Psychanalyse et idéologie

Georges Ralli • Céline : Sein Kampf 1937-1944

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L’innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON

 

1989

 

George Ralli

 

Céline : Sein  Kampf 1937-1944

 

 

        Cette durée de 1940 à 1944, nous l’avons vécue avec rage, avec passion, heure par heure, jour par jour. Nous avons rencontré le Mal à chaque pas que nous faisions. Et maintenant voici venue l’époque où les historiens traversent cette durée, accompagnés du troupeau de leurs lecteurs, avec détachement. Dans cette promenade à travers le kaléidoscope des “normalités” grises qui défilent sous leurs yeux, ces touristes distinguent à peine les silhouettes des principaux acteurs du drame. Cela tient à ce que des historiens s’emploient à organiser la prescription et même le dangereux embellissement, des actes de trahison, une fois le tumulte des mémoires apaisé. Cette banalisation explique la vogue nouvelle de Céline. On parle et reparle de lui tous les jours. Écrivains et journalistes nous décrivent ses souffrances, ses hantises, ses délires : il est devenu le “combattant maudit”.

          Et pourtant, Céline a été un homme heureux sous l’occupation. Il assiste au triomphe des idées qui lui sont chères : l’antisémitisme et l’antibolchevisme. 1940  c’est, pour lui, l’année de la Victoire

 

           Ses premières déclarations politiques se trouvent dans Bagatelles pour un Massacre (1937). Il écrit :     

“… Il aime pas les juifs Hitler, moi non plus ! Il n’y a pas de quoi se frapper pour si peu… Hitler encore je pourrais le comprendre, tandis que Blum, c’est inutile, ça sera toujours le pire ennemi, la haine à mort, absolue… S’il faut des veaux dans l’aventure, qu’on saigne tous les Juifs ! C’est mon avis !”

          Céline reprend là le mot d’ordre : “Hitler plutôt que Blum” que la droite emploiera pour combattre le Front populaire jusqu’en 1940.

          Deux mois après la parution du livre, les événements politiques se succèdent inexorablement. L’Allemagne annexe l’Autriche le 11 Mars 1938, puis les Sudètes, à la suite des accords de Munich du 30 Septembre 1938. Daladier et Chamberlain, ayant “assuré la paix du monde”, reçoivent un accueil enthousiaste à leur retour dans leurs capitales respectives. À son arrivée à Orly, Daladier,  en voyant la foule en liesse, gronda à voix basse :

“Ah ! quels cons !”.

 

          La sortie de L’École des Cadavres, en Novembre 1938, vient à une heure critique, alors que la situation en France et en Europe s’aggrave chaque jour : les signataires des accords de Munich en sont réduits à attendre les prochaines initiatives de Hitler.

          En ces heures dramatiques, Céline choisira d’écrire :

“Moi, je veux qu’on fasse une alliance avec l’Allemagne et tout de suite. Je ne suis pas partisan des allusions voilées, des demi-teintes. Il faut tout dire ou se taire. Union franco-allemande, Alliance franco-allemande, Armée franco-allemande. C’est l’armée qui fait les alliances solides. Sans armée franco-allemande les accords demeurent politique.” (L’École des Cadavres ; pp. 284-287).

      Rien que cela ! Mais, pourquoi s’étonner ? Céline est lui-même en relation avec Rosenberg, le Weltdienst (Service Mondial) de l’Office,  qui lui fournit les éléments de son idéologie raciste. Ces appels à la trahison s’allient à son antisémitisme chronique. Céline l’exprime dans des termes sadothéologiques :

“Il faut de la haine aux hommes… C’est indispensable. C’est évident. C’est leur nature. Ils n’ont qu’à l’avoir pour les Juifs cette haine, pas pour les Allemands. Ce sera une haine normale, défensive, providentielle”

(L’École des Cadavres).

     L’arrivée des Allemands à Paris permet à Céline et à ses frères de combat d’entrer tout de suite, de plein pied dans la collaboration. Les “collaborationnistes” : ce terme a été utilisé pour la première fois par Marcel Déat dans L’Œuvre du 4 Novembre 1940. Il désigne d’une manière générale les extrémistes de la collaboration. On peut les classer en se reportant à trois principaux types psychologiques :

     Au premier type, appartiennent ceux des Européens des années vingt qui étaient convaincus que seule l’entente entre la France et l’Allemagne pourrait réaliser l’unité de l’Europe, livrée à une guerre civile permanente. À l’origine de ce mouvement pro-européen, on découvre les germanophiles hostiles à la politique nationaliste de la droite réactionnaire. Le livre d’Alfred Fabre Luce : La Victoire (1924) qui rendait Poincaré responsable de la guerre de 1914, avait eu un grand retentissement. La même hostilité envers Poincaré est manifestée par Jean Giraudoux dans son brillant roman Bella (1926) où Poincaré est représenté sous les traits du cynique Rebendart, et Alexis Léger sous le nom de Dubardeau. Ce roman commence par cette phrase :

“René Dubardeau, mon père, avait un autre enfant que moi, c’était l’Europe.”  

            Cette idée d’une Europe unie reçut une première réalisation dans les accords de Locarno (1924), signés par les premiers artisans d’une entente entre la France et l’Allemagne : Briand et Streseman. Une nouvelle étape sera franchie avec l’entrée de l’Allemagne dans la Société Des Nations, comme membre permanent du Conseil, en 1926, étape qui sera un triomphe pour le tandem Briand - Streseman. Après ces succès, il n’y aura pas d’évolution appréciable. La grande crise américaine éclate en 1929 et l’Allemagne en subira brutalement les effets. Le désastre économique de l’Allemagne amènera, quatre ans plus tard, Hitler au pouvoir, en Janvier 1933.

 

            À Paris, Jean Luchaire avait fondé la revue Notre Temps, en Juin 1927, afin d’appuyer la politique de Briand et d’Alexis Léger. On y trouve les signatures de Bertrand de Jouvenel, Pierre Brossolette, Christian Pineau, Louis Martin-Chauffier… ce qui montre que les clivages politiques ne sont pas encore les mêmes que dans les années trente.

            En effet, dans les années vingt, l’Europe était “à la mode”. Dès 1923, la revue Europe, de tendance communiste, avait été fondée par un groupe d’écrivains de gauche, réunis autour de Romain Rolland, pour promouvoir l’idée européenne. On y rencontre les noms illustres de l’époque : Maxime Gorki, Panaït Istrati, Joseph Roth, Aldous Huxley, Jean Giono, Stefan Zweig, Jules Supervielle.

            Cependant, le chant du cygne de l’Europe s’échappe du livre d’Edouard Herriot, Europe (1930), quand il écrit

“Si l’égoïsme national prévalait, si la vieille notion d’équilibre européen à laquelle nous devons tant de malheurs l’emportait sur notre plan d’entente européenne, les hommes d’État de la France auraient le devoir d’en tenir compte”

Un jeune juriste lui fera écho :

“Trop de divisions, trop de passions entravent l’évolution de l’Europe vers une entente générale… Toute une longue histoire n’a pas suffi à imposer la conscience de l’unité de l’Europe” (Georges Ralli : Essai sur le problème de l’Entente Européenne, Préface du Comte Sforza, 1932).

            L’ambiguïté de l’européanisme sera dissipée avec l’arrivée de Hitler au pouvoir. Les européens de droite glisseront vers le fascisme hitlérien, plus  ou moins rapidement selon les circonstances. Le premier écrivain de la  N.R.F. à prendre ce virage sera Drieu la Rochelle qui passera du Jeune européen (1924), au Socialisme fasciste (1934).

            L’arrivée au pouvoir du Front Populaire va accélérer ce processus. Drieu publiera : Avec Doriot (1937), et Thierry Maulnier se rallie à la droite dans : Les Mythes socialistes (1936), Au delà du nationalisme (1937) et il entre à Je suis partout en 1939.

