Psychanalyse et idéologie

Tania Bloom • Brèves de lectures récentes

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Il est plus facile d’élever un temple que d’y faire descendre l’objet du culte

Samuel Beckett • L'innommable

Cité en exergue au « Jargon der Eigentlichkeit » par T. W. Adorno • 1964

It is easier to raise a temple than to bring down there the worship object

Samuel Beckett  « The Unspeakable one »

Underlined in « Jargon of the authenticity » by T. W. Adorno • 1964

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Personne n’a le droit de rester silencieux s’il sait que quelque chose de mal se fait quelque part. Ni le sexe ou l’âge, ni la religion ou le parti politique ne peuvent être une excuse.

Nobody has the right to remain quiet if he knows that something of evil is made somewhere. Neither the sex or the age, nor the religion or the political party can be an excuse.

Bertha Pappenheim

point

ψ  = psi grec, résumé de Ps ychanalyse et i déologie. Le NON de ψ [Psi] LE TEMPS DU NON s’adresse à l’idéologie qui, quand elle prend sa source dans l’ignorance délibérée, est l’antonyme de la réflexion, de la raison, de l’intelligence.

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© Tania Bloom / 21 décembre 2015

Brèves de lectures récentes

 

 


                                

 

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Marion Muller-Colard

Le professeur Freud parle aux poissons

Illustré par Nathalie Novi

Éditions Les petits Platons, Paris, octobre 2015

 

« Tu connais ces grenouilles ?

interroge le professeur Freud.

- C’est pareil tous les jours, soupire la carpe.

Ça essaye de grimper sur son nénuphar, Surmoi lui flanque une beigne,

Ça recoule et Moi est bien embêtée. »

 

“Vous nous avez enseigné à avoir le courage d’approcher de près les choses, d’approcher sans peur et sans fausse honte même la partie la plus extrême et la plus intime du sentiment. Et il faut du courage pour être sincère - votre œuvre en témoigne comme peu d’autres à notre époque.”

Stefan Zweig,

Salzbourg, le 15 avril 1925

Exergue de Marion Muller-Colard

 

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Henriette Michaud

Les revenants de la mémoire

Freud et Shakespeare

Petite bibliothèque de psychanalyse • PUF, Paris, septembre 2011, 200 p.

 

Quand la lectrice, le lecteur, ouvrent l’écrin marine sur lequel l’équipe de graphistes de l’atelier Didier Thimonier a tracé la métaphore du destin d’Œdipe, sous la protection du vautour, l’oiseau-mère égyptien - ou est-ce Horus, le dieu faucon ? - juché sur le Sphinx, qu’y découvrent-t-ils, si ce n’est un gardénia, fleur préférée de Freud.

Plutôt que de s’essayer à l’application souvent besogneuse de la psychanalyse à des œuvres littéraires ou artistiques comme le firent des élèves de Freud, parmi lesquels Otto Rank, Ernest Jones... et bien d’autres, Henriette Michaud, dont l’érudition n’a d’égal que sa dilection pour Shakespeare, son amour de l’étude à partir de la langue d’origine..., sa préférence pour les traductions de l’un des poètes majeur de notre temps, Yves Bonnefoy, a choisi de nous désaltérer à la source même, celle qui abreuva son promoteur.

Ainsi, sa réflexion et le voyage au long cours qui s’ensuivit dans l’œuvre de Freud, l’amenèrent à nous poser la question :

 

« Quel rôle Shakespeare a-t-il joué dans l’élaboration de la psychanalyse ? »

 

Mieux que je ne pourrais l’écrire, les lectrices et lecteurs intéressés et plus particulièrement les psychanalystes, trouveront aisément sur Internet les comptes rendus développés de cette pierre précieuse offerte par Henriette Michaud à l’édifice de la psychanalyse.

Je me contenterai ici de relever ce passage sur la quatrième de couverture :

 

« Arlequins ou fantômes, vêtus de neuf ou dans leurs costumes d’origine, les mots de Shakespeare déplacés dans la langue de Freud gardent sur eux l’éclat du voyage. Comme si la psychanalyse à ses commencements avait besoin de ces éclats d’étranger, de ces revenants de la mémoire. »

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Henriette Michaud

Freud éditeur

Les Almanachs de la psychanalyse 1925-1938

Éditions Campagne Première, octobre 2015, 172 p.

 

J’intitulerais volontiers, par un deuxième sous-titre, ce travail, composé à partir des éditions originales, attentivement commenté par Henriette Michaud : « Une autre histoire de la psychanalyse », une vraie histoire de la psychanalyse, et non des psychanalystes, que Françoise Dolto appelait “histoires de transferts”.

Excepté à ma connaissance limitée, le Freud de Peter Gay et La mort dans la vie de Freud  de Max Schur, nous n’avons en effet jusqu’à présent à notre disposition que l’une et l’autre histoire de la psychanalyse, inspirées par le journalisme, dans lesquelles nous lisons ce que Lacan nommait des “historioles” infantiles, parfois d’intentions sub-salaces, anecdotiques, non vérifiées, narrées par des “spécialistes” non analysés ignorants délibérés de la volumineuse correspondance de Freud avec ses élèves et/ou amis psychanalystes, dont quelques proches au long de plus de trente ans d’échanges, laquelle nous révèle les hypothèses, les errances, les certitudes, bref l’évolution de la théorie en devenir. Quant à la somme en trois volumes d’Ernest Jones, si elle nous éclaire sur « La vie et l’œuvre de Sigmund Freud », elle est à mon sens à lire avec acuité, puisque souvent déloyale envers qui, Freud y compris, est perçu par un auteur animé d’une jalousie irrépressible, comme un concurrent à dénigrer, voire à abattre.

