23. Mais ce processus dynamique ne serait-il pas plutôt celui selon lequel la fuite devant la réalité de la poussée du refoulé serait exploitée pour imposer son contenu au conscient, pendant que les résistances, stimulées par ce processus et la tendance au vœu de réalisation de désir, se partageraient la responsabilité de la falsification et du décalage de ce qui est remémoré ? Il s’agit là du mécanisme, bien connu de nous, identique à celui du rêve que, dans des temps immémoriaux, l’intuition des Anciens avait déjà assimilé à la folie.

Je ne considère pas cette conception du délire comme entièrement nouvelle, toutefois, elle souligne un point de vue qui n’occupe généralement pas le devant de la scène. Il est essentiel d’affirmer que la folie, tient non seulement d’une méthode, comme le poète l’a déjà perçu24, mais qu’elle contient aussi un fragment de vérité historique25, et il y a tout lieu de supposer que la croyance compulsive conférée au délire tire précisément sa force d’une telle source infantile. Je ne dispose aujourd’hui pour établir cette théorie que de réminiscences, non d’impressions récentes. Cela vaudrait assurément la peine, sur la base des hypothèses développées ici, de s’employer à étudier les symptômes de tels cas, pour ensuite mettre en place leur traitement. On renoncerait à s’empresser inutilement de convaincre le malade de la folie de son délire et de sa discordance avec la réalité ; au contraire, reconnaître le noyau de vérité permettrait de trouver un terrain d’entente sur lequel le travail thérapeutique pourrait se développer. Ce travail consisterait à libérer le fragment de vérité historique de ses altérations et de ses étais sur la réalité présente, pour le rediriger sur les traces du passé auquel il appartient. En général, le déplacement d’un passé très lointain, oublié dans le présent ou dans l’attente de l’avenir, se produit tout aussi bien chez le névrosé. Le plus souvent, quand un état d’angoisse lui fait redouter que survienne quelque chose de terrifiant, il est en fait sous la pression d’un souvenir refoulé qui cherche à passer dans le conscient, mais ne peut y parvenir, alors c’est, qu’en effet, une chose terrifiante s’est réellement produite à l’époque. Je pense qu’une telle approche auprès des psychotiques serait un enseignement du plus grand intérêt,…26

[…]

Les formations délirantes des malades m’apparaissent comme équivalentes aux constructions que nous bâtissons dans le traitement analytique, lesquelles sont des tentatives d’élucidation et de restauration qui, dans les données de la psychose, ne peuvent toutefois conduire à rien d’autre qu’à remplacer le fragment de réalité que l’on avait dénié dans le présent par un autre fragment que l’on avait également dénié dans un passé ancestral. Il appartiendra à l’examen [clinique] individuel de révéler les relations intimes entre le substrat du déni actuel et le refoulement d’origine. De même que notre construction n’agit qu’en ce qu’elle restitue un fragment de ce qui fut perdu au cours de l’histoire d’une vie, de même le délire doit sa force de persuasion à la part de vérité historique qu’il substitue à la réalité déboutée. De telle sorte que le délire relèverait du principe identique à celui que j’ai autrefois énoncé pour la seule hystérie, selon lequel les malades souffrent de leurs propres réminiscences. Cette brève formule ne visait, à l’époque, ni à contester la complexité de ce qui cause27 la maladie, ni à exclure l’impact de tant d’autres facteurs.

ø

Notes des extraits de « Résistances à la psychanalyse »

1     Pour une approche de la substitution en France de la psychanalyse et du nom de Freud par ceux de Lacan, cf. Conférence à l’assemblée nationale des Amitiés judéo-chrétiennes de France à Montpellier, 5 juin 2006, par Rivon Krygier.

2    Die Widerstände gegen die Psychoanalyse, Selbsdarstellung, Zur Geschichte der psychoanalytischen Bewegung, Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, Konstruktionen in der Analyse.

3    Selon le « Witz » d’Einstein : Si la relativité se révèle juste, les Allemands diront que je suis Allemand, les Suisses que je suis citoyen suisse, et les Français que je suis un grand homme de science. Si la relativité se révèle fausse, les Français diront que je suis Suisse, les Suisses que je suis Allemand et les Allemands que je suis juif.” “Un grand homme de science” est d’une banalité qui ne mange pas de pain, concédons aux Allemands de ce temps-là leur absence d’hypocrisie !