 

            Le choc de la guerre d’Espagne fut considérable parmi les intellectuels français. Malraux et Bernanos s’engagent du côté républicain tandis que Brasillach et Massis soutiennent Franco. À son retour d’un reportage en Espagne, Brasillach publiera avec Massis Les Cadets de l’Alcazar où il lance la légende de la résistance héroïque des cadets contre les miliciens républicains. Il reprendra les thèses de la propagande franquiste dans  l’Histoire de la Guerre d’Espagne , écrite avec son beau-frère Maurice Bardèche (1939).

            En Septembre 1937, Brasillach, en sa qualité de rédacteur en chef de Je suis partout se rendra au grand congrès du parti national-socialiste à Nuremberg. Il sera reçu par Hitler lui-même, avec d’autres invités étrangers. 

“Je n’oublierai jamais, je crois, la couleur et la tristesse des yeux de Hitler”,

écrira-t-il dans Notre Avant Guerre. Quelques jours plus tard eut lieu la cérémonie de la consécration des drapeaux. On commença par lui présenter “le drapeau du sang”, celui que portaient les manifestants tués lors du putsch manqué de 1923 devant le Feldherrenhalle de Munich. Hitler saisit d’une main ce drapeau et prend de l’autre les drapeaux nouveaux afin de les consacrer. Brasillach de commenter :

“Cérémonie purement symbolique ? Je ne le crois pas. Il y a réellement dans la pensée de Hitler, comme dans celle des Allemands, l’idée d’une sorte de transfusion mystique analogue à la bénédiction de l’eau par le prêtre, si ce n’est, osons le dire, à celle de l’Eucharistie.”

           Un “coreligionnaire” de Brasillach, ancien prix Goncourt, Alphonse de Chateaubriant, sera saisi de la même ivresse devant les fastes nazis au cours d’un séjour en Allemagne. Dans La Gerbe des Forces (1937), il reprend les thèmes de l’hitlérisme dans des termes délirants.

           Pour lui, c’est “l’Ange guerrier “ :

“Je n’ai pas oublié l’ardent jeune Siegfried, sanglé dans son uniforme doré, le poignard au côté, l’œil fixé sur le lointain horizon, scandant ces mots : Oh ! la richesse du don de soi.”

            Pour lui, c’est “le Christ  réincarné” :

 “Si Hitler a une main qui salue, qui s’étend vers les masses de la façon que l’on sait, son autre main dans l’invisible ne cesse d’étreindre fidèlement la main de celui qui s’appelle Dieu.”

           On peut reconnaître un deuxième type de collaborationniste, celui de l’ultra-nationaliste, influencé à l’origine par Maurras, et qui cessera d’être un nationaliste français après l’invasion de l’Union Soviétique par l’Allemagne.

“Depuis le 22 Juin [1941] je me trouve en plein accord avec la politique du Reich et ainsi j’ai repris ma pleine activité”,

déclare le Général Deloncle, ancien chef de la Cagoule. Les intellectuels de cette tendance accorderont leur pleine adhésion  à la politique hitlérienne. La nouvelle équipe de Je suis partout (Février 1941), dirigée par Brasillach “l’amoureux d’un fascisme à la française”, en sera le plus brillant porte-parole. Maurras les observe avec méfiance et réagit à la publication des Décombres de Rebatet (Juillet 1942) par un article acerbe :

“Fripouille ? Non : gribouille”

La rupture avec ses anciens disciples de Je suis partout se produisit en Août 1942 lorsque Maurras les rangea définitivement dans :

“le clan des Ya”

 

       On peut distinguer un troisième type de collaborationniste, celui des néo-socialistes et des ex-communistes, partisans  d’un marxisme intégralement rénové. Marcel Déat, agrégé de philosophie, publie chez Georges Valois en 1931 : Perspectives Socialistes où il expose sa théorie d’un socialisme révisionniste. Henri de Man, dans ses ouvrages : Au delà du Marxisme (1931) et L’Idée Socialiste (1935), défend aussi la théorie du dépassement du socialisme. L’un et l’autre se rallieront au nazisme, considérant que le régime national-socialiste était suffisamment socialiste pour lutter à la fois contre le bolchevisme et le régime parlementaire réactionnaire. Ils auront à leurs côtés Jacques Doriot, exclu du parti communiste, homme d’action, fondateur en 1936 du Parti Populaire Français.

 

           Céline a un caractère plus complexe. À son antisémitisme obsessionnel viennent se mêler les traits, que nous avons esquissés, de la psychologie  des autres collaborateurs. Mais, en 1943, lorsque Céline sera persuadé de la défaite de l’Allemagne, son attitude changera. Il va se métamorphoser alors en prophète socialiste réclamant des réformes sociales…

 

Les  “FRÈRES DE COMBAT” SE RASSEMBLENT

 

          Les Collaborationnistes adhèrent à des formations politiques avec l’encouragement des autorités d’occupation. Céline n’a appartenu à aucun parti politique. Il n’en reste pas moins qu’il n’a pas cessé de fréquenter les membres de ces partis et de leur écrire des lettres qui sont publiées avec son accord.

 

           En laissant de côté les groupuscules, on distingue les mouvements politiques suivants :

           1 / Le Rassemblement National Populaire (R.N.P.), fondé par Marcel Déat en Février 1941. Déat avait fait son entrée dans la politique active avec son retentissant article dans L’Œuvre intitulé : Mourir pour Dantzig ? (4 Mai 1939).

           2/ Le  Parti Populaire Français ( P.P.F.) de Jacques Doriot. Resté dans l’ombre avant la guerre, il réapparaît dans les deux zones. Il prend un grand essor après le congrès de Villeurbanne en zone Sud (22 Juin 1941). Doriot, sensible à la confiance  du Maréchal, lui proclame son attachement dans  L’Homme du Maréchal (1941) : il joue Pétain contre Laval.

 

           Par ailleurs il ne faut pas négliger non plus :

           -  Le Mouvement Social Révolutionnaire (M.S.R.), fondé en Octobre 1940 par Eugène Deloncle, rappelons-le : ancien chef de la Cagoule, groupe  secret fasciste de l’avant-guerre qui fut découvert en 1937 et dissous par Max Dormoy, Ministre de l’Intérieur socialiste d’alors. Max Dormoy sera placé sous la surveillance policière vichyssoise et bientôt assassiné, le 26 Juin 1941 à Montélimar. Sans doute n’aurait-il pas dû dire : “Derrière la Cagoule il y a le Maréchal.”

           - Le Francisme de Marcel Bucard, reconstitué en Novembre 1938.

           - La Ligue Française d’Epuration, d’Entre-aide Sociale et de Collaboration Européenne, fondée par Pierre Constantini le 6 Mars 1941.

 

           Au moment de l’invasion de l’Union Soviétique par les troupes nazies, quatre partis exposeront une formule d’action commune. Le 7 Juillet 1941, un communiqué Déat-Doriot-Bucard-Constantini annonce la création d’une Lé-gion des Volontaires Français contre le bolchevisme : la  trop fameuse L.V.F.

           Le Cardinal Baudrillart, Directeur de l’Institut Catholique,  salue avec enthousiasme la naissance de la L.V.F. : 

“Placée à la pointe du combat décisif, notre légion est l’illustration agissante de la France des cathédrales ressuscitées. Ces soldats contribuent à préparer la grande renaissance française, que leurs armes soient bénies. En vérité, cette légion constitue à sa manière une chevalerie nouvelle. Ces légionnaires sont les croisés du XX° Siècle. Le Tombeau du Christ sera délivré.” (Cité par Pascal Ory dans France allemande, p. 118.)

          Vichy s’était organisé sur le même modèle. Le 23 Août 1940 avait été fondé la Légion Française des Combattants, grand rassemblement maréchaliste et son avant-garde le Service d’Ordre Légionnaire (S.O.L.), organisé par Joseph Darnand, qui donnera naissance à la MILICE, célèbre pour ses crimes dans les deux zones.

 

           Dans le domaine culturel, on doit rappeler la formation par Abetz, le 24 Septembre 1940, du Groupe de Collaboration qui reprend les objectifs du Comité France-Allemagne inauguré par Alphonse de Chateaubriant en 1935. C’est sous la direction de celui-ci que le Groupe de Collaboration exerce une très grande activité culturelle dans les secteurs littéraires, artistiques, économiques et politiques.

