© Tania Bloom / 11 octobre 2015
Chantal Akerman
Au-delà de la
mélancolie
Ainsi,
tu le savais depuis toujours
tu ne pouvais l’agir avant son dernier souffle
tu n’as pu, tu n’as voulu, survivre à la mort de Natalia, ta mère
l’enveloppe charnelle de Natalia était, seule parmi les
siens, revenue, de “Là-bas”
“Là-bas”,
les déportées,
amuïes, poinçon sur le bras, n’ont cessé de l’éprouver, de le signifier en
silence, de le dire,
titre implacable de leur biographie,
« Je suis restée là-bas »
avec elles, avec eux.
En
soixante-dix ans, de l’adolescence à la plénitude de l’âge, un par un, tant de mes
contemporains, côtoyés ou non, nés avant, pendant, après, orphelins, légataires
de survivants, cachés, ont sabordé leur vie ou rejoignirent leurs disparus
prématurés.
La
mort par tous les temps fut leur ombre portée, leur stèle inachevée monstrueuse,
monumentale.
Elles
flottent de désarroi en tourment ces âmes amputées parfois dès la naissance
d’identifications premières essentielles à leur charpente, dépossédées
d’arrimage, marquées du sceau invisible d’une perpétuelle errance.
L’humour*,
Chantal, palimpseste du désespoir, tout ce temps a émaillé ton œuvre.
Anéanti,
il a fini par échouer.
À
elles, ils, à toi Chantal, je dis “À très bientôt”,
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Humour • Rien de plus désintéressé. Ne va pas sans une
critique libre de soi-même. L’humour est aussi un dévoilement de l’objet sous
un autre jour, mais dans une pudeur, une réserve, une contention qui n’est pas
celle du comique avec ses effets de cirque, ses chutes répétées. L’éthique de
l’analyste est de ce côté-là.
Ironie • Toujours un jugement qui fait toujours une victime.
François
Perrier