4    Ostracisme envers Freud, ou attitude hostile d’un ensemble de personnes constituant une communauté envers ceux qui lui déplaisent = ici, sous couvert de “potins”, largement répandus dans et par les médias, friands de salacités. Cf. ma lettre ouverte à Élisabeth Roudinesco, laquelle, pas plus que d’autres présumés collègues, n’ayant jamais daigné prendre connaissance de mes travaux, ni même jeter un œil, fût-il rapide, sur notre site où figurent les références et la plupart de mes publications depuis près de cinquante ans, et qui m’attribuait encore récemment l’âge de feue une célébrité lacanienne, si bien que j’aurais aujourd’hui 93 ans !

http://www.psychanalyse.et.ideologie.fr/lettreroudi.html

Il est loisible de prendre connaissance de la vie sexuelle de Freud, de ses espoirs et déceptions, des causes réelles de dissensions transférentielles dans le mouvement analytique, avec et entre ses élèves, ses (parfois faux) amis, ses correspondants… Pour ce qui l’en est de sa vie intime, Freud les évoque ouvertement dans sa volumineuse correspondance privée bien que publiée ; quant aux dissensions, elles sont également éditées dans ses œuvres considérées comme complètes à ce jour. De telle sorte qu’aujourd’hui, la SPP et ses antennes, reconnues d’utilité publique, assurant une formation théorique, technique et clinique - autrement dit thérapeutique -, serait seule habilitée à authentifier l’intitulé et la fonction du Psychanalyste, ce qui mettrait fin aux “autorisations de soi-même” prônées par Lacan, lesquelles permettent à tout un chacun, non professionnel, de s’auto-nommer “psychanalyste”, en même temps que d’utiliser le nom propre de « Psychanalyse », créé par Freud, sans aucune gêne ni considération pour son auteur. Bien que, comme dans toute société humaine, la SPP ne puisse hélas garantir la pratique et les conduites de ses anciens élèves, une fois authentifiés par l’institution. Devenue en France, grâce à l’énorme influence sur les médias de la multinationale lacanienne (avec son staff de “Cartels”), un objet qui ne prétend à nul service, qui ne sert à rien ou dont la fonction est si futile qu’on devine bien que sa création n’a pas été dictée par un besoin, c.-à-d. un gadget (CNRTL) à l’usage de tous, pour qui n’est pas sensible à l’étymologie. [Cf. développé dans « Commentaires… »]

5    Rebaptisée Psychanalyse par Jung.

6    Tautologie = du grec tauto logos, le fait de dire la même chose. Copule = de copula, lien, union, mot qui lie deux termes, en particulier le sujet et le prédicat ; son évolution = accouplement charnel, lien moral. Prédicat = terme qui dit quelque chose de l’autre.

7    De promoverer = faire avancer, chercher à faire admettre une conception nouvelle.

8      N. B. Demeure aléatoire le fait d’insérer la théorie psychanalytique, la biographie de Freud, la pratique analytique, le cursus de formation des analystes, qui nécessitent une psychanalyse personnelle préalable, dans les programmes scolaires, universitaires généraux et médias, où l’inconscient est évacué. Cf. à ce sujet et à titre d’exemples, Freud, Ferenczi, Bernfeld

9      Et éventuellement l’apparition d’une phobie...

10   Herméneutique = Art d’interpréter.

11   Ce qui entraîne le déni.

12   Matérialisme, mécanisme, se reporter à « Théorie du… ».

13   Lie signifie ici “inexpérimenté” ; dans d’autres textes, “novice, débutant, apprenti…”, pour enfin, lors de la tentative d’“OPA” des Américains sur l’exercice des psychanalystes, la controverse qui s’ensuivit et la ferme opposition de Freud, non-médecin.

14    Incohérence logique entre un nom [substantif] et son adjectif modificatif.

15    Traumgedanken. Plutôt que “pensées du rêve”, j’ai préféré “langage” ou “texte”, à partir de cette définition, de l’Encyclopédie Larousse = Le langage est un système qui a pour finalité de réaliser un message d’un émetteur vers un récepteur.

16    Cf. « Conférences d’introduction à la psychanalyse • 1916-17 ».

17    Sur la satisfaction masochiste du Moi soumis aux exigences du Surmoi, cf. Herman Nunberg, « Principes de psychanalyse ».

18    “Pile, je gagne, face, tu perds.”

19    Refoulement = auquel Freud substitue parfois défense.

20    Cf. plus loin, négliger, dans le discours du délirant, le noyau de “vérité historique” = vérité vraie, réalité.

21    Errinerungen étant précédé de in unmittelbaren Anschluss - en enchaînement immédiat, je traduirais par, des associations

22    La suite du Chapitre II porte sur la dénégation.

23    Wunscherfüllung.

24    [Polonius dans Hamlet de Shakespeare, acte II scène 2 :Though this may be madness, yet there’s method in it - Bien que ce soit une folie, encore implique-t-elle une méthode.”]

25    Vérité historique = vérité vraie, vérifiée.

26   Fin de la phrase : “… quand bien même le succès thérapeutique resterait en panne.” En 1937, les nouvelles thérapeutiques appliquées à la psychose n’avaient pas encore été expérimentées.

27   Ce qui détermine = l’étiologie.

 

© ψ [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire

1989 / 2015