 

LA PRESSE MILITANTE

          

           Ces mouvements disposeront d’organes de presse pour diffuser leur propagande :

 

           - L’Œuvre (Déat. Les éditoriaux sont rédigés par lui).

            - Le Cri du Peuple (Doriot)

            - L’Émancipation Nationale (Hebdomadaire. Doriot).

           - La Révolution Nationale (Hebdomadaire. Deloncle, Lucien Combelle).

           - La Gerbe “ (Hebdomadaire. Chateaubriant).

           - L’Appel (Hebdomadaire. Constantini).

 

           On doit citer en outre Au Pilori, hebdomadaire spécialisé dans la délation antisémite, et Le Cahier Jaune, mensuel édité par l’Institut des Questions Juives fondé par les nazis.

           Sans appartenance à un parti, l’hebdomadaire Je suis partout jouit d’un grand prestige dans le milieu des intellectuels collaborationnistes. Autour de Brasillach se sont rassemblés Rebatet, Alain Laubreaux, Michel Mohrt, Lucien Combelle (ancien secrétaire de Gide). On peut y trouver les signatures entre autres, d’Anouilh (Léocadia), de Marcel Aymé (Travelingue), de Drieu et de La Varende.

           Céline sera sollicité par les journaux que nous venons de citer et leur fournira des textes qu’ils publieront avec son accord. Son premier texte, que cite son biographe Gibault, est publié dans La Gerbe (13 Février 1941). Céline continuera à écrire, de 1941 à 1944, une trentaine de lettres et d’interviews (cf. Les Critiques de Notre Temps et Céline 1976).

           Dans ce premier long article, Céline se livre à des attaques verbeuses contre ses confrères en les accusant d’être moutonniers et peureux. Il écrit en particulier :

“Trêves de batifoles ! Sous Blum toute la France était beloumiste ! et poing tendu et tant que ça peut ! antihitlérienne à crever !…  Ceux-là ne parlent jamais de la grave question. À aucun prix : les mêmes consignes qu’avant juin ! Ne jamais parler des Juifs… Cent mille fois hurlés “Vive Pétain” ne valent pas un petit “Vire le youtre !” dans la pratique. Un peu de courage n… de Dieu !… Et je vais te rechercher Péguy et le grand Méaulne (sic) ... et la suite … demain la Remarie Chapdelaine ! (sic) ... tout pour diversion ! noyerie de poissons…”

           Céline conclut sa diatribe en posant la question rituelle :

“Les Juifs sont-ils responsables de la guerre ou non ? Répondez nous donc noir sur blanc, chers écrivains acrobates.”

           Ayant donné un article à La Gerbe, Céline décide d’accorder une lettre à son ami Lucien Combelle (Révolution Nationale), une lettre pouvant être publiée. Il ne se lasse pas de vilipender ses confrères : 

“Peu d’écrivains à Paris ! Vous m’étonnez… Et que sont devenus les absents… Que font-ils ? Où sont-ils ? À combien trahissent-ils ? À combien l’heure ? Ces splendides élites. Amérique ? Angleterre ? Marseille ? C’est le moment de savoir, de tout savoir.”  

           Il n’y a pas que les écrivains français qui soient l’objet du mépris de Céline. D’autres français le sont également. Il s’indigne contre ceux qui écoutent :

 

                       “Les Juifs de la BBC”.

 

           Paul Léautaud, dans son Journal  Littéraire exprimait la même opinion. Céline écrit à Fernand de Brinon, Délégué Général du Gouvernement Français dans les territoires occupés. Il lui demande de faire interdire Radio Londres :   

“Dans l’état actuel des esprits, conserver aux Français leur Radio Londres est une trahison, une provocation, une intelligence flagrante avec l’ennemi.”

           Et il se confie à Lucien Combelle :

“Ce pays est ingouvernable avec l’actuelle BBC au chevet de chaque saboteur (et tous  les Français sont des saboteurs peu ou prou et énormément la plupart)

           Le souci de Céline  est partagé par les nazis qui pourchassent les auditeurs de la BBC. En Août 1942, ils obtiennent  l’accord de Laval pour lancer en zone libre l’opération “Fünkspiel” : une centaine de véhicules, dont une trentaine de voitures détectrices “gonio”. Opération à laquelle prennent part gestapistes et policiers français d’élite. Cette bande sillonna la zone libre à la recherche des postes émetteurs et des  “pianistes “.

           C’est au mois de Mai 1941 que Céline fait un retour littéraire fracassant avec Les Beaux Draps publié par Les Nouvelles Editions Françaises, maison soutenue par la Propagande allemande. Céline se trouve là en compagnie des scribes de service  et voici des extraits du catalogue de la maison :

 

- Dr. Montandon : Comment découvrir le Juif (dix clichés hors texte).

- Dr. Querrioux : La médecine et les Juifs (le fidèle tableau de l’incroyable invasion dans la médecine française) (sic).

- Lucien Pemjean : La Presse (Israël détenait en France toutes les agences de presse, tous les journaux. Maître de l’opinion, il a corrompu le pays et l’a poussé au désastre) (sic).

- Lucien Rebatet : Les tribus du Cinéma et du Théâtre (Des désastres financiers, un abaissement calculé de la sensibilité et du goût français, tel est le bilan de l’activité juive à la scène et à l’écran) (sic).

 

           On retrouve dans Les Beaux Draps des tirades contre les Juifs. Si elles sont moins fréquentes, elles restent aussi éloquentes :

“La France est juive et maçonnique une fois pour toutes. Voilà ce qu’il faut se mettre dans le tronc, chers diplomates ! Les équipes sont à l’infini… à peine l’une est-elle usée… qu’une autre se dessine… de plus en plus “rapprochantes”  forcément.

C’est l’Hydre aux cent vingt mille têtes !

Siegfried n’en revient pas !”

           Après la parution du livre, Céline est interviewé par Henri Poulain dans Je suis partouT. Il déclare :

“Pour le Juif j’avais fait de mon mieux dans les deux derniers bouquins. Pour l’instant ils sont quand même moins arrogants, moins crâneurs.”

            Céline souffre encore de sa mégalomanie. L’inquiétude qu’il constate dans la communauté juive vient de la mise en place, à partir de 1940, de l’Organisation Anti-juive décidée par la collaboration d’État. Elle mettait en œuvre des textes législatifs et réglementaires définissant la qualité de Juif et limitant les droits civiques et économiques des Juifs.

            La première ordonnance de la Militärverwaltung en date du 27 Septembre 1940, ordonne de recenser au plus tôt les personnes et les entreprises juives. La même mesure sera prise par Vichy le 2 Juin 1941.

            Grâce à ce recensement, l’arrestation et l’internement des Juifs débutent dès 1940.

            En Février 1941, Dannecker (Section Juive de la S.D. - Sicherheitsdienst -) indique dans un rapport que 40.000 Juifs étrangers sont déjà internés en zone non occupée, dans les camps de Gurs, Milles  et Merignac. En zone occupée, les Juifs étaient enfermés dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (5.000 personnes dans chacun d’eux), à Drancy (6.000) et à Compiègne (6.000). Eichmann réunit à son bureau à Berlin, le 11 Juin 1942, une conférence à laquelle assiste Dannecker ; il est décidé que les opérations de déportation massive commenceront en France le mois suivant. Selon ces mesures, 100.000 Juifs doivent être déportés à Auschwitz ; chaque convoi pourra comprendre dix pour cent de tenus pour “inaptes au travail”. Nous savons aujourd’hui que cette proportion correspondait à la capacité d’absorption immédiate des chambres à gaz et des crématoires d’Auschwitz.

