Actualité
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Dr. Robert Rozett*
Un raz de marée antisémite
Extrait de
Yad Vashem • Le lien francophone
Décembre 2014-Janvier 2015, n°
49
n véritable raz de marée antisémite récupérant de
façon abusive l’histoire et les symboles de la Shoah ; c’est peut-être ce
qui caractérise le mieux les réactions qui ont fait suite au déclenchement de
l’opération “Bordure protectrice” sur Gaza. Par le passé, les opérations de
défense menées par Israël avaient déjà donné lieu à de pareils amalgames. Mais
cet été, l’ampleur et la radicalité de ce phénomène ont atteint de nouvelles
proportions. Les spécialistes de l’antisémitisme sont tous d’accord pour affirmer
que le conflit israélo-palestinien n’est pas la source profonde des vagues d’antisémitisme
mais un catalyseur qui déclenche l’antisémitisme. Depuis l’an 2000, une constellation antisémite recouvrant
un spectre très large de motivations et de groupuscules se retrouve dans une
même rhétorique de haine contre les Juifs. Cette situation n’a jamais été aussi
claire qu’au cours de l’opération “Bordure protectrice” de cet été.
L’utilisation des termes et concepts détournés de l’histoire
de la Shoah pour attaquer et délégitimer l’action d’Israël est omniprésente.
Israël a été traité de “néo-nazi génocidaire” par des personnalités aussi
diverses que le président turc Tayyip Erdogan ou le secrétaire général adjoint
du Congrès national africain, Jessie Duarte. Dans toute l’Europe, lors de
manifestations de soutien aux Palestiniens, des pancartes et des slogans
appelaient à la mort des Juifs : “Les Juifs au gaz” ou “Hitler n’a pas fini le
travail”. Sur Facebook et Twitter, ces slogans ont atteint des millions de
personnes. Dans la presse, Israël fut, non seulement, accusé de génocide, mais
déjà jugé et reconnu coupable. Ces accusations, surtout en Europe, permettent
de soulager le sentiment de culpabilité des États face à leur attitude pendant
la Shoah.
Au centre de cette vague d’antisémitisme se trouve un
phénomène de diabolisation. La diabolisation des Juifs est une longue
histoire... Dès les premiers temps du christianisme et la période médiévale, les
Juifs sont associés au diable. La diabolisation se retrouve dans l’antisémitisme
moderne du XIXe siècle, notamment lorsque Heinrich von Treitschke affirme : «
les Juifs sont notre malheur ». Pour les nazis, les Juifs sont devenus l’ennemi
absolu responsable de tous les maux de la planète en raison de leur racea.
La propagande accusant les Juifs d’être les initiateurs des crimes de Staline
participe également de cette diabolisation. Au cours des dernières années, c’est
la diabolisation de l’État d’Israël, accusé de crime de guerre et crime contre
l’humanité, qui a pris le relais. Lors de cette nouvelle vague d’antisémitisme,
les Juifs du monde, individuellement, ont été directement confondus avec Israël
et ont été victimes d’agressions verbales et physiques à New York comme à Paris
et dans de nombreuses autres villes.
Certains ont pu suggérer que la situation actuelle
ressemble à la nuit de Cristal de 1938 ou à la veille de la Seconde Guerre
mondiale en 1939. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’Allemagne nazie présentait
un antisémitisme d’État alors que les gouvernements d’Europe et d’Amérique, même
s’ils ne peuvent entièrement endiguer cette vague, condamnent l’antisémitisme.
Tout au long de la campagne militaire menée contre la
bande de Gaza, les plates formes de discussions et les réseaux sociaux de Yad
Vashem ont été inondés de commentaires antisémites et d’incitations à la haine
contre les Juifs. Yad Vashem a publié de nombreux communiqués, énergiques mais
mesurés, dénonçant les manipulations de la Shoah à des fins antisémites. Ces
articles et ces argumentaires ont été lus par des milliers d’internautes. Yad
Vashem fait donc face également à ce raz de marée d’antisémitisme qui nécessite
une pédagogie efficace et innovante afin de relever le défi de la manipulation
antisémite de la Shoah ; un phénomène qui prend des proportions endémiques
depuis le début du XXIe siècle.
* L’auteur est
Directeur de la Bibliothèque de Yad Vashem.
a • Vocable qui a prévalu tout au long
du XIXe siècle et une grande partie du XXe, encore
fréquemment en cours aujourd’hui.