Les éditions, Internet, nous fournissent inlassablement les mêmes clichés, les mêmes slogans, les mêmes citations, se recopient littéralement, comme titulaires d’une vérité incessible, sans la moindre retenue.

Henriette Michaud, avec son Freud éditeur, nous présente ce dont témoignent « Les almanachs de la psychanalyse », commentés avec l’honnêteté intellectuelle qui lui est propre, le travail énorme, aussi bien théorique que clinique, ses applications, effectué par les défricheurs passionnés de ce que Freud nommait - et espérait, hélas sans grand succès - être “La nouvelle science” dont il fut le promoteur.

Henriette Michaud nous offre ici, au-delà des dissensions, des dissidences, des résistances, le “témoignage exceptionnel de la présence et de la diffusion de la psychanalyse pendant une période mouvementée”, notamment l’épisode qui fut dominé, au mépris du désir de Freud, par l’hostilité internationale victorieuse à l’encontre de sa pratique par les non-médecins, dépossédant la psychanalyse de sa singularité, aujourd’hui réduite à un enseignement universitaire vidé de la psychanalyse personnelle indispensable pour témoigner de ce dont on parle, ou permise chez qui s’en intitule par “L’analyste [analysé ou la plupart du temps, pas] ne s’autorise que de lui-même” de Lacan.

 

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Judith Dupont

Au fil du temps...

Un itinéraire analytique

Introduction d’Éva Brabant

Éditions Campagne Première, septembre 2015, 370 p.

 

Excepté des analysant-e-s ami-e-s qui m’ont transmis lui en être encore aujourd’hui reconnaissant-e-s, ayant suivi leur psychanalyse individuelle avec Judith Dupont, je ne l’ai pas croisée. Cependant, j’ai lu assidûment Le Coq-Héron pendant près de quarante ans, ainsi que son Manuel à l’usage des enfants qui ont des parents difficiles et, pour ma pratique, étudié et pris en compte, avec je l’espère, discernement, l’œuvre de Ferenczi (et de quelques autres...), lequel n’a jamais cédé sur l’hideuse réalité de la maltraitance sexuelle, dont nous entendons au quotidien et essayons de neutraliser au maximum les dégâts encore aujourd’hui en 2015. De même, n’ont pas disparu, quelles que soient les modes, les us et coutumes des praticiens, la désertion de beaucoup à l’analyse de la sexualité de leurs analysant-e-s, le passage d’un siècle à l’autre, les inventeresses perpétuellement renouvelées de la psychanalyse, les hystériques.

Je viens de lire l’itinéraire professionnel de Judith Dupont, indissociablement lié à sa biographie, écrit au fil du temps avec la vivacité bienfaisante d’un dialogue ininterrompu entre ami-e-s ou/et collègues toujours attentifs à l’évolution de la psychanalyse, comme le témoignage, peu fréquent dans la forme, d’une clinicienne authentique dans l’histoire de la psychanalyse, attachée à ce qui doit singulariser, selon Jean-Claude Lavie, la technique de chaque analyste, soit :

 

« Il ne faut pas confondre pratique et technique. Une pratique est un mode de gérer une technique, particulière au style de la personne qui l’applique ou aux nécessités d’un cas. [...] La pratique est par nature personnelle, elle ne peut jamais consister à imiter ou à copier fût-ce un maître. C’est la personne même de l’analyste avec tout ce qui la constitue, qui élabore la situation et qui la régit. »

 

Et c’est avec une remarquable honnêteté intellectuelle que Judith Dupont, décrit par le menu son style singulier de pratique, émaillé d’exemples cliniques.

Je terminerai sur un aspect sensible, étonnamment moderne, de la pratique de l’analyste, légué par Ferenczi, avec cet extrait du livre de Judith Dupont, attentive à la transmission de la psychanalyse :

 

« Ferenczi a compris que la “neutralité”, l’“indifférence”, prônées par Freud dans le but de ne pas enfermer le patient dans une relation sans avenir avec l’analyste, n’étaient pas valables avec tous les patients, ni à tous les stades d’une analyse. Les personnes que nous appellerions aujourd’hui des “cas limites”, ou les patients en état de régression, avaient besoin d’autre chose. L’idée de Ferenczi était de leur offrir, par son comportement, l’expérience de soutien, de sollicitude, de sécurisation, qui leur a fait défaut autrefois. Il obligeait ainsi l’analyste* à payer de sa personne, bien au-delà de ce que la plupart de ses collègues étaient disposés à faire. »

 

[* Non seulement à être au préalable suffisamment analysé]

 

L’“écoute indifférente” ou “neutralité bienveillante”, introuvable dans les écrits de Freud, ici évoque ce qu’écrivait François Perrier :

 

« Niaiserie. Fantasme de l’impersonnalité de l’analyste. »

 

Enfin, Judith Dupont dessine à l’intention de ses lectrices et lecteurs un horizon optimiste pour la psychanalyse. Elle fait ainsi sien l’aphorisme de Lamartine :

 

“Je lis dans l’avenir la raison du présent.”

 

ψ  [Psi] • LE TEMPS DU NON
cela ne va pas sans dire
© 1989 / 2015