            Tous les collaborationnistes entendaient parler des mesures prises contre les Juifs. Cela ne modère pas le cannibalisme de Céline :

“Plus de Juifs que jamais dans les rues, plus de Juifs que jamais dans la presse, plus de Juifs que jamais au Barreau, plus de Juifs que jamais en Sorbonne, plus de Juifs que jamais en Médecine, plus de Juifs que jamais au Théâtre, à l’Opéra, au Français, dans l’Industrie, dans les Banques. Paris, la France plus que jamais livrée aux maçons et aux Juifs plus insolents que jamais.” (Les Beaux Draps p. 44)

           Les Beaux Draps reçurent un accueil très favorable dans la presse parisienne à l’exception du journal Aujourd’hui” où régnait une plus grande liberté d’expression. Le poète surréaliste Robert Desnos rédige une critique sarcastique sur le pamphlet de Céline. Furieux, celui-ci envoie une lettre infâme :

“M. Desnos me trouve ivrogne, vautré sur moleskine et sous comptoir, ennuyeux à bramer… mais pourquoi M. Desnos ne hurle-t-il pas le cri de son cœur, celui dont il crève inhibé… Mort à Céline et Vivent les Juifs ! M. Desnos mène une campagne philoyoutre, que ne publie-t-il M. Desnos sa photo grandeur nature, face et profil.”

            Céline sera vengé par les nazis. Desnos est arrêté par la Gestapo le 22 Février 1944 à son domicile rue Mazarine, ayant fait partie d’un réseau de résistance. Il mourut du typhus au camp de concentration de Terezin en Tchécoslovaquie, quelques jours après la libération du camp par les troupes alliées (8 Juin 1945).

            Les Beaux Draps sont interdits en zone Sud parce que Céline dénonce la lâcheté des Français, attaque l’Eglise : 

“La religion catholique fut à travers notre histoire la grande proxénète.”

et, de plus, calomnie l’Armée : 

“C’est drôle à présent, c’est la mode d’accabler en tout les civils, c’est les puants, c’est les galeux, c’est eux les infects responsables, les lâches charognards de la débâcle… faudrait peut-être d’abord s’entendre… Qui c’est qui doit défendre la France ? Les civils ou les militaires ? Les tanks de 20 tonnes ou les vieillards ?

Elle coûtait cher l’armée française, 400 millions pour se sauver, 8 mois de belote, un mois de déroute. Qui qu’a fait la plus grosse diarrhée ? Les civils  ou les militaires ? “ (Les Beaux Draps  p. 17).

           Le livre sera retiré de quelques librairies en zone Nord sur l’ordre des autorités occupantes soucieuses de ménager le gouvernement du Maréchal. Céline protesta à plusieurs reprises, faisant valoir le préjudice qu’entraînait pour lui cette mesure.

           L’interdiction de vente en zone Sud l’a vexé. Il envoie une lettre indignée à Jean Lestandi de l’hebdomadaire AU PILORI (8 Janvier 1942), critiquant le régime de Vichy : 

“C’est moi qui suis la victime dans cette aventure de sales. Et pas un petit peu ! Éclatante ! Vont-ils saisir Mauriac ? Romains ? Bernanos ? Je vous le demande, qui dégueulent à tout éther sur le vénéré Maréchal à des trois milles de distance.”

            Céline reçut beaucoup d’éloges de ses “coreligionnaires” parisiens. Ainsi, Drieu la Rochelle dans la N.R.F., qu’il dirige depuis l’Occupation, écrit une étude sur Céline dans laquelle il déclare que le style de Céline est à la mesure de son époque. Céline se hâte de le remercier dans une lettre du 5 Mai 1941.

           Il bénéficie également d’un hommage chaleureux de son éditeur Robert Denoël dans un article publié en Novembre 1941 dans le mensuel CAHIER JAUNE subventionné par la propagande allemande. Sous le titre L-F. Céline, le contemporain capital, Denoël révèle que le livre de Céline Bagatelles pour un massacre”, paru en 1937, avait :

“…pour la première fois illuminé les ténèbres entassés par la juiverie… Une clarté fulgurante étalait à cru l’effroyable purulence, la hideuse décomposition d’un siècle possédé, pourri, liquéfié par plus d’un siècle de domination juive.”

           Quel éditeur admirable ! Il va jusqu’à imiter le style de son auteur préféré. Grasset ou Gallimard n’auraient pas réussi cet exploit…

           C’était une période euphorique pour tous les “nouveaux messieurs” de Paris, car ils étaient persuadés de la prochaine victoire de l’Allemagne. Céline, plein de confiance, écrit à Lucien Combelle : 

“Qu’espérer de l’Angleterre et des U.S.A. encoree plus pourris que nous, juste défendus par la Géographie ? Braillardes de vent et de distance !”

           Son activité  épistolaire continue à être importante en 1941. Au mois d’Octobre, il écrit deux lettres à l’hebdomadaire AU PILORI spécialisé dans l’antisémitisme. Sa lettre du 2 Octobre à Jean Lestandi est publiée sous le titre : Céline nous écrit : Vive les Juifs. Céline s’en prend à l’opinion publique française qu’il juge philosémite : le Commissariat aux Affaires juives se trouve désarmé :

“Des grimaces. Il ferait beau qu’il agisse, il ne tiendrait pas 24 heures.”

           Et, employant le langage du symbolisme anal qui lui est cher, Céline dit :

“Les Français… liés, amarrés au cul des Juifs, pétris dans leur fiente jusqu’au cœur, ils s’y trouvent adorablement.”

           En ce qui le concerne lui-même, Céline n’admet pas la critique. En Novembre 1947, Albert Paraz lui communique un  numéro des TEMPS MODERNES où il était pris à partie : Sartre, dans Le portrait d’un antisémite (TEMPS MODERNES, 1er Décembre 1945) avait écrit : 

“Voyez Céline… Le Juif est partout, la terre est perdue, il s’agit pour l’Aryen de ne pas se compromettre, de ne jamais pactiser. Mais qu’il prenne garde : s’il respire, il aura déjà perdu sa pureté, car l’air même qu’il respire dans ses bronches est souillé.”

Sartre termine en affirmant que Céline n’a pu soutenir les thèses nazies sans avoir été payé  (texte repris dans : Réflexions sur la question juive, Folio Essais, pp. 47,48).

           Céline répondit par un pamphlet intitulé : À l’agité du bocal, qu’Albert Paraz reproduisit à la fin de son livre  Le gala des vaches. Le texte de Céline mérite d’être cité pour la richesse du vocabulaire anal : 

“La petite fiente, il m’interloque ! Ah ! le damné pourri croupion ! Qu’ose-t-il écrire… ce petit bousier pendant que j’étais en plein péril qu’on me pende… Dans mon cul où il se trouve on ne peut pas demander à  J-P.S. d’y voir bien clair.”

           Dans  sa deuxième lettre “AU PILORI” Céline développe son leitmotiv favori :

“Je ne vois pas comment vous arracheriez le Français de 1941 à son Juif… le Français et surtout la Française n’imaginent pas leur existence sans les Juifs.”

            AU PILORI publie le 11 Décembre 1941 un article non signé intitulé Prologue au Parti Unique. Le journaliste y fait état de déclarations de Céline, en particulier de son désir de rencontrer d’autres antisémites n’ayant pas les mêmes conceptions que les siennes. Le 15 Décembre, AU PILORI adresse une lettre à Xavier Vallat, qui est à la tête du Commissariat Général des Questions juives, pour lui demander de participer, avec d’autres personnalités, à la réunion. Xavier Vallat ne se dérangea pas mais Céline, lui, s’empressa d’y assister.  AU PILORI rendit ensuite compte de cette réunion

“Céline prit la parole et résuma en des formules brèves et saisissantes le drame français.”

Tout ce joli monde tomba d’accord sur la définition exacte de l’antisémitisme : 

“Aucune haine contre le Juif, simplement la volonté de l’éliminer de la vie française. Il ne doit plus y avoir d’antisémites mais seulement des racistes.”

À la même époque, Céline écrit à Lucien Combelle :

“Il n’y a d’antisémitisme réel que le Racisme, tout le reste est diversion, babillage, escroquerie genre Action Française, noyage de poisson”

           D’autres lettres sont envoyées par Céline à des journalistes qui les publient sans protestation de sa part. Pierre Constantini publia dans L’AppeL” du 4 Décembre 1941  les propos suivants de Céline : 

“Au fond il n’y a que le chancelier Hitler pour parler des Juifs. C’est le côté que l’on aime le moins… C’est celui que j’aime le plus. Je l’écrivais déjà en 1937 sous Blum.”

           Dans sa lettre du 8 Janvier 1942 à Jean Lestandi AU PILORI, il traite d’une question d’actualité. On était à la veille du procès de Riom intenté aux “responsables de la défaite de la France”, principalement  Léon Blum, Edouard Daladier et le Général Gamelin. Céline s’écrie :

“Qu’ils passent tous à la potence ! Ça leur fera bien les os ! Je les regarderai balancer !”

           Il poursuit son activité épistolaire en 1942 en renouvelant ses attaques contre les Juifs et les communistes, lettres qui sont publiées dans L’APPEL (23 Avril), LE RÉVEIL DU PEUPLE (1er Mai) et AU PILORI (12 Septembre). Dans ce dernier, Céline rappelle avoir été calomnié par L’HUMANITÉ.

“J’en ai connu d’extraordinaires, le Juif Sampaix parmi tant d’autres, diabolique d’astuce. Il me réclamait au poteau chaque matin (dessin par Cabrol) sur quatre colonnes dans L’HUMANITÉ (un million de lecteurs)”

           Et Céline conclut avec un rare cynisme :

“Ce Sampaix devait mal finir lui-même, la juiverie a des limites : ce Sampaix finit fusillé”

           Les Décombres de Rebatet parut en Juillet 1942. Céline lui écrivit pour le remercier de l’envoi de son livre :

“Merci Rebatet. Très bien ton livre, je le ferai lire et relire mais tu vois, pour commencer, difficile comme St Thomas, je demanderai à tous les contemporains et surtout aux antisémites de me présenter avant toutes choses bulletin de naissance de 4 générations de leur patriotique personne et de leurs ascendants et de leurs épouses”

           Céline  éprouvait un grand plaisir à lire ce livre car il y retrouvait l’appel à la violence de ses propres écrits :

“J’avais voulu revoir le ghetto de Leopoldstadt… Quelques escouades de Hitlerjungen venaient de terminer une petite expédition punitive… Les murs portaient de tous côtés d’énormes barbouillages : « Porc Juif, Maison Juive, Désinfection urgente »… des Juifs s’efforçaient de gratter ces stigmates. D’autres dissimulaient peureusement leurs profils derrière des fenêtres. Je nageais dans une joie vengeresse. Je humais la revanche de ma race.”

Décombres, p. 62, cité par Pascal Ory dans La France  allemande, p. 153).

           Obéissant à sa vocation fasciste, Rebatet entra, en 1943, dans la Milice où il créa avec Lucien Combelle et Jean Hérold Paquis un commissariat politique.

          

           Inlassable, le 20 Décembre 1942, Céline fait une causerie devant les membres du Groupement Sanitaire Français. Un discours d’introduction  est prononcé par le Dr Guérin, président du Groupe,  condamnant :

“… le comportement scandaleux d’un certain métèque juif qui abandonna ses blessés”

Céline  prit aussi la parole pour mettre en accusation les philosémites médecins ou autres. Et il conclut solennellement :

 

“La France s’est enjuivée jusqu’à la moelle.”

 

           L’influence de Céline ne se limite pas à la presse et aux réunions politiques. Son œuvre sert souvent de référence à des écrivains collaborationnistes. Entre autres, P-A. Cousteau, dans son Amérique juive publie une citation de Céline à chaque tête de chapitre. Les passages scatologiques ne sont pas négligés :

“Je me demande toujours ce qu’est le plus dégueulasse. Une merde de Juif bien aplatie ou un bourgeois  français tout debout… lequel qu’est infect davantage. Je ne peux pas me décider”

           Ou bien encore, sur un ton plus grave, une autre citation de Céline sur les Juifs :

 “Il faut qu’ils payent toute la casse. Il faut qu’ils dégustent jusqu’au bout. Il faut qu’ils  deviennent otages immédiatement.”

           Son antisémitisme qu’il exprime par la plume ou la parole ne pèse pas lourd devant l’engagement militaire. Céline en est conscient et manifestera une grande estime pour Doriot, parti sur le front de l’Est. En effet, le 22 Juin 1941, l’armée nazie avait envahi l’Union Soviétique, et tous les regards étaient tournés vers le front. Dès le 1er Septembre, un premier contingent de la L.V.F., commandé par Doriot, s’était dirigé vers la zone de combats (la L.V.F. avait été constituée en Juillet 1941). Céline fit preuve de “bons sentiments” : il confia à Maurice Sicard de L’ÉMANCIPATION NATIONALE :

“J’aurais aimé partir avec Doriot là-bas, mais je suis plutôt un homme de la mer, un breton.”

           Vis à vis de Chateaubriant, Céline justifie sa défection en invoquant son hostilité contre la bourgeoisie, même aryenne.

           Le Maréchal Pétain se montra, lui, plus chaleureux. En Novembre 1941, il adressa un télégramme d’encouragement au Colonel Labonne placé au commandement de la L.V.F. sur le front russe :

“En participant à cette croisade dont l’Allemagne a pris la tête, acquérant ainsi  de justes titres à la reconnaissance du monde, vous contribuez à écarter de nous le péril bolchevique : c’est votre pays que vous défendez ainsi, en sauvant également l’espoir d’une Europe réconciliée”  (cité par Azéma, p. 101).

           Selon François Gibault, il n’existait pas de sympathie particulière entre Céline et Doriot. Ce qui plaisait à Céline chez Doriot, c’était l’homme d’action. Il le dit à Maurice Sicard dans un entretien paru dans L’ÉMANCIPATION NATIONALE, le 21 Novembre 1941 :

“Et Doriot s’est comporté comme il a toujours fait. C’est un homme. Et oui, il n’y a rien à dire. Il faut travailler avec Doriot”

           Céline ira jusqu’à écrire une Lettre à Jacques Doriot que publiera “L’ÉMANCIPATION NATIONALE “ de  Mars 1942 :

 “Mon cher Jacques Doriot,

 

Pendant que vous êtes aux armées, il se passe de bien vilaines choses. Entre nous, en toute franchise, nous assistons en ce moment à un bien répugnant travail : le sabotage systématique  du racisme en France par les antisémites eux-mêmes. Ils n’arrivent pas à s’entendre. Spectacle bien français. Combien sommes-nous d’antisémites en tout et pour tout, sur notre sol ? Je ne parle pas des badauds. À peine une petite préfecture !…”

            Céline continue sa longue lettre, harcelé par son obsession antisémite, pour enfin conclure :

“Il n’existe qu’une seule question : la Question Juive!… Méchant babillage tout le reste”  

           On n’y relève aucune allusion à la croisade anti-bolchevique de Doriot. Il est vrai que dans son esprit les bolcheviques n’étaient qu’un instrument des Juifs pour dominer le monde.

           L’attachement de Céline à Doriot a persisté encore en 1943, comme le montre un texte publié par LE CRI DU PEUPLE du 31 Mars 1943 dans lequel Céline déclare :

 “Je n’ai pas changé d’opinion depuis Août 1941 lorsque Doriot est parti pour la première fois”

             En revanche, il condamnera les excès du radicalisme fasciste de Doriot, en 1944 lorsque tout le monde était convaincu que l’Allemagne avait perdu la guerre.

 

 

LA  PROPAGANDE  NAZIE

           

            Le collaborationnisme de Céline ne se réduit pas à des relations avec des écrivains, des journalistes, des médecins et la publication de Les Beaux Draps. Il est aussi  en contact régulier avec  les services de la propagande nazie.

           

            Otto Abetz, Ambassadeur à Paris, avait déjà acquis une grande expérience dans ce domaine. Il commence sa carrière en 1935 lorsqu’il  entre au Ribbentrop Dienststelle, service des affaires étrangères chargé de la propagande dans les pays européens. Il vient peu après à Paris et organise un réseau de relations avec le concours de Jean Luchaire dont il a fait la connaissance en 1930, de Guy Crouzet et Fernand de Brinon. Avec la participation de ce dernier, il inaugure le Comité France Allemagne, le 22 Novembre 1935. Son activité est telle qu’il est expulsé en Juin 1939. Il revient à Paris le 22 Novembre 1940 avec le titre d’Ambassadeur du Reich.

            Otto Abetz a joué un rôle politique important dans la Collaboration. Dans le secteur de la propagande il avait été chargé  de financer la presse et de donner son soutien à l’Institut Allemand qui dépendait de l’Ambassade.

            Céline n’était guère apprécié par Abetz qui le jugeait grossier et maladroit. Et Céline considérait Abetz comme un mondain imbécile et influençable. Contrairement à ce que Céline a affirmé au cours de son procès après la guerre (“Je n’ai jamais rencontré Abetz”), l’écrivain est allé au moins une fois à une réception à l’Ambassade d’Allemagne. Et il a rencontré l’Ambassadeur plusieurs fois dans des réceptions.

            On pourrait croire que Céline a fourni des informations sur les Juifs à Abetz. Cette impression vient d’une  “Note pour Monsieur Zeitschel” en date du 1er Mar 1941, rédigée par Abetz  pour cet S.S. Sturmbanführer, conseiller de légation  chargé, à l’Ambassade  d’Allemagne, des fonctions d’expert en questions juives.  Dans cette note, Abetz signale  à Zeitschel que l’on pouvait compter Céline parmi les personnalités antisémites, le pressentir comme collaborateur français à l’Office Central Juif, et ajouter son nom à ceux de Marcel Bucard, Darquier de Pellepoix, Jean Boissel, Pierre Clementi et d’hommes de lettres tels que Serpeille de Gobineau, Jean de la Hire et le Comte de Puységur.

            Céline n’a pas dû être flatté de se trouver en aussi misérable compagnie quand il a eu l’occasion de prendre connaissance de ce document après la guerre.

            Il a prétendu qu’il avait refusé les offres qui lui avaient été faites, au moment de la constitution de l’Office, par le gouvernement de Vichy.

            Cette affirmation est inexacte. Céline faisait partie des ultras de la collaboration qui critiquaient Vichy pour son attentisme : il était mal vu au bord de l’Allier. En outre, l’antisémitisme de Vichy se nourrissait de sources bien françaises et n’avait de leçons à recevoir de personne. Dès le début du siècle, Maurras avait condamné la doctrine de Gobineau qui affirmait la supériorité raciale des Germains. Dans son ouvrage, L’Allemagne Éternelle (1937), Maurras écrivait :

“Je n’admets pas cette doctrine… Que l’égalité des individus soit une erreur, rien à dire… Mais il est extravagant de dire que les Germains soient la fleur de la race européenne” (cité par Ory, p. 123).

           L’Office Central Juif sera créé le 23 Mars 1941 par Vichy sous le nom de Commissariat Général aux Questions Juives, dirigé par Xavier Vallat, nommé le 29 Mars. Si le siège de l’organisme est à Vichy, son centre d’action est à Paris. Par un arrêté du 19 Octobre 1941, le Ministre de l’Intérieur, Pucheu, crée une Police aux Questions Juives qui sera sous l’obédience de la Section juive de la S.D. (Service de la Sécurité) commandé par Dannecker. Darquier de Pellepoix, antisémite virulent, succède à Xavier Vallat le 6 Mai 1942.

           De leur côté les nazis fondent l’Institut d’Études des Questions Juives, qui aura à sa tête, au début le Capitaine Sézille. Céline est invité à l’inauguration officielle. Sa photographie figure dans l’article que L’ILLUSTRATION consacre à cette  “grande première parisienne”.  On peut y lire la mention :

“Parmi les invités : L-F. Céline, l’auteur du Voyage au Bout de la Nuit et de Les Beaux Draps.

           Un peu plus tard, le 5 Septembre 1941,  s’ouvrit au Palais Berlitz l’exposition Le Juif et la France organisé par l’Institut d’Études des Questions Juives. Céline  visita cette exposition et il fut consterné de constater que ses livres n’étaient pas exposés. Il écrivit aussitôt une lettre de protestation au capitaine Sézille, jugeant qu’il était plus qualifié que les auteurs choisis pour prendre part dans ce  “combat contre la juiverie”:

“En visitant votre exposition, j’ai été tout de même frappé et un peu peiné de voir qu’à la librairie ni Bagatelles ni L’École ne figuraient, alors qu’on y favorise une nuée de petits salsifis, avortons forcés de la quatorzième heure, cheveux sur la soupe.”

           Céline reçut de Sézillle une réponse embarrassée qui était une fin de non recevoir. Ce dernier n’avait pas besoin du concours de Céline : il put dire à Xavier Vallat que :

 “…l’exposition avait enregistré plus de 500.000 entrées payantes ce qui, avec les entrées gratuites et à demi tarif, représentait plus d’un million de visiteurs”

           L’exposition fut montrée en province, le Commissariat Général aux Questions Juives la patronna en zone Sud.

 

           En revanche, Céline reçut un soutien total de l’Institut allemand, dirigé par Karl Epting. L’écrivain mentira plus tard, comme d’habitude, en affirmant  qu’il : “n’y avait jamais mis les pieds.” On peut déceler ce mensonge en lisant un article de Karl Epting, sous le titre : Il ne nous aimait pas. dans un numéro spécial des CAHIERS DE L’HERNE (1963) consacré à Céline.

           Epting  rappelle la délicatesse que pouvait avoir Céline à l’égard de son ami le peintre Gen Paul avec lequel : “… il venait parfois à l’Institut.”

           C’est dans ce lieu que Céline a rencontré l’écrivain Ernst Jünger qu’il a menacé d’un procès, après la guerre, s’estimant calomnié dans son Journal Parisien  : 1941-1943. Voici le passage incriminé, daté du 7 Décembre 1941, où le nom de Céline est voilé sous le nom de Merline :

“L’après midi à l’Institut allemand, rue Saint Dominique, là, entre autres personnes, Merline, grand, osseux, robuste, un peu lourdaud, alerte dans la discussion, ou plutôt dans le monologue. Il y a  chez lui le regard des maniaques tourné en dedans, qui brille comme au fond d’un trou”

           Ce “Merline” prend Jünger à part pour lui exprimer son indignation devant la passivité des autorités allemandes :

“Il est stupéfiant que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en fasse pas un usage illimité. Si les bolcheviks étaient à Paris, ils vous feraient voir comment on s’y prend, ils vous montreraient comment on épure une population, quartier par quartier, maison par maison. Si je portais la baïonnette, je saurais ce que j’ai à faire”

            La présence de Céline à l’Institut allemand est confirmée dans le journal Un Allemand à Paris, 1940-1944de Gerhardt Heller, Sonderführer à la Propaganda.

            La Propaganda sert de relais au Ministère de la Propagande de Berlin. Le responsable littéraire est Heller. Il remarque que Céline était très apprécié par Epting et venait souvent lui rendre visite. Le délire antisémite, les scatologies qui remplissaient les livres de Céline  lui déplaisaient :

    “Mais comment interdire un livre pour antisémitisme !”

            Heller a eu l’occasion de dîner au bistro avec l’acteur Le Vigan et Céline. Ce dernier tient là les mêmes propos qu’il a tenus à Jünger :

“Nous avons parlé littérature mais je ne puis l’empêcher de se répandre en folles déclarations sur les Juifs que nous devrions exterminer un à un, quartier par quartier, dans ce Paris qu’il jugeait envahi et gangréné par la juiverie internationale”

           Nous avons mentionné jusqu’ici deux services officiels de la propagande allemande auprès des intellectuels français : L’Institut allemand et la Propaganda Abteilung, outre le service de l’Ambassade.

           Un troisième service, l’AMT-Schriftum, dirigé par le Dr Payr, était chargé de surveiller la littérature sur le plan idéologique. Ce service était une filiale de l’Office Rosenberg à Berlin, pour lequel la pureté idéologique était liée à la pureté raciale.

           Le Dr Payr n’a pas la même attitude que son collègue Epting à l’égard de Céline. Dans un rapport envoyé à Berlin sur l’Institut allemand, Payr critique ouvertement la forte promotion et le solide soutien apporté par Epting à une personnalité extraordinairement contestée : 

“Depuis quelques années il écrit des livres contre les Juifs et les francs-maçons qui sont fustigés de façon hystérique dans un Français ordurier, populaire. Est-ce la personne désignée pour prononcer dans le grand combat contre les puissances supra-étatiques la parole décisive qui mérite attention et promotion du côté allemand ?”

            Auparavant, Payr avait écrit un article dans DAS REICH (18 Janvier 1942), dans lequel il déclarait nettement que Les Beaux Draps étaient :

“… une regrettable maladresse… œuvre hystérique bâclée dans un Français ordurier et inacceptable.”

           Céline eut connaissance de cet article et envoya une lettre d’insulte à Payr, par l’intermédiaire d’Epting :

“… lettre qui compte au nombre des plus beaux monuments de cette sorte de ma collection.” 

notera Epting.

           Dans son livre publié à la fin de 1942, Phénix ou Cendres, Payr répète à propos de Les Beaux Draps :

“Toutes les deux pages on rencontre des obscénités les plus incroyables. Le livre n’est composé en grande partie que d’exclamations et de lambeaux de phrases qui font l’effet de cris hystériques.”

            Mais Payr, en poursuivant son analyse, finit par reconnaître la valeur de :

 

“la science raciale”

 

de Céline, malgré son argot effréné.

           Ces critiques n’eurent aucune influence sur les relations d’Epting avec Céline. Ce dernier écrit à Epting une lettre ( 15 Avril 1942) pour lui demander de faire des démarches auprès de la Propaganda chargée du rationnement du papier pour les éditeurs : Céline  réclame 15 tonnes !… de papier pour la réédition de ses œuvres chez Denoël.

           L’Editeur obtient une forte allocation qui permet la réimpression en 1942 de Les Beaux Draps et de L’École des Cadavres, augmentée de 14 photographies et d’une préface de Céline où il montre une agressivité exaspérée :

“La parution de L’École ne fit aucun bruit : silence total,    scrupuleux dans toute la presse française, y compris la pacifiste, l’antisémite, la franco-allemande, etc., pas un écho, pas une ligne, le frigo intégral, la pétoche totale, le désaveu absolu. Raison de ce hoquet unanime : L’École était le seul texte à l’époque (journal ou livre) à la fois et en même temps : antisémite, raciste, collaborateur (avant le mot) jusqu’à l’alliance militaire immédiate, anti-anglais, anti-maçon, présageant  la catastrophe absolue en cas de conflit.”  

Bagatelles pour un Massacre sera réédité l’année suivante, en Octobre 1943, augmenté de 20 photographies  sous-titrées par Céline. Voici un exemple choisi par Pascal Ory dans son livre France Allemande (1977) :

           “Grâce au soutien d’Epting, Céline fut invité à participer à un voyage médical à Berlin, du 7 au 17 Mars  1942, auquel prirent part plusieurs médecins et son ami le peintre Gen Paul.”

           Avant son départ, le 3 Mars, les usines Renault à Boulogne Billancourt sont bombardées par la R.A.F. Céline signe un manifeste de “personnalités “ qui dénoncent :

“l’acte de barbarie commis par les Anglais”

 

           Après la guerre, dans Normance (Féérie II), Céline fait une description apocalyptique de ce bombardement, sans aucun rapport avec la réalité.

 

           Au cours de son séjour à Berlin, Céline se rendit à plusieurs réceptions officielles. Chez le Dr. Conti, Ministre de la Santé Publique, il constata que le moral des invités allemands était assez bas : le 5 Décembre 1941 les troupes allemandes avaient été arrêtées devant Moscou et le 11 Décembre, les États-Unis entraient en guerre. À la sortie de la réception, Céline dit à son collègue le Dr. Rudler :

 

“Ces gens-là sont foutus, ce sont les autres qui gagneront”

 

            Pendant le séjour à Berlin était prévue une visite au Foyer des ouvriers français envoyés en Allemagne par le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) français. L’allocution que prononça Céline manquait de conviction. Il déclara en particulier :

 

“Ils disent qu’ils vont gagner mais je n’en sais rien”

 

           Ces boutades laissent présager le changement progressif de l’attitude de Céline à partir de 1943.

 

           Les voyageurs s’arrêtèrent à Hohenlychen, à 100 km au nord de Berlin, afin de visiter un centre de chirurgie réparatrice et de rééducation. Le  directeur de ce centre était le Professeur Gebhardt, chirurgien en chef S.S. et chirurgien personnel de Hitler. La femme de Gebhardt était une belle suédoise blonde, et ses enfants de beaux enfants blonds. L’atmosphère “typiquement aryenne (sic) selon Céline, fut chaleureuse. Ce bon père de famille, aimable et doux, fut pendu à Nuremberg : il passait ses soirées à préparer les programmes des expériences médicales que l’on faisait subir aux détenus des camps de concentration nazis. Ses invités qui ne soupçonnaient pas ses activités nocturnes, étaient tout heureux de rencontrer un haut dignitaire du régime.

           À son retour de Berlin, Céline fit part de ses impressions à son ami Frédéric Empeytaz :

“Je pense à une guerre de quinze ans pour le moins même en cas d’évolution favorable ! Nous ne

            Pour compléter le tour d’horizon des relations de Céline avec les officiels nazis, on doit mentionner ses rapports avec Hermann Bickler, chef des renseignements politiques pour toute l’Europe occidentale et placé sous les ordres de Heydrich, adjoint de Himmler. Céline et Bickler s’entendaient bien et avaient de fréquents entretiens. Evidemment, Bickler envoyait à ses supérieurs des renseignements favorables sur Céline.

           

            Cette participation de Céline à la collaboration active n’empêche pas Jean Paulhan d’écrire un plaidoyer en sa faveur dans les CAHIERS DE LA PLEIADE qui remplacent, en Avril 1946, la N.R.F. dirigée par Drieu la Rochelle sous l’Occupation et interdite en automne 1944.

            Ce plaidoyer est intitulé : Note insérée dans les Cahiers de la Pléiade lors de la parution de Casse Pipe “  Paulhan affirme :

“Entre les diverses affaires de sorcellerie que l’on a vues depuis quatre ans, le procès de Céline a été l’un des plus abjects, un des plus légers… Notons simplement ceci :

Que le seul livre qu’il ait publié durant l’Occupation est le Guignol’s Band, un récit fantastique ; que Céline n’a pas une seule fois écrit dans un journal, parlé à la Radio, ni tenu une conférence.

Qu’il n’a jamais été invité à se rendre en Allemagne, qu’il n’a jamais mis les pieds à l’Ambassade ; qu’il n’a appartenu à aucun cercle, association ou parti collaborationniste.

Que tous ses romans, dès l’arrivée de Hitler au pouvoir, ont été interdits en Allemagne.

            Cette dernière affirmation de Paulhan est mensongère, comme presque toutes les autres.

            Céline avait été traduit avant la guerre en Allemagne. Bagatelles pour un Massacre bénéficia d’une grande publicité dans la presse nazie. Une notice publicitaire dans DER STÜRMER (Juillet 1938) faisait l’éloge de “l’œuvre de combat” de  Céline, avec le titre alléchant : Interdit en France. Le livre fut traduit sous le titre : La conspiration juive en France (Dresde, 1938).

            Ses romans furent traduits, en 1933 pour le Voyage au Bout de la Nuit et en 1937 pour Mort à Crédit, n’en déplaise à feu Jean Paulhan.

 

            Pour conclure l’année 1942, signalons une lettre à Rebatet du 23 Octobre 1942 où Céline exhale sa rancœur d’écrivain méconnu :

“Mille fois raison, mon cher Rebatet !… Les vrais seuls écrivains français pour Vichy sont les dissidents actifs ou d’honneur !  Dissident d’honneur !   Le beau titre…”  

PANIQUE

           

            Dans les lettres écrites par Céline à partir de 1943, on relève un net changement d’attitude. Son antisémitisme recule au fur et à mesure que s’éloigne la possibilité d’une victoire des nazis. Les échecs de l’armée allemande s’accumulent : capitulation du Maréchal von Paulus avec son armée à Stalingrad le 2 Février 1943 ; prise de Tunis, le 7 Mai, qui achève la conquête de l’Afrique du Nord, suivie du débarquement des Alliés en Sicile le 10 Juillet ; chute de Mussolini le 25 Juillet; armistice avec l’Italie le 8 Septembre : autant d’événements qui préparent l’effondrement du IIIe Reich.

            C’est ce qui explique la position peu à peu en retrait de Céline. Dans le numéro de AU PILORI du 7 Janvier 1943, il se contente de formuler des revendications sociales. Il fait, cette année là, une seule crise d’antisémitisme dans une lettre que son ami Lucien Combelle publie dans la RÉVOLUTION NATIONALE du 20 Février 1943. Céline y parle de Proust qu’il traite toujours de Juif :

“Le talmud est à peu près bâti, conçu, comme les romans de Proust.”

           Cette nouvelle attitude de Céline est plus marquée encore dans un entretien réalisé par Cardine Petit pour PANORAMA, le 25 Mars 1943. Céline parle presque uniquement de la vie à Londres telle qu’il l’a décrite dans son livre Guignol’s Band qui venait alors de paraître.

           Dans JE SUIS PARTOUT, il prend du recul : le 9 Juillet, il mentionne à peine les Juifs et s’en prend avant tout aux bourgeois français. Le 13 Octobre, il attaque les profiteurs de la collaboration :

“Ils sont légion partout, nom de Dieu ! Et opulents et formidables. “

           Signe des temps… la mode était au socialisme ! GERMINAL se qualifiait : Hebdomadaire de la Pensée Socialiste. Au cours d’un entretien avec le journaliste Claude Jamet, publié sous le titre : L’Égalitarisme ou la Mort, Céline propose un programme de réformes socialistes (28 Avril 1944).

 

           Le dernier texte de Céline écrit avant son départ pour l’Allemagne le 17 Juin 1944, sonne le glas de ses illusions guerrières. Il reprend son rôle de pacifiste qu’il avait si longuement délaissé :

“Je donnerais volontiers aux flammes toutes les cathédrales du monde si cela pouvait apaiser la Bête et faire signer la paix demain”

            Ce texte parut le 22 Juin 1944 dans Les Élites françaises devant le saccage de la France de Pierre Larcher.

 

            Longtemps avant la fuite de Céline, l’atmosphère à Montmartre avait changé. Les voisins et les connaissances commençaient à trouver sa fréquentation compromettante. Céline écrira à Gen Paul :

“Voilà  les emmerdements ! Le vieux Montmartre s’agite, prépare l’arrivée des Américains. On chasse la crapule”

           Des lettres de menaces et des petits cercueils, messagers du sort qui l’attendait, arrivaient rue Girardon. Dans son livre D’un Château l’autre, Céline évoque les souvenirs de cette époque :

“Les pirates de la Butte Montmartre voulaient me saigner, que mes tripes dégoulinent rue Lepic”

           Céline avait envoyé de nombreuses lettres qui exprimaient sa panique. Mais il ne se risquera pas à écrire à André Malraux, engagé dans la Résistance en Mars 1944, pour lui demander de rejoindre la brigade Alsace Lorraine comme l’avait fait Drieu la Rochelle...

           Croisé de l’antisémitisme en fuite, Céline a fait l’objet d’un portrait incisif sous la plume d’Ernst Jünger dans son Journal Parisien, 1943-1944 :

“22 Juin. À midi chez Florence. J’y ai rencontré Heller. Il m’a raconté que Merline sitôt après le débarquement avait demandé des papiers à l’Ambassade et s’était déjà réfugié en Allemagne. Curieux de voir comme des êtres capables d’exiger de sang-froid la tête de millions d’hommes s’inquiètent de leur sale petite vie. Les deux faits doivent être liés”

           L’aventure de Céline va se poursuivre avec des péripéties qui ne mettront pas sa vie en danger. Son éditeur actuel, Gallimard, nous explique que :

 “De 1944 à 1951, Céline exilé vécut en Allemagne et au Danemark. Revenu en France, il s’installe à Meudon où il poursuivit son œuvre (D’un château l’autre, Nord, Rigodon) et continua à soigner essentiellement les pauvres. Il mourut en 1961.”

Son aventure aurait pu finir autrement. Pendant l’Occupation, un réseau de résistance animé par Roger Vailland se réunissait  dans la maison qu’habitait Céline. Dans un article du 13 Janvier 1950 de la TRIBUNE DES NATIONS, Roger Vailland écrit qu’il regrette de ne pas avoir exécuté Céline.

           Quelle erreur ! Un tel acte aurait légitimé l’inscription de sa victime sur le “Calendrier des Saints de la Collaboration”, à côté de Brasillach, de Luchaire, de Brinon et Cie. Ses fidèles auraient fêté la Saint Céline le 18 Janvier, tous les ans...

 

           Quand même, cette canonisation est en cours. Ces dernières années, d’innombrables écrits célèbrent les mérites de “la grande victime”. Suprême consécration, Céline est admis dans le “Paradis de la Pléiade” Et aujourd’hui, critiques, écrivains, dessinateurs, chantent en chœur : GLORIA IN EXCELSIS CELIO !

 

G. R.

Avril 1989

 

NOTES

 

I

 

Les services de la propagande nazie en France avec lesquels Céline est entré en relation sont les suivants :

1/ La Propaganda.

Relais du Ministère de la Propagande de Berlin. Dispose d’une section littéraire (AMT SCHRIFTUM). Le responsable littéraire est le Sonderführer Gerhardt Heller.

La Propaganda contrôle la production des livres conformément à la convention sur la censure des livres signée le 28 Septembre 1940 entre les éditeurs français et les autorités d’occupation.

La collaboration entre la Propaganda et 14 éditeurs a permis la publication du MIROIR DES LIVRES (1941-1942, luxueux catalogue où voisinent les écrits politiques de Pétain et de Hitler.

 

2/ L’Institut allemand.

Rattaché à l’Ambassade d’Allemagne. Il a repris, dès Juin 1940, ses activités interrompues pas la guerre.

Le directeur, Karl Epting, a les mains libres pour veiller sur la vie intellectuelle et artistique, et rester en contact avec les milieux parisiens de la collaboration.

 

3/ L’Office Rosenberg.

Alfred Rosenberg  était devenu, dès 1934, le délégué général du Führer à la surveillance idéologique du parti nazi. Il était l’auteur du Mythe du  20e Siècle, bible du racisme vendue à 1 million d’exemplaires. Rosenberg créera des services dans tous les pays occupés.

 

La section de l’AMT SCHRIFTUM était chargée de contrôler la littérature sur le plan idéologique. Le Dr. Bernard Payr, chef du Lectorat Central de l’AMT, assumera la direction du service parisien.

L’AMT SCHRIFTUM exerce son activité de contrôle à travers deux périodiques :

a) le Bücherkünde, contenant les comptes-rendus de livres français ou consacrés à la France.

b) Le Weltdienst consacré à la question juive. L’Office Rosenberg l’envoie aux personnalités, dont Céline fait partie.

 

II

 

La documentation de cet article a été tirée des ouvrages suivants :

 

Jean-Pierre AZEMA  La Collaboration (1975) - De Munich à la Libération, 1938-1944” (1971)

François GIBAULT  Céline (3 Volumes, 1977-1981)

Gérard LOISEAUX   La Littérature de la défaite et de la collaboration (1984)

                                  

Pascal ORY                Les Collaborateurs (1976) - La France allemande (1977)

 

Henry ROUSSO       La Collaboration (1987)

 

Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale (Avril 1964)